Ce qui est juste

Hugo serra la main d'Albus, parce qu'une foule de plusieurs centaines de personnes l'observait et qu'il ne pouvait guère faire autrement. Mais en lui-même, la terreur enflait, grondante, le pressentiment affreux qu'Albus lui avait toujours inspiré, et qui annonçait qu'une catastrophe était sur le point d'arriver...

Albus ne pouvait pas renoncer à sa place au pouvoir aussi facilement, c'était impossible. Hugo avait basé son coup de poker sur cette certitude : son ultimatum mettrait Albus dans l'embarras, le forcerait à montrer à la foule son vrai visage... Mais non. Albus se tenait là devant lui, souriant tranquillement, et Hugo se demandait quel élément avait bien pu lui échapper. Où était la faille dans son plan ?

Aussi, lorsqu'Albus relâcha sa main pour s'adresser à ses partisans, Hugo prit-il les devants :

- Monsieur Potter et moi allons-nous entretenir afin d'organiser les élections et de déterminer nos candidats respectifs. Merci à tous.

Alors il prit Albus par le bras et fit mine de l'entraîner à l'intérieur. Albus sembla amusé, mais se laissa faire. Sans doute distinguait-il l'inquiétude sur son visage. Ce cher Hugo qui avait peur de son cousin... Hugo jura intérieurement, mais ne dit rien. Il avait peur, il l'assumait. Il ne laisserait pas Albus manipuler ces gens une seule seconde de plus. Une fois dans l'hôpital, il attaqua aussitôt :

- Qu'est-ce que j'ai manqué ? lança-t-il.

- Quoi, tu n'es pas content que j'aie accepté ta proposition ? Ce n'est pas ce que tu voulais ? fit Albus avec son sourire insupportable.

Brusquement, Hugo se rendit compte de l'endroit où il se trouvait et de qui d'autre l'attendait dans le hall de l'hôpital. Les mains dans les poches, un peu en retrait, Scorpius les observait tous les deux sans rien dire. Et soudain, ce fut comme si un rouage manquant s'enclenchait dans l'esprit d'Hugo. Il dévisagea Scorpius, il dévisagea Albus, comme s'il se demandait s'il pouvait y croire... Albus lut sa réaction et acquiesça :

- Scorpius se présentera à ma place.

Hugo sentit ses jambes menacer de s'écrouler sous son poids. Jamais, jamais il n'avait envisagé une telle issue à ce conflit... Et tandis que son regard se fixait sur Scorpius malgré lui, il se battait avec ses émotions, incapable de comprendre laquelle l'emportait sur les autres. Déstabilisé par la manœuvre d'Albus. Honteux de s'être fait avoir ainsi, de n'avoir rien vu venir. Amer à l'idée de sa défaite prochaine, inévitable. Et en même temps... soulagé ? Heureux ? En paix, peut-être...

Jamais dans ses rêves les plus fous, Hugo n'avait imaginé Scorpius s'engager en politique et se battre pour faire valoir ses droits, pour récupérer tout ce que sa famille avait perdu, et obtenir justice... Mais à présent que Scorpius se tenait devant lui et le regardait sans faiblir, Hugo se disait que peut-être, quelque part, il n'y avait pas de meilleur dénouement possible, pas de meilleure option, rien de plus logique... Quelle merveilleuse ironie ce serait, si l'ensemble du monde sorcier élisait un Malefoy au Ministère de la Magie, un jeune homme qu'ils avaient autrefois méprisé et martyrisé...

Avec une douce chaleur qu'il s'autorisa à peine, Hugo se dit que lui-même avait joué un rôle dans tout ceci. Sa manœuvre avait conduit Scorpius là où il se tenait aujourd'hui. Quel dommage qu'Albus ait dû jouer un rôle là-dedans lui aussi...

Car à présent, Hugo comprenait mieux sa réaction. Céder sa place à Scorpius, c'était un faible sacrifice pour Albus. Peut-être même était-ce un moyen d'augmenter encore sa popularité, en soulignant sa probité, son abnégation, et son amour pour une de ces victimes qu'il défendait tellement... Oui, sans aucun doute, Albus sortirait plus fort de cette situation. Et si Scorpius était élu, il était évident qu'Albus gouvernerait à travers lui, dans l'ombre...

Hugo secoua la tête. Même cette pensée ne parvenait pas à salir le sentiment de justice qui s'était établi en lui. Pour la première fois depuis dix longues années, une étrange sérénité s'était installée tout au fond de son cœur. Le sentiment d'avoir enfin rendu les choses à la normale, telles qu'elles auraient dû être. Le sentiment d'être arrivé au bout de sa quête. Avec Scorpius sorti de sa condition, de son injustice, porté aux nues par le pays tout entier... Hugo avait remboursé sa dette, et bien plus. Plus qu'il ne l'aurait jamais espéré. Il eut un simple pincement au cœur à l'idée que sa vie n'avait plus vraiment de raison d'être désormais.

Scorpius le cueillit sur cette pensée :

- Je suppose que nous allons nous retrouver face à face, du coup.

Il n'y avait pas de reproche dans sa voix. Rien qu'un constat. Hugo ne fuit pas son regard comme la dernière fois dans la boutique : au contraire, il n'en ressentit même pas le besoin. Il était en paix avec lui-même. Une forme d'acceptation très profonde se faisait jour en lui :

- Non, dit-il doucement. Je n'ai pas l'intention de te mettre des bâtons dans les roues. Et je ne compte pas me présenter contre toi. Promets-moi juste que tu ne le laisseras pas trop te dire quoi faire.

Scorpius haussa les sourcils, surpris :

- Qu'est-ce que tu comptes faire alors ?

Hugo soupira et sourit. Un sourire sincère, et triste :

- Je vais t'aider à gagner.

XXX

De retour dans le bureau de Kingsley Shacklebolt, Hugo contemplait ce qui restait du gouvernement converser devant lui. Tous s'étaient rassemblés pour l'occasion : tous les membres hauts placés, tous les chefs de départements... Hugo attendait que l'ambiance se calme lorsque Shacklebolt lui lança tout à coup :

- Weasley ! Vous devez vous présenter ! Vous êtes notre seule chance de conserver ce pays intact et vous le savez !

Hugo fit doucement non de la tête. Il s'était attendu à cet instant :

- Je ne me présenterai pas, dit-il. Je ne peux pas me présenter.

- Pourquoi ? s'exclama Shacklebolt, interloqué.

La panique et la peur commençaient à se frayer un chemin dans sa voix. Hugo haussa les épaules :

- Parce que j'ai commis un crime il y a dix ans de cela, et qu'il est temps pour moi d'en payer le prix.

- Un crime ? Quel crime ? Mais de quoi parlez-vous, expliquez-vous !

Hugo inspira à fond. Il avait l'impression qu'un poids très lourd et très ancien était sur le point de tomber de ses épaules :

- Il y a dix ans de cela, quand j'avais seize ans, je m'en suis pris à Scorpius Malefoy, et j'ai tenté de l'agresser sexuellement.

Un silence stupéfait tomba sur l'assemblée. Shacklebolt ouvrait et refermait compulsivement la bouche, tel un poisson sorti hors de l'eau.

- C'est à la suite de cela qu'il a disparu avec son père à l'étranger, précisa Hugo. Il n'en a jamais rien dit à personne, n'a jamais porté d'accusations, même aujourd'hui, alors qu'il aurait eu tout intérêt à le faire... Mais j'ai décidé d'avouer. De mon propre chef.

Shacklebolt sembla enfin reprendre ses esprits :

- Mais enfin, Hugo... Pourquoi ? Nous sommes d'accord pour dire que c'était un accident, n'est-ce pas ? Vous étiez jeunes ! Personne ne sait que c'est arrivé, alors qui s'en soucie ? Même Malefoy n'a pas porté plainte ! Alors pourquoi ne pas laisser le passé là où il est ?

- Vous estimez que mon crime doit rester impuni ?

- J'estime que c'est du passé ! Et que si vous avouez ce scandale maintenant, vous ruinez à tout jamais nos chances de gagner cette élection que vous nous avez imposée !

Hugo s'autorisa un léger sourire :

- Peut-être que c'est précisément mon intention.

Shacklebolt blêmit :

- Vous ne pouvez pas être sincère. Vous ne pouvez pas penser ça, sérieusement. Vous vous êtes toujours opposé à Albus Potter.

- A Albus, oui. Pas à Scorpius. Scorpius est un fantôme qui m'a hanté toute ma vie. Aujourd'hui, j'ai enfin la chance de rétablir les choses pour lui, de manière juste. J'ai la chance de me racheter pour ce que je lui ai fait. Le mieux que je puisse faire à présent, c'est de lui assurer une victoire totale, incontestée... Et payer enfin le châtiment que j'aurais dû recevoir.

Hugo secoua la tête :

- Personne ne devrait se croire au-dessus des lois. Et certainement pas moi.

Shacklebolt tomba le masque. La panique pure l'animait à présent :

- Réfléchissez, Hugo, je vous en conjure ! Que diront vos parents quand ils l'apprendront ? Votre famille ?

A nouveau, Hugo haussa les épaules :

- Mon père me reniera, mais cela n'a aucune importance puisque je l'ai déjà renié il y a longtemps. Ma mère comprendra. Je crois que cela apportera des réponses à beaucoup de ses questions. Quant au reste de ma famille... Chacun sera libre de se forger sa propre opinion. Ça n'a absolument aucune importance. Comparé à ce que j'éprouve pour moi-même...

Hugo s'adressa alors à tout l'auditoire rassemblé :

- J'ai déjà fait une confession écrite que j'ai envoyé à la presse, dit-il. Ce sera dans l'édition du jour. Je vous suggère fortement d'aller chercher mon oncle pour qu'il vienne m'arrêter.

- Vous n'êtes pas sérieux...

Mais Hugo ne cilla pas. Il se rappelait du regard de Scorpius, lorsque ce dernier avait compris ce qu'il allait faire... Il n'avait aucune idée de ce que lui ou Albus pouvaient bien en penser. De quel sort ils lui réserveraient lorsque Scorpius serait élu, et Hugo à sa merci... Mais cela n'avait aucune importance. Hugo faisait ce qu'il estimait juste. D'une certaine façon, quelque part, cela devait bien compter pour quelque chose.

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