Belly
Allongé dans son lit, Scorpius laissait ses pensées dériver. Il n'avait jamais été du genre à céder facilement au sommeil. Au contraire, il le fuyait presque. Le sommeil apportait des visions, des cauchemars. Des souvenirs. Souvent, Scorpius avait l'impression de sentir son esprit tourner à plein régime, se torturer, poursuivre des chimères dans la nuit, tout plutôt que de céder à ce grand vide qui lui tendait les bras, à cet abandon peuplé de cris, de sang et de larmes.
Dans ses rêves, Scorpius voyait sa mère. Il se rappelait très peu de choses d'elle, si ce n'était qu'elle avait les cheveux noirs, comme lui. Et il se rappelait le son de sa voix. Le son de sa voix tandis qu'elle criait...
Astoria Malefoy était morte lorsque Scorpius avait cinq ans. Aujourd'hui, plus de six ans après, sa mort était quasiment le seul souvenir qu'il conservait d'elle. Et cela, plus que tout le reste, lui broyait le cœur...
- Tu veux que je te chante une berceuse ? siffla soudain une voix au bout du lit.
Scorpius jura et agrippa sa baguette pour jeter un sort de silence sur le baldaquin :
- Belly ! articula-t-il alors. Tu sais que tu dois me prévenir avant de me faire ce genre de frayeur ! Les autres élèves me lyncheraient s'ils apprenaient que je suis Fourchelangue...
Sinueusement, Belly se glissa entre les draps pour parvenir jusqu'à son oreiller :
- J'étais parti explorer un peu les conduites d'eau, susurra le serpent. Tu sais que la plomberie est réellement immense ici ? Si immense qu'un Basilic tout entier a pu s'y déplacer sans que personne ne le voie !
- Oui, je le sais, Belly, répondit Scorpius, amer. Même que c'est le père de monsieur Albus Potter en personne qui l'a combattu.
Belly se coula tout contre sa joue, redressant la tête pour le regarder dans les yeux. Doucement, Scorpius caressa le tracé lisse et frais de ses écailles :
- Il m'a l'air gentil, cet Albus, déclara Belly.
Scorpius se fendit d'un sourire cynique :
- Il est dangereux. Et agaçant. Et stupide.
- Et drôle.
- Tu ne dois pas avoir un très grand sens de l'humour.
Belly lui lécha le bout du nez :
- J'ai plus d'humour que toi en tout cas.
Silencieux, le serpent s'enroula sur lui-même et prit confortablement place sur l'oreiller :
- Si tu avais si peur que je t'attire des ennuis, tu n'aurais pas dû m'emmener à Poudlard.
- Je n'avais pas le choix.
Scorpius caressa de nouveau le serpent du bout du doigt :
- Tu es mon seul ami.
Belly remua la tête, tout enorgueilli, mais il reprit malgré tout :
- Ton père va s'en apercevoir.
- Si tu veux mon avis, il s'en est déjà aperçu.
- Et tu crois qu'il ne va rien dire ?
Scorpius haussa les épaules :
- Il sait ce que ça fait de se sentir seul.
Tendrement, Belly pressa sa tête contre sa joue, pour le consoler. Alors, le petit serpent murmura :
- Bonne nuit, Scorpius.
- Bonne nuit, Belly.
XXX
Scorpius se souvenait. Il se souvenait très bien. Il savait qu'il rêvait, et pourtant, il restait prisonnier de son rêve, incapable d'échapper au passé qui l'engloutissait. Dans son rêve, Scorpius avait cinq ans.
Il était très tard, mais son père était encore au travail. Drago Malefoy venait de recevoir une grosse commande de la part d'une équipe de Quidditch locale, et s'il voulait forger et maintenir sa réputation, il devrait travailler toute la nuit pour finir les balais à temps. Scorpius était seul avec sa mère, dans leur petit appartement du Londres Moldu. Lorsqu'ils avaient emménagé quelques années plus tôt, Harry Potter avait décrété que le Londres Moldu serait plus sûr pour eux. Aucun sorcier ne viendrait s'imaginer qu'ils avaient emménagé ici – eux, les Malefoy. Alors Drago Malefoy avait dit oui, et depuis, ils vivaient dans ce petit logement moderne et confortable, non loin du centre de Londres. Ils avaient peu, mais ce qu'ils avaient, c'était à eux. Ils l'avaient gagné honnêtement, malgré la haine et les obstacles, malgré tous les préjugés que la loi imposait contre des gens comme eux... Harry Potter s'était porté acquéreur de l'appartement, puisque Drago n'avait pas le droit d'en posséder un lui-même, et Drago payait un loyer en contrepartie. Cela fonctionnait bien.
Scorpius était scolarisé dans une école maternelle du quartier, avec d'autres enfants Moldus. Astoria, elle, avait dû renoncer à son droit à travailler, lorsqu'elle avait épousé un Malefoy. Elle avait renoncé à beaucoup de choses, en vérité. Sa famille, qui l'avait reniée. Ses amis, qui l'avaient désavouée. La société sorcière, qui l'avait rejetée. Elle avait perdu sa vie entière, pour avoir choisi d'aimer un Malefoy... Pour avoir osé se marier avec lui, officialiser leur union en public...
Mais ce n'était pas grave. Astoria était une jeune femme vive et enjouée. Belle, délicate, discrète. Un petit rayon de Soleil dans la vie de Drago, timide et tendre, qui lui avait permis de croire que peut-être, il aurait le droit à une petite part de bonheur sur Terre...
De sa mère, Scorpius se rappelait des impressions fugaces. Son sourire sous la lumière du matin. Le parfum de ses cheveux. La douceur et la patience avec laquelle elle lui apprenait à lire, allongée par terre sur le parquet à côté de lui, à mélanger de petites lettres en bois...
Astoria était belle. Pure. Pleine de vie. Un fragment d'innocence non terni par la guerre et ses conséquences. Elle les connaissait bien sûr, mieux que personne. Elle avait endossé le poids de l'après-guerre en acceptant d'épouser un Malefoy. Mais elle trouvait le moyen de vivre outre. De vivre en dépit de tous ceux qui la haïssaient. Qui la maudissaient pour avoir mis au monde un héritier Malefoy...
A cette époque-là, Scorpius ne se doutait pas encore que sa famille était la plus détestée d'Angleterre. Il ne se doutait pas que des gens pouvaient souhaiter sa mort, simplement pour le seul crime d'être né. Pour le seul crime de porter son nom. Pour lui, son père était un homme strict, un peu effrayant, un peu triste, mais qu'il admirait plus que tout au monde, et qu'il voulait rendre fier. Drago Malefoy sentait l'eau de Cologne, la cire à bois et le parchemin neuf. Il le prenait sur ses genoux pour lire une histoire le soir, et Scorpius était heureux de lui montrer jour après jour les progrès qu'il avait fait avec sa mère. Drago l'embrassait alors dans les cheveux, le chatouillait avant de rabattre les couvertures, et durant ces quelques instants seulement, Scorpius voyait son visage se détendre, et il découvrait l'homme chaleureux et bon derrière le masque que son père se sentait obligé de porter en permanence...
Astoria, quant à elle, c'était l'odeur du thé le matin au petit déjeuner. C'était la douceur de ses baisers, la fraicheur de son rire. C'était tous les jeux qu'ils faisaient ensemble, tous ces petits moments partagés qui éclataient comme des bulles de savon dans un ciel d'été...
Scorpius était un enfant heureux. Il devinait chez ses parents une profondeur et une mélancolie qui lui semblait naturelle, puisqu'il n'avait jamais connu que ça. Quelques fois, il les entendait discuter tard le soir, et son père avait la voix grave de ceux sur qui une menace place. Inquiet, Scorpius vérifiait parfois qu'il n'y avait pas de monstre sous son lit, ni sous celui de ses parents. Il n'osait pas imaginer de quoi un homme aussi courageux que son père pouvait avoir peur. Il se disait qu'il devrait le défendre, lui et sa mère, si jamais quelque chose venait à s'en prendre à eux... Mais il était si petit. Il ne saurait pas quoi faire...
De temps en temps – une fois par mois – Harry venait chez eux. Scorpius aimait bien Harry. Il avait des cheveux noirs et tout ébouriffés, comme les siens. Il avait la même tristesse que son père sur son visage. Et il ramenait toujours des cadeaux et des jouets pour lui. Scorpius jouait avec Harry, et dans ces moments-là, il sentait le regard de son visiteur s'attarder sur lui, rempli de considérations trop lourdes, trop complexes pour lui. Scorpius ne comprenait pas encore très bien alors pourquoi Harry venait les voir. Il ne comprenait pas pourquoi son père et lui se serraient la main, discutaient et se servaient du thé avec ce mélange de distance et de respect, cette estime très particulière qui les faisait se tenir loin l'un de l'autre. Ils avaient le regard de deux hommes qui se connaissaient profondément. Deux hommes qui avaient vécu, partagé les mêmes choses, mais à qui la vie interdisait pourtant de se rapprocher. Dans leurs gestes, leurs attitudes, ils donnaient l'impression de vouloir être amis sans en avoir le droit, et de le regretter. Alors, à défaut, Harry était l'ami de Scorpius. Aussi, c'était à lui que Scorpius avait décidé de se confier un jour, au sujet de ses parents :
- Papa et maman sont inquiets, avait-il dit alors qu'Harry l'aidait à construire son nouveau petit train.
- Je sais, petit homme, avait répondu Harry.
Il avait une voix basse. Une voix rassurante, qui allait bien avec ses cheveux sombres et ses yeux perdus sur le passé...
- S'il leur arrive quelque chose, tu crois que tu pourras les protéger ?
Harry avait relevé les yeux sur lui, comme saisi soudainement par la clairvoyance de ses paroles :
- J'essaierai..., s'était-il contenté de murmurer.
- Tu promets ?
- Je promets.
Mais la menace avait fini par frapper à leur porte un jour, et Harry n'avait pas été là.
C'était par une froide nuit d'octobre. Scorpius était seul à la maison avec Astoria. Drago était resté à la boutique pour travailler tard. Comme souvent, Scorpius n'arrivait pas à dormir, aussi tentait-il de se laisser bercer par le bruit de la pluie, et le doux ronronnement de la télévision dans le salon. Et puis soudain, il avait entendu un bruit. Une vitre brisée. Des éclats de verre sur le parquet. Il avait entendu sa mère crier, et il avait hésité l'espace d'une seconde entre s'enfouir sous les couvertures ou courir lui porter secours. Il avait couru.
Il y avait deux hommes dans le salon, vêtus de noir, des masques noirs sur le visage. Astoria les tenait en respect du bout de sa baguette, mais l'un d'eux n'avait pas tardé à la désarmer :
- Qu'est-ce que vous voulez ? avait crié Astoria. Comment avez-vous déjoué les sortilèges ?!
- La ferme, salope ! avait répondu l'un des hommes.
Il l'avait agrippée par les cheveux et l'avait trainée jusque dans la chambre. Astoria s'était débattu. Son regard avait croisé celui de Scorpius, et Scorpius avait lu la peur dans ses yeux : l'urgence, la panique... Mais Scorpius était resté là où il était. Il n'avait rien pu faire, tout simplement rien pu faire. Il était paralysé dans l'encadrement de la porte, dans l'ombre du couloir, là où personne ne pouvait le voir. C'est là qu'avait commencé les cris. Astoria avait crié tandis qu'on la jetait sur le lit, et qu'un des hommes lui lançait :
- Alors comme ça, il parait que tu aimes te taper du Mangemort ?
Scorpius était resté immobile, terrorisé, des larmes froides roulant sur ses joues, tandis qu'il voyait par la porte laissée grande ouverte ces deux monstres surgis de la nuit déchirer les vêtements de sa mère, l'immobiliser et lui faire des choses qu'il n'était pas capable de comprendre à l'époque. Il les avait ensuite vus rouer sa mère de coups, la lacérer et cisailler ses cheveux noirs qu'il aimait tant... Ses yeux d'enfant enregistraient tout. Ils restaient écarquillés sur l'horreur, et l'horreur l'avalait. Une petite part d'ombre s'était logée en lui cette nuit-là. Une petite part d'abyme, qui avait tué l'innocence, tué la lueur, tué quelque chose. Quelque chose qu'il ne retrouverait jamais...
Lorsque les deux hommes en avaient eu terminé, ils l'avaient découvert planté au beau milieu du couloir, en état de choc. L'un d'eux avait fait :
- Exterminons-le aussi, ce sale petit bâtard.
Mais son acolyte avait retenu sa main. Pourquoi une telle pitié à son égard, et pas à l'égard de sa mère, Scorpius ne l'avait jamais su. Toujours était-il que Drago l'avait découvert au petit matin, complètement prostré, et qu'il avait découvert Astoria ensuite...
Elle respirait encore, à ce moment-là. Elle respirait encore, même si son crâne dégoulinait de sang et que son visage était à peine reconnaissable. Drago l'avait aussitôt fait transplaner à Sainte-Mangouste, en emmenant Scorpius avec lui.
Ils s'étaient retrouvés au service des urgences, à devoir décliner leur identité devant une marée de Médicomages qui les avaient aussitôt considérés comme des insectes. On les avait fait attendre. Drago avait protesté, on l'avait menacé. Pendant ce temps, Astoria se vidait de son sang, et Scorpius pleurait.
Des heures durant, ils avaient attendu qu'un médecin veuille bien les prendre en charge. Au bout d'un moment, des infirmières étaient venues emmener Astoria sans leur dire où elles allaient. Mais toujours pas de Médicomage. Scorpius avait vu son père tempêter, écrire à Harry en dernier recours... Finalement, ils avaient dû attendre une journée entière pour qu'un médecin s'approche enfin de Drago et l'emmène dans une salle à l'écart, là où Scorpius ne pouvait plus le voir.
Alors, ça avait été au tour de Scorpius d'attendre. Il avait attendu pendant ce qui lui semblait de longues heures, alors que ça ne devait être que quelques minutes. Ensuite, il avait entendu le cri de son père. Un cri inhumain. Un cri qu'il n'oublierait jamais. Son père, son père qui n'exprimait jamais rien, était ressorti dans le hall en portant toute la colère, toute la haine et toute la frustration du monde sur son visage. Le monde n'était qu'hostilité en retour, partout autour de lui. Il avait dû le sentir, car ses lèvres n'avaient pas prononcé un seul mot ce jour-là. Seuls ses yeux parlaient pour lui. Ses yeux brûlaient. Ils disaient : « C'est votre faute ! ». Mais tout le monde s'en foutait.
Alors, Drago s'était approché de Scorpius. Cela aussi, Scorpius s'en souviendrait toute sa vie. Il s'était agenouillé auprès de lui, et tout doucement, il lui avait murmuré :
- Scorpius... Ta maman est morte.
Scorpius avait compris la haine du monde sorcier ce jour-là. Il avait compris ce que signifiait « haïr » et « être haï ». Il avait compris qu'il était né dans un monde qui préfèrerait le laisser mourir plutôt que de le voir vivre. Un monde qui avait assassiné sa mère...
Le meurtre d'Astoria Malefoy avait fait la une des journaux, bien sûr. Mais malgré les pressions qu'Harry Potter avait imposées à l'enquête, aucun Auror n'avait jamais mis la main sur les deux meurtriers. Aucun n'avait vraiment essayé, en fait. Cela, Scorpius n'avait pas eu besoin de son père pour le comprendre. Au bout de deux semaines, le dossier avait été classé. Personne ne se soucia jamais d'obtenir justice pour Astoria Malefoy.
XXX
Scorpius se réveilla en sursaut au beau milieu de la nuit. La première chose qu'il vit en ouvrant les yeux, ce fut le regard reptilien de Belly posé sur lui.
- Tu as encore fait un cauchemar, fit le serpent d'un air désolé.
Belly avait la capacité de changer de couleur selon ses humeurs. A cet instant, il était gris terne.
- Ce n'est rien, soupira Scorpius.
Passant une main sur son visage, il se rendit compte qu'il avait pleuré dans son sommeil. Il jeta un coup d'œil à travers les rideaux du baldaquin. L'aube se levait à peine. Il ne devait pas être plus de cinq heures. Jetant à bas les couvertures, Scorpius se leva et partit prendre sa douche. Tout plutôt que de retrouver le sommeil.
XXX
Le reste de la journée, Scorpius baigna dans les brumes de son rêve. Lors de ses premiers jours à Poudlard, il avait pris l'habitude de trimballer Belly partout avec lui dans les manches de son uniforme. Mais le serpent s'était vite lassé et avait réclamé sa liberté, aussi Scorpius le laissait-il vagabonder dans les couloirs, à condition qu'il ne se fasse pas remarquer. De temps en temps, le petit reptile venait le retrouver en cours, et il remontait alors le long de sa jambe de pantalon pour réintégrer sa place dans le creux de son épaule. Heureusement, Scorpius n'était pas chatouilleux...
Ce jour-là, Scorpius eut particulièrement du mal à se concentrer. Son rêve l'avait laissé rempli de sentiments de colère, de haine, de frustration... Il en voulait à la Terre entière et savait ne pas pouvoir l'exprimer. Cela signerait son arrêt de mort... Aussi, lorsqu'Albus Potter fit mine de l'approcher comme il en avait l'habitude, Scorpius le rabroua comme il en avait l'habitude :
- Une petite place, Malefoy ?
- Dégage, Potter.
Scorpius ne s'autorisait un tel langage que lorsqu'il n'y avait personne autour. Le reste du temps, il se contentait d'ignorer Albus froidement autant que la politesse le lui permettait. Mais Poudlard semblait s'être habituée à leur routine étrange. Les gens les dévisageaient toujours bizarrement dans les couloirs lorsqu'ils voyaient passer Albus en train d'étourdir Scorpius de paroles que celui-ci n'écoutait pas. Mais ils ne faisaient plus de remarques – du moins, pas devant eux. Albus et Scorpius avaient fini par atterrir ensemble en binôme dans plusieurs matières, et ils avaient de bonnes notes. Ils ne causaient pas d'ennui, même si leur duo détonnait.
De son côté, Scorpius n'avait pas renoncé à dissuader Albus. Tous les jours, il le traitait de la façon la plus distante possible – et il en connaissait un rayon en la matière – et il répétait à longueur de journée qu'Albus était une plaie et qu'il mettait leur existence en danger. Albus, lui, avait fait une plaisanterie de ses protestations sans fin, et chaque jour, il s'employait à trouver de nouveaux moyens d'exaspérer Scorpius. Avec succès. Même si Scorpius était doué pour ne pas le montrer...
Les semaines s'écoulèrent ainsi, rapidement, joyeusement, plus vite que Scorpius ne l'aurait cru. Poudlard ne ressemblait pas au nid de vipères qu'il avait toujours appréhendé, celui auquel son père et lui s'étaient préparés. Même s'il n'avait pas d'amis, les gens ne lui cherchaient pas de noises : on se contentait simplement de l'ignorer d'un air gêné, comme un invité encombrant. Rose Weasley s'asseyait parfois à côté de lui à la bibliothèque et ils étudiaient ensemble en silence, avec le sérieux qui caractérisait les Serdaigles. Albus se joignait à eux de temps en temps pour tenter de les distraire. Les professeurs quant à eux avaient différentes réactions à son égard : McGonagall le traitait comme n'importe quel autre élève, Slughorn l'ignorait royalement de peur qu'il n'entache son étagère et sa réputation si brillante, et Neville Londubat, lui, tentait de se cacher derrière ses plantes chaque fois que Scorpius avait le malheur de lui poser une question.
Scorpius s'en amusait plus qu'autre chose. Petit à petit, il commença à se détendre. Même le babillage quotidien d'Albus lui devint familier à la longue. Son père lui écrivait régulièrement, et comme il s'y attendait, il le mit en garde pour Belly, sans le gronder. Scorpius ne lui avait pas dit pour Albus, en revanche... Il avait peur de la réaction que son père pourrait avoir. Il savait qu'il s'inquièterait, qu'il lui dirait de rompre tout lien immédiatement... Scorpius ne demandait pas mieux, si seulement Albus le laissait faire...
Mais c'était bien là sa seule préoccupation. Peu à peu, il commença à se dire que ces sept années à Poudlard pourraient bien se passer.
XXX
C'était une nuit, juste après les vacances de Noël. Scorpius avait passé d'heureuses fêtes avec son père, uniquement tous les deux, entre hommes, comme ils avaient l'habitude de le faire. Drago Malefoy avait toujours l'air un peu triste dans ces moments-là. Conscient de sa propre solitude. Mais il faisait des efforts pour Scorpius, et Scorpius le savait. Ils avaient mangé de la dinde, ouvert leurs cadeaux et parlé d'Astoria. Ensuite, ils avaient passé la soirée à éplucher le dictionnaire de runes que Drago avait offert à Scorpius. Scorpius était fasciné par les formes de magie anciennes. Par les civilisations anciennes. Plus tard, il rêvait de pouvoir quitter l'Angleterre et d'étudier les secrets de l'Egypte et de la Grèce...
C'était le rêve que son père l'avait encouragé à trouver. Son projet, qui devait lui permettre de survivre au monde, à ses congénères et à ses sept années de scolarité. En ce début de nouvelle année, alors qu'il était de retour à Poudlard, ce rêve semblait possible à Scorpius. Tout se passait bien mieux qu'il n'aurait jamais osé l'espérer...
Jusqu'à ce qu'un cri le réveil en pleine nuit, un soir juste après les vacances de Noël.
Scorpius se redressa en sursaut. Il comprit en une seconde qu'il n'était pas seul dans son lit, et la terreur le transperça de plein fouet : il vit les agresseurs de sa mère, il vit les monstres dans la nuit, et il sauta sur la silhouette au fond du baldaquin tout en brandissant sa baguette :
- Albus ?! laissa-t-il échapper lorsqu'il eut fait de la lumière.
Albus Potter était là, en pyjama, tremblant et à sa merci, ridiculement effondré sur son lit. L'absurdité de la situation rattrapa Scorpius :
- Qu'est-ce que tu fous là ? s'exclama-t-il, incrédule.
- On a un problème plus important à régler, répondit Albus en se reculant le plus loin possible de lui.
- Quoi ?
- Il y a un serpent dans ton lit.
Scorpius se retourna. Belly était là, sur l'oreiller comme d'habitude, bien réveillé et dressé de toute sa petite stature.
- Et merde...
Scorpius se laissa retomber à genoux sur le lit. Les conséquences défilaient déjà devant ses yeux et il se préparait au pire :
- Merde, merde, merde...
- Tu peux m'expliquer ?
- Et toi, tu peux m'expliquer ce que tu foutais dans mon lit ?
A présent que la panique instinctive s'était dissipée, Scorpius sentait la colère affluer en masse. En face de lui, Albus avala sa salive. Il semblait gêné : une première pour Albus Potter.
- J'ai entendu les autres dire que tu parlais dans ton sommeil, expliqua-t-il lentement. Que tu pleurais, que tu appelais à l'aide, que tu criais... Je voulais juste voir si tu allais bien.
Scorpius le dévisagea, les yeux écarquillés. Il n'aurait pas cru pouvoir se sentir encore plus mal, mais son estomac venait de descendre comme une pierre au fond de son ventre :
- Ne parle pas de Belly aux autres s'il-te-plait..., se contenta-t-il de chuchoter en baissant les yeux.
- Belly ?
- Belzébuth.
Le serpent siffla en guise de salut. Albus le considéra quelques instants, totalement silencieux. Puis il reprit :
- Cette... chose s'appelle Belzébuth ?
Scorpius releva la tête, rattrapé par la surprise dans sa voix :
- Cette chose toute mignonne, rose, et qui doit faire la taille de mon poing ?
- Il peut changer de couleur, répondit vaguement Scorpius, abasourdi par la tournure que prenait la conversation.
- Non mais tu te moques de moi ?
Albus partit dans un fou rire incontrôlable, un fou rire titanesque, et Belly se répandit en sifflements de protestation. Une à une, ses écailles virèrent au rouge vif, ce qui, étonnamment le rendait encore plus mignon :
- Belzébuth..., répétait Albus, incapable de reprendre son souffle. Belzébuth... Et pourquoi pas Méphistophélès, tant que tu y es ?
Malgré lui, Scorpius se surprit à sourire, puis à rire. Il sombra dans le fou rire avec Albus tandis que Belly faisait semblant de s'indigner en lui mordillant les doigts.
- Non mais je confirme, ce nom lui va vraiment bien, fit alors Albus lorsqu'il eut enfin recouvré son calme. J'ai eu la peur de ma vie quand j'ai ouvert les rideaux. Tu es vraiment une créature redoutable.
Belly hocha vigoureusement la tête en signe d'approbation. Scorpius, lui, redevint sérieux :
- N'en parle pas aux autres s'il-te-plait, c'est important, demanda-t-il. Il n'a pas le droit d'être là.
- Tu es Fourchelangue, n'est-ce pas ?
Scorpius ne répondit rien. Mais Albus acquiesça :
- Ne t'en fais pas. Je ne dirai rien à personne. Pourquoi est-ce que je ferais ça ?
- C'est vrai que tu devrais te trouver une nouvelle personne à emmerder...
- Tu dis ça, mais je suis sûr que si j'arrêtais, ça te manquerait.
Albus lui tira la langue, et Scorpius se refusa à le contredire. Ils restèrent silencieux durant quelques instants tous les deux, Belly se lovant entre les couvertures.
- Tu n'aurais pas dû venir ce soir, reprit finalement Scorpius. Je vais très bien.
- Tu fais des cauchemars.
- Ça va. Il n'y a rien que tu puisses y faire de toute façon.
Albus sourit. Ecartant les rideaux, il désigna le lit vide où il avait noué sa cravate :
- Tu oublies que c'est ma résidence secondaire ici, rappelle-toi.
Et joignant le geste à la parole, il se redressa pour investir le lit :
- Si tu as besoin de parler, ou de quoi que ce soit... Tu sais que je suis là.
Hésitant, Scorpius fit oui de la tête. Il ne demanda pas à Albus pourquoi il cherchait tant à l'aider. Pourquoi il faisait tout cela pour lui. Les paroles du garçon se frayaient petit à petit un chemin dans son esprit, et il craignait de s'avouer qu'il avait raison. S'il n'était plus là, il lui manquerait...
Scorpius dormit mieux cette nuit-là. Et toutes les autres nuits, lorsqu'il se prenait à faire des cauchemars. Belly sortait prévenir Albus dans sa chambre, et le jeune garçon arrivait aussitôt pour le réveiller, le rassurer, à l'insu de tous. Il dormait dans le lit d'à côté. Mais cette seule présence, ce soutien implicite, apportait plus de chaleur à Scorpius que personne ne l'avait jamais fait.
Cette première année à Poudlard s'acheva lentement, paisiblement. Scorpius faisait toujours semblant d'ignorer Albus, mais tous deux savaient, au fond d'eux-mêmes, qu'ils étaient amis. Albus était devenu très complice avec Belly. Tout allait pour le mieux.
Durant les vacances d'été, ils prirent le risque de s'écrire, et ils se manquèrent. Et puis arriva la rentrée. Tout aurait pu bien se passer. Cette deuxième année aurait pu s'annoncer aussi prometteuse que la première. S'il n'y avait pas eu un nouveau venu à Poudlard. Un nouveau venu qui changea les choses en mal, irrémédiablement. Hugo Weasley.
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