Aveux
Albus se précipita sur Hugo. Pendant un instant, Scorpius crut qu'il allait le frapper, ce qui aurait été bien imprudent étant donné le passif brutal d'Hugo. Albus était sans doute beaucoup de choses, mais il n'était pas un combattant. Hugo semblait être parvenu à la même conclusion : déjà il s'était redressé dans une posture défensive, prêt à le recevoir... Mais Albus s'arrêta tout à coup et brandit sa baguette :
- Incarcerem ! rugit-il.
Hugo s'esquiva. Derrière lui, une rangée de baguettes vola en éclats.
- Lâche ! cria Albus. Ça te ressemble bien, tu l'as toujours été !
- Albus arrête !
Scorpius s'était levé. Déjà, il ceinturait Albus qui se débattait pour lancer un nouveau sort :
- Laisse-moi ! protesta-t-il. Laisse-moi, ça fait des années que j'attends ça, il le mérite bien !
Tremblant sous l'effort, Scorpius fit signe à Hugo :
- Va-t-en.
- Non ! cria Albus. Non, il est hors de question qu'il se défile encore une fois, et il est hors de question que vous me mainteniez encore dans l'ignorance, tous les deux ! C'est trop tard, j'ai tout entendu, je veux connaitre le fin mot de l'histoire !
Il sembla un peu se calmer après cet éclat de voix. Indécis, Scorpius le lâcha. Hugo restait immobile tout près de l'entrée, sa baguette dégainée mais pointée vers le sol. Il n'aurait pas eu l'air plus terrifié s'il avait croisé le fantôme de Lord Voldemort en personne. Son visage avait blêmi à tel point que les cicatrices des crochets de Belly brûlaient d'un rouge violent tout contre sa peau.
- Alors ? reprit Albus, impitoyable. Raconte-moi, Hugo ! Saint Hugo, qui se donne des airs de patriarche moralisateur et qui crie au psychopathe dès qu'il me voit, parangon de vertu ! Raconte-moi ce que tu as fait à Scorpius !
Hugo avala sa salive. Il semblait faire un immense effort sur lui-même pour recouvrer ses moyens. Ses yeux faisaient des allers-retours entre Scorpius et le sol, comme s'il lui demandait la permission de répondre, évitant Albus de peur de réveiller ses foudres. Enfin, il y eut comme un tressaillement dans tout son corps, et son attitude changea. Hugo se força à se redresser, à relever la tête. Il y avait une expression très digne sur son visage. Ni fière ni provocatrice, mais digne. Comme s'il voyait la situation sous un nouveau jour. Comme s'il l'acceptait comme l'opportunité de dire véritablement ce qu'il avait sur le cœur, enfin, depuis toutes ces années.
Affrontant le regard d'Albus, Hugo déclara :
- J'aime Scorpius depuis la toute première fois que je l'ai vu le soir de ma Répartition, quand j'avais onze ans.
Albus se figea. Il ne réagit pas, ne cilla même pas. Scorpius, lui, recula d'un pas en se détournant. « Encore ces sornettes », semblait dire tout son corps. Mais Hugo n'y prêta pas attention. Maintenant qu'il était lancé, il ne s'arrêterait pas. C'était sa seule et unique chance de dire la vérité, sa vérité, rien qu'une fois. Sans espoir d'absolution, sans espoir d'être pardonné, mais simplement compris, enfin... Il avait gâché toutes ses chances de s'expliquer, tellement souvent. Aujourd'hui enfin, peut-être...
- Au début, je n'ai pas compris ce sentiment, reprit-il en s'efforçant de garder une voix ferme. J'avais peur. Mon père m'avait toujours dit que les Malefoy étaient la pire engeance qui soit, alors je croyais que ce que je ressentais était mal. D'autant plus si j'aimais un garçon... Mais plus le temps passait, moins j'étais d'accord avec les principes de mon père.
Hugo prit une grande inspiration, puis se tourna vers Scorpius :
- J'ai décidé que mon envie de te connaitre était plus forte que la peur que cela m'inspirait. Alors un jour, je suis venu te voir à la bibliothèque. J'ai essayé de te parler, mais tu... Tu m'as repoussé. Ça a été comme si mon cœur se brisait en deux ce jour-là. Il m'avait fallu des semaines de courage et d'efforts pour me convaincre de t'approcher. Je savais qu'en agissant ainsi, je reconnaissais mon attirance pour toi, j'acceptais de vivre avec ça, en trahissant les principes de mon père... Mais tu m'as rejeté, et... j'ai eu honte. J'étais mortifié. Je ne pouvais plus revenir en arrière, et pour ne plus souffrir, j'ai transformé ma souffrance en colère...
- Pauvre imbécile ! siffla Albus. Scorpius a toujours agi ainsi avec tout le monde ! Il repoussait tout le monde, systématiquement, y compris moi ! Tout ça pour ne pas avoir affaire à des brutes dans ton genre, pour ne pas attirer l'attention sur lui ! Tu étais Hugo WEASLEY, tu étais un danger pour lui !
- Tout ça, je ne le savais pas étant enfant, répliqua Hugo doucement.
Pendant leur échange, Scorpius n'avait pas un instant tourné les yeux vers lui.
- J'étais trop jeune, reprit Hugo. Je ne voyais que ma propre situation : j'aurais été bien incapable de me mettre à la place de Scorpius... Comme tu l'as dit si justement, Albus, j'étais Hugo Weasley. Le fils d'un héros de guerre, noyé dans son ombre. Je n'avais jamais eu à faire profil bas ou à craindre le jugement des autres. Aujourd'hui bien sûr, je comprends. J'aurais aimé comprendre à l'époque...
Hugo fit une pause, perdu dans ses regrets. Puis il se força à continuer, toujours en regardant Scorpius :
- J'étais en colère contre toi parce que tu m'avais forcé à admettre des choses qui me terrifiaient, sans rien me donner en retour. Tu m'avais forcé à admettre que j'aimais les garçons. Forcé à admettre que je t'aimais toi. Deux choses qui m'auraient dérobé à jamais l'amour et l'estime de mon père s'il l'apprenait... Je ne me cherche pas d'excuses, Scorpius, ne te méprends pas, mais tu dois comprendre que je suis le produit de l'éducation que j'ai reçu. Mon père haïssait ta famille. Il jouissait d'une aura qui me subjuguait étant enfant. Il était tout pour moi.
Hugo secoua la tête :
- Je devais vivre avec ce conflit en moi. Ces sentiments que je n'assumais pas, qui me jetaient dans le trouble, constamment. Ça me mettait en colère. Et cette colère, je la déversais sur toi. Je crois que c'était devenu le seul moyen pour moi de communiquer avec toi, d'être proche de toi, d'une façon ou d'une autre...
Albus susurra une injure entre ses dents, mais Hugo n'y fit pas attention :
- Jusqu'au jour où tout a dérapé, dit-il en tremblant légèrement.
Il dut se retenir de ne pas porter les doigts à ses cicatrices :
- Encore aujourd'hui, je ne pourrais pas décrire exactement ce qui s'est passé ce jour-là... Je me suis laissé entrainer par l'effet de groupe. J'étais entouré d'amis qui aimaient jouer les gros bras et qui haïssaient les Malefoy, comme mon père... Des amis qui me considéraient comme leur idole à cause de mon nom de famille, qui attendaient de moi que je sois à la hauteur... Quand ton serpent s'en est pris à moi, j'ai paniqué. J'ai laissé la peur, la colère et les autres me dicter mes actes... Et puis tu m'as frappé. A cet instant-là, je crois que j'aurais souhaité que tu ne t'arrêtes jamais. Même si ça me faisait mal, de te voir me haïr à ce point...
Hugo essuya une larme sur sa joue. Il avait l'impression que les chairs de son visage palpitaient :
- Le plus dur est venu après. Quand je suis revenu à moi, et que j'ai compris que j'avais franchi une ligne dont je ne pourrais plus jamais revenir. J'ai su que s'il y avait jamais eu la moindre chance de compréhension et de pardon entre nous, elle s'était envolée. Que tu m'avais échappé, à jamais. Et à côté de ça, je devais affronter ta vision, tous les jours... Avec Albus.
Une milliseconde, le regard d'Hugo s'attarda sur son cousin, qui lui rendit un rictus de défi. Hugo poursuivit comme si de rien n'était :
- Je voyais bien comment vous étiez, tous les deux. Je voyais bien comment tu le regardais. Et comme tous les élèves de l'école, j'étais au courant des rumeurs sur Albus... Je savais qu'il te trompait, presque sans s'en cacher, que tu le savais aussi, et que tu le laissais te traiter comme ça malgré tout...
Albus serra les poings, mais Hugo ne lui laissa pas le temps de s'énerver :
- C'était intolérable pour moi de te savoir avec lui... De vous voir vivre avec tant de décontraction ce genre de relation, ce genre d'attirance que moi, je n'assumais pas... Et de te voir amoureux de quelqu'un qui ne te méritait pas...
- Espèce de...
- Tu ne le mérites pas ! contra Hugo en regardant Albus droit dans les yeux. Même encore maintenant, tu ne le mérites pas ! Tu t'es toujours comporté comme un enfant qui collectionne ses jouets préférés sans se soucier de les casser ! Tu prends, tu prends tout ce que tu veux, et tu ne donnes rien en retour ! Tu n'as aucun égard, aucun respect, tu es incapable de comprendre ce qu'aimer signifie vraiment !
- Ça suffit.
C'était Scorpius qui avait parlé. Sa voix était basse, posée. Ce n'en était que plus terrible, en un sens. Intimidé, Hugo baissa les yeux. Scorpius posa une main apaisante sur le bras d'Albus, qui tremblait de rage. Alors, il transperça Hugo du regard :
- Puisqu'il le faut, tu n'as qu'à aller jusqu'au bout.
Hugo ne se le fit pas dire deux fois. Voyant là sa chance inespérée d'atteindre Scorpius, il le dévisagea à son tour :
- Ce soir-là, quand je t'ai croisé dans ce couloir... Je n'avais aucune idée de ce que j'allais faire. Je savais juste que j'étais désespéré, que je t'avais perdu et que ma vie n'avait plus aucun sens... Il fallait que je te rattrape, d'une façon ou d'une autre. Alors quand je me suis retrouvé seul dans cette salle de classe avec toi... Je me suis dit que ma seule et unique chance, c'était peut-être de te dire la vérité. Mais j'ai toujours été terriblement maladroit dès qu'il s'agissait de toi, Scorpius... Je n'étais qu'un adolescent, et le pire genre qui soit... Je t'ai dit que je t'aimais, sans explication, sans préavis, après des années d'affrontement. Je comprends que tu ne m'aies pas cru. Je comprends que ça t'ait semblé surréaliste, et ridicule, et que tu m'aies rejeté. Mais pour moi... Pour moi, c'étaient mes derniers espoirs qui s'envolaient. L'amour de ma vie, tu comprends ? J'espère que tu comprends, Scorpius... J'étais sincère ce soir-là. Je le suis encore aujourd'hui.
Scorpius l'observa sans laisser transparaitre la moindre émotion. Hugo déglutit péniblement :
- En essayant de t'empêcher de sortir de la pièce, je t'ai fait tomber sans faire exprès, et... tu as perdu connaissance, quelques secondes. Je me suis agenouillé pour voir comment tu allais. Je te jure que je n'avais aucune idée de ce que j'allais faire, aucune arrière-pensée... C'est arrivé comme ça, c'est tout. Encore aujourd'hui, je ne sais pas ce qui m'a pris... Je t'ai simplement vu là étendu devant moi, faible et vulnérable, comme je ne t'avais encore jamais vu... Je me suis dit que peut-être, tu serais plus ouvert à ce que j'avais à te dire, dans cet état... Je me suis dit que peut-être, tu comprendrais mieux si je te montrais par des gestes... Si je te retenais, de toutes mes forces...
Hugo baissa la tête. Sa voix n'était plus qu'un murmure :
- La suite, tu la connais. Tu m'as cassé la mâchoire avant que je n'arrive à faire quoi que ce soit. Et tous les jours, je remercie le ciel que tu te sois échappé. Que je n'aie pas à vivre avec ce poids sur la conscience, même si ce que j'ai fait était suffisamment horrible...
Un long silence s'ensuivit. Scorpius ne disait rien, les lèvres serrées, la mâchoire contractée. Personne ne remarqua Albus, qui s'anima soudain d'un air presque reptilien :
- C'était ce fameux soir..., déclara-t-il très doucement, et Scorpius sut qu'il avait compris. Ce fameux soir, où je t'ai rejoint en haut de la tour d'Astronomie... J'ai voulu t'enlacer, et tu m'as repoussé. Sur le moment, j'ai cru que tu m'en voulais, et je suis parti contrarié, sans savoir ce qui venait de se passer, mais... C'était à cause de toi.
Terrible, son regard se braqua soudain vers Hugo :
- C'est la dernière fois que j'ai parlé à Scorpius ce soir-là. Après ça, il a quitté Poudlard, il est revenu passer ses examens, et il a disparu de la circulation pendant dix ans.
Hugo ne répondit rien. Quelque chose, dans les yeux et la voix d'Albus, avait allumé un éclair de peur en lui. Sans prévenir, Albus se jeta sur lui :
- C'est à cause de toi !
Scorpius le retint juste à temps, mais Albus ne cessa pas de se débattre :
- C'est à cause de toi ! hurlait-il en griffant l'air de sa main libre, Scorpius immobilisant sa baguette. C'est à cause de toi s'il est parti, c'est à cause de toi si je ne l'ai pas vu pendant dix ans, c'est à cause de toi !
Hugo recula. La fureur d'Albus le frappait comme un coup de poignard en plein cœur. Parce qu'elle était violente, parce qu'elle était réelle. Parce que seul un amour sincère pouvait l'inspirer, et qu'Hugo répugnait à l'admettre... Pourtant, une lueur au fond des yeux de son cousin le retenait, fasciné.
- Je vais te tuer ! hurlait Albus. Je vais t'écorcher vif comme tu as écorché Belly et je vous exposerai toi et tes mensonges en place publique !
Elle était là, cette lueur qu'il avait toujours décelée, cette lueur qu'il avait toujours recherchée en Albus Potter. Loin des tours et des détours de ses paroles, de son charisme, de son aura... Elle était là. La haine. La folie. Le fanatisme. Le danger, qui ne demandait qu'à prendre corps, et s'enflammer...
- Albus, s'il-te-plait ! s'exclama Scorpius, à bout de souffle. C'est de l'histoire ancienne, il ne compte pour rien, il ne mérite pas l'air que tu gaspilles à parler de lui ! Il ne pourra plus nous séparer maintenant, tu entends ? Arrête, Albus, arrête !
Tout à son effort, Scorpius posa à peine son regard sur Hugo :
- Tu devrais t'en aller maintenant, dit-il. Je te donne trois jours pour te retirer de la vie publique. Après quoi, je mettrai ma menace à exécution.
Pendant quelques secondes, Hugo resta planté là, déchiré, incapable de détacher son regard de Scorpius qui murmurait toujours pour calmer Albus. Il avait tout dit, tout ce qu'il avait sur le cœur. Pour la première fois de sa vie, il avait eu la sensation de pouvoir s'expliquer entièrement à Scorpius, et de le faire convenablement. Mais il n'aurait pas de réponse. Il n'aurait pas un regard. Il ne comptait pour rien.
Quittant la scène des yeux, Hugo songea soudain à la chaleur de son fauteuil qui l'attendait devant la cheminée de son petit salon, à la caresse de ses trois chats, et à cet unique sanctuaire qu'il possédait en ce monde... Il ressentit brusquement le désir de quitter cet endroit. De rentrer chez lui, de se pelotonner là où il serait seul et en sécurité, et de s'y recroqueviller jusqu'à ce que la tempête soit passée, jusqu'à ce que le chagrin ait quitté son âme... Il ne supporterait pas de rester ici une seule seconde de plus. Il transplana.
Debout au beau milieu de la boutique, Scorpius relâcha Albus, qui poussa un sanglot de rage :
- Pourquoi tu ne me l'as pas dit ?! hurla-t-il. Pourquoi tu ne me l'as jamais dit ? Pourquoi tu ne m'as pas dit ce qui s'était passé cette nuit-là ?
Effrayé par la violence de sa réaction, Scorpius tendit la main vers lui, mais Albus semblait à peine conscient de sa présence. Scorpius ne l'avait jamais vu aussi bouleversé :
- Tu m'as laissé m'en vouloir pendant dix ans ! Pendant dix ans, j'ai retourné ce qui s'était passé ce soir-là dans ma tête, en essayant de comprendre ce que j'avais bien pu faire, ce qui m'avait échappé, ce que j'aurais pu dire pour te retenir... Et pendant tout ce temps, c'était sa faute à lui ! Ce sale petit crevard de merde !
- Albus...
- Non ! Et aujourd'hui, il ose me donner des leçons et me faire passer pour le mal incarné ! Je vais le tuer ! Je vais le tuer !
- Albus !
- Pourquoi tu ne me l'as jamais dit ?!
Scorpius ne dit rien. Son silence, et l'étrange immobilité de son regard, ramenèrent peu à peu Albus à la réalité.
- C'était trop dur pour moi, dit-il alors tout doucement.
- Pourquoi est-ce que tu es parti aussi soudainement ? reprit Albus d'un ton implorant, la voix brisée. Pourquoi tu ne t'es pas confié à moi ?
- Je ne pouvais pas.
- Pourquoi ?
Scorpius détourna les yeux. Les mots brûlaient de franchir ses lèvres sans y parvenir. Jamais il n'avait fait cet aveu à personne, jamais. Il n'avait jamais eu à le faire. Soit les gens savaient, soit ils l'ignoraient. Albus, aujourd'hui, l'ignorait toujours...
- C'est parce que ce n'était pas mon premier traumatisme, finit-il par murmurer d'une voix rauque.
Ces paroles firent à Albus l'effet d'une douche froide :
- Tu veux dire... Tu as déjà été...
- Je n'ai jamais été violé, non.
Scorpius releva les yeux :
- Mais ma mère, si.
Albus cessa totalement de respirer. En face de lui, Scorpius ne le lâchait pas, guettant sa réaction. C'était comme si le contact visuel était la seule chose qui lui permettait de continuer :
- Ma mère est morte quand j'avais cinq ans, dit-il alors d'une voix qui tremblait légèrement. Deux hommes sont entrés dans notre appartement pendant que mon père travaillait. Ils l'ont battue et violée, juste sous mes yeux. J'ai tout vu. Je m'en souviens comme si c'était hier, même après toutes ces années... Lorsque mon père est rentré et qu'il l'a trouvée, nous sommes tout de suite allés à Sainte-Mangouste. Mais personne n'a voulu la prendre en charge, parce que c'était une Malefoy. Alors elle s'est vidée de son sang et elle est morte.
Albus ne dit rien. Sa voix s'était comme envolée. Son esprit restait bloqué sur les paroles de Scorpius, sur les visions d'horreur qu'elles lui infligeaient... Scorpius acheva son histoire avant que son courage ne le lâche :
- Tu m'as demandé de quel traumatisme Nicolaï m'avait guéri : tu le sais à présent. A Poudlard, je ne te repoussais pas par absence de désir ou d'amour... Je n'arrivais pas à être intime avec toi, c'est tout. A chaque fois que tu me touchais de cette façon, je revoyais le viol de ma mère, en esprit. Je voyais ce que ces hommes lui avaient fait. Et tes mains sur moi, c'était comme le revivre, encore et encore...
- Pourquoi tu ne m'as jamais rien dit ?
C'était la seule question qu'Albus semblait encore en état de poser.
Scorpius esquissa un sourire :
- Ce n'est pas le genre de choses que l'on aborde facilement dans une conversation.
Puis, plus sérieusement :
- Je ne sais pas pourquoi je n'ai rien dit... J'ai voulu le faire tu sais, des dizaines de fois, pour t'expliquer... Pour te retenir... Pour que tu comprennes, que tu ne vois pas quelqu'un d'anormal en moi, pour que tu n'ailles pas voir ailleurs... Mais les mots n'ont jamais pu franchir mes lèvres. C'était mon souvenir le plus ancien et le plus douloureux, tu comprends ? C'est presque le seul souvenir que j'ai de ma mère... Il me définit, encore aujourd'hui, que je le veuille ou non. Je n'arrivais pas à m'ouvrir suffisamment pour te livrer... cette infime part de moi. Cette horrible part de moi...
Albus fit un pas vers lui et le prit dans ses bras. Sans réfléchir, Scorpius le serra lui aussi, fort. Il sut que leur relation venait de basculer à cet instant. Albus et lui étaient plus proches, plus liés que jamais. Il ne voulait pas que ça cesse...
- Quand Hugo s'en est pris à moi cette nuit-là..., articula-t-il tout contre son cou. C'était comme si mon pire cauchemar avait soudain pris réalité. Toutes les sensations que ma mère avait éprouvées avant sa mort, je les avais éprouvés moi aussi. J'avais fait l'expérience de ce qu'elle avait pu ressentir, presque jusqu'au bout... J'étais bouleversé. Je n'aurais pas dû te rejeter comme je l'ai fait, mais... sur le moment, j'aurais été incapable de t'expliquer. De tout t'avouer, ne serait-ce que de te parler, te laisser me toucher... Je voulais être seul, je voulais repousser ce traumatisme tout au fond de mon esprit, fuir la douleur... Je n'ai pas réfléchi à quoi que ce soit d'autre. Je n'ai pas réfléchi aux conséquences que ça aurait pour toi, pour nous. Je suis parti. Je n'ai jamais jeté un seul regard en arrière. Je suis parti, pour laisser tout ça loin de moi, tout simplement, pour oublier à jamais.
Scorpius se recula légèrement, pour pouvoir affronter Albus dans les yeux :
- Je suis désolé, murmura-t-il, pleurant lui aussi à présent. Je suis désolé de t'avoir laissé. Je n'aurais pas dû te faire attendre pendant toutes ces années...
Albus le fit taire d'un baiser :
- Je suis désolé de n'avoir jamais compris, répondit-il. De ne t'avoir jamais donné l'occasion de me parler...
Ils restèrent longtemps ainsi, bouleversés et en larmes, debout tous les deux, incapables de se lâcher. Ils ne pensaient plus à Hugo. Ils ne pensaient qu'à cette injustice du monde sorcier qui les avait séparés. A tous ces non-dits qu'elle avait engendrés. Tant de vies brisées...
Enfin, Albus trouva la force de se redresser. Son regard avait retrouvé l'éclat dur et vif qu'il arborait lorsqu'il échafaudait un plan :
- Je me demandais justement quel nouvel aspect de notre société je pourrais bien dévoiler au grand-jour, dit-il. Je crois bien que j'ai trouvé.
Scorpius le dévisagea sans comprendre. Albus prit son visage entre ses mains, planta son regard dans le sien et déclara, grave, déterminé :
- Toi et moi, nous allons rendre une petite visite à l'hôpital Sainte-Mangouste.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top