Chapitre 6

15 avril 1912


"Louis. Louis, chéri, continue de respirer pour moi."

La voix de Harry coupe le son du sang se précipitant dans les oreilles de Louis, du rythme saccadé et frénétique de son cœur. Lentement, le brouillard qui emplit sa tête commence à se dissiper, et il se rend compte qu'il est à genoux dans leur cabine, agrippant les vêtements de Harry tandis que ce dernier le berce doucement d'avant en arrière. Il prend une profonde inspiration, tremblante et lente, et essaie de comprendre ce qui lui arrive.

Il ne peut pas sortir l'image de l'eau dans le couloir de son esprit. Ça aurait pu être une fuite, peut-être, ou un plancher fraîchement nettoyé. Mais quelque chose en Louis lui dit que non, le sentiment de crainte le compressant comme un poids. Quand il ferme les yeux, il imagine l'eau couler sur les murs et sous la porte, remplissant lentement la pièce jusqu'à ce que ses lèvres soient pressées au plafond pour respirer les dernières bouffées d'air, puis -
Louis cesse de fermer les yeux.

Pendant tout ce temps, Harry le regarde d'un air inquiet en mordant tellement sa lèvre inférieure qu'elle en devient rouge sang. Louis le regarde et lui fait un faible sourire, il essaye de l'attirer dans un baiser quand il est interrompu par un coup à la porte.

Ils se figent. Pour tout le monde, c'est une cabine vacante. Ils n'ont pas pu être démasqués, pas maintenant, pense Louis en regardant la porte avec terreur.

Le coup retentit à nouveau avant que l'un d'eux ne puisse réagir. "Monsieur Tomlinson ! Monsieur Styles ! C'est Liam Payne," appelle la voix familière de Liam. "S'il vous plait, ouvrez la porte !"

Ils parviennent à se relever, Louis ne lâchant pas son emprise sur Harry, et traversent la pièce jusqu'à la porte. Louis couine quand Harry retire un de ses bras pour ouvrir la porte, mais le regard de Liam lorsque la porte s'ouvre est assez pour apaiser Louis.

"Monsieur Payne, tout va bien ?" Demande Harry, les deux bras autour de Louis maintenant que la porte est refermée. "On dirait que vous avez vu un fantôme."

En effet, Liam est un peu pâle, ses yeux bruns généralement si gais sont écarquillés et craintifs. Ses cheveux sont ébouriffés comme s'il sortait tout juste de son propre lit, et c'est peut-être le cas.

"Je devais venir vous rechercher car personne d'autre ne sait où vous êtes," dit Liam, sa voix puissante malgré la légère hésitation dans ses paroles. "Vous devez prendre vos gilets de sauvetage et aller sur le pont du bateau le plus rapidement possible."

La peur traverse la colonne vertébrale de Louis. Sa langue est lourde dans sa bouche comme si elle était faite d'argile, trop épaisse pour formuler toute pensée cohérente. "Qu-," essaie-t-il, mais heureusement, Harry est là pour dire ce que Louis ne peut formuler.

"Ce n'est pas une pale d'hélice, alors ?" Demande Harry, la gorge serrée. Lorsque Liam secoue tristement la tête, Louis peut sentir les bras autour de lui se resserrer.

"Nous avons frappé quelque chose. Un iceberg." Ne semblant pas se soucier que deux hommes se câlinent directement en face de lui, Liam repère rapidement des gilets de sauvetage et les leur tend. "S'il vous plaît, mettez-les et allez à l'étage," demande-t-il. Ses yeux rencontrent ceux de Louis, sa mâchoire se contracte lorsqu'il se met à parler. "Vous vous souvenez du chemin que je vous avais montré ?" Louis hoche la tête. "Parfait. Alors allez-y, et ne laissez personne vous arrêter. Bonne chance, les gars."

Après cela, il ressort en trottinant dans le couloir, laissant Harry et Louis les yeux fixés sur les gilets de sauvetage dans leurs mains. Louis ne peut s'empêcher de s'inquiéter du fait que Liam ne portait pas le sien.

"Nous ferions mieux de faire ce qu'il a dit." Harry rompt le silence, et il est douloureusement évident qu'il fait de son mieux pour garder un ton léger. Les veines dans sa gorge sont apparentes et son pouls rapide est visible sous la peau. Il passe un gilet de sauvetage au-dessus de sa tête en serrant les sangles et fait signe à Louis de faire de même.

C'est trop vrai, trop réel. Enfiler le gilet signifie que quelque chose ne va vraiment pas, que les cris et les pas précipités dans le couloir sont réels, que la crainte qui saisit son cœur est également réelle.

Ses mains trembles mais il arrive tout de même à attacher son gilet. Il jette un coup d'œil autour de la pièce mais rien ne leur appartient à part la montre du grand-père de Harry que ce dernier attrape et tend à Louis.

« Harry, je ne peux pas, » plaide-t-il en repoussant sa main.

Avec un petit ricanement, Harry enfouit la montre dans la poche de Louis. « Si tu peux. Garde-la en sécurité pour moi, » ordonne-t-il, bien que le sous-entendu dans son regard soit totalement différent : Reste en sécurité.

« D'accord, » chuchote-t-il en prenant sa main. Harry hoche la tête et cligne rapidement des yeux avant de lâcher la main de Louis et d'ouvrir la porte.

Le sol est désormais plus qu'humide, leurs chaussures crissent sur le linoléum lorsqu'ils courent vers les escaliers. Ils ne savent toujours pas vraiment ce qui ne va pas, pas encore, mais Louis n'a qu'à se rappeler le regard de Liam pour savoir que ce n'est pas bon. Il pense à sa propre cabine, pas loin de celle qu'ils empruntent, aux trois garçons qu'il aime appeler ses amis. Quelqu'un a surement toqué à leur porte aussi ?

Le souffle court et apeuré, ils arrivent enfin aux Grands Escaliers. C'est étrange pour Louis de continuer à monter où il s'arrêtait normalement pour rejoindre Harry. C'est qui est encore plus bizarre c'est d'être entouré des murs feutrés et des meubles étincelants en étant vêtu de ses propres vêtements. Harry et lui ressortent comme une tâche sur un tapis blanc, attirant des regard curieux ou disgracieux des autres passagers qui semblent plus importunés par leur présence que par le fait que quelque chose n'aille pas avec le paquebot.

L'air sur le bateau est glacial, les étoiles dans le ciel se tiennent comme des éclats de glace dans cette nuit sans lune. Louis trouve que c'est remarquablement calme lorsqu'il regarde la scène autour de lui. Les lumières du Salon de Première Classe éclairent chaleureusement et de la musique joyeuse résonne. C'est difficile d'apprécier la mélodie avec la vue des canots de sauvetage être mis à l'eau, mais les passagers continuent leur conversation comme si tout était normal. Même l'épaisse fumée qui sort des cheminées ne semble pas les perturber.

« Quel est leur problème ? Pourquoi personne ne fait rien ? » Demande Louis en chuchotant, son souffle devenant blanc dans l'air froid.

Le regard de Harry parcourt la foule, probablement à la recherche de sa sœur. Les personnes regroupées sur le pont sont un mélange de passagers vêtus de leur tenue du soir, venant directement du Salon ou du Fumoir, et de quelques-uns en pyjama dépareillés sous des gros manteaux.

Il ne semble y avoir personne habillé d'un accoutument classique de passager de Troisième Classe, ce qui laisse un poids dans le ventre de Louis.

Seulement quelques passagers semblent inquiets par le déploiement des canots de sauvetage, et encore moins portent toujours leur gilet de sauvetage. Louis veut leur crier dessus, élever sa voix au-dessus du vacarme des cheminées pour demander, 'quel est votre problème ? Vous ne voyez pas qu'il y a un problème ?' Mais il ne le fait pas. Au lieu de ça, il se dirige vers la rambarde et tourne le dos à tout le monde pour regarder la mer noire en dessous.

« Louis, tu me fais peur. » La voix de Harry vient de sa gauche, assez forte pour être entendue clairement par-dessus le boucan. Une main chaude se pose sur son épaule, ce qui lui donne des frissons. C'est drôle, Louis n'avait pas remarqué qu'il avait froid jusqu'à maintenant.

« J'ai très peur moi-même, » admet-il en se laissant aller contre son toucher avec retenue pour que ça ne soit pas vu comme inapproprié. « J'ai peur parce que personne d'autre n'a l'air de l'être. »

Les doigts de Harry s'enfoncent légèrement dans sa peau, massant son épaule. « Les officiers préparent les canots. Je suis sûr qu'ils ne veulent pas qu'on panique. On a juste à attendre qu'ils nous disent quoi faire. »

Forçant un sourire sur son visage, Louis lève la tête pour rencontrer le regard de Harry. Il a l'air fatigué, le vert est plus pâle, comme si ses yeux étaient recouverts d'une pellicule de givre. Il sourit en retour et c'en est assez pour rendre celui de Louis plus sincère. « Tu as raison. Evidemment, tu as raison, » cède Louis en s'écartant de la rambarde.

Le pont se remplit peu à peu de monde qui vient voir quel est le problème. Louis inspecte chaque nouvelle arrivée dans l'espoir d'y trouver des visages familiers, mais sans succès. Où sont Niall, Stan, et Zayn ? Où est Liam Payne ?

« Harry ! » Crie-t-on depuis le nouveau groupe de personnes qui arrive depuis les Grands Escaliers. Gemma se précipite vers eux, son manteau s'entrouvrant pour laisser apparaître une robe noire et blanche. Elle semble arriver directement du dîner, ses cheveux toujours impeccablement coiffés et ses bijoux en place. Nellie est derrière elle, entourée de ce qui est clairement un des manteaux de Gemma.

« Gemma ! » S'exclame Harry en prenant sa sœur dans ses bras et la serrant fort contre lui. Il presse son visage dans ses cheveux, respirant son odeur pendant un moment avant de relâcher son emprise. « Je suis tellement content de te voir, » expire-t-il, semblant bien plus inquiet qu'il le laissait croire à Louis.

Elle les regarde tous les deux d'un air curieux, puis inspecte les vêtements de Harry. « Où étais-tu ? Tu n'es pas venu au dîner. Oncle était fou de rage. »

Harry se mord la lèvre et baisse la tête comme un enfant qui se confesse à ses parents. « J'étais avec Louis, en fait. En Troisième Classe. » Il relève les yeux dans l'espoir de déceler une quelconque réaction.

C'est un rire qui en sort, une version plus aiguë que le sien, et un sourcil haussé en se tournant pour parler à Louis. « Vous m'avez donc volé mon frère, monsieur Tomlinson ? » Demande-t-elle. « Je ne peux pas dire que je ne l'ai pas vu venir. » Elle ignore les remarques de Harry pour regarder Louis, étant la première fois qu'elle le voit dans sa vraie tenue. « Où sont vos manteaux ? »

« Où sont vos gilets de sauvetage ? » Harry fronce les sourcils en remarquant qu'aucune des deux femmes n'en porte. « Personne ne vous a dit d'en mettre un ? »

Gemma pouffe de rire et pose ses mains gantées sur ses hanches. « Si, mais c'est sûrement une précaution superflue. Honnêtement, je pensais que c'était un exercice de sécurité pour remplacer celui qui avait été annulé il y a quelques jours. Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? » Demande-t-elle en regardant le couple.

« Ce n'est pas un exercice, » répond Harry, toute trace de couleur s'effaçant de son visage lorsque son frère parle. « Gem, on a vu de l'eau s'infiltrer en bas. On – On coule. »

On coule.

C'est la première fois qu'ils le disent à voix haute, ces mots rendent l'air lourd, comme s'ils avaient rendu tout ça réel. Louis a la gorge serrée, l'air froid s'infiltre dans ses poumons et paralyse tout son corps.

C'est le Titanic, le meilleur paquebot jamais construit. Il ne peut pas couler. Louis doit aller en Amérique, avoir une maison avec Harry, subvenir aux besoins de sa mère et ses sœurs. Il a des plans, des rêves. Pour la première fois depuis longtemps, il avait vraiment l'impression d'avoir un futur. Ça ne peut pas s'arrêter maintenant, au milieu de l'océan Atlantique. Ce n'est pas possible.

Gemma s'est mise à pleurer, accrochée à son frère et enfouie contre son épaule de la façon dont Louis aimerait le faire. Il se met donc à tenter de réconforter Nellie, traçant des cercles réconfortants dans son dos, tout cela en regardant le reste des passagers continuer leur vie sans se préoccuper de rien.

Pourtant, il peut tout de même voir de la peur dans plus d'un regard : une prise de conscience peut-être, juste peut-être, qu'une information critique ne leur a pas été transmise.

Ça a peut-être quelque chose à voir avec le fait que le paquebot penche, ou peut-être la vue de leurs compagnons de voyage être embarqués dans les canots de sauvetage en attente par les officiers du navire. Des "les femmes et enfants, s'il vous plaît ! Les femmes et les enfants d'abord !" s'ajoutent aux autres bruits. 

« Pourquoi personne n'y va ? » Demande Nellie, sa voix remplie de crainte, mais elle parle assez fort pour être entendue par-dessus le bruit. Elle regarde un officier supplier une femme de monter dans un bateau, la dame lui tournant le dos. « Ils ne comprennent pas ce qu'il se passe ? »

Louis secoue la tête. « Je crois sincèrement qu'ils n'y croient pas. Vous non plus vous n'y croyiez pas, jusqu'à ce que nous vous ayons dit ce que nous avons vu. » Il ferme les yeux pendant un moment, mais l'image de l'eau remplissant les ponts inférieurs, s'infiltrant dans les couloirs et les cabines, engloutissant tout le monde sur son passage, lui les fait rouvrir rapidement avec un halètement.

« Louis ? » Harry a un regard inquiet, il retire un bras de Gemma pour serrer l'épaule de Louis. « Lou, qu'est-ce qu'il y a ? »

« Ils sont toujours là-bas en bas, » pleure-t-il, les larmes lui montant aux yeux. « Horan et Lucas, et Malik, et M. Payne. Ils sont tous encore en bas. » Il secoue la tête, essayant de chasser l'image de leur cabine sous l'eau, ses amis toujours dans leurs lits. « Je dois aller les trouver, Harry. »

« Non, » dit-il fermement en secouant la tête. « Louis, tu as vu l'eau. Qui sait à quelle hauteur elle est maintenant ? » Un frisson parcourt le corps de Harry, et Louis a le sentiment que ce n'est pas à cause du froid. « L'équipage va faire sortir tout le monde. On a juste à attendre. »

Il peut voir que Harry croit vraiment ce qu'il dit, que les stewards feront venir tout le monde à l'étage et qu'ils les verront regroupés en toute sécurité dans les canots. Peut-être que si Louis avait vécu une vie comme Harry, une vie qui permet un tel optimisme, il l'aurait cru aussi.

Mais ce n'est pas le cas. Il a vu des gens tout perdre, les a vu mourir dans la rue. Il a perdu des amis à cause d'accidents dans les usines, a vu les pauvres punis pour que les riches puissent s'enrichir encore plus.

Il y a une raison pour laquelle le pont est presque vide de passagers de Troisième Classe. Si Louis n'avait pas connu le chemin pour venir ici, il serait peut-être encore avec eux, pris au piège et effrayé et en train d'attendre une opération de sauvetage qui pourrait ne jamais venir.

« Je ne vais pas les laisser mourir, » répond Louis en s'essuyant les yeux. « Je ne serais pas capable de vivre avec moi-même. »

« Je ne veux pas vivre sans toi, » dit Harry, laissant tomber sa main pour frôler celle de Louis, bien que brièvement. « S'il te plaît, attends encore un peu, d'accord ? Si on ne les voit pas bientôt, nous irons les chercher. Promis. »

Ses épaules s'affaissant, Louis hoche la tête à contrecœur.

Leur groupe est silencieux après ça, accrochés les uns aux autres comme s'ils regardaient la scène se jouer devant eux. Les notes de "Alexander's Ragtime Band" remplissent l'air lorsque l'orchestre se met à jouer, les gilets de sauvetage attachés à leurs vestes de smoking n'entravant pas leur performance. C'est censé être rassurant, Louis en est sûr, mais ça ne fait que prouver que quelque chose va terriblement mal.

Il est presque une heure du matin au moment où le premier bateau est abaissé, descendant vingt et quelques mètres plus bas jusqu'à la mer. Il ne peut y avoir plus de deux douzaines de personnes à bord. Le souffle Louis se stoppe dans ses poumons, ses yeux balayant le côté du navire pour compter les canots de sauvetage. Non, ça ne peut pas être vrai.

« Harry, » croasse-t-il, sa voix rauque à cause du froid et de la terreur. « Combien de canots de sauvetage y a-t-il ? »

Harry incline sa tête en réfléchissant. « Je pense qu'il y en a une vingtaine. Pourquoi ? »

Vingt. Vingt canots de sauvetage. Pas assez. Il se tourne pour faire face à Harry et les filles, qui les regardent tous avec les mêmes grands yeux. « Le bateau qui vient de partir avait moins de trente personnes, » dit-il, la voix tremblante. « Je ne suis pas très fort en maths, mais je sais que ce n'est pas suffisant. »

Il voit l'instant où Harry comprend, son visage blanchissant en faisant les comptes dans sa tête. « Bon Dieu Tout-Puissant, » chuchote-t-il.

Une fusée de détresse explose au-dessus de leurs têtes, des traînées de lumière blanche traversant le ciel et éclairant les visages tournés vers elle. Un enfant applaudit en le voyant, content de l'éclat de lumière, mais le regard sombre de ses parents montre la réalité : c'est un signal de détresse.

« Quelqu'un va venir nous sauver, pas vrai ? » chuchote presque Gemma. Elle est si calme, tellement différente de la femme dynamique que Louis a rencontrée il y a quelques jours.

Harry ne répond pas. Peut-être qu'il ne peut pas. Sa bouche, d'habitude si large et belle, est pressé en une ligne fine tandis qu'il regarde les dernières traînées de fumée se dissiper dans le ciel.

« Allez, » dit doucement Louis en plaçant une main dans son dos. « Nous ferions mieux d'aller voir les bateaux pour que Gemma et Nellie puissent partir. »

Deux des bateaux à tribord sont déjà partis, le deuxième à peine plus chargé que le premier. Un troisième est en cours de chargement, avec seulement quelques femmes dedans lorsqu'ils approchent. L'officier responsable du chargement, un homme avec un nez large et une épaisse moustache, appelle en vain plus de femmes et d'enfants.

Un homme aide sa femme à monter dans le bateau, passant un manteau de fourrure autour d'elle et l'embrassant avant de reculer. Au revoir, pense Louis en regardant l'homme se joindre à un groupe d'autres maris restant en retrait. Les gens disent au revoir.

« Allons, Mademoiselle ! Montez dans le bateau ! » L'officier fait signe à Gemma mais regarde Harry pour l'aider à la convaincre de monter à bord.

Harry essaie de la guider, mais elle se détache de son emprise. « Harry, je ne peux pas, » dit-elle en se tournant vers lui avec un regard effrayé. « Je ne peux pas vous laisser, je serai toute seule. »

Harry lui sourit en coinçant une mèche de cheveux derrière son oreille. "Louis et moi allons attendre notre tour. Tu verras, ça va aller." Son sourire est doux mais ses yeux sont remplis de la même crainte que ceux de sa sœur. Louis doit regarder ailleurs, trop émus à la vue de ces frères et sœurs qui font leurs adieux.

Des bras chauds l'enveloppent soudainement, Gemma l'entraînant dans une étreinte. « Prends soin de lui, je t'en supplie, » murmure-t-elle, une larme coulant sur sa joue pour finir son chemin sur l'épaule de Louis.

« Je ferai de mon mieux, » murmure Louis, à peine capable de former des mots autour de la boule dans la gorge.

Avec un clin d'œil, Gemma le libère, embrassant Harry une dernière fois avant d'accepter l'aide de l'officier pour monter dans le bateau. Nellie la suit et prend sa main une fois assise entre Gemma et une autre femme toute aussi apeurée en attendant qu'ils soient descendus.

Harry et Louis reculent vers les autres hommes, en regardant d'autres femmes prendre place. Il y en a seulement une dizaine dans le bateau, ainsi que quelques enfants. Les quelques femmes qui se tiennent à proximité s'accrochent à leurs maris, refusant de les laisser malgré les encouragements de l'officier.

Lorsque plus aucune femme ne veut monter à bord, quelques couples sont autorisés à embarquer ensemble, ainsi que certains membres masculins de l'équipage. Un homme a même un petit chien serré dans ses bras comme si c'était un enfant. Louis veut tellement pousser Harry maintenant que d'autres hommes embarquent, pour qu'il aille dans le bateau avec sa sœur. Il regarde le bouclé, sa mâchoire pleine de détermination et le regarde sans expression en regardant droit devant lui. Non, Harry a déjà accepté le fait qu'il va rester derrière.

Avec moi, lui murmure son cerveau. A cause de moi. De la culpabilité prend place dans son ventre.

« Il y a encore de la place pour quelques personnes, messieurs, » dit l'officier aux hommes qui se tiennent près du bateau.

Gemma doit l'entendre car ses yeux s'écarquillent, fixant Harry avec désespoir. « S'il te plaît, » peut-on lire sur ses lèvres, les mains crispées sur sa poitrine. « S'il te plaît, Harry. » Il voit Harry se crisper à côté de lui, secouant tristement la tête dans un refus silencieux lorsque Gemma commence à pleurer une nouvelle fois contre l'épaule de Nellie.

« Harry, vas-y, » le force Louis en le poussant avec son épaule. « Ta sœur a besoin de toi. »

« J'ai besoin de toi, » affirme Harry en se tournant vers lui. « Je ne te quitterai pas, Louis. »

Frustré, Louis passe une main sur le visage, le bout des doigts passant sur des larmes qu'il ne se rappelait pas avoir versées. « J'irai dans un autre bateau, promis, » insiste-t-il. « Je vais aller chercher les garçons, puis on montera dans un canot tous ensemble. » Il fait un signe de tête vers le bateau de Gemma, même pas à moitié plein. « Ils laissent des hommes monter, tu vois ? Je monterai dans un bateau, tu verras. » Il attrape sa main la serre légèrement. « Garde Gemma en sécurité. Je vous retrouverai une fois qu'on sera sauvés. »

Le doute remplit les yeux de Harry, mais il finit par hocher la tête. « Promets-moi que tu feras attention, » demande-t-il en regardant Louis avec une telle intensité que ça le fait frissonner.

« Je le promets, » murmure Louis. « Je dois te rendre la montre de ton grand-père, pas vrai ? »
Ils rient ensemble, même s'il est forcé et de courte durée. Puis ils n'ont pas plus de temps, les officiers font des derniers préparatifs avant de la mise en mer.

Louis laisse sa main dans le dos de Harry, le guidant vers le bord et tenant son bras lorsqu'il grimpe maladroitement dans le bateau. Une fois à bord, il regarde Louis avec des yeux verts tristes, la simple vue de ce regard en est assez pour briser le cœur de Louis.

« Je te reverrai, » jure Louis, en faisait adieu d'un signe de main.

Avant qu'il ne puisse reculer, Harry bondit sur Louis en le prenant dans une étreinte étroite et scelle leurs lèvres, devant tout le monde. C'est une promesse et une prière, des mots qui passent en silence entre leurs bouches jusqu'à ce qu'un poing agrippe la chemise de Louis, ce qui les fait se séparer. « Je t'aime Harry ! » Crie-t-il, sans se soucier de ceux qui l'entendent, pas quand c'est peut-être la dernière fois qu'il peut le dire.

« Je t'aime aussi, Louis, » sanglote Harry, accroché à sa sœur, ignorant les regards dégoûtés et curieux de tout le monde dans le bateau.

C'est seulement là qu'il remarque que quelqu'un a encore une emprise sur lui. Ça pourrait être le capitaine venu lui-même ici pour punir Louis de son indécence, mais il s'en fiche. Il a pu dire au revoir à Harry, et c'est tout ce qui compte. Il se tourne pour faire face à la personne qui se tient face à lui, la résignation sur son visage se transformant rapidement en colère. « Vous. »

Charles Styles se tient là, un gilet de sauvetage attaché au-dessus de sa veste. Même en plein air il sent encore la fumée de cigare. « Vous vous êtes bien dévoilé, monsieur Tomlinson, » crache-t-il en lâchant la chemise de Louis pour saisir son bras à la place, ses doigts s'enfonçant dans son biceps. « Je suis sûr que les officiers adoraient entendre ce que vous avez fait jusqu'à présent. »

Avec un grognement, Louis tire son bras de l'étreinte de Charles, faisant reculer l'homme dans la surprise. « Si vous ne l'aviez pas remarqué, » bouillonne Louis. « Ce navire en train de couler. Je fais juste en sorte que votre nièce et neveu survivent, contrairement à vous. »

Le visage de Charles est rempli de colère, furieux d'être réprimandé par quelqu'un qu'il juge jusqu'à présent inférieur à lui. Il avance vers Louis. « Je me fiche de ce qui se passe. Je ne serai pas réprimandé de cette façon par une disgrâce comme vous. C'est bien que vous ne suiviez pas mon neveu dans ce canot ; je vous aurais fait arrêter dès la minute où nous serions arrivés à New York. »

« Ce n'est pas le moment, Charles ! » Crie Louis en serrant les poings, le volume de sa voix attirant des regards curieux. « Vous ne voyez pas ? Peu importe qui votre neveu embrasse. Le problème est qu'il n'y a pas suffisamment de canots pour sauver tout le monde, donc si vous ne faites rien vous n'arriverez jamais à New York ! » Il y a quelques cris choqués des personnes à proximité à l'entente de cette information, mais Louis ne s'en soucie pas, il se concentre uniquement sur Charles. Il est peut-être terrible, mais il reste la famille de Harry. Il ne mérite pas de mourir comme ça.

Mais là encore, personne ne mérite de mourir ainsi.

Le visage de Charles pâlit, ses petits yeux parcourent le long du pont comme pour s'assurer qu'il a de la place. Il reste seulement six bateaux à tribord, dont un qui se prépare à partir d'une minute à l'autre. Il se retourne vers Louis, hochant la tête avant de se tourner et de disparaître dans la foule.

Une autre fusée de détresse qui explose dans le ciel envoie Louis dans l'action, luttant contre la foule qui arrive pour descendre dans les escaliers.

Il prend le chemin qui Liam lui a appris, soulagé de trouver les escaliers encore secs sous ses pieds. Il arrive au portillon en courant, saisissant la poignée de la porte et poussant.

Sauf qu'elle ne bouge pas. La poignée reste immobile, apparemment verrouillé. Avec un cri étranglé, Louis frappe des poings contre la porte, puis donne des coups de pied lorsque ses poings lui font trop mal pour continuer, mais la porte ne tremble même pas. Avec un dernier coup de pied, Louis se lance de nouveau dans l'escalier, s'éloignant de son chemin habituel vers celui qu'il a pris lors de son premier voyage en Première Classe.

Par chance, la porte entre la Première et la Deuxième Classe est ouverte. Louis lâche un soupir de soulagement en traversant la bibliothèque de la Deuxième Classe, se trouvant une fois de plus sur la promenade de la Troisième Classe juste derrière.

Il y a beaucoup de gens, apparemment inconscients de ce qui se passe. Certains sont crispés à leurs bagages, ayant trop peur de perdre leurs quelques affaires, tandis que d'autres bavardent bruyamment dans des langues que Louis ne prend pas la peine de déchiffrer. Il se demande s'ils ont une idée de ce qui se passe vraiment.

Ses amis ne sont pas en vue. "Allez sur le pont du bateau !" Crie-t-il en traversant la foule pour rejoindre les escaliers. "Tous, maintenant !" Il ne reste pas pour voir s'ils écoutent. Il ne peut pas, il doit trouver les autres.

Ses pieds semblent avoir du mal à descendre les escaliers, et plusieurs fois il doit se tenir au mur pour ne pas tomber en avant. L'angle est faible, pas suffisant pour pouvoir le constater au niveau du sol, mais il semble maintenant plutôt penché.

Au moment où il atteint le Pont E, ses jambes sont endolories, ses poumons brûlants de la rapidité à laquelle ils travaillent. Le couloir est rempli de gens maintenant, certains traînant des bagages, d'autres debout, impuissants, comme s'ils attendaient que quelqu'un leur dise quoi faire.

Juste lorsqu'il est sur le point de descendre le long couloir vers sa cabine, une voix familière atteint ses oreilles, le son inondant ses veines avec soulagement : "Tommo !"

Effectivement, Niall Horan est là, debout au milieu de l'excitation, comme l'œil d'une tempête. Il porte encore son pyjama, un gilet de sauvetage enfilé rapidement en bandoulière par-dessus, sa main enveloppée étroitement autour du bras d'un jeune garçon portant un chapeau de paille.

« Horan ! » Crie Louis, fou de joie de trouver l'Irlandais puis le prend dans ses bras. Il se penche vers son oreille, ne voulant pas alarmer l'enfant qui le regarde déjà avec de grands yeux effrayés. « Le bateau coule, Horan, il faut que vous alliez vers les canots de sauvetage. »

Niall passe sa main libre dans ses cheveux bruns en désordre, l'air si fatigué tout d'un coup. « Je sais, » dit-il doucement, les épaules s'affaissant. La faiblesse ne dure qu'un instant avant qu'il ne se redresse, la bouche se courbant en un sourire en coin. « Je dois voir pour mon ami William d'abord, non ? » Il dirige la question à l'enfant, le garçon levant timidement la tête à la mention de son nom. Il ne peut pas être plus âgé que neuf ou dix ans, juste un peu plus jeune que les plus jeunes sœurs de Louis. Le cœur de Louis se serre de douleur en regardant William, son visage rond et ses grands yeux bleus qui lui rappellent deux petites filles à la maison qui pourraient ne jamais revoir leur frère.

Combien d'enfants sont à bord du paquebot ? Combien sont accrochés à leurs parents, se cachant dans les jupes de leur mère, en attendant un destin qu'ils ne comprennent pas ?

Louis sait qu'il ne peut pas tous les sauver. Mais il peut sauver celui-ci.

Redressant les épaules, Louis reporte son regard sur Niall avec une détermination retrouvée. « Dis-moi ce que je peux faire pour aider, je te montrerai le chemin pour monter. »

C'est un travail lent et frénétique de convaincre les passagers de quitter leurs cabines chaudes et de s'aventurer en territoire inconnu. Ils croisent un steward, essayant désespérément de convaincre un passager dans un français chaotique que le navire est en péril, mais l'homme repart vers la partie submergée du bateau.

Lorsqu'ils ont un groupe d'une vingtaine, y compris la mère de William avec un autre petit garçon en équilibre sur sa hanche, Louis les conduit jusqu'à la cage d'escalier menant à la Première Classe. Niall écoute attentivement les instructions, les répétant, et avec une étreinte finale, il monte les escaliers qui penchent toujours plus.

« Vous feriez mieux d'y aller aussi, monsieur, » dit un steward, juste avant de prendre les escaliers avec son propre groupe de passagers effrayés le suivant comme des poussins derrière leur mère.

Louis offre un pâle sourire, hochant la tête, il a entendu l'équipage appeler Scotland Road. « Encore un ramassage et je remonte, » ment-il.

Le steward le regarde un instant avant d'acquiescer en lui souhaitant bonne chance, avant de disparaître dans la cage d'escalier sans un regard en arrière.

Prenant une profonde inspiration, Louis se tourne et se précipite dans le couloir vers son ancienne cabine. Il n'a toujours pas trouvé Zayn ou Stan, Liam non plus. Espérons qu'ils soient déjà sur le Pont à attendre leur tour pour une place. Ses pensées se tournent vers Harry, puis, sur la mer vaste et ouverte. A quoi cela ressemble vu de là-bas ? Peuvent-ils voir à quel point le paquebot est penché ? Ou est-ce qu'il semble plus fort que jamais, les lumières encore vives alors même que les signaux de détresse peignent des rayures blanches dans le ciel ?

Un sanglot gonfle dans la poitrine de Louis quand il trouve leur cabine vide, les literies jetées négligemment dans tous les sens comme si les occupants étaient partis rapidement. Louis prend son manteau et l'enfile du mieux qu'il peut sur le gilet de sauvetage. Avec un dernier coup d'œil dans la cabine, Louis ferme la porte derrière lui.

Ça pourrait faire des minutes voire des heures que Louis cherche. Le temps est un mélange de visages effrayés et de l'eau qui monte, des enfants en pleurs et des prières sanglotantes. Dans le Salon de Troisième Classe, il trouve des dizaines de personnes se serrant les uns les autres en criant à Dieu de les aider tandis que la salle est lentement inondée. Ils ne semblent pas l'entendre lorsqu'il leur demande de le suivre. Pleurant ouvertement, il leur tourne le dos, les laissant faire leur paix avec leur dieu.

Les planchers sont évidemment obliques maintenant, plus humides que secs, et c'est avec le cœur lourd que Louis prend l'escalier une dernière fois. Il a fait de son mieux pour trouver Zayn et Stan, mais il a promis à Harry qu'ils se reverraient, et il va faire de son mieux pour garder cette promesse.

C'est très différent de la dernière fois qu'il était là. La panique a pris place tandis que le nombre d'embarcations de sauvetage diminuent, les hommes se précipitent vers les bateaux, certains sautant par-dessus les grilles. Le pont est fortement penché mais l'orchestre joue toujours à l'extérieur du gymnase. L'un des canots de sauvetage se prépare à partir, c'est le seul bateau restant sur ce côté du navire. Louis erre le long du pont, inspectant chaque visage dans l'espoir d'en croiser un qu'il reconnaît, le nombre de personnes encore à bord le frappe. Combien de bateaux reste-t-il de l'autre côté ? Un ? Deux ? Peut-être aucun. Des hommes luttent pour libérer deux autres canots pliables de l'endroit où ils sont attachés au-dessus des quartiers des officiers, mais les bateaux semblent trop lourd à déplacer. Près de la poupe, un prêtre écoute les confessions des passagers qui se sont rassemblés à proximité.

Louis a l'impression d'être dans un rêve. Le ciel est clair et chargé d'étoiles, la mer est si calme qu'elle pourrait être faite de verre. La mélodie joyeuse de l'orchestre se mélange avec les prières et les cris, le grincement des embarcations de sauvetage et les conversations en sourdine des hommes qui affichent une expression courageuse. Il a l'impression de voler le long du pont, à peine conscient de ses pieds touchant le sol lorsqu'il se déplace, ne se préoccupant pas de l'eau froide qui a trempé ses chaussures lors de sa recherche infructueuse sous les ponts.

Peut-être qu'il rêve. Peut-être qu'il va se réveiller à la maison dans son lit, son seul souci étant de savoir comment apaiser une sœur effrayée pour qu'elle se rendorme, Harry n'étant rien d'autre qu'une belle fiction inatteignable de son imagination. C'est mieux de cette façon, pense-t-il. Il abandonnerait l'idée de rencontrer Harry si cela signifiait que l'autre homme était dans un endroit chaud et sûr, loin de la vue de centaines de personnes coulant dans la mer, le meilleur paquebot jamais construit s'effaçant sous leurs pieds comme s'il n'avait jamais existé.

Le bruit sec d'une arme à feu ramène Louis à la réalité. Ce n'est pas un rêve, il est toujours sur ce navire en perdition, et le désespoir a pris place parmi les passagers restants, se répandissant comme une traînée de poudre.

Avec un balayage rapide du pont, Louis trouve la source de la commotion. Le canot de sauvetage pliable, enfin prêt pour l'embarquement, est submergé par un grand groupe de passagers, se tirant les uns les autres pour essayant d'avoir une place dans le bateau. Deux hommes qui ont réussi à sauter à bord sont tirés en arrière sur le pont et, regardant avec méfiance l'officier avec le revolver, la foule se calme assez pour permettre au bateau d'être chargé avec un semblant d'ordre.

Un coup d'œil sur la montre de Harry, toujours nichée en toute sécurité dans la poche de Louis, montre qu'il est deux heures du matin lorsque le pliable est abaissé à l'eau. Il racle et se cogne contre le navire dans sa descente. Une fois disparu, il ne reste qu'un seul bateau - un pliable sur le port latéral - et lorsqu'il regarde autour de lui combien de personnes sont encore debout sur le pont oblique, Louis sait qu'il ne montera pas dedans.

Les membres d'équipage entourent le dernier bateau restant, les bras liés pour former une barrière. Seules les femmes et les enfants sont autorisés à passer, et les hommes ne tentent même pas de monter. Un homme se présente avec deux petits garçons, un dans chaque main, et les fait monter dans le canot avant de s'en aller.

Un après l'autre, les couples sont séparés. Les hommes embrassent leur femme et leurs enfants avant de les envoyer au bateau, les femmes serrent les bébés contre leur poitrine et passent sous la barrière de bras. Puis un officier crie, « faites descendre, » et le canot de sauvetage est parti.

La nuit elle-même semble s'étouffer après le départ du bateau, un mélange de désespoir et d'acceptation calme prend place sur le navire, s'abattant comme un nuage macabre. Louis se sent engourdi en regardant les gens autour de lui, sachant que ce pourrait bien être leurs derniers moments sur terre. Pourtant, il n'a pas renoncé, et beaucoup d'autres non plus.

Les hommes au-dessus des quartiers des officiers s'acclament lorsqu'ils parviennent à faire glisser l'un des bateaux pliables d'où ils sont stockés sur une rampe de fortune, une lueur d'espoir que beaucoup plus de gens peuvent être sauvés. Mais le bruit de l'autre bateau pliable s'écrasant sur le pont attire momentanément l'attention de tous.

Le cœur de Louis se brise lorsqu'il réalise le bateau a atterri à l'envers.

Les hommes sautent et mettent tout leur poids pour essayer de le redresser, et Louis se précipite en avant pour aider, sans y réfléchir à deux fois. Il utilise toute la force qu'il a pour essayer de pousser le bateau.

C'est inutile ; malgré tous leurs efforts, les hommes ne font pas le poids face au bateau de plusieurs tonnes.

Des larmes de frustration emplissent les yeux de Louis quand il pense à tous les bateaux déjà sur la mer, les bateaux avec des sièges vides qui auraient pu être remplis d'au moins quelques-uns des hommes et des femmes qui se battent contre la pente toujours plus nette du pont. Il y a une petite fille qui se raccroche aux jupons de sa mère, les yeux écarquillés et craintifs face à une terreur qu'elle ne peut pas comprendre, et Louis pense qu'il serait peut-être physiquement malade à la pensée qu'elle meurt si jeune, si cruellement.

Il n'a pas de temps pour penser, parce que le navire coule sous ses pieds, des bruits provenant de la coque comme des milliers d'os se brisant. Une partie du bateau est sous l'eau maintenant, et tout le monde sur le pont s'agrippe à la barricade de la poupe, se levant hors de l'eau, comme si Dieu lui-même pouvait les récupérer des ponts avant qu'ils aient à faire face à l'eau glacée menaçant de les engloutir.

Le bateau s'enfonce de plus en plus dans la mer noire et menaçante. Une lueur rouge étrange brille sous la surface lorsque les lumières commencent à s'éteindre. Épuisé d'essayer de redresser le bateau renversé, Louis trébuche et se cogne à l'épaule contre la coque implacable du pliable. Le temps semble ralentir lorsqu'il titube vers la balustrade, il sent son sang dans ses oreilles presque noyer le son de l'orchestre qui continue à jouer sans relâche.

Sans prévenir, une grande vague se précipite sur le pont, balayant tout le monde sur son passage dans l'Atlantique glacé. Le bateau renversé passe par-dessus bord, emportant avec lui les hommes qui luttaient toujours avec. L'autre bateau, pas attaché correctement, est parti aussi. Avec un dernier élan d'énergie, Louis utilise la balustrade pour se tirer, mais il n'est pas assez rapide pour éviter le courant glacial de l'eau qui frappe ses pieds.

Il glisse, ses genoux cognant le pont avec assez de force pour faire refermer sa mâchoire en s'agrippant à la balustrade. Partout, l'eau passant à travers ses vêtements lui donne la sensation que mille aiguilles sont plantées dans sa chair, le froid pénétrant à son corps entier. Il se rend compte que c'est un aperçu terrifiant de l'inévitable. Même ceux qui ont réussi à éviter la vague en se cramponnant à la poupe ne font que retarder leur sort.

C'est si tentant d'abandonner, de lâcher la rampe et de glisser doucement dans la mer. Que ressent-on lorsqu'on meurt de froid ? Se demande-t-il en grelottant de façon incontrôlable. Ou vais-je me noyer d'abord ?

Le visage de Harry inonde ses pensées, ses yeux vert clair et son sourire à fossettes lui redonnent une petite bouffée de chaleur. C'en est assez pour sortir Louis de ses pensées horribles. Il a promis à Harry qu'il resterait en sécurité, et il va essayer de respecter cela jusqu'au bout. Avec une détermination retrouvée, il chancelle sur ses pieds et se relève comme il peut sur ses jambes tremblantes de froid.

Tout autour de lui, les gens prient et pleurent, quelques-uns sautent même dans la mer avant que le navire les entraîne avec lui. Il nage assez bien, et peut-être qu'il peut rester à flot assez longtemps pour être sauvé. Ça vaut la peine d'essayer, en tout cas. Harry lui donne envie d'essayer.

Louis se pousse loin de la balustrade en essayant de rester droit sur le pont. Un dernier coup d'œil vers le ciel étoilé. Un dernier adieu chuchoté à sa mère, à Harry. Il n'y a pas de temps pour autre chose. Maintenant il est temps de se battre pour sa vie.

Il prend une profonde inspiration, puis il saute.


°°°


Ça ne semble pas réel.

Harry a presque l'impression de regarder un film, sauf que celui-ci a le son et est en couleur. C'est un moment bien trop terrible pour exister ailleurs que dans de la fiction, n'est-ce pas ?

Sauf que ça se passe réellement. Il est bien dans un canot de sauvetage, le siège froid et dur sous lui, ses compagnons de voyage grelottant autour de lui. Le Titanic est vraiment en train de couler sous ses yeux, sa poupe inclinée s'élevant dans l'air tandis que le côté opposé disparaît sous la surface de l'eau. Louis est presque certainement encore à bord.

De là, c'est évident que le navire est en train de couler. Les détails qu'ils avaient été en mesure d'ignorer quant à la sécurité des ponts sont surprenants quand on le voit de loin. Personne n'a pris la collision au sérieux, mais maintenant - maintenant il est tout à fait clair à quel point ils avaient tous eu tort.

Mais pas Louis. Louis était inquiet dès les premiers signes d'un problème. D'une certaine manière, il savait que les choses allaient mal tourner. Ça doit être la raison pour laquelle il s'est battu autant pour obtenir une place dans un canot de sauvetage pour Harry, même en sachant qu'il allait être laissé de côté.

Gemma, qui doit sentir les sanglots traverser son corps, enveloppe un bras autour de son petit frère et le tire contre elle. Il se laisse enfouir dans la chaleur de son corps, enfouissant son visage dans son gros manteau de fourrure. Son propre manteau pend encore dans sa cabine, et ne sera plus jamais porté.

Et pas juste son manteau, tout. Personne ne remontera les Grands Escaliers, émerveillé par la taille du dôme comme une sorte d'aperçu du Paradis. Les endroits où Louis et lui se sont touchés seront à jamais à eux, ne seront plus jamais dérangés par un autre humain, voués à devenir une curiosité pour les créatures des fonds marins.

Et Louis... Eh bien. Il restait d'autres bateaux, pas vrai ? Louis a surement trouvé ses amis et ils sont tous entassés dans un canot de sauvetage, ramant vers celui de Harry. Il doit croire ça, dans tous les cas, parce que l'alternative est beaucoup trop terrible.

Il est tiré de la sécurité des bras de Gemma par un halètement collectif des autres occupants du canot. Retirant son visage de la chaleur de son manteau désormais humide de larmes, il tourne son visage vers le navire et son sang se glace immédiatement dans ses veines.

Le Titanic est incliné dangereusement hors de l'eau. Les gens s'accrochent à la balustrade de la poupe, tandis que d'autres tombent individuellement ou par paires dans la mer. Les lumières sont devenues d'une couleur rouge écœurante, comme si le sang des victimes elles-mêmes colorait chaque fenêtre et lanterne. Combien de personnes ont réussi à s'en échapper ? Combien d'autres sont encore accrochés à l'espoir, attendant des secours qui ne viendront jamais dans les temps ?

Il y a un bruit lourd de craquement avant qu'une cheminée ne s'effondre, plongeant dans l'eau sur une masse de nageurs. Les femmes assises autour de Harry pleurent ouvertement, appelant leur mari et leurs fils. Le Pékinois pleure dans les bras de son maître, agité par la détresse de tout le monde autour de lui tandis que le petit bateau est ballotté par la vague créée lors de la chute de la cheminée.

Et c'est sans prévenir que les lumières s'éteignent, plongeant l'océan dans l'obscurité. Le grand navire est visible grâce aux étoiles comme une tache sur le ciel, les ombres noires des passagers glissant les uns après les autres contre sa façade et dans l'océan glacial. Il y a un nouveau son maintenant, un faible gémissement constant émanant des profondeurs du navire comme s'il tournait dans l'eau. Puis, avec un dernier rugissement, il glisse tranquillement sous la mer comme s'il n'avait jamais été là, ne laissant derrière lui que de la terreur.

Le bruit. Harry n'oubliera jamais ce bruit de son vivant, l'agonie synchronisée de mille âmes criant à l'aide. A cette distance, les mots ne sont pas distinguables, se mélangeant à des gémissements déchirants, appelant à l'aide et Dieu.

Les passagers du canot pleurent pour leurs proches, les mères serrent leurs enfants, les femmes seules se tiennent elles-mêmes en essayant de se réconcilier avec la possibilité de devenir veuves en un clin d'œil.

En les regardant, Harry est rongé par la culpabilité et le chagrin : le premier pour prendre une place dans un canot de sauvetage qui aurait pu appartenir à quelqu'un d'autre, et le second parce qu'il peut le sentir dans ses entrailles que Louis n'a pas tenu sa parole.

« J'aurais dû rester avec lui, » murmure-t-il, incapable de détacher son regard du champ de débris et des nageurs, certains curieusement immobiles mais toujours à la surface grâce à leurs gilets de sauvetage.

"Ne sois pas stupide, Harry," parvient à dire Gemma, sa voix épaisse de larmes.

Il secoue la tête avec ferveur, mettant ses boucles en désordre. « Non, j'aurais dû. Pourquoi devrais-je être ici alors que tant d'autres hommes sont restés ? Qu'est ce qui rend ma vie plus importante que les leurs ? » Il n'a pas à lever les yeux pour savoir que certaines des femmes autour sont d'accord, pourquoi cet homme a été épargné alors que leurs maris ne le sont pas ?

« Tu es ici parce que quelqu'un était prêt à tout pour s'assurer que tu étais en sécurité, » le calme Gemma en le serrant fermement. « Personne d'autre n'allait dans le bateau, Harry. Nous sommes partis si tôt ; personne n'aurait songé que ça finirait ainsi. »

Au fond, il sait qu'elle a raison. Il était le dernier à monter à bord, et le bateau serait parti avec ou sans lui. Même maintenant, il y a encore de la place pour une dizaine de passagers. Pourtant, son cœur est si lourd qu'il aurait très bien pu couler avec le Titanic.

Les cris finissent par disparaître, les gens dans l'eau succombent au froid puis la dernière voix qu'il reste finit elle aussi par se taire. Le calme dans l'air presse les occupants de canots, remplissant leurs poumons lorsque la réalité impitoyable prend place.

Ils sont tout seuls sur la mer, et personne ne sait avec certitude quand une opération de sauvetage sera effectuée. Il n'y a pas de nourriture dans le bateau, rien d'autre que l'eau froide s'accumulant au fond. Ils n'ont même pas eu une lanterne, et le temps sera long jusqu'au petit matin.

Les dames à bord discutent entres elles de choses insignifiantes, essayant désespérément d'éviter de penser au destin de leurs proches. Chacune tient encore dans son cœur une lueur d'espoir que son mari ait été en quelque sorte épargné.

Harry se penche vers sa sœur, les yeux fixés sur les étoiles qui jonchent le ciel, lumineux et gai malgré l'adversité en-dessous. Il y en a tellement, s'étirant d'un bout à l'autre de l'horizon et reflétant encore plus sur la surface brillante de la mer noire.

« Gems, » murmure Harry, les yeux descendant étoile après étoile après étoile.

« Hmm ? »

« Tu te rappelles ce que Mère nous a dit ? Juste après que Grand-père soit mort ? »

« Bien sûr, que oui. » Gemma se déplace à côté de lui, faisant attention à ne pas déloger Nellie de son épaule lorsqu'elle se tourne vers son frère pour le regarder avec un sourire triste. « Elle nous a dit que quand on meurt, notre âme devient une étoile dans le ciel, et que, si jamais il nous manque, tout ce qu'on a à faire est de lever la tête. »

Se souvenir du jour où Anne leur a dit ça, entendre sa voix, donne un soupçon de sourire à Harry pour la première fois depuis des heures. « Oui c'est ça. »

Elle attrape sa main et la serre fermement. « Qu'est-ce qui t'a fait penser à ça ? » Demande-t-elle curieusement en caressant le dos de sa main, le tissu fragile de ses gants ne servant pas beaucoup pour lutter contre le froid.

Il s'affaisse contre elle en continuant de regarder les étoiles au-dessus d'eux. « Je pensais juste. Le ciel a gagné beaucoup de nouvelles étoiles ce soir, c'est tout. » Son souffle se coince dans sa gorge. « Je me demande laquelle est celle de Louis. »

Gemma ne répond pas, elle le tient près d'elle lorsqu'il pleure, laissant les larmes couler jusqu'à ce qu'elles gèlent sur ses joues et que ça fasse trop mal pour en laisser d'autres couler.

C'est la plus longue nuit de la vie de Harry.

Les heures passent lentement, comme si même le temps était affecté par la température glaciale. Les dames cessent leurs discussions ; le chien cesse d'aboyer ; les enfants dorment comme ils le peuvent contre leurs mères. Un calme résigné leur tombe dessus en essayant de penser aux événements de ces premières heures du matin. La nuit dernière, à cette heure-ci, ils étaient tous en sécurité et au chaud dans leur lit, occupés à se soucier des rendez-vous de squash et quoi porter pour le petit-déjeuner et maintenant ils sont à la dérive sur la mer, gelés et anxieux, ne sachant pas si leurs proches sont vivants ou morts.

De temps à autres quelqu'un dans le bateau voit une lumière et les hommes rament désespérément vers l'aide. Mais c'est un canot de sauvetage assez chanceux pour avoir une lanterne, ou, plus d'une fois, les yeux désespérés de quelqu'un leur jouant des tours.

« Quelle heure est-il ? » Demande doucement une femme, son visage pâle et tiré derrière le col de son manteau. « Combien de temps reste-t-il jusqu'au matin ? »

L'un des pompiers qui avaient rempli le canot sort une montre de poche, et le cœur de Harry se serre douloureusement à la vue. « Presque trois heures et demi, » répond l'homme en rangeant sa montre.

Cela signifie que ça ne fait que quelques heures depuis la dernière fois qu'il a vu Louis, depuis la dernière fois qu'ils ont parlé, depuis qu'ils se sont embrassés sur le pont en face de Dieu et de tous les passagers. Il a l'impression que cela fait beaucoup plus longtemps, mais si Harry ferme les yeux, il peut encore sentir la traînée douce des lèvres de Louis sur les siennes, déguster une trace de lui sur sa langue, décrire le bleu exact de ses yeux la première fois qu'il lui a dit qu'il l'aimait.

Il recense chaque goût et toucher, chaque courbe et chaque ligne, les sourires et les larmes. Si Louis est parti, condamné à vivre seulement dans la mémoire de Harry, alors il fera en sorte qu'il ne meurt jamais vraiment.

« Regardez là-bas ! » Crie l'un des autres pompiers en montrant au loin. « C'est une lumière, non ? »

Les images de Louis se dissipent comme de la fumée en cherchant à regarder dans la direction que pointe l'homme. Effectivement, une lumière est visible au loin ; loin, mais néanmoins réelle.

« Je la vois ! » S'exclame un jeune garçon en rebondissant sur son siège. Plusieurs autres voix s'ajoutent, toutes disent la même chose.

« Qu'est-ce qu'on attend, messieurs ? » Dit le marin en charge du bateau en désignant les rames tandis qu'il prend en main le gouvernail. « Allons-y ! »

Une volonté retrouvée balaie le bateau, et lentement mais sûrement, ils naviguent vers la lumière lointaine. Aucun homme parmi eux est assez compétent avec des rames, mais ils parviennent à travailler ensemble assez bien pour parvenir à déplacer le bateau. Ils se déplacent vers la lumière comme une sorte de balise.

En l'absence de lumière à bord, les autres passagers mettent le feu à tout ce qu'ils peuvent trouver, les menus et la papeterie nichés dans les poches de manteau, des mouchoirs et même le gant d'une femme. Ils agitent leurs torches de fortune, criant jusqu'à ce que leurs voix s'éteignent, et ne cessent jamais de ramer.

Ça en vaut la peine lorsque, dans les premiers tons rosés de l'aube, ils le voient. C'est un bateau, et il vient droit vers eux, un symbole flottant d'espoir traversant l'eau glaciale.

Il y a encore assez de distance entre eux pour que l'aide soit encore à quelques heures, mais elle vient. La fin de toute cette horrible épreuve est en vue, et ça, pour l'instant, est suffisant pour laisser Harry finalement tomber de sommeil contre l'épaule de Gemma.

Les secours arrivent enfin à 7h30. Leur petit bateau tangue dangereusement à côté du nouveau navire, le Carpathia, sa cheminée unique dégageant un grand nuage de fumée et ses mâts montant haut dans le ciel comme des mains de louanges. Plusieurs autres bateaux ont déjà été vidés et mis à bord grâce à une échelle de corde qui pend dangereusement bas contre la coque massive du navire. Pendant que le bateau avant le leur est vidé, Harry observe chaque visage à la recherche de celui qu'il désire le plus, mais chaque masse de cheveux est la mauvaise nuance de brun, et les yeux ne font que prétendre être bleus.

Quand vient leur tour, les enfants sont envoyés en premier dans un sac à courrier attaché à une corde. L'échelle se tord et ondule sous le poids de Harry, ses membres tremblant à chaque pas, mais Gemma le pousse d'en haut, et il atteint enfin la rampe, plusieurs paires de mains le tirant à bord.

C'est étrange, au début, d'avoir quelque chose de solide sous ses pieds à nouveau, puis Harry tombe presque quand il essaie de faire un pas. Il est rattrapé avant de se cogner au pont, remerciant gracieusement les stewards et hôtesses qui enveloppent chaque nouvel arrivant dans une couverture épaisse.

« Quel est votre nom et classe, monsieur ? » Lui demande un homme en uniforme, carnet à la main. Plusieurs lignes de la page sont déjà remplies de son écriture étroite, une liste de tous les survivants. Harry veut tellement lui demander de chercher le nom de Louis.

« Harry Styles, Première classe, » articule-t-il.

L'homme lève un sourcil aux vêtements de Harry mais ne discute pas et griffonne simplement son nom avant de se tourner vers l'homme avec le Pékinois.

« Allez, nous allons vous réchauffer, » dit une hôtesse avec un visage rond, prenant doucement le bras de Harry, son autre main sur le dos de Gemma. Trop fatigué et gelé pour protester, Harry se laisse conduire dans la Salle à Manger de Première Classe du Carpathia.

La salle est déjà remplie d'autres survivants enveloppés dans des couvertures et des manteaux empruntés, sirotant dans des tasses bouillantes pour calmer leurs frissons. Un médecin vérifie l'état des plus fragiles, regroupés sur des lits de fortune autour de la salle. Harry se rend compte qu'ils sont tous de Première Classe, apercevant quelques visages familiers. Même dans le sauvetage, ils ont été ségrégés. Combien de temps faut-il avant qu'il apprenne le sort de Louis ?

« Ici, mon cher, » l'escorte hôtesse en guidant Harry vers un petit lit. Il se sent engourdi en s'asseyant sur le lit, acceptant avec gratitude la tasse chaude qu'elle place dans ses mains tremblantes. La chaleur s'infiltre dans sa peau, mais elle neutralise à peine le froid installé au fond de ses os.

« Merci, » dit-il en prenant une gorgée. Le café est amer et fort, mais la chaleur qui inonde sa bouche et sa gorge rend le goût sans importance. Il soupire, libérant une partie de la tension qu'il avait en lui, et lève les yeux pour rencontrer les yeux aimables de l'hôtesse.

Elle est plus âgée, assez vieille pour être sa mère, avec des cheveux grisonnants et des rides autour de son sourire fragile. « Savez-vous si un Tomlinson est monté à bord ? Louis Tomlinson ? » Demande-t-il avec espoir, à la recherche d'une quelconque réaction à l'entente du nom. « Il est en Troisième Classe. »

L'hôtesse secoue la tête. « Je crains ne pas avoir encore entendu ce nom. Mais je vais garder les oreilles ouvertes pour vous. » Elle lui donne une petite tape sur l'épaule, le regardant avec des yeux sympathiques avant de passer à d'autres survivants.

Le reste de son café se refroidit dans sa tasse alors qu'il attend. Pour quoi, il ne sait pas.

De l'espace est fait dans leurs cabines pour accueillir autant de survivants que possible. Des hommes et femmes donnent des vêtements et des articles de toilette à de complets étrangers afin qu'ils soient aussi confortables que possible. C'est incroyablement gentil et désintéressé, et franchement, Harry trouve tout cela un peu écœurant.

Parce que c'est un rappel, non ? Ils sont mal, brisés en quelque sorte, et maintenant ils doivent être traités avec le plus grand soin de peur qu'ils ne se brisent.

Chaud et sec, le morceau de pain grillé qu'il a accepté de manger ne passe pas vraiment, Harry décide qu'il a besoin d'air frais. Le soleil est entièrement levé désormais, rayonnant sur eux comme s'il n'est pas au courant de l'horreur qui a eu lieu lorsqu'il avait le dos tourné. Le ciel est clair; l'océan est calme. Dans de toutes autres circonstances, ce serait une journée parfaite à la mer.

Harry a trouvé une place contre la balustrade pour se pencher et regarder l'eau s'écarter du navire en ondulant. Il sait que le capitaine du Carpathia a tenu une cérémonie de prière quand ils sont passés à l'endroit où le Titanic a coulé, mais il n'y a pas assisté. C'était trop fatal, en quelque sorte, comme si baisser la tête en la mémoire de Louis allait sceller son sort une bonne fois pour toutes.

Mais maintenant il se sent stupide de garder espoir. Personne n'aurait pu survivre si longtemps dans l'eau froide, et si Louis était à bord, il aurait surement déjà trouvé Harry.

A l'exception de Gemma et Nellie, il n'a pas vu un grand nombre de visages familiers. Son oncle est nulle part, et malgré le dégoût de Harry pour l'homme, il ne lui souhaiterait tout de même pas la mort. Il s'inquiète pour les Marvin, s'ils sont parvenus à monter dans un bateau ensemble, s'ils ont trouvé un bateau tout court. Harry imagine leur table dans la Salle à Manger sous le poids écrasant de l'océan. Combien de places y a-t-il dans leur tombe d'eau ?

Il essaye du mieux qu'il peut de rester optimiste, mais il ne peut s'empêcher d'imaginer les Marvin et Louis discuter par-dessus des assiettes remplies de nourriture, même Charles se joint à eux, son double menton vibrant lorsqu'il rigole à une des blagues de Louis. Sauf qu'aucun son ne sort de leur bouche, que des bulles, et les chaises de Gemma et lui sont vacantes.

« Monsieur Styles ? » Une voix interrompt ses pensées, le sauvant de son imagination morbide. Il se tourne vers le son, s'attendant à voir peut-être l'une des connaissances de son oncle, mais il découvre le visage de Liam Payne.

« Monsieur Payne ! » S'exclame Harry en tirant Liam vers lui et lui tapant le dos. « Je ne peux pas vous dire combien je suis heureux que vous soyez ici. » Que vous soyez en vie, ajoute-t-il en silence.

Liam est vêtu d'un pull et de son pantalon d'uniforme, ses cheveux habituellement soigneusement peignés sont en désordre et tombent sur son front. Il est pâle et a l'air fatigué, mais c'est une personne de moins de décédée, et c'est suffisant.

« Vous aussi ! » Répond Liam, le visage se brisant par le premier vrai sourire que Harry ait vu de toute la journée. C'est presque, presque assez pour faire sourire Harry aussi.

Liam rejoint Harry à la balustrade et raconte son évasion du navire, en faisant en sorte que chaque cabine à sa charge était vide avant de monter sur le pont. Là, il avait trouvé Niall et Zayn, qui se tenaient avec un groupe de passagers de Troisième Classe qui attendait de monter dans un bateau.

Quand l'officier qui s'occupait du chargement du bateau lui a ordonné de monter aussi, il a pris un siège et s'est saisit d'une rame, leur bateau étant presque tombé sur un autre lorsqu'il a été mis à l'eau.

La nouvelle de la survie de Niall et Zayn met du baume au cœur de Harry. Le nom de Louis plane sur ses lèvres, le son pris dans sa gorge comme s'il essayait de trouver le courage de demander à Liam s'il a des nouvelles de son sort. Simultanément trop nerveux et trop plein d'espoir, la requête meurt dans sa bouche ; Liam brise le silence pour demander plutôt :

« Et Monsieur Tomlinson ? »

La question est si simple et innocente, Liam regarde autour de lui avec des yeux brillants, comme s'il attendait à ce que Louis vienne en bondissant vers eux à tout moment. Le cœur de Harry se brise lorsqu'il qu'il apprend que Liam n'a pas connaissance des allées et venues de Louis, mais soutenu par le fait qu'il ne peut au moins pas confirmer sa mort.

Harry ne répond pas, mais la façon dont il baisse la tête comme si elle était trop lourde pour en supporter le poids doit faire comprendre à Liam tout ce qu'il a besoin de savoir.

« Oh, » répond le steward, laissant échapper un soupir. « J'espérais qu'il soit avec vous. »

« Vous n'avez pas entendu quoi que ce soit, alors ? » Demande Harry en levant la tête pour rencontrer le regard de Liam.

Liam déplace son poids d'un pied à l'autre en regardant de partout sauf Harry. « Je ne sais pas que ce que Monsieur Horan m'a dit, » répond-il avec précaution, refusant de dire quelque chose de plus même lorsque Harry commence à plaider. « Ce n'est pas mon histoire à raconter, » dit fermement Liam.

« Alors emmenez-moi vers Horan, » implore Harry en attrapant le bras de Liam.

Quelque chose dans les yeux de Liam s'adoucit à l'entente du ton de Harry, et hoche doucement la tête. « Très bien, » accepte-t-il d'une voix douce. « Faites en sorte que personne ne nous apporte de problème, et ce n'est pas comme si vous étiez contre enfreindre une règle ou deux. » Il sourit au moment où il a fini de parler, se tournant pour faire signe à Harry de le suivre à l'endroit où les passagers de Troisième Classe sont gardés.

Niall et Zayn sont assis côte à côte dans le Fumoir, des poches plus sombres sous les yeux que la dernière fois qu'il les a vu. Ils sont assis tranquillement, Niall mélangeant un jeu de cartes tandis que Zayn fume. Le duo a l'air si fatigué, si opprimé, mais juste le souvenir de cette nuit passée en Troisième Classe - pleine de rire et d'amusement, des regards entendus de Niall et du sourire facile de Zayn - est assez pour redonner un peu confiance à Harry.

« Horan, » articule difficilement Harry en s'écartant un peu de Liam. « Malik. »

Deux paires d'yeux sont sur lui en un instant, d'ambre et d'azur, et les sourires submergent leurs visages lorsqu'ils le reconnaissent.

« Styles ! » S'exclament-ils à l'unisson en sautant de leurs chaises pour l'embrasser. Il n'y a pas un œil sec parmi eux quand ils se séparent, même Liam éponge ses joues en les regardant.

Il se dirige vers leur table et s'assoit dans une chaise, Niall et Zayn font de même de chaque côté de lui et Liam prenant la chaise en face. « Je suis tellement heureux que tu aies survécu, » chuchote Niall, ses mots lui parvenant en un soupir. « Quand je ne t'ai pas vu sur le pont, j'espérais que tu avais déjà trouvé une place dans un canot. »

Les cartes sont oubliées sur la table, et Harry les pousse distraitement. « Lou- Tommo s'est assuré que j'y arrive, » répond-il tristement. « Il est resté derrière. Il a dit qu'il devait aller vous trouver. »

« Et il l'a fait, » dit Niall, faisant bouger Harry sur sa chaise. « C'est grâce à son aide que des dizaines de personnes ont été sauvées. Des personnes qui auraient été prises au piège sous le pont sans savoir où aller. » Les yeux de Niall brillent, un sourire fier étirant ses joues. « Louis Tomlinson est un vrai héros. »

Harry écoute Niall décrire comment Louis a rassemblé autant de passagers qu'il le pouvait, les a pris en charge et leur a donné des instructions précises sur la façon d'atteindre les escaliers. Il est si fier, par-dessus tout, mais cela signifie aussi que Louis a continué d'exister après leurs adieux larmoyants. Que ce soit quelques minutes ou des heures, il a existé encore, et ça donne à Harry un sentiment de paix.

« Horan m'a trouvé quand il a amené le dernier groupe au pont, » explique Zayn. « Monsieur Payne ici nous a rejoint peu de temps après, il nous a reconnu après nous avoir vu avec Tomlinson. Je suppose que vous savez le reste. »

Bien sûr qu'il le sait. Leurs histoires ont toutes commencé dans des endroits très différents, mais ont fini de la même façon : une grande mer, un petit bateau, et un froid intense qui donne l'impression qu'il peut persister encore pour des années à venir.

Mais ils sont vivants, quatre d'entre eux. Ce qui ... Harry retient son souffle. « Mais où est Lucas ? »

Personne ne croise son regard. Un frisson traverse Harry, quelque chose de froid et amer tord son intestin.

Zayn parle d'abord, passant une main dans ses cheveux noir corbeau. « Nous ne l'avons jamais trouvé, » dit-il tristement. « Nous avons été séparés peu de temps après que nous ayons appris ce qui est arrivé, et c'est la dernière fois qu'un d'entre nous l'a vu. »

Aucun d'eux ne sait vraiment quoi dire après. Harry ferme les yeux pour mieux visualiser leur dernière nuit à bord du navire.

C'est trop facile de se rappeler la musique joyeuse, diffusant son humeur à tout le monde dans la salle. Il entend le rire de Stan, fort et rauque, joint par la sérénade de Louis et les rires tranquilles de Zayn.

Il voit Niall qui le regarde avec des yeux qui disent tout, faisant promettre à Harry de satisfaire tous les rêves de Louis.

Les larmes coulent sur son visage et Harry ne tente pas de les arrêter. Au lieu de cela il se laisse ressentir, souffrir, pleurer, avec la main de Niall sur une épaule et Zayn de l'autre, Liam se penche sur la table pour attraper sa manche. Ils pleurent ensemble, pour Louis et Stan et pour tout le monde qui est allé dans l'eau et n'en est jamais ressorti.

Finalement, une hôtesse vient vers eux avec un plateau de boissons chaudes, en passant une à chaque homme en silence avant de partir. Elle ne sait pas quoi dire pour eux, et comment pourrait-elle ? Comment pouvez-vous même essayer de comprendre ce qu'ils ont vécu ?

Ce n'est pas un vrai toast, mais ils doivent faire avec ça, alors quand Harry lève sa tasse en l'air, les autres suivent sans hésitation. « Pour Stanley Lucas, » murmure-t-il en portant la tasse à ses lèvres et prenant une gorgée.

Niall tient sa tasse en l'air un moment de plus, rencontrant le regard de Harry lorsqu'il la baisse enfin. L'Irlandais n'a pas à parler pour que Harry sache exactement ce qu'il pense.

Et à Louis Tomlinson.

C'est trop douloureux de rester assis avec eux trop longtemps, un rappel constant de ceux qui manquent parmi eux. Donc Harry finit son café et fait ses au revoir, promettant à chacun qu'il restera en contact avec eux même s'il n'est pas sûr de pouvoir.

Gemma est introuvable lorsqu'il retourne dans la zone des Premières Classes, donc il décide de partir se promener sur le pont. Il y a des enfants qui jouent, les enfants du Carpathia partageant avec plaisir leurs jouets avec leurs nouveaux camarades de jeu, riant ensemble comme si rien ne s'était passé. Harry se demande s'il arrivera un jour à ce même point. Mais là il a l'impression qu'il ne sera plus jamais capable de décrocher un sourire.

« Monsieur Styles ? »

Une petite voix familière tintée d'un accent écossais fait ralentir ses pas. Il s'arrête et se tourne pour regarder qui l'a appelé et y découvre Mary Marvin, un châle sur les épaules, ses boucles blondes encadrant son visage pâle.

« Madame Marvin, » réalise Harry, sincèrement heureux de revoir la jeune femme qui était toujours si gentille avec lui aux repas. « Je suis très heureux de vous voir ici. »

Elle sourit, ses joues rougissant à ce sentiment. « De même, monsieur Styles. » Son visage devient plus sérieux, les yeux ronds et écarquillés en le regardant. « Dites-moi, est-ce que votre sœur est en sécurité ? Et votre oncle ? »

Harry soupire, offrant son bras à Mary pour qu'ils puissent marcher tout en parlant. Elle le prend, les yeux ne quittant jamais le visage de Harry.

« Gemma est quelque part ici, » dit-il doucement après avoir commencé à marcher. « Mais j'ai bien peur que mon oncle n'ait pas survécu. » C'est la première fois qu'il le dit à voix haute et son estomac se tord. Est-ce que son père le sait déjà ? Est-ce qu'il va changer d'avis et demander à Harry et Gemma de rentrer ? Est-ce Harry voudrait rentrer ?

« Je suis sincèrement désolée, » chuchote Mary en rapprochant son châle de sa main libre. « Et votre jeune homme ? Qu'en est-il ? »

La question fait presque trébucher Harry, il regarde la jeune femme avec de grands yeux. « Que voulez-vous dire ? » Demande-t-il en parvenant à articuler un semblant de mots.

Elle rit. « Aucun de vous deux n'étiez très discret au dîner, mon cher. » Elle tapote son bras. « Ne vous inquiétez pas, votre secret est en sécurité avec moi. »

Harry lui sourit avec gratitude avant de prendre une profonde inspiration. « Je ne l'ai pas encore trouvé, s'il s'en est sorti, » admet-il.

« Oh, » chuchote la jeune femme. Lorsque Harry se tourne vers elle, il voit des larmes couler sur ses joues. « C'est juste... J'aurais espéré que quelqu'un ait une fin heureuse dans tout ça. »

La jeune femme essuie ses larmes mais continue tout de même à pleurer tandis que Harry la guide vers des fauteuils sur le pont.

« Est-ce que... Monsieur Marvin... » Il n'arrive pas à formuler la question, mais Mary comprend tout de même.

Elle sourit à travers ses larmes, bien qu'il reste faible et tremblant. « Il m'a mis dans un canot et m'a embrassé pour me dire au revoir. Il m'a dit « ça va aller, ma jolie. Tu pars. Je vais rester. » Puis il est parti. » Elle tapote ses yeux avec délicatesse.

Harry peut sentir ses propres joues devenir humides en la regardant. Elle a dix-huit ans et est déjà veuve. Ils sont partis en lune de miel, pour l'amour de Dieu. Ce n'était pas assez tragique d'enlever autant de vies ? Ça devait vraiment briser la vie de ceux qui ont réussi à s'en sortir ?

Ils parlent de tout et de rien après ça, tous les deux bien trop faibles et blessés pour parler de quelque chose de trop profond, jusqu'à ce que Mary s'excuse, promettant de chercher Gemma avant qu'ils n'arrivent au port. Elle laisse Harry sur son fauteuil, fixant un point flou dans l'horizon du pont. Tout ça finit par être beaucoup trop pour lui, il laisse son esprit se vider, les vacillements du bateau l'aidant à s'endormir.

Il ne rêve pas.

« Harry ! »

La voix pénètre lentement son esprit, étouffée et faible, comme si elle était sous l'eau.

« Harry ! » Il essaye d'associer la voix à un visage. C'est Stanley Lucas. C'est Daniel Marvin. C'est Charles.

La voix reparle, elle est plus près maintenant, un mélange de toutes les personnes qu'il a rencontrées sur le Titanic, sauf celle qu'il attend le plus d'entendre. Parce que Louis est mort et plus là, il n'appellera plus jamais Harry.

« Harry Styles ! » Ses yeux s'ouvrent. Gemma est là et le secoue pour le réveiller, ses yeux foncés brillants de larmes.

La panique vient d'abord, la peur que quelque chose d'autre se soit mal passée lui donne la chair de poule.

Mais Gemma sourit et le tire de son fauteuil avec insistance. « Harry, s'il te plait, il faut que tu voies ça. »

Il cligne des yeux de confusion, debout sans un mot. Gemma le tire immédiatement vers l'avant, lui arrachant presque le bras dans sa vigueur. Elle le mène à travers les couloirs et en bas des escaliers, ne s'arrêtant pas une fois l'arrêt pour reprendre son souffle jusqu'à ce qu'ils atteignent une porte marquée par une simple pancarte : 'Hôpital'.

« Va, » le presse Gemma en poussant son frère près de la porte.

Les sourcils relevés, Harry tourne la poignée et elle s'ouvre facilement. Au seuil se trouve la même hôtesse qui a rencontré Harry lors de sa première venue à bord, cette fois, aucune trace de mélancolie n'est visible dans ses yeux quand elle lui sourit. "Entrez, cher", dit-elle, en désignant une zone cachée par des rideaux avec son bras. "Nous n'acceptons pas les visiteurs normalement, mais il vous demandait."

Chaque fibre de son être est en éveil lorsqu'il avance avec des pas lents et prudents dans la direction indiquée. Son cœur bat rapidement tandis que l'espoir dans sa poitrine se réveille à nouveau, alors même que son cerveau hurle de ne pas trop s'emballer.

Avec une profonde respiration, Harry tire le rideau, et c'est tout ce qu'il fait avant que ces genoux ne touchent le sol.

Là, niché dans un lit d'hôpital, il y a Louis.

Il est si pâle, la chaleur semble aspirée hors de sa peau très blanche, mais ses yeux sont tout aussi bleu que Harry se souvient, et ils brillent de l'intérieur une fois qu'ils se posent sur son visiteur.

« Harry, » croasse Louis, sa voix sonne terriblement faible mais toujours aussi familière.

Il se dirige vers le côté du lit avec un halètement, sanglotant en attrapant la main de Louis. Louis serre sa main bien que son emprise soit faible, et Harry prie aussi dur que possible pour que ce ne soit pas un rêve, qu'il ne se réveille pas toujours allongé sur un fauteuil dans un monde sans Louis.

« Mais, comment t'as fait ? » Demande Harry, une fois que ses sanglots se calment assez pour pouvoir parler. « Comment t'es-tu échappé ? Et pourquoi t'as-t-il fallu si longtemps pour me trouver ? »

Il se sent une main sur son épaule lorsque Gemma se rapproche. « Harry, Louis a besoin de repos, » dit-elle doucement. « Pourquoi ne pas le laisser dormir pendant que nous allons chercher quelque chose à manger ? »

Les yeux de Harry sont larges et il a une expression horrifiée lorsqu'il se tourne vers sa sœur. Il est sur le point de protester, de jurer qu'il ne quittera plus jamais Louis, mais le son de la voix de Louis parlant lui fait avaler ses paroles.

« Je voudrais vraiment qu'il reste, » dit-il doucement en passant son pouce sur le dos de la main tremblante de Harry. « Nous avons tous les deux passés beaucoup trop de temps à devoir quitter l'autre. »

Gemma semble incertaine, mais l'hôtesse s'éclaircit la voix depuis l'écart entre les rideaux « J'ai déjà parlé au médecin, et Monsieur Tomlinson est autorisé à partir dès qu'il aura quelque chose dans l'estomac et arrivera à le garder, » dit-elle. « Si vous voulez, je peux aller chercher vos repas pour vous. »

"Ce serait super, je vous remercie, » dit Harry en souriant avec reconnaissance à la femme, faisant une note mentale pour connaître son nom et écrire à la ligne Cunard une lettre éclatante de louange pour tout ce qu'elle a fait pour eux.

« Je vais vous accompagner, si cela ne vous dérange pas, » annonce Gemma en tapotant légèrement l'épaule de Harry avant de partir. "Je vais donner un peu de temps à ces deux-là pour se retrouver. »

L'hôtesse hoche la tête, un sourire entendu sur ses lèvres, puis elles disparaissent et Harry et Louis sont seuls dans leur petite chambre de rideaux, avec seulement les sons faibles des autres patients pour leur rappeler que d'autres personnes sont autour.


°°°


Voir à nouveau Harry est comme le premier rayon de soleil printanier après un long hiver.

Même avec des boucles désordonnées et des vêtements froissés, des taches sombres sous chaque œil, Harry est toujours la plus belle chose que Louis n'ait jamais vu.

Juste l'avoir ici, à ses côtés, est suffisant pour soulager la douleur, la terreur, de la veille. Ces grands yeux verts clairs, les mêmes qui ont fait craquer Louis il y a ce qui semble être une vie de cela, le regardent avec émerveillement, comme si Harry ne pouvait pas croire que Louis est juste en face de lui.

« Je suis tellement heureux que tu sois en vie, » murmure Harry, une larme glissant sur sa joue. « J'étais certain de t'avoir perdu. »

« J'avais une promesse à garder, pas vrai ? » Répond Louis, ses lèvres minces se courbant en un sourire. A l'intérieur, cependant, son cœur lui fait mal à la pensée de Harry se sentant triste à cause de lui. « J'ai demandé à te voir dès que possible, amour. Je le jure. »

Harry hoche la tête, essuyant ses joues avec la manche de sa chemise. Il porte toujours les vêtements que Louis lui avait prêtés lors de leur dernière nuit sur le Titanic. « Pourquoi n'as-tu pas pu me trouver plus tôt ? Tout le monde - Horan et Malik, Monsieur Payne - nous pensions tous que – »

« Je sais, amour, je sais, et je suis désolé de te faire traverser tout cela," murmure Louis. « Laisse-moi te dire comment je me suis retrouvé ici, d'accord ? Et après je veux des nouvelles des autres. »

Au hochement de tête de Harry, Louis se lance dans l'histoire de sa survie. Il décrit la recherche effrénée de ses amis, lorsqu'il est revenu au pont trouver presque tous les canots de sauvetage partis et beaucoup trop de passagers encore à bord. Harry tressaille quand Louis parle de sauter dans la mer depuis le pont du navire qui coule, l'eau froide donnant l'impression que des milliers d'aiguilles se plantent dans sa peau.

« Il y avait un bateau gonflable, » continue Louis, caressant toujours la main de Harry tandis que ce dernier l'écoute attentivement. « Il a été balayé hors du navire par une vague et est tombé à l'envers dans l'eau. Nous avons nagé vers lui, tous les hommes qui le pouvaient, même si la plupart étaient trop faibles pour se hisser à bord. » Il frissonne au souvenir des hommes accrochés aux côtés du bateau, s'y tenant fermement jusqu'à ce que l'hypothermie prenne place et qu'ils meurent de froid. « Nous nous sommes blottis ensemble pendant que le bateau coulait toujours plus, jusqu'à ce qu'on ait de l'eau jusqu'aux chevilles. » Louis prend une grande respiration tremblante, le souvenir de l'événement terrifiant presque trop à supporter.

« Tu peux t'arrêter, » insiste Harry en passant une main le long du bras de Louis. « Si c'est trop pour toi, je n'ai pas besoin d'en entendre davantage. »

Mais Louis secoue la tête. « Certains hommes n'ont pas le luxe de raconter leur histoire, Harry, » dit-il en souriant tristement. « Comment je peux oser me moquer de leur mémoire en me cachant de la mienne ? »

Harry le regarde avec émerveillement avant de lui faire signe de continuer, ne lâchant jamais la main de Louis pendant qu'il écoute. Louis lui raconte comment ils se tenaient en lignes sur la coque en essayant de se pencher contre les vagues frappant l'embarcation précaire. Il raconte des hommes qui, trop fatigués et faibles pour continuer, se sont effondrés, glissant dans l'eau sans un bruit.

« J'étais si fatigué, Harry, » admet Louis, sa voix sonne trop petite pour son corps. « J'étais fatigué et je voulais tellement abandonner, mais savoir que tu m'attendais m'a fait continuer à me battre." Il sourit à Harry, l'homme qui est passé d'un étranger à sa raison de vivre en seulement quelques jours, et le sourire qu'il lui fait en retour lui coupe le souffle.

« A la fin, nous avons été sauvés par un groupe de canots de sauvetage attachés ensemble. Ils nous ont emmenés à bord, et je dois m'être endormi parce que c'est la dernière chose dont je me souviens. Puis je me réveillé ici et j'ai demandé de tes nouvelles. »

La réalisation frappe Harry. « Voilà pourquoi personne ne pouvait te trouver, » chuchote-t-il, la poitrine haletante des respirations profondes qu'il prend. « Tu n'étais pas éveillé pour donner ton nom à quelqu'un. »

Louis hoche la tête. « Quand je l'ai fait, l'hôtesse a dû le reconnaître parce que peu de temps après Gemma était ici pour s'assurer que c'était vraiment moi avant de te donner de faux espoirs. »

Harry est silencieux pendant un moment, digérant tout ça. Puis il se lève et enroule soigneusement ses bras autour de Louis, en appuyant son oreille sur sa poitrine.

« Qu'est-ce que tu fais ? » Demande Louis en passant ses doigts dans les boucles de Harry.

« Je t'écoute juste respirer, » Harry murmure à moitié assoupi, comme si le son du cœur de Louis le berçait. « Je vais l'écouter pour le reste de ma vie. »

Louis découvre que cette idée ne le dérange pas le moins du monde.

Il est autorisé à sortir de l'hôpital à temps pour le dîner, avec comme instructions strictes de rester au chaud et de se reposer.

Ses pieds ont échappé à la gelure terrible subie par certains des autres survivants, et pour tout le reste, avoir Harry avec lui est comme une potion de guérison. Il se sent comme un nouvel homme quand il entre dans la zone de Première Classe du navire comme s'il y appartenait réellement, Harry à ses côtés.

(Gemma a sûrement dû dire au médecin qu'il appartenait à la première classe. Louis l'apprécie énormément.)

Plus tard, quand le soleil s'est couché et que la plupart des passagers sont partis dans les cabines, Louis se trouve à côté de Harry dans le salon, leurs têtes rapprochées pour ne pas être entendus. Ils sont seuls, entourés par les passagers du Carpathia qui ne comprennent pas leur douleur, et par les survivants du Titanic qui tentent de réaliser ce qu'ils ont vécu. Ça ne semble pas normal, en quelque sorte, de se sentir si heureux au milieu de tant de souffrance, mais Louis ne peut pas empêcher la lumière que Harry enflamme en lui, donc ils essaient de garder leur joie pour eux.

Ce n'est pas que du bonheur : Les nouvelles de la mort de Stan frappe Louis particulièrement fort. Stan était si jeune, si plein de vie, et elle lui a été arrachée en un clin d'œil. Louis pense à cette ferme dans l'Illinois, celle où les cousins ​​de Stan l'attendent, et décide qu'il aimerait peut-être leur rendre visiter un jour. La famille de Stan mérite de connaître la dernière semaine de sa vie, et Louis fera de son mieux pour leur donner ça.

« Harry ? » Dit doucement Louis, attirant l'attention du bouclé assis à côté de lui.

« Oui, Lou ? » Les paupières de Harry sont lourdes de sommeil, mais il refuse d'aller au lit, affirmant qu'il a trop peur que Louis soit en quelque sorte un rêve et disparaisse au milieu de la nuit.

Louis comprend le sentiment.

Souriant à l'homme à côté de lui, ses doigts le démangent de tirer son amant plus près de lui. Bientôt, il se dit. Bientôt, ils seront seuls aussi longtemps qu'ils le veulent.

Au lieu de tirer Harry, Louis enfonce ses doigts agités dans sa poche. « Je t'ai promis que j'en prendrais soin, mais je pense qu'il est temps que je te la rende. »

La confusion fait place à de la surprise quand Harry voit l'objet dans la main de Louis. « La montre de mon grand-père," murmure-t-il en prenant l'objet. « Tu l'as gardée la sécurité. »

Des frissons parcourent le dos de Louis à cause du bref contact de la paume de Harry sur la sienne, lui donnant envie d'en avoir encore plus. Au lieu de cela, il aplatit sa paume maintenant vide sur sa cuisse en regardant Harry examiner la montre. « J'ai promis, » répond-il, bien que les mots soient épais et lourd dans sa bouche.

Le visage de Harry s'effondre une fois la montre ouverte. « Elle s'est arrêtée, » dit-il, un pli entre les sourcils. Son visage pâlit dès qu'il voit l'heure : 02h20. « Louis, c'est quand- »

« Quand je suis allé dans l'eau, oui, » dit sombrement Louis, osant appuyer son genou contre celui de Harry. « Je suis tellement désolé, je sais que ça signifiait beaucoup pour toi. »

« C'est toujours le cas, » insiste Harry, en fermant la montre et la portant contre son torse. « Elle n'a pas besoin d'indiquer l'heure pour signifier quelque chose. Maintenant, à chaque fois que je regarderai cette montre, je me souviendrai de mon grand-père, mais je vais aussi me rappeler que tu t'es battu pour ta vie pour revenir à moi. »

Au moment où Harry finit de parler, Louis peut sentir les larmes piquer aux coins de ses yeux. Il se fiche désormais de la bienséance, il jette un bras autour de Harry, tirant leurs corps aussi près que leurs chaises le leur permet. « Je reviendrai toujours à toi, » promet Louis, en appuyant ses mots sur l'épaule de Harry. « J'aurais nagé jusqu'en Amérique pour te revoir. »

Harry rit à cela, se penchant dans la chaleur de Louis pour seulement une seconde de plus avant qu'ils ne se séparent. « Je pense que ça te prendrait un certain temps. Je suis content que tu aies décidé de me retrouver ici à la place. » Il ponctue la phrase avec un bâillement, cambrant son dos pour s'étirer, ressemblant un peu à un chat gâté (et un peu débraillé).

Louis glousse en le regardant, résistant à peine à l'envie de tendre la main et frotter le ventre de Harry. « Va dormir, Harry. Je te promets que je serai là quand tu te réveilleras. »

Avec un hochement de tête réticent, Harry se lève et tend la main pour aider Louis à se lever aussi. Ça me manque de dormir à côté de toi, » admet-il tristement, fourrant ses mains dans ses poches une fois Louis debout.

« Ça me manque aussi, mon amour, » répond doucement Louis. « Plus que quelques jours, et nous serons à la maison. »

Le sourire qu'un simple mot peint sur le visage de Harry pourrait faire pleurer quelqu'un. Le sentiment de faire sourire Harry est addictif et Louis pense que c'est un sentiment auquel il aimerait s'habituer.

Couché et enveloppé dans la literie emprunté, Louis ne peut pas empêcher de se demander quand la maison a commencé à se référer à l'autre côté de l'Atlantique. Bien que, au fond, il a le sentiment que sa maison est plus probablement une personne qu'un lieu.


°°°


Le 18 Avril 1912, Harry sort du Carpathia à New York la tête haute. Les quais sont remplis de familles désespérées d'apercevoir leurs proches, la pluie et les larmes se mêlant sur leurs visages pleins d'espoir. Les journalistes montent sur la passerelle, en quête d'une histoire à partager, leurs flashes les éclairant comme la foudre, leurs bavardages incessants étant le tonnerre qui l'accompagne.

Personne ne l'attend sur le quai. Les seules personnes au monde dont il a besoin sont juste à côté de lui, Gemma serre son bras gauche et Louis pose une main sur sa hanche droite pour le guider, Nellie non loin derrière. Ensemble, ils se déplacent à travers la foule, essayant d'ignorer la déception sur chaque visage à la recherche de quelqu'un d'autre.

Car au-delà de ces foules, au-delà de la pluie et de la tristesse et la clameur, il y a un avenir qui les attend. Il y a des jours difficiles et des nuits blanches, des rires et des larmes, l'inquiétude et la joie, le chagrin et l'exaltation. Et ils prendront tout dans la foulée, se prélassant dans chaque moment glorieux et beau, parce qu'ils ont eu droit à un avenir quand il a été retiré à tant d'autres personnes.

C'est un jeudi soir froid et pluvieux que Harry Styles regarde son destin une dernière fois.

Sauf que cette fois, il lui sourit.



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Références

La robe de Gemma: 

Gemma, Nellie et Harry ont embarqué sur le canot 3, l'officier qui gérait l'embarquement était William Murdoch:

L'homme avec le pékinois était Henry Harper, son chien s'appelait Sun Yat-SenLe garçon que Niall a aidé était William Couts. Sa mère était Winnie Coutts et son petit frère s'appelait Nevill. Ils ont tous les trois survécu au naufrage.Le steward qui s'assurait qu'autant de passager de Troisième Classe possible survivent était John Edward Hart.L'homme qui a passé deux petits garçons dans le dernier canot gonflable était Michel Navratil et les garçons étaient Michel et Edmond. Michel Senior avait kidnappé ses enfants de sa femme étrangère et voyageait sous le nom de Louis Hoffman. Les garçons ont survécu tandis que leur père a péri, ils ont vécu dans un orphelinat jusqu'au 16 mai après que leur mère les ai reconnus dans des articles de journaux.

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