Chapitre 1
10 Avril 1912
C'est un mercredi après-midi frais et couvert d'avril que Harry Styles regarde son destin face à lui.
Du moins c'est ce qu'il ressent en admirant le gigantesque mastodonte qu'est le paquebot devant lui. Le Titanic fait paraître minuscules tous les autres bateaux amarrés aux alentours. Ils disent que c'est le paquebot des rêves, et peut-être que ça l'est, mais pour Harry, chaque pas vers l'imposant navire ressemble horriblement à une marche funéraire.
Ce n'est pas le moment, se gronde-t-il silencieusement, secouant la tête pour repousser les souvenirs de costumes noirs et d'un tas de terre jeté sur une tombe. Le mouvement aide ses visions à s'effacer mais la mélancolie persiste, collée comme des toiles d'araignée aux coins de son cerveau.
Harry est tiré de ses pensées par une petite main couverte d'un gant blanc glissant dans le creux de son bras.
"Ce n'est pas trop tard, tu sais," murmure une voix douce dans son oreille. "Tu n'as pas à faire ça."
Il s'arrête en chemin pour faire face à sa sœur, remarquant à peine les grognements de complainte des gens qui doivent les contourner. "Je ne te laisse pas partir seule, Gemma. Mère n'aurait pas voulu que je fasse ça." Sa voix est douce et tendre, mais assez ferme pour faire comprendre à la jeune femme qu'il a fait son choix.
Ses yeux, si semblables à ceux de leur mère, cherchent brièvement les siens pour y déceler un quelconque signe d'incertitude. Ne trouvant rien d'autre qu'une détermination d'acier dissimulée dans un vert clair, elle lâche son bras et lui fait un sourire avec les lèvres serrées.
Harry lui rend un sourire mais il s'efface de son visage au moment où la voix de son oncle leur parvient à travers la foule acclamante. "Eh, vous deux ! Avancez !" Inspirant un souffle résigné, l'air frais salé se logeant lourdement dans sa poitrine avec son mécontentement, Harry suit sagement la foule.
S'arrêtant au milieu de la passerelle, il laisse son regard se promener sur la foule agitée sur le quai. Ça pourrait être la dernière fois qu'il voit son pays d'origine, et il veut en profiter autant que possible tant qu'il le peut encore. Son regard se pose sur l'endroit où les passagers de Troisième Classe attendent pour embarquer, des officiers en uniformes les examinant afin de voir s'ils ont des poux ou des signes de maladies.
Un homme en particulier retient son attention au milieu de la masse, des mèches de ses cheveux châtains prenant le vent en étant inspectées pour d'éventuelles lentes. Même à cette distance, Harry peut voir la bouche de l'étranger se tordre d'indignation en étant inspecté sans passion. Il ne peut s'empêcher de le regarder, quelque chose en cet inconnu attirant son attention, comme si le passager simplement vêtu était d'une certaine manière éclairé d'une fierté et d'une dignité qui dépassent son statut social.
Comme s'il sentait le poids de son regard, l'homme lève le menton, un regard brillant et curieux rencontrant celui de Harry. Ce dernier dévie rapidement le regard, les joues chaudes comme si elles avaient étaient brûlées par l'étranger, mais pas avant d'apprendre que les yeux de l'autre homme sont tellement bleus qu'ils semblent refléter le ciel brumeux de Southampton, un baume apaisant comparé à son visage brûlant.
"H, allez," dit Gemma, passant déjà la porte menant à l'intérieur du paquebot, sa gouvernante, Nellie, proche derrière elle. Regardant la foule hétéroclite une dernière fois, Harry cherche l'homme aux yeux bleus, mais il a déjà bougé, se fondant dans la masse de corps pressés qui attend d'embarquer.
Lorsque Harry rejoint Gemma, juste après avoir passé la porte qui mène au sein du paquebot, leur oncle parle à une homme en uniforme. "Charles, Gemma, et Harry Styles," dit-il à l'homme qui le note dans un carnet.
"Merci, Monsieur Styles, et bienvenue à bord du Titanic," dit l'officier en désignant un groupe de stewards qui patientent. "Quelqu'un va vous montrer vos chambres, et j'espère que vous passerez un bon voyage." Avec un signe de révérence avec sa casquette, l'homme se tourne vers un autre groupe de passagers qui monte à bord.
Les stewards récupèrent toutes les affaires des Styles, soulageant les porteurs qui avaient suivi le trio depuis le quai. Harry remarque Charles glisser un pourboire moins que gracieux dans les mains des porteurs sur le point de se retirer, ayant toujours détesté partager son argent. Dégoûté, Harry prend la résolution de s'assurer que les stewards seront récompensés plus justement pour leurs services.
L'intérieur du gargantuesque paquebot est bien plus luxueux que Harry ne l'avait imaginé, lui donnant l'impression d'être dans un hôtel et non un bateau. Les murs sont couverts d'un chêne riche et foncé, chaque couloir bien brillant et accueillant. Bagages en mains, deux des stewards font route vers une porte ouverte menant aux cabines tandis qu'un autre mène Harry, Gemma et leur oncle visiter le commissaire de bord. Il y a un hall avec des ascenseurs et sur la droite de Harry se trouve une vaste salle, des tables et chaises éparpillées entre des colonnes blanches sculptées.
Leur guide, une jeune homme aux cheveux roux, a dû suivre le regard de Harry. "La Salle de Réception, monsieur," explique-t-il en faisant un signe de tête vers l'espace public. "La Salle de Restaurant est juste ici." Il pointe une autre porte sur le mur opposé.
Harry hoche la tête en tendant le cou pour avoir une meilleure vue de la pièce. "Et les escaliers ?" Demande-t-il en indiquant les larges marches courbées qui semblent être le point focal de la salle.
Le steward sourit, les yeux s'illuminant. "Ah, ce sont les Grands Escaliers, Monsieur Styles. Je parie que vous n'avez jamais rien vu de semblable sur un autre bateau." Il reprend les bagages en main. "Pour l'instant, si vous le voulez bien, nous allons prendre l'ascenseur, mais je vous encourage fortement à vous promener plus tard et voir par vous-même."
"Oui, je le ferai très certainement," murmure Harry en scannant la pièce une dernière fois avant d'entrer dans l'ascenseur derrière sa grande sœur.
Ils en sortent un étage plus haut, sur le Pont C. Il est très similaire à l'étage inférieur, mais celui-ci a un sol en linoléum au lieu de la moquette rouge trouvée dans la Salle de Réception, et un long couloir blanc s'étend devant eux. Une fois que Charles a remis son coffre-fort au commissaire de bord, un autre steward, celui-ci grand et brun, fait un signe vers le couloir. "Par ici je vous prie," dit-il aimablement.
Ils s'arrêtent devant une porte à mi-chemin, le grand steward l'ouvrant. "Ce sera votre suite, Madame," dit-il à Gemma. Elle y entre d'un air curieux, admirant silencieusement les murs en damas et les meubles finement sculptés. Deux stewards attendent déjà à l'intérieur, prêts à défaire les affaires de Gemma et l'aider à s'installer. Les grands yeux marrons de Nellie sont ronds comme des soucoupes en tirant une chaise et elle aide Gemma à s'asseoir avant d'aider les stewards à s'occuper des nombreux articles que la jeune femme a apporté.
"Je reviendrai te voir un peu plus tard," promet Harry avant de suivre les stewards vers la cabine attenante.
La seconde chambre est tout aussi somptueuse que la première, hormis le fait que les tons de celles de Gemma sont vert et doré et que celle si a des murs en chêne décorés de velours rouge. Le lit et la table sont tous les deux sculptés dans un bois foncé, et la chaise longue dans le coin de la chambre est recouverte du même tissu que celui des murs. C'est riche et chaleureux et Harry a envie de courir en criant dans la direction opposée.
"Voici votre cabine, Monsieur Styles," dit le brun en se mettant de côté pour laisser Harry entrer dans la chambre. Son visage est couvert d'un masque poli, même si son estomac est agité. Il a le mal de mer et ils n'ont pas encore largué les amarres.
"Merci," dit doucement Harry en retirant son gant pour toucher les ornements des meubles à main nue.
Le steward roux qui lui avait parlé des escaliers reste pour défaire ses bagages, tandis que l'autre steward escorte Charles jusqu'à sa cabine. Harry regarde l'homme défaire avec minutie ses vêtements et autres effets personnels, légèrement mal à l'aise d'être servi. Ils ont eu des servants à la maison, évidemment; comme Nellie, mais ils étaient plus des amis que du personnel de maison, et il profitait régulièrement de leur compagnie lorsqu'il se sentait seul dans le manoir.
Harry espère qu'ils se porteront bien, laissés seuls sous les ordres de son père. Il les aurait bien tous emmenés avec lui, mais son billet seul coûtait bien plus qu'il ne pouvait se le permettre, et il doute que son père aurait apprécié en payer un autre ou qu'il partage sa cabine avec un membre de leur personnel. Il peut presque entendre la voix de Desmond dans sa tête: "Une bonne aide est difficile à trouver, fils, et encore plus difficile à garder."
"Monsieur ? J'ai terminé," dit le steward en sortant Harry de ses pensées. Ses bagages sont vides et le livre qu'il a commencé à lire est placé sur la table à côté de la chaise.
"Oh," dit Harry, son regard passant du livre au steward qui attend près de la porte. "Merci... Pardon, pouvez-vous me rappeler votre nom ?"
Le steward sourit en bombant le torse. "Anthony Wheeler, monsieur, à votre service."
Harry rit pour lui-même. Ce garçon ne doit pas être beaucoup plus vieux que lui, et il semblant pourtant plus enjoué, plus libre. "Merci, Monsieur Wheeler," dit-il en lui glissant un billet qu'il met dans sa poche avec reconnaissance.
"Avec plaisir, monsieur," dit Wheeler, tournant pour partir mais s'arrêtant juste avant de quitter la pièce. "Oh, cette porte est reliée à la chambre de Mademoiselle Styles et celle-ci à celle de Monsieur Styles." Il pointe une porte de chaque côté de la cabine. "Juste au cas où vous voudriez un peu plus d'espace."
Faisant une note mentale de mettre une chaise devant celle de la chambre de son oncle, Harry hoche la tête et Wheeler quitte la cabine.
Il s'est à peine installé sur une des chaises autour de la table pour retirer ses chaussures qu'on toque à la porte menant à la chambre de son oncle. "Harry, un mot ?" Appelle Charles, la voix étouffée par le bois épais.
Il lève les yeux au ciel et se lève pour aller ouvrir. Charles entre sans attendre d'y être invité, regardant la cabine comme s'il s'attendait à moitié à ce que Harry y ai déjà étalé tout son bazar. "Alors ? Qu'est-ce que tu en penses ?" Demande Charles, ses yeux bleus regardant Harry sans cligner. A vingt-deux ans, Harry dépasse largement son oncle, et il prend un malin plaisir à baisser la tête pour le regarder.
"C'est un peu trop, pour être franc," admet-il, surpris par la façon dont le visage de Charles se tord d'indignation. Il s'attendait très clairement à ce que Harry soit impressionné (ce qu'il est, mais il serait fichu s'il laissait Charles savoir ça). "Enfin, c'est juste un bateau."
"Juste un bateau ? Harry, le Titanic est le plus grand paquebot jamais construit !" Il secoue la tête d'incrédulité. "Je sais que tu as très peu de reconnaissance de notre style de vie, mais je pensais que même toi pouvais trouver quelque chose de plaisant dans ce voyage." Il ouvre la porte de sa propre cabine, regardant Harry par dessus son épaule. "Même si tu es énervé contre ton père et moi, j'espère que tu profiteras au moins un peu, pour le bien de Gemma." Il ferme la porte derrière lui mais pas avant que Harry ne l'entende marmonner, "Juste un bateau... Franchement."
Regardant la porte, Harry retire ses chaussures et se met sur le lit. Il est très doux, il doit l'admettre, même en s'enfouissant dans les oreillers. Roulant sur le dos pour regarder le plafond à caisson, les mots de son oncle résonnent dans sa tête, et chaque répétition approfondie la ride entre ses sourcils. Pour le bien de Gemma. Comme si Charles avait déjà fait quoi que ce soit pour quelqu'un qui ne lui servait pas personnellement, encore moins pour Gemma. La seule raison pour laquelle Harry faisait ce voyage était pour garder un œil sur sa sœur, quelque chose que le plus vieil homme de leur famille semble avoir oublié comment faire.
Laissant ses yeux se fermer, Harry se demande comme sa vie a pu changer si abruptement. Sa mère est décédée il y a moins de six mois, et maintenant il est sur un bateau - pardon, paquebot - pour aller en Amérique, tout ça parce que son père a décidé que Gemma était assez vieille pour être mariée, préférablement à une de ses relations d'affaire - quelque chose que leur mère n'aurait jamais laissé faire. Maintenant qu'elle est partie, il n'y a plus personne pour intervenir, et Harry ne va sûrement pas laisser sa sœur être envoyée seule sur un territoire inconnu. (Et non, il ne pense pas que vivre à proximité de leur oncle soit un avantage).
Donc il est là, sur la première traversée du magnifique paquebot, et il n'a même pas l'énergie de monter sur le pont pour le regarder larguer les amarres. Il ne veut pas voir les passagers faire des signes d'adieu à ceux sur le quai, sachant qu'il n'y a personne à qui il manquera. Dieu sait que son père ne le fera pas.
Avec des yeux lourds et un cœur encore plus lourd, Harry se laisse glisser dans un sommeil profond, parfaitement satisfait à l'idée de dormir tout le long du voyage.
°°°
Louis balance son sac à dos sur la couchette avec un grognement, toujours un peu impressionné que toutes ses affaires les plus chères rentrent si facilement dans un maigre sac. La chambre dans laquelle il se trouve est petite - juste quatre couchettes et un petit lavabo - mais elle est propre et rangée et a une porte, un luxe lui a-t-in dit, comparé aux Troisièmes Classes des autres bateaux. Partager une chambre avec seulement trois autres personnes est déjà un luxe, sachant que Louis est habitué à dormir avec ses quatre petites sœurs (enfin, deux les nuits où les plus petites font des cauchemars et vont dans le lit de leur mère).
Les trois autres lits sont encore vides et intacts, leurs occupants n'étant pas encore arrivés. Profitant du fait d'être seul pendant encore un petit moment, Louis sort ses vêtements de son sac et commence à les mettre dans le tiroir du lit qu'il a choisi, sifflotant en même temps. D'après lui, ce voyage l'emmène vers un nouveau début.
Midi approche lorsque Louis rencontre enfin le second occupant de sa chambre, un homme appelé Stanley Lucas qui vient de sud du Yorkshire, comme lui, ce qui est une belle coïncidence. Il est énergique et bavard, avec un visage rond et des cheveux bruns. Louis l'apprécie immédiatement et sait qu'ils auraient été de très bons amis s'ils s'étaient rencontrés plus tôt et avaient des vies qui permettaient la socialisation.
"Alors, Tomlinson, qu'est-ce qui t'a fait sauter dans le grand bain ?" Demande Lucas, s'appuyant contre la rambarde du pont. Ils avaient tous les deux fini de défaire leurs affaires (bien que ça avait pris bien plus de temps que prévu à cause de leurs chamailleries), et avaient décidé d'aller regarder l'Angleterre s'effacer dans l'horizon. Louis avale difficilement sa salive, ses yeux ne quittant jamais la seule terre qu'il a connu durant ses vingt-quatre ans d'existence.
Concernant la question légèrement posée de Stan, c'est l'image de quatre petites filles avec des yeux remplis d'espoir et un ventre affamé, de sa mère épuisée qui travaille sans relâche pour s'occuper d'eux. C'est les souvenirs de faire semblant de ne plus avoir faim pour que les plus jeunes puissent avoir une portion de plus au souper, même s'il était affamé. C'est les couvertures qu'ils doivent chercher et les nombreux trous à raccommoder dans leurs vêtements - voici les raisons pour lesquelles Louis va vers un nouveau continent, laissant sa vie derrière lui, devenant de plus en plus petite au fur et à mesure que le Titanic traverse la mer calme.
"Ma famille," répond-il simplement, lâchant enfin l'Angleterre des yeux pour regarder Lucas. "Je veux pouvoir aider ma famille."
Stan sourit, semblant sentir que Louis n'a que ça à offrir sur le sujet, avant de reporter son regard sur l'horizon. "Je vais vivre avec mes cousins," explique-t-il. "Ils ont une ferme dans l'Illinois et auraient bien besoin d'un peu d'aide à l'arrivée de l'été."
Louis hoche simplement la tête, espérant ne pas paraître méchant mais trop émotionnellement vidé pour parler. Il s'appuie sur la rambarde, regardant l'eau devenir blanche contre le paquebot. Il envoie un baiser vers la maison, s'en moquant que Stan le remarque, et laisse les vagues emmener son amour à sa mère et ses sœurs.
Le pont commence à se remplir de passagers: d'enfants tirant la main de leur mère pour pouvoir aller regarder à travers la barrière, d'hommes se présentant et serrant des mains, s'invitant à se revoir dans le Fumoir de la Troisième Classe. Les discussions sortent Louis de ses pensées, le ramenant au présent. Il se redresse et tape l'épaule de Stan, remplaçant son expression triste par un sourire jovial. "Eh bien, Lucas, qu'est-ce que tu penses de voir à quel point on peut s'attirer des problèmes avant le thé ?"
Stan sourit en retour, lâchant la rambarde pour se mettre dos à l'Angleterre une fois pour toute. "Je pense que tu trames quelque chose, Tomlinson. Je te suis."
Après une tentative ratée d'infiltration dans le garde-manger de la Troisième Classe, Louis se retrouve de nouveau seul, Lucas - homme sociable qu'il est - a rejoint d'autres passagers pour une partie de cartes dans le Fumoir. Mais ce n'est que le début de la journée et il peut encore faire beaucoup de choses. Après tout, il n'a pas vu grand chose du paquebot, hormis sa partie du pont F et la cage d'escalier.
Donc il part explorer. Il penche la tête dans quelques salles et dit bonjour aux autres passagers, essaye d'ouvrir tous les placards qu'il trouve, et tourne la poignée de plusieurs portes qui semblent intéressantes (et, malheureusement, fermées à clé). Il trouve des escaliers et les monte le plus possible, seulement pour tomber sur un portillon fermé avec une pancarte - Les passagers de Troisième Classe ne sont pas autorisés ici. Le portillon n'est pas très haut, seulement à hauteur de taille, mais le steward qui se tient de l'autre côté fait réfléchir Louis à deux fois avant d'essayer de l'escalader. Avec un soupir et un long regard sur les barres métalliques, Louis fait demi-tour et redescend les escaliers. Il n'avait jamais pensé que s'infiltrer dans les espaces dans lesquels il n'était pas censé être était facile, comme confirmé par la mésaventure du garde-manger, mais ça aurait tout de même été sympa, après tout.
Il trace sa route jusqu'au pont E, suivant le même couloir qui avait mené Stan et lui jusqu'à la Salle à Manger. Il n'y a rien de très excitant le long du couloir, juste des boiseries blanches et d'autres portes dont il n'a pas le droit d'ouvrir. Puérilement, Louis fait une grimace à une de ces portes et sursaute de surprise lorsqu'elle s'ouvre. Il y trouve un homme avec une expression stoïque malgré l'image ridicule que Louis doit présenter, appuyé contre le mur opposé avec les mains sur la poitrine.
"Bonjour, monsieur. Puis-je vous aider à trouver quelque chose ?" Demande-t-il en souriant poliment sous sa moustache.
Se recomposant, Louis retourne le sourire, s'avançant au milieu du couloir. "Non merci, je fais juste un tour," répond-il en tripotant la couture de sa chemise blanche, la couleur du tissu presque beige comparée au blanc immaculé de l'uniforme du steward.
L'employé hoche poliment la tête et souhaite une bonne journée à Louis avant de continuer sa route dans le couloir, laissant la porte se refermer derrière lui.
Enfin, presque fermer. La porte est lourde, et le pied de Louis lui fait mal où il l'a placé entre la porte et l'encadrement, mais ça a marché.
Il est à l'intérieur.
°°°
Deux bruits simultanés réveillent Harry de sa sieste: l'un est Gemma qui toque à la porte qui relie leurs deux chambres, et l'autre est le boucan que fait un clairon dans le couloir. Il n'avait même pas réalisé qu'il s'était endormi, mais apparemment sa sœur et "The Roast Beef Of Old England" avaient décidé qu'il ne se reposerait pas plus longtemps.
"J'arrive !" Dit-il toujours endormi en roulant hors du lit. Il porte toujours les mêmes vêtements depuis l'embarquement et le lit est fait comme si personne n'avait dormi devant. Un rapide coup d'œil dans le miroir au dessus de la coiffeuse révèle un homme beau mais fatigué, des marques rouges de l'oreiller parcourant sa joue gauche, des cernes sous les yeux, preuve des nombreuses nuits passées sans dormir avant le départ. Il est inquiet. Depuis que sa mère est décédée, il a pris sur lui pour rendre la vie de sa sœur aussi facile que possible, même si ça implique rendre les choses plus difficiles pour lui. Bien que... Avoir vingt-deux ans et être qualifié de "célibataire endurci" par les connaissances de son père signifie qu'il a déjà rendu les choses assez difficiles.
Prenant une profonde inspiration, Harry réprime son expression maussade, la remplaçant par un visage brave pour sa sœur. Il ouvre la porte avec un sourire ensommeillé. "Bonjour, Gems. C'est déjà l'heure du dîner ?"
Gemma a une peau de porcelaine, ses cheveux sont élégamment dégagés de son visage et coiffés avec le peigne préféré de leur mère. Elle a un sourire en coin, mais tout comme celui de Harry, il n'atteint pas ses yeux.
"Je n'arrive pas à croire que tu vas passer toute la traversée enfermé dans ta cabine," le taquine Gemma. "Tu sais le nombre de jeunes femmes éligibles qu'il y a sur le bateau ?" Cette dernière partie est dite avec une imitation pitoyable de la voix grave de leur oncle.
Harry ricane. "Oh, oui, ma chère sœur, mais comment se sentiront-elles lorsqu'elles découvriront que je serai occupé avec leur frère ?"
Ils rigolent tous les deux, l'épaisseur de l'air se dissipant. Gemma est depuis bien longtemps au courant de sur qui l'affection de son frère se porte, et ne lui a jamais montré moins d'amour pour cela. Il est tellement reconnaissant d'avoir quelqu'un avec qui il peut parler librement. Elle avait tenu sa main lorsqu'il avait dit, les larmes aux yeux, à sa mère pourquoi il n'avait jamais montré aucun intérêt dans toutes les femmes qu'elle lui avait présenté, et l'avait réconforté lorsque son père lui avait exprimé son dégoût.
Ils ont toujours été unis, et Harry serait fichu si ça changeait. C'est pourquoi, dès le moment où leur père a annoncé ses intentions concernant Gemma pour qu'elle aille trouver un mari en Amérique, Harry avait insisté pour l'accompagner. Son père n'avait pas tellement rechigné; à ses yeux, il se débarrassait à la fois d'une fille non-mariée et de la disgrâce qu'était son fils. Le prix du billet de Harry valait le coup d'échapper à la rumeur selon laquelle son célibat allait persister.
Leur rire s'atténuant, Harry regarde tristement son costume désormais froissé. "Laisse-moi un peu de temps pour me faire présentable et je t'accompagne au dîner," dit-il à sa sœur, content que le steward ait défait ses bagages pour ne pas avoir à chercher pendant des heures.
Faignant l'impatience, Gemma croise les bras, une paire de gants dans une main. "Si t'es obligé. T'as de la chance d'être le seul homme sur ce paquebot par qui je veux être accompagnée." Elle lève fièrement le menton. "Je pourrais avoir n'importe qui, tu sais."
Harry hoche solennellement la tête. "Oui, je sais." Il s'avance pour l'embrasser sur la joue. "Et ils seraient chanceux de t'avoir."
Elle rougit, clairement pas préparée au compliment, et le frappe avec les gants qu'elle doit enfiler. "Arrêtez de flirter et habillez-vous, Monsieur Styles. Votre sœur est affamée," gronde-t-elle, bien qu'il puisse voir qu'elle est plutôt touchée par ses mots.
"Oui, madame," répond-il en fermant la porte et se tournant vers la penderie. Il ne se fondra sûrement jamais parfaitement au milieu des autres passagers comme son oncle l'aimerait, mais au moins il sait s'habiller.
°°°
Derrière la porte qu'il a bloqué avec son pied, Louis se retrouve en face d'escaliers qui descendent et rien d'autre. "Tant qu'à faire," se murmure-t-il avant de descendre.
En bas, il fait de nouveau face à deux autres portes: une à sa gauche, l'autre juste en face de lui. C'est la dernière qu'il approche, un panneau sur le mur la désignant comme étant la cabine pour les Stewards de Troisième Classe. Il pose sa main sur la poignée, réfléchissant à ce qu'il pourrait se passer s'il entrait. Se retrouver 'accidentellement' dans les quartiers de l'équipage doit être une erreur fréquente, non ?
Prenant son courage à deux mains, il pousse la porte. Elle n'est pas fermée à clé et s'ouvre sans un bruit.
La chambre est assez similaire à la sienne mais à une autre échelle. Les couchettes longent les murs, et il est soulagé de voir qu'elles sont toutes vides. Elles ont cependant été utilisées récemment, à en prouver par les draps défaits et les bagages laissés sur quelques lits. Un d'entre eux a même un uniforme dessus, nettement plié et attendant d'être porté.
Louis ne peut s'empêcher de passer ses doigts sur le tissu blanc, admirant les boutons en cuivre brillants, chacun avec le logo de la White Star Line dessus. Il semble être à peu près à sa taille, peut-être un peu trop large. Il ne devrait pas, il ne devrait vraiment pas.
Mais quand est-ce que ça l'a déjà arrêté ?
Regardant autour de lui pour être sûr que la pièce est vide, Louis déboutonne rapidement sa chemise et glisse l'uniforme à l'intérieur. La bosse qu'il crée est remarquable, mais il espère que les personnes qu'il croisera entre ici et sa cabine seront trop polies pour regarder l'étrange forme sous sa chemise. Le cœur battant, chaque battement forçant plus d'adrénaline dans ses veines, Louis fait le chemin inverse dans les escaliers et, en s'assurant que la voix est libre, retourne dans la sécurité qu'est le couloir.
Lorsque Louis atteint sa chambre, il transpire et est essoufflé. Heureusement, la plupart des passagers sont au premier service du souper, et le reste s'occupe aux espaces communs. Une fois la porte fermée le protégeant d'un quelconque regard curieux, Louis retire sa chemise et récupère avec précaution son butin.
La veste est plus belle que quoi que ce soit que Louis possède, le tissu clair et propre. La double rangée de boutons a un fini doré, et il n'y a aucune trace d'usage dessus. Il pense à la montée d'escalier, à la belle musique qu'il pouvait entendre depuis les ponts les plus hauts et à tous les endroits où cet uniforme pourrait l'emmener: Le plus grand paquebot du monde vient juste de s'agrandir pour Louis Tomlinson.
Il ne perd pas de temps pour s'habiller, les doigts effleurant avec délicatesse les boutons pour les boutonner. Un d'entre eux est légèrement défait et tombe un peu plus bas que les autres, mais c'est à peine visible. La veste est grande pour lui, comme prévu, mais pas assez pour le démasquer. Le pantalon est une toute autre histoire, l'arrière est bien tendu sur la courbe de ses fesses, mais la couture tient. Comme touche finale, Louis se mouille les mains au lavabo entre leurs couchettes et met ses cheveux en arrière, copiant la façon dont il a vu quelques membres de l'équipage le faire. Ils vont sécher, évidemment, mais il espère pas avant qu'il ait eu la chance de visiter un peu.
Comporte-toi comme si tu étais fait pour être là, se dit Louis en montant les mêmes escaliers dont l'accès lui avait été refusé plus tôt. Un autre steward est au portillon, semblant assez ennuyé. Ses yeux s'illuminent quand il voit Louis. "Vous êtes mon remplaçant ?" Demande-t-il.
Louis cille rapidement des yeux, n'arrivant pas à croire la chance qu'il a aujourd'hui. "C'est moi," dit-il joyeusement, s'appuyant contre le portillon avec ce qu'il espère être une pose naturelle. Quelques passagers se promènent sur le pont, mais personne qu'il ne reconnait. Personne ne semble le reconnaître non plus.
Le steward le regarde pendant un moment, comme s'il essayait de placer Louis dans un autre contexte, mais ne s'attarde pas plus longtemps. "Il est tout à toi." Et sans un regard de plus vers lui, il disparaît dans les escaliers.
S'arrêtant assez longtemps pour écouter les pas qui approchent, Louis passe par le portillon. Il se sent mal pendant un moment, espérant que celui qui était censé surveiller n'aura pas trop de problèmes, mais l'adrénaline de ce qu'il est sur le point de faire l'empêche de s'inquiéter trop longtemps.
De l'autre côté du portillon se trouve une promenade couverte, de longues vitres offrant une vue panoramique sur l'océan. Le ciel est rosé grâce au soleil qui se rapproche de l'eau, la côte de Cherbourg s'éloignant de plus en plus. Louis n'a jamais été en France, et c'est sûrement le plus près qu'il y sera. Un phare garde la côte comme une sentinelle, la force combinée du vent et du Titanic créant des vagues qui s'écrasent à ses pieds.
Lâchant du regard le rivage, Louis se tourne pour examiner l'autre côté de la promenade. C'est aussi orné de fenêtres, celles-ci donnant sur ce qui semble être une belle bibliothèque, il y a plus de livres contenu sur une seule étagère que Louis n'en ait vu de toute sa vie. Des hommes et femmes élégamment habillés sont installés sur des canapés et des fauteuils, certains lisent, d'autres sont engagés dans des conversations animées. Il ne reste pas là longtemps pour être sûr de ne pas être surpris à regarder comme un voyeur. Il est censé être un steward, après tout; il est censé avoir déjà vu la bibliothèque à un moment donné.
Juste devant lui, une steward pousse une porte. La clé dans sa main semble lui indiquer qu'elle était fermée à clé, et c'est tout ce qu'il faut à Louis pour se diriger vers elle. Il arrive jusqu'à la porte avec de grandes enjambées et l'attrape pour la tenir ouverte pour la steward.
"Merci," dit-elle avec un accent gallois tout en regardant Louis en passant. "Je ne vous ai jamais vu avant."
La question le prend par surprise, mais il se reprend rapidement. "Oh, j'étais malade," ment-il en lui faisant un grand sourire. "Je suis resté dans ma chambre pendant un moment."
Elle semble hésitante, mais a l'air d'accepter son excuse. Et avec un au revoir poli, elle disparaît sur la promenade et Louis entre.
Il est dans un couloir, des cabines alignées de chaque côté. Les murs sont blancs et recouverts de lambris, avec des appliques illuminant les élégantes moulures. Sous ses pieds brille un linoléum blanc, reflétant la lumière, et il sait, il sait, qu'il a trouvé le chemin vers la Première Classe. Une fois qu'il a tourné à un angle, il en a la confirmation.
Si la bibliothèque lui avait semblé exquise, ce n'est rien comparé à la splendeur qui l'entoure désormais.
Devant lui se trouvait un vaste escalier, deux sets de marches se courbant pour se retrouver avant de diverger pour accéder au pont supérieur. Le bois est riche et chaud, du chêne peut-être, et accentué grâce à des ornements en fer forgé. De touches de bronze contrastent avec le fer, et une grande peinture est pendue au dessus comme une couronne. Louis n'avait jamais pensé que quelque chose comme des escaliers pouvaient être beau, et même ce mot ne peut pas assez bien décrire la splendeur de la structure devant lui.
Les hommes et femmes traversant les escaliers sont tout aussi splendides, vêtus de soie et de queue de pie en retournant dans leur cabine après le repas. Louis sait qu'il doit bouger, qu'il attire plus d'un regard curieux avec sa stupéfaction, donc il se résout à passer devant les escaliers et à aller dans un couloir.
Evidemment, un groupe de stewards en veste bleue s'approche de l'autre bout du couloir.
Les uniformes de Première Classe doivent être différents, réalise Louis, sachant que ce n'est plus qu'une question de temps avant qu'il ne soit repéré. Ils ne l'ont pas encore vu, mais Louis prend rapidement la décision d'essayer d'ouvrir la porte de la cabine la plus proche. Elle n'est pas ouverte et il prie pour que ses occupants soient au repas, il s'infiltre à l'intérieur et s'appuie contre la porte, en sécurité à l'intérieur.
"C'est généralement considéré comme poli de toquer à la porte, je crois," dit la voix d'une femme à sa droite, faisant peur à Louis qui poussa un cri lamentable.
La femme en question est assise à son bureau, le regardant avec une expression curieuse. Elle se lève, le tissu de sa robe attrapant la lumière. Elle est rosée avec des touches dorée, un complément parfait au vert et doré de sa cabine. Ses cheveux sont foncés et bien coiffés, elle a les yeux écarquillés mais pas de peur. Elle semble presque amusée par son intrusion.
Louis se rappelle qu'il vient juste d'entrer dans les quartiers d'une femme sans s'être annoncé, et il devrait sûrement s'expliquer.
"Mes plus sincères excuses, mademoiselle," dit-il en faisant une petite révérence. "J'espérais voir votre cabine pendant que vous étiez au repas, mais j'ai clairement fait une erreur. J'espère que vous pardonnerez cette maladresse."
Elle le gracie d'un minuscule sourire, mais c'en est assez pour faire partir son anxiété. "Je suppose qu'il faudra juste que vous toquiez à la porte la prochaine fois. J'étais sur le point de me préparer à aller dormir," lui dit-elle, sa voix aussi élégante que la pièce.
Rien que de penser au fait de rentrer accidentellement dans la chambre d'une femme en train de se déshabiller lui fait monter le rouge aux joues, et ça ne passe pas inaperçu au près de la jeune femme. Elle rit dans sa main. "A part ça, ma chambre me conviendra pour la soirée." Elle s'arrête comme si elle réfléchissait, penchant la tête en regardant Louis. "Mais la chambre de mon frère est la porte juste à côté. Il a peut-être besoin de quelque chose ?"
Ça ne semble pas la gêner que son uniforme diffère de celui des autres stewards de la Première Classe, ou que Louis ne soit pas venu avec du linge ou de quoi nettoyer. Cependant, il ne va pas cracher sur cette chance. "Oui, mademoiselle, j'y vais de suite." Il se tourne pour sortir rapidement, mais elle l'appelle avant même qu'il n'ouvre la porte.
"Vous pouvez passez par là, si vous voulez," propose-t-elle en pointa la porte à côté du bureau. Elle doit directement mener à la chambre de son frère. Louis laisse ses épaules se détendre presque imperceptiblement - il avait prévu de quitter sa cabine et de partir discrètement, sans jamais aller dans la chambre de son frère. Hélas, il semblerait qu'il n'ait pas le choix. Il peut seulement espérer que le frère est tout aussi dupe que sa sœur.
"Merci, mademoiselle. Bonne nuit." Louis fait de nouveau une petite révérence et passe la fameuse porte. Il jette un dernier regard vers la jeune femme qui sourit presque d'un air suffisant lorsqu'il sort de sa chambre.
La cabine est... complètement vide. Alors que celle de sa sœur était très colorée, cette chambre est décorée d'un bois et de couleurs foncés. Elle est impressionnante, et Louis devrait sortir de là avant que le frère n'arrive.
Mais il a fait tout ce chemin, et qui sait s'il pourra revenir ici, donc il se laisse un petit moment pour visiter un peu.
La chose qui attire son attention est le lit. Il est large et semble n'avoir jamais été utilisé, recouvert de coussins. La matelas seul semble être deux fois plus épais que le sien en Troisième Classe, et il a vraiment envie de voir à quel point il est confortable. Juste une minute, c'est tout, se raisonne-t-il en montant sur le lit.
Le matelas sous ses doigts est encore plus doux qu'il ne l'avait imaginé. Il doit savoir ce que ça fait d'être couché dans un lit comme celui-ci. En faisant attention à ne pas froisser les draps, il se couche, grognant presque à la façon dont il coule dans la douceur. C'est comme s'il était couché sur un nuage, et il passerait bien le reste du voyage dans ce lit avec plaisir. Un soupire de satisfaction s'échappe de ses poumons et ses paupières se ferment doucement, se permettant encore un peu de temps avant de partir.
"Ahem."
La voix est bruyante dans la pièce calme, faisant sauter Louis hors du lit et se reculer contre le mur. Il n'a même pas entendu la porte s'ouvrir, mais il y a désormais un homme qui se tient dans l'entrée, le regardant avec curiosité. Il est sans aucun doute le frère de la jeune femme, avec des traits de visage si similaires; seulement ses yeux sont plus clairs, peut-être verts. Ses cheveux bruns sont longs et bouclés autour de son magnifique visage, ses lèvres pulpeuses pressées l'une contre l'autre en attendant que Louis s'explique.
"Je, euh," commence-t-il en se dépêchant de trouver quelque chose, n'importe quoi, pour excuser ses actions. La dernière chose dont il a besoin est que son comportement soit reporté. Ils pourraient très facilement découvrir que Louis n'est pas un steward et qu'il n'a rien à faire dans une cabine de Première Classe. "Je testais juste la douceur du lit," explique-t-il en essayant de cacher le tremblement dans sa voix. "Nous avons eu des plaintes concernant des bosses, vous comprenez."
C'est un mensonge ridicule, et Louis le sait. Donc il est complètement choqué lorsque, au lieu de s'énerver, l'occupant de la cabine ouvre grand la bouche... et rigole.
°°°
Comme prévu, dîner avec son oncle est un moment assez déplaisant. Le plus vieux des Styles ne cesse d'essayer de convaincre désespérément Harry de se faire des connaissances, l'encourageant à penser à la réputation de son père. Au lieu de ça, Harry passe le repas entier à parler à Gemma, commentant les divers plats placés en face d'eux et se donnant des coups de coude pour se moquer des passagers les plus ostensiblement vêtus. Leur occupation, bien que jugée à travers des regards désapprobateurs de leur oncle, fait rire le jeune couple assit à côté d'eux dans leur serviette. Tout se passe bien jusqu'à ce que Harry rigole en buvant du champagne, l'entraînant dans une quinte de toux qui semble déranger les passagers avec le plus de manières.
"Assez, vous deux," gronde Charles à gauche de Harry, jetant sa serviette sur la table. "Je n'ai pas accepté de vous accompagner dans ce voyage pour que vous vous comportiez comme des enfants." Il fixe Harry. "Surtout toi, tu dois t'inquiéter de ce que les autres pensent de toi. A moins que tu te fiches de quelles messes-basses accompagnent ton nom, le nom de ton père, à cause de tes actions ?"
Le visage rouge et soudainement énervé, Harry repousse son pudding Waldorf à moitié mangé, et refuse de lever le regard de la nappe pour le reste du dîner. C'est peut-être puéril, mais il ne va pas se disputer avec son oncle devant autant de monde. Gemma pose une main qui se veut rassurante sur la sienne, l'encourageant à détendre son poing, mais ne l'oblige pas à rejoindre la conversation. Elle sait mieux que personne à quel point Harry s'en fiche de salir le nom de son père, et à quel point il déteste l'attention qui se porte à lui juste pour ce nom. C'est comme si le péché des grecs avait laissé une marque sur son visage et que tous ceux qui le regardent peuvent formuler un jugement sans prendre le temps d'apprendre à le connaître en tant que personne.
"Styles," un petit accent américain le sort de ses pensées. C'est le jeune homme du couple qui dîne avec eux qui s'avance sur la table qui avait été débarrassée. "Voudriez-vous me joindre pour un brandy au Fumoir ?"
Harry fait un sourire chaleureux à l'homme, Daniel Marvin, dix-huit ans et revenant de sa lune de miel avec sa femme. "J'adorerais, merci." Il se lève en aidant Gemma à se lever aussi. "Tu veux que je passe à ta cabine avant d'aller me coucher ?"
"Non, je vais juste lire un peu et aller me coucher." Elle sourit à Daniel. "Essayez de garder mon cher frère hors de tout problème, et peu importe ce que vous faites, ne jouez pas aux cartes avec lui."
Daniel rigole, ses sourcils clairs haussés en signe de curiosité. "Oh ? Il est fort ?"
Les deux Styles rigolent. "Non, il est horrible à ça. Il ne pourrait même pas bluffer pour sauver sa vie," explique Gemma en souriant à son frère. "Je ne lui permets pas de souffrir d'un tel embarras, du moins pas si je peux l'éviter."
"Ça suffit," intervient Harry en fronçant les sourcils, bien qu'il n'y ait pas vraiment de trace de honte dans son ton. "Elle ne sait pas de quoi elle parle, Marvin," dit-il en prenant le bras de Gemma pour la mener vers la porte. "Allons prendre ce brandy, puis nous verrons pour les cartes."
Il s'avère que c'est une fin de soirée plutôt plaisante comparée au début. Daniel est de bonne compagnie et encore meilleur aux cartes, mais il ne se vante pas quand il bat Harry manche après manche. Le brandy est excellent, et même en sachant que son oncle est quelque part dans la même pièce avec sûrement un homme d'affaire ne change en rien sa bonne humeur.
Lorsque Harry souhaite une bonne soirée à Daniel et retourne au pont C, toute trace d'irritation du repas a disparu. Il rentre joyeusement, marmonnant les bribes de musique qu'il peut entendre monter depuis les Grands Escaliers depuis la Salle de Réception plus bas. Il se promet de prendre le temps d'aller s'asseoir là-bas demain et d'écouter correctement le groupe, étant quelqu'un qui apprécie la bonne musique. Harry fait lui-même du piano, s'invitant souvent aux leçons de Gemma (et pour être franc, il est bien plus fort qu'elle. Il a même déjà rêvé de jouer professionnellement, une fois, mais son père ne l'aurait jamais laissé faire ça. Qui sait, peut-être que l'Amérique le laissera poursuivre ses rêves sans que son père ne surveille chacun de ses faits et gestes. Mais il en doute, voyant à quel point son oncle est content de remplir ce rôle.
Il arrive à la porte de sa cabine juste après vingt heures trente. Le Titanic fait désormais chemin vers Queenstown, la dernière escale avant New York. C'est difficile à croire que dans quelques jours, il sera à l'autre bout de l'océan Atlantique. C'est exaltant et intimidant à la fois. En ouvrant la porte, il ne peut pas s'empêcher d'essayer d'imaginer ce que la vie lui réserve.
Mais ce à quoi il ne s'attend pas, c'est de trouver un étranger dans son lit.
"Ahem," il s'éclaircit la gorge, espérant annoncer sa présence sans trop effrayer l'homme.
L'intrus sort rapidement de son lit, se plaquant contre le mur et le regardant avec de grands yeux apeurés. Son torse se gonfle et se dégonfle rapidement sous le tissu de son uniforme. Il semble être un membre de l'équipage, mais il n'est pas habillé de la même façon que Wheeler et les autres stewards que Harry a vu jusqu'à présent.
"Je, euh, je testais juste la douceur du lit," dit doucement l'homme, nerveux. "Nous avons eu des plaintes concernant des bosses, vous comprenez."
Et, eh bien, ça doit sûrement être la chose la plus ridicule que Harry ait entendu depuis un bon moment. D'un côté, c'est sûrement un mensonge, le steward est gêné d'avoir été surpris en train de se reposer pendant son service. D'un autre côté, il ne serait pas non plus surpris si certains passagers se sont déjà plains des lits, et son oncle serait le premier sur la liste.
Donc il rigole. Fort, un rire qui prend tout son corps, le brandy le chauffant encore. Le steward semble étonné, mais se détend rapidement et se joint à lui avec un petit rire hésitant.
"Ne vous inquiétez pas, je ne dirai rien," dit Harry, une fois remis de son rire. "J'imagine que vous avez eu une longue journée, passée à attendre les gens."
L'homme fait un sourire reconnaissant, des petites rides se formant aux coins de ses yeux. Il semble familier, mais Harry n'a pas la moindre idée d'où il pourrait le connaitre. "Merci, monsieur," dit-il honnêtement, se décollant enfin du mur.
Il est plutôt attirant, décide-t-il en le regardant correctement. Ses cheveux caramel retombent sur son front, ayant clairement été mis en arrière plus tôt dans la journée. Il est fin, ses pommettes sont proéminentes sous sa peau bronzée, et la veste qu'il porte semble un poil trop grande pour lui. Il est plus petit que Harry mais se tient fièrement, comme s'il était habitué à faire front.
Pour dire la vérité, il est la personne la plus intéressante que Harry ait rencontrée sur ce paquebot.
"Je suis Harry Styles," dit-il en s'avançant d'un pas vers son "invité" en tendant la main.
Semblant hésitant, le steward serre brièvement la main offerte avant de se reculer. "Tomlinson, monsieur," dit-il, sans rien de plus.
Sentant le malaise de l'homme et content d'avoir un nom, Harry penche la tête et s'écarte. "C'est un plaisir de vous rencontrer, monsieur Tomlinson," dit-il sincèrement.
Tomlinson rougit mais ne répond pas, faisant juste une révérence bizarre avant de se diriger rapidement vers la porte. Harry ne peut s'empêcher de remarquer la façon dont le pantalon de l'uniforme épouse les formes de Tomlinson, son esprit accumulant des images qui provoqueraient sûrement une crise cardiaque à son oncle.
L'homme est presque sorti lorsque, encouragé par le brandy, Harry l'arrête. "Oh, et Tomlinson," dit-il, attendant que le steward le regarde pour continuer, "vous êtes le bienvenu à tester la douceur de mon lit quand vous le souhaitez."
Tomlinson ne répond pas, il étudie simplement le visage de Harry avec des yeux bleus clairs avant de sortir dans le couloir.
Harry ne peut s'empêcher de penser à son visiteur en se mettant en pyjama, et lorsqu'il se glisse enfin sous les couvertures, il profite de la chaleur qu'il reste du corps de Tomlinson. Il s'endort en se sentant moins seul que depuis un bon moment.
°°°
De retour en sécurité sur le pont F, Louis se cache dans un coin, récupérant son souffle de sa course depuis la Première Classe. L'uniforme a rendu le retour simple, mais la peur d'être surpris à n'importe quel moment fait battre rapidement son cœur contre sa cage thoracique, comme un oiseau voulant désespérément s'échapper de sa cage.
Mais chaque seconde en a valu la peine. Même s'il est désormais où il doit être, Louis a l'impression de toujours porter cette élégance avec lui, imprégnée dans sa peau comme le soleil en été. Ce sentiment fait presque sautiller Louis en retournant dans sa cabine après s'être assez calmé. Il se demande ce que Stan a fait pour s'occuper, et si la dernière couchette de sa chambre a trouvé de nouvel occupant.
Il s'arrête juste à sa porte et regarde son costume. Bien que Stan semble être le genre de personne à toujours vouloir s'amuser, il n'est pas entièrement sûr de comment son ami va réagir à l'histoire de Louis. Juste pour être sûr, il retire la veste dérobée et la glisse sous son bras, essayant de ne pas trop paraître suspicieux. Après une profonde inspiration, il ouvre la porte de la cabine et entre.
A sa surprise, Stan est assis sur sa couchette, mais il n'est pas la seule personne dans la pièce. Un nouvel homme, qui semble être du même âge qu'eux, occupe désormais la couchette restante du dessous, le duo discutant aimablement. Ils suspendent leur conversation à l'arrivée de Louis.
"Tomlinson !" S'exclame Stan, le visage rouge. C'est évident qu'il est allé visiter le bar récemment. "On t'a cherché pendant le repas. T'étais passé où ?"
S'appuyant contre son lit, Louis sort la veste de sous son bras et la pose sur le lit. "Oh, j'ai été explorer un peu plus loin." Il fait un signe de tête vers le nouvel arrivant. "Je vois que t'as aussi trouvé de la compagnie."
"Mince, où sont passées mes manières ?" Dit Stan en se tapant le genou. "Louis Tomlinson, voici Zayn Malik. Il a embarqué à Cherbourg."
Louis porte toute son attention sur Malik, regardant son visage pour la première fois. "Le plaisir est pour moi, Tomlinson," dit-il avec un accent qui n'est décidément pas français, à la grande surprise de Louis. Zayn doit sentir qu'il pense, car il commence à s'expliquer: "Je viens d'Angleterre, originellement. Mes parents ont déménagé en France quand j'étais plus jeune. Mon père voulait vivre sur la côte pour trouver du travail. C'est un matelot," dit-il. "Un navigateur d'Inde," clarifie-t-il, voyant l'expression confuse sur les visages des deux autres hommes.
"C'est ce qui t'a fait vouloir prendre la mer, alors ?" Demande jovialement Louis, grimpant dans sa couchette et regardant ses compagnons par dessus le rebord.
Zayn secoue la tête. "Non, j'ai jamais eu la passion de la navigation comme mon père. Mais ma mère a de la famille à Montréal, donc je vais rester avec eux et chercher du travail."
"Tu es en bonne compagnie, alors. Il semblerait qu'on cherche tous un futur." Louis roule sur le dos et se met à l'aise. Ce matelas est bien mieux que celui sur lequel il dort à la maison, mais ce n'est rien comparé au lit en Première Classe. "Je crois que je vais me coucher, les garçons. Ça a été une journée assez excitante."
Stan et Zayn lui disent tous les deux bonne nuit, aucun des hommes ne restant éveillé bien longtemps après. Bien qu'il est le premier à essayer de dormir, c'est Louis qui reste éveillé tandis que des petits ronflements emplissent la cabine. Il n'arrive pas à se sortir ce Styles de la tête, une paire d'yeux verts brûlant l'intérieur de ses paupières. Il n'arrive pas à mettre le doigt sur pourquoi l'homme envahit son cerveau, surtout qu'ils ne se reverront jamais, mais il y a quelque chose en Harry Styles qui le fait souhaiter désespérément que peut-être, juste peut-être, leurs chemins se recroiseront une nouvelle fois.
Il s'endort en méditant sur des murs en soie et des meubles sculptés, et, même s'il ne sait pas pourquoi, un homme dont la contenance est bien plus exquise qu'il ne pensait possible.
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Vous avez peut-être remarqués que Louis pouvait facilement passer au-dessus des portillons alors que dans le film ils vont du sol au plafond. Ça s'appelle des portillons Bostwick et ils étaient placés à seulement deux endroits sur le paquebot d'après les plans. Il n'y avait pas de chemin directe de la Troisième à la Première Classe, la plupart étant bloqués par des portes fermées à clé ou des portillons avec des gardes. En fait, la route que prend Louis est celle qu'on pris les stewards pour faire passer les passagers de Troisième Classe sur le pont pendant le naufrage.
Références:
Cabine de Gemma:
Cabine de Harry:
Cabine de Louis:
Le joueur de clairon du Titanic s'appelait Percy William Fletcher. Il jouait "The Roast Beef of Old England" sur chaque pont pendant chaque repas.
Robe rose de Gemma:
Uniforme des stewards de Troisième Classe:
Uniforme des stewards de Première Classe:
Daniel et Mary Marvin:
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Hello matelots (et la rime c'est cadeau, et ça rime encore c'est beau, et encore, je suis une poète dans l'âme)
Bon je vous retrouve avec un truc carrément différent de ce que vous avez l'habitude de voir ici, mais le changement c'est maintenant !
Je l'ai déjà dit mais j'ai vraiment eu un coup de coeur pour cette fiction et je m'éclate trop à la traduire donc j'espère qu'elle vous plaira tout autant qu'elle m'a plu !
#tradlarry
Noemie xx
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