Épilogue : 10 février 2018
C'était un sacré challenge. Une pure folie même. Il y a eu des nuits sans sommeil, des semaines sans un seul jour de repos, mais nous y tenions vraiment, c'était une évidence pour nous deux. Il fallait absolument que tout soit prêt à cette date. Pour qu'elle ne soit plus celle de l'abandon et du désespoir, mais celle de l'ouverture de notre librairie, de la concrétisation de notre plus beau projet.
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Depuis que Tom partage à nouveau mon lit et mes nuits, les insomnies ont disparu. Malgré le stress inhérent au projet, je dors d'un sommeil juste, profond. Le sommeil d'une personne qui se sent enfin en sécurité.
Nos nuits blanches ne sont dues qu'aux livres que l'on enchaîne ensemble pour être au fait de l'actualité littéraire. Assis chacun à une extrémité de son canapé neuf, nos jambes étendues dans la direction de l'autre, nos pieds se cherchent et se caressent pour ne jamais perdre le contact. Nous feuilletons, lisons, potassons et faisons des fiches, échangeons notre avis et nos impressions. Je m'interromps parfois, pour le regarder, concentré sur sa lecture, lunettes sur son nez droit, si beau.
Parfois, l'épuisement l'emporte et l'un de nous s'endort sur son bouquin. Il me porte alors jusqu'à notre lit, ou je le réveille à coup de baisers et de caresses. Et toujours, il sourit avant d'ouvrir les yeux.
Et puis, aussi, nous rattrapons le temps perdu. Des soirées et des nuits entières à nous retrouver. Complices et intimes comme au premier jour. Amis, amants, amoureux. Nous avons tout. A nouveau. Enfin.
Nous l'avons annoncé aux 3C ainsi qu'à Solène et Nico deux semaines après notre première nuit ensemble, au cours d'un dîner chez Thomas. Tout le monde était évidemment fou de joie, et personne n'a omis de nous signaler que « c'était sûr que ça allait finir comme ça. ». A priori, il n'y a que pour nous que ça n'allait pas de soi.
Ma mère a compris toute seule quelques jours plus tard. Comme Thomas, il lui suffit de me regarder pour savoir. De toute façon, je suis si heureuse que je n'avais pas à cœur de lui cacher la vérité. Quoi qu'elle ait pu penser, elle a bien réagi. J'espère que si j'ai des enfants un jour je serai une aussi bonne maman que la mienne.
En revanche, je n'ai rien pu dire à mon père. Ça viendra, plus tard, quand je serai prête.
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Tom a signé le compromis de vente le sept décembre. Dix ans jours pour jours après notre premier baiser. Moi qui n'ai jamais cru au destin, j'y ai vu un signe. C'est là que nous avons décidé, ensemble, d'ouvrir le dix février, dussions-nous y consacrer tout notre temps libre. C'est d'ailleurs ce qu'on a fait. Il a fallu ensuite attendre le délai légal de rétractation, et un nouveau rendez-vous chez le notaire, nous trépignions d'impatience mais n'avions pas d'autre choix que de patienter, dans les starting-blocks. Tout était prêt. Toutes les commandes passées, l'entreprise créée, inscrite à la CCI. Il ne nous manquait que l'endroit.
Au travail, j'étais dans une période très dense. Je travaillais aussi le dimanche comme chaque mois de décembre, et même un jeudi, mon jour de congé, pour remplacer Rihab qui était malade. Après les fêtes, les soldes ont suivi.
Enfin, le dix-neuf janvier, nous avons eu les clefs.
Thomas avait engagé Grégoire, le frère de Gaël, pour s'occuper des travaux d'aménagement et de décoration. Il nous a suppliés de décaler la date d'ouverture, jurant qu'on n'y arriverait pas. Mais Tom a insisté, a allongé la monnaie et nous avons constaté qu'avec de l'argent, tout est possible, tout est réalisable.
Le dimanche et le lundi suivant, j'ai dû me rendre à Paris avec David et les autres responsables de boutique, au Who's Next, le salon international du vêtement et des accessoires. Malgré mon prochain départ, mon patron avait insisté que ce soit moi qui choisisse les prochaines collections, puisque Mathilde, qui prendrait ma place, n'était pas encore revenue.
Ça ne m'arrangeait pas du tout, évidemment, mais je ne pouvais pas refuser. Je m'y suis donc rendue pour la dernière fois. J'avais un peu mal au cœur en sélectionnant ces étoffes, ces matières, ces couleurs que je ne verrai pas arriver, mais pas de regret. Je pensais surtout que je serai de retour au même endroit, deux mois plus tard, pour le salon du livre.
En contrepartie, j'ai posé les jours de congé qu'il me restait pour raccourcir mon préavis et j'ai effectué mon dernier jour de travail le samedi précédent l'ouverture de la librairie, le trois février. Nous avons fêté mon départ au champagne, avec David et mes collègues et j'ai rendu mes clefs les larmes aux yeux, dit au revoir à mon magasin et à tous ces gens que j'appréciais en pleurant franchement. Une autre page de ma vie se tournait, mais malgré mes larmes, j'étais immensément heureuse.
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Notre plan était défini : une petite partie salon de thé, avec des gâteaux maison que Tom confectionnerait tous les jours dans un premier temps, un coin lecture avec de gros coussins moelleux pour les enfants et des poufs pour les adultes, deux ordinateurs connectés à internet en libre-service pour les clients. Concernant le reste, un grand rayon jeunesse et un consacré aux livres de voyages, puis du plus traditionnel : policiers et thrillers, littérature étrangère, développement personnel, livres de poche, nouveautés.
Les murs étaient blancs, et chaque corner peint d'une couleur pastel différente qui donnait, avec le parquet de bois clair, l'impression de calme et de sérénité essentielle à l'endroit. La boutique dont j'avais toujours rêvé.
Capucine viendrait une fois par mois, le samedi matin, pour faire des lectures offertes aux enfants et j'avais prévu d'organiser une nocturne, un mardi sur deux pour proposer moi-même des lectures à voix haute aux adultes. Si tout se passait bien et que j'arrivais à fidéliser une clientèle, chacun pourrait alors partager un livre aimé et en lire un passage, comme une sorte de club de lecture.
Nous proposerions aussi une formule anniversaire pour enfant le mercredi après-midi, contes, goûter et travaux manuels. Restait à savoir comment j'arriverais à supporter huit gosses ensemble...
Je n'avais pas la volonté de devenir riche, ou plutôt de faire gagner beaucoup d'argent à Tom. Je voulais seulement faire plaisir. Aux autres et à moi-même. Créer un endroit où on se sente bien.
Après que nous nous soyons mis d'accord sur les axes de vente de la boutique et la décoration, il a fallu décider de mes conditions d'embauche. Malgré notre amour sans nuage, Tom y tenait et j'ai accepté. J'ai signé un CDI avec un salaire à peine supérieur à celui que je gagnais avant, les meilleurs mois. Je n'aurais pas toléré davantage.
Nous avons établi les horaires : fermé le dimanche –pour le repos— et le lundi –pour la paperasse-, ouvert tous les autres jours. Thomas me remplacerait de temps en temps pour que j'aie un jour de congé supplémentaire et m'épaulerait le samedi en cas d'affluence.
Nous avons fêté la fin de chantier le jeudi soir très tard, trente-six heures avant l'ouverture. On était prêts. On n'avait plus qu'à espérer que ça marche.
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Il y a huit ans jour pour jour, j'ai vécu le jour le plus douloureux de ma vie. L'impression de tomber au fond d'un puits, la peur de ne jamais me relever.
Ce samedi dix février 2018, mon cœur déborde de joie et d'allégresse. Ni Tom ni moi n'avons dormi de la nuit, excités, impatients, un peu angoissés aussi.
Mes vieux démons refont surface alors que nous buvons un café, blottis sur mon canapé, avant d'aller nous préparer. Je ne peux rien avaler de solide, la gorge et le ventre noués. Comme toujours, mon amoureux est plus détendu, confiant. Je finis par poser ma tasse.
— Tom, mais si les gens n'aiment pas la déco ? Et si je n'arrive pas à m'en sortir avec le monde ? Et s'il n'y a personne surtout, tu te rends compte ? Il fait tellement froid... et puis les passants n'auront peut-être pas envie d'entrer...
Tom pose son index sur ma bouche pour me faire taire.
— Pas de « si » babe.
— Oui, mais si...
Il remplace son doigt par un tendre baiser, et je ne peux rien ajouter.
Il ne m'appelle plus « mon ange » comme avant. Il dit que « démon » serait plus adapté. Ça me fait rire, ce n'est pas grave. L'ange appartient au passé.
Quand nous quittons mon appartement, peu avant huit heures, il fait moins trois degrés. Le vent est glacial mais Tom retire ses gants pour me prendre la main, comme si son énergie positive pouvait circuler ainsi entre nos deux corps. Il m'adresse un sourire lumineux et cela fonctionne. J'ai l'impression qu'avec lui, plus rien ne pourra m'arriver. Et cette sensation vaut bien d'avoir les mains glacées.
Ma mère, Caro et Thomas ont préparé des gâteaux car nous en proposerons gratuitement aujourd'hui, avec une boisson chaude ou un jus de fruit. Nous avons prévu d'ouvrir exceptionnellement une heure plus tôt, à neuf heures. Charlotte viendra nous prêter main forte, notamment pour s'occuper de la partie salon de thé, et ma famille, tous nos amis ont promis qu'ils passeraient. J'espère qu'ils tiendront leur promesse et que la boutique pleine donnera envie aux passants d'entrer à leur tour.
Je marque un temps d'arrêt quand nous arrivons devant le magasin. Devant notre librairie. Je vérifie les vitrines, propres et bien agencée, lève les yeux sur l'enseigne neuve. « Rêve de papier ». Je serre plus fort la main de mon compagnon, et nous entrons.
Nous avons passé la journée d'hier à faire le ménage et la mise en place, tout est impeccable. Tom allume la machine à café et coupe les gâteaux déposés la veille tandis que j'installe le fond de caisse, puis il est neuf heures, il est temps d'ouvrir.
Mon cœur bat à tout rompre quand je déverrouille la porte de l'intérieur. J'ai le temps de m'angoisser car la ville est encore déserte à cette heure-ci et nous ne sommes pas dans une des artères principales. A neuf heures quinze, je commence à paniquer. Thomas sourit, me rassure. Il est installé sur un des poufs et feuillette un carnet de voyage en patientant. Mais moi, je ne peux pas rester en place. Je trompe l'anxiété en déplaçant les objets, les livres, les plateaux de gâteaux.
Enfin, à neuf heures vingt-cinq, j'entends le grelot de la porte tinter. Je ressens un grand vide en moi, une sensation de vertige mais je me reprends et plaque un grand sourire sur mon visage avant de me retourner vers la femme d'une cinquantaine d'années qui vient d'entrer. Immédiatement, je retrouve confiance en moi. Vendre, je sais. Etre présente pour conseiller, sans étouffer le client, c'est mon métier.
La femme m'interroge, elle ne connaissait pas la boutique. Je lui annonce qu'elle est la toute première cliente, et que je lui offre par conséquent le livre de son choix. Elle accepte volontiers un thé, refuse la part de tarte que je lui propose et s'attarde un moment dans la boutique. Nous discutons, elle apprécie la décoration, le choix des ouvrages. Elle se dirige vers le rayon voyage et c'est Thomas qui prend le relais. Je vois qu'elle est tout de suite charmée par ce beau jeune homme aux yeux bleus et à la fossette qui danse. Elle repart une demi-heure plus tard, les bras chargés, promettant qu'elle reviendra et qu'elle nous fera une bonne publicité.
Charlotte et Capucine arrivent sur ces entrefaits avec les enfants, et apportent un peu de vie à la boutique. Le centre-ville commence à s'animer, et des gens, de retour du marché, passent devant la boutique. Certains s'attardent devant la vitrine, regardent avec curiosité à l'intérieur. Moi, je fais le sourire de la plus belle vache du salon de l'agriculture, mais ça ne suffit pas à les faire entrer.
— Calme, me souffle Thomas, ça va venir.
Il a raison. Peu après dix heures trente, le monde commence enfin à affluer. Les commerçants de la rue, avec lesquels nous avons sympathisé lors de ces dernières semaines, nous envoient leurs clients, des passants, des curieux qui avaient repérés l'ouverture prochaine, les fans de petites échoppes indépendantes.
Comme je le pensais, la foule attire la foule, à moins que ce ne soit la promesse d'une boisson chaude gratuite par ce froid polaire. Quoiqu'il en soit, la boutique est pleine. Nous sommes vite submergés. Charlotte enchaîne les expressos, thés et cafés longs derrière le petit bar et Capucine largue ses enfants sur les coussins pour nous prêter main forte.
La cloche tinte sans arrêter et de nouveaux clients pénètrent à la file dans la boutique. C'est lorsqu'un groupe sort que je l'aperçois, debout dans la rue piétonne, à un mètre ou deux de la vitrine. Il regarde à l'intérieur et nos regards se croisent, j'esquisse un sourire auquel il répond, mais ses yeux dorés sont tristes. Je lui fais signe de me rejoindre mais il secoue la tête et, du menton, me désigne Thomas, en grande discussion avec un couple âgé près de moi. Il ne l'a jamais rencontré, mais il l'a reconnu. Je me détourne un instant, le temps de saluer deux femmes qui entrent, mais quand je regarde à nouveau vers la rue, Serge a disparu.
Vers midi, le monde s'espace et nous soufflons. Thibaut rejoint sa femme, ils ont prévu de déjeuner en ville en famille avant d'emmener les enfants au cinéma et de revenir en fin de journée. Alors qu'ils s'éloignent tous les quatre, Thomas va nous chercher des sandwiches et nous déjeunons avec Charlotte, à l'abri des regards à une des petites tables du salon de thé. Mes anciennes collègues profitent également de leur pause pour passer à tour de rôle me faire un petit coucou.
Le rythme s'accélère à nouveau vers quatorze heures, et je ne vois pas l'après-midi défiler. J'ai à peine le temps de saluer toutes les personnes passées nous soutenir. Ma mère, venue avec une de mes tantes, Caro bien sûr avec Clément, Ludo et son épouse Aurélie, Nico en famille, Gaël et Grégoire, les copains de Thomas, même Kader. Sarah doit arriver en fin de journée avec une surprise. Tout le monde est venu, tout le monde, sauf mon père.
Quand je regarde ma montre, il est dix-huit heures. Les clients commencent à se faire plus rares, l'excitation retombe. Il ne reste plus qu'un type qui semble intéressé davantage par les beaux yeux verts de Charlotte que par les ouvrages que nous proposons.
Thomas profite de ce moment de calme pour m'entrainer à l'écart et me prendre dans ses bras.
— Ça y est, on l'a fait... murmure-t-il, les yeux brillants.
— Oui... et ça s'est bien passé. Je suis tellement heureuse, réponds-je en posant ma tête sur son épaule.
— Mais ?
— Il n'y a pas de « mais ». C'était une journée merveilleuse.
Tom se recule et me force à relever mon menton. Il me regarde sérieusement.
— Il va venir, Lou. Laisse-lui un peu de temps. Il n'a sûrement pas envie de me croiser... Il viendra un jour où je ne serai pas là, tu vas voir.
Je hoche la tête un peu tristement et me serre contre lui pour l'embrasser. La cloche tinte à nouveau et met fin à ce beau moment. Nous rejoignons le magasin pour tomber nez à nez avec Sarah, accompagnée. Sa surprise a les yeux bleus et les joues rondes de mon amoureux, je n'ai pas le temps d'ouvrir la bouche qu'il se précipite sur elle pour la soulever dans ses bras, fou de joie.
— Emma !
— Bah, et moi, on me dit pas bonjour ? lance la cadette, avec un clin d'œil.
Je l'embrasse et me dirige ensuite vers Emma que son frère a fini par lâcher. Elle se souvient à peine de moi, mais ça n'a aucune importance. Elle est adulte maintenant, une jolie jeune femme, avec un style bien plus doux que celui de sa sœur. Elle est de passage pour quelques jours, avant de repartir pour Chicago. C'est une belle image que celle de cette fratrie réunie. Nous bavardons quelques instants, puis je les laisse entre eux, à leurs retrouvailles.
— Lou, je peux te laisser une petite demi-heure ? Je vais juste montrer mon appart à Emma et récupérer le champ', d'acc ?
— Bien sûr, il n'y a presque plus personne. Et Charlie est là. A tout à l'heure.
Il m'entraîne en réserve le temps d'un tendre baiser puis s'éloigne avec ses sœurs, heureux.
Le mec qui tenait la jambe à mon amie finit par se lever et il achète quand même un livre de poche « pour dire que ». C'est surtout une technique pour lui faire noter son numéro à l'intérieur, mais elle refuse avec un sourire, ferme et poli.
Un nouveau client entre, avec ses deux jeunes enfants, puis un autre. Je suis occupée avec le premier, mais je me retourne quand même pour le saluer avant de me rendre disponible. C'est mon papa.
Charlotte, qui l'a vu entrer, se précipite vers la petite famille pour me remplacer et je m'approche alors timidement de mon père resté bloqué devant la porte.
— Bonjour, Papoune.
— Ma chérie, c'est magnifique.
Il m'embrasse et fait quelques pas en regardant autour de lui. Je vois l'admiration dans ses yeux, j'en suis toute retournée.
Pourtant, quand il reprend, sa voix est brusque.
— Il n'est pas là, l'autre ?
Je secoue la tête.
— Non, il est repassé chez lui avec ses sœurs, mais il va revenir.
— Je vais l'attendre si tu veux bien.
Je reste muette, je ne vois pas trop ce que je pourrais répondre. Je le laisse errer à travers les étalages et m'en retourne auprès de l'homme avec les enfants. Je tombe à point. Charlotte, prof de lettres et grande lectrice également, l'a aidé à choisir un très bon polar scandinave, mais au rayon littérature de jeunesse, elle sèche. Moi je me suis documentée, et je déniche un album japonais au fusain pour sa fille ainée, et une histoire du célèbre « Simon » de Stéphanie Blake pour le petit frère.
Ils quittent la boutique enchantés, nous promettant de revenir vite.
Je rejoins mon père qui a terminé sa tournée d'inspection.
— Beau boulot, ma Loulou. C'est vraiment un bel endroit, à ton image. Je suis très fier de toi.
— Merci Papoune. Moi aussi, je suis très heureuse et vraiment fière, tu sais.
— Tu peux. C'est formidable ce que vous avez fait.
Je note mentalement l'utilisation de la deuxième personne du pluriel, mais ne rebondis pas dessus.
Il est dix-neuf heures, mais je ne ferme pas. Les copains vont revenir, nous avons prévu de boire une coupe pour fêter l'ouverture, autant en profiter pour laisser ouvert au cas où de derniers clients voudraient découvrir l'endroit.
J'espère juste que Thomas ne va pas tarder, je n'ai pas envie que l'affrontement inévitable avec mon père tourne au règlement de comptes devant témoins.
Heureusement, il fait vite, et entre, hilare, dans notre boutique, suivi de ses sœurs.
— Hey babe, on est là. J'ai pris deux bouteilles, histoire qu'on... Oh. Bonsoir, Monsieur Morin.
L'ambiance se refroidit immédiatement.
Charlotte entraine prestement Sarah et Emma dans la partie bar pour un verre de jus de fruit et nous restons tous les trois à l'avant du magasin. Je sors vite les clefs et verrouille la porte.
— Thomas, prononce mon père en s'avançant vers l'homme qui partage ma vie.
Comme au baptême l'an dernier, mon amoureux soutient son regard, mais cette fois, il n'avance pas sa main. C'est mon père qui s'en charge, comme un traité de paix.
— Merci, dit-il simplement, lorsque Thomas la serre. Merci d'avoir fait ça pour Louise. C'est un merveilleux cadeau, et grâce à cette librairie, vous avez réussi à lui rendre son sourire.
— C'était la moindre des choses, Monsieur.
— Vous n'allez pas la laisser tomber maintenant, hein ?
Ben voyons. Traité de paix, tu parles, il ne peut pas s'en empêcher.
Thomas me jette un regard hésitant, puis, avant que je ne comprenne et que je puisse l'arrêter, tourne à nouveau la tête vers mon père.
— Monsieur Morin, je suis très amoureux de votre fille. Je ne la laisserai plus jamais tomber.
Mon père accuse le coup, puis hoche la tête, tel un roc finalement inébranlable.
— Parfait, Thomas. C'est ce que je voulais entendre.
Je laisse mon amoureux à sa surprise et fonce dans les bras de mon papa qui m'étreint. Quand je rouvre les yeux, Tom a disparu, nous laissant entre père et fille.
— J'aurais voulu te le dire moi-même, mais j'avais tellement peur que tu mettes à nouveau en colère.
— Quel vieil irascible je suis devenu, soupire-t-il. Tu ne devrais pas avoir peur de confier ce genre de chose à ton pauvre papa. Il faut que je me calme. Enfin, je ne peux pas dire que je sois surpris. Tu es sûre de toi, ma Loulou ?
— Oui. Tu sais, Papoune, « soigneur » est l'anagramme de « guérison ». Je pense qu'il n'y a que lui qui pouvait...
— Je sais. Je crois que j'ai toujours su.
— Tu n'es pas fâché, alors ?
— Comment pourrais-je l'être quand je te vois si rayonnante ?
Je l'embrasse, et change de sujet avant que les larmes ne se joignent à nous. Assez d'émotions pour aujourd'hui.
— Tu restes boire un verre avec nous ? Les autres ne vont pas tarder.
— Non, merci ma chérie. Je vous laisse entre jeunes, et ta mère m'attend pour manger.
Il me serre encore une fois contre lui, et s'avance pour adresse un salut aux autres. Je laisse Thomas le raccompagner à la porte et la grande bourrade que mon père colle dans son dos ne m'échappe pas. Elle signifie « T'as pas intérêt à déconner à nouveau, gamin. ». Ça me plait. Je suis heureuse d'avoir un papa qui prend soin de moi.
Caro et Clément, Nico et Solène, Capucine et Thibaut nous rejoignent ensuite, sans les enfants cette fois. Mes deux belles-sœurs en froid, Sarah et Solène font même l'effort de s'adresser la parole, pour la première fois depuis des années. Il y a des journées comme ça, magiques. Charlotte ouvre les bouteilles de champagne et sert une coupe à tout le monde.
— Un discours ! Un discours ! scandent en chœur Clément et Thibaut.
Thomas lève les paumes en me regardant, se désolidarisant totalement. Je n'aime pas être au centre de l'attention mais ces gens sont mes amis et il se trouve que j'ai justement quelque chose à leur dire à chacun.
Je me racle la gorge, cherche mes mots pendant que le silence se fait.
— Alors... tout d'abord merci à vous tous de vous être joins à nous pour fêter l'ouverture de notre plus beau projet...
— Bah c'est parce qu'il y avait du champagne, brame Clément avant de se prendre du coup de coude dans les côtes de la part de sa compagne.
Je pouffe et poursuis :
— Comme vous le savez, devenir libraire était mon plus grand rêve, ou l'un de mes plus grands rêves, ajouté-je avec un tendre clin d'œil en direction de Tom. Et si ce rêve s'est réalisé aujourd'hui, c'est grâce à vous tous.
— Moi, j'y suis pour rien, fait Emma d'une voix fluette sous laquelle perce un léger accent.
— Nous non plus, note Thibaut en désignant son compère.
— Détrompez-vous. Chacun à votre manière, par le soutien que vous avez apporté à Tom ou à moi, votre appui, votre écoute, vos conseils... Si on en est là aujourd'hui, vous y êtes tous pour quelque chose. Et oui, même vous Clem et Thibault, parce que l'amour que vous portez chacun à votre femme leur permettent d'être heureuses et disponibles ensuite pour son amie casse-bonbons.
— Alors ça c'est bien dit !
— Mais je voulais remercier plus particulièrement mes trois amies, mes 3C, pour leur soutien indéfectible. Pour ne jamais m'avoir tenu rigueur de mon caractère horrible, pour être restées à mes côtés tout du long de ces années difficiles pour moi. Pour m'avoir secourue quand je ne voulais pas l'être. Rassurez-vous les filles, le meilleur est à venir. Charlotte, toi, spécialement, tu n'as jamais mâché tes mots, et si ça a été dur parfois, je comprends que c'était pour mon bien, et sans toi, je n'aurais peut-être jamais pris conscience de l'importance que Tom avait à mes yeux. Caro, merci d'avoir récupérer le bracelet à la poubelle et d'avoir eu assez confiance en l'avenir pour espérer qu'un jour je voudrais le reporter. Merci Capou, pour ta patience d'ange, pour ne m'avoir jamais jugée. Merci à toi Solène, de penser comme moi, mais de le dire tout haut, ça a été un élément décisif dans la dispute qui nous a réuni. Et... Sarah, merci à toi aussi d'avoir bu comme un trou et ronflé ensuite, parce que tu ne le sais pas, mais en novembre, à la crémaillère de ton frère, je me suis faufilée dans son lit !
Je profite des rire et des exclamations de surprise pour me tourner vers celui qui illumine ma vie.
— Et toi Tom, toi, je n'aurais jamais assez de mots pour te remercier de tout ce que tu as fait pour moi, et pour nous. Tu m'as rendu... Tu me rends immensément heureuse, comme je n'aurais jamais pu espérer l'être. Avec cette boutique oui, mais surtout avec ta présence à mes côtés. Je sais que ce ne sera pas tous les jours faciles, mais avec toi, je n'ai peur de rien. Je t'aime jusqu'à l'infini, dis-je en faisant danser la chaine autour de mon poignet, et même bien plus loin. Et je te promets, mon amour, que chaque jour de notre vie, j'essaierai de te rendre aussi heureux que je le suis.
— Héhé elle le demande en mariage, là ? rigole Clément à voix basse.
— Mais non !
— Ah bah on aurait...
— Oh ta gueule ! répond une voix étouffée, celle de Charlotte, probablement.
Très ému, Tom se rapproche de moi et me prend dans ses bras.
— Louise Morin, je t'aime à la folie, chuchote-t-il à mon oreille.
— Moi aussi, et bien plus encore.
— Je ne suis plus ton oxymore alors ?
— J'ai bien peur que non... Il est temps d'ouvrir une nouvelle page de notre histoire.
Je m'arrache à ses bras avant de me mettre à pleurer, et je lève haut ma coupe pour trinquer avec mes amis et mon amour à ma nouvelle vie. A notre nouvelle vie.
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