Chapitre 6

— Debout Loulou ! me secoue Caro en ce lundi matin de rentrée.

— Noooon... il n'est que sept heures trente ! J'ai cours à dix heures...

— Le chauffagiste sera là dans une demi-heure. Si tu ne veux pas lui ouvrir en pyjama et avoir le temps de te doucher avant qu'il n'arrive, je te conseille de te lever.

— Mais quel chauffagiste ? C'est quoi cette histoire ?

— On a rendez-vous pour l'entretien de la chaudière. J'ai dû oublier de te le dire. Allez courage, je vais te préparer un bon petit déjeuner.

Je pousse un cri de bête en m'extrayant de la couette chaude pour m'assoir dans le lit. Même pas le temps de boire un café. Mais quelle idée de choisir un horaire pareil pour un rendez-vous.

Caro est déjà prête. Elle n'a pas cours ce matin mais elle est déjà habillée et maquillée. Ce n'est pas possible, cette fille est un robot.

Je me glisse sous une douche brûlante et j'ai à peine fini de me préparer que ça sonne à la porte. Rendez-vous à huit heures et plus il est en avance de presque dix minutes.

— Lou tu peux y aller s'il te plaît ? Je presse des oranges...

Je déverrouille la porte et l'ouvre pour tomber nez à nez avec Thomas.

Je pousse un cri de joie et me jette dans ses bras, écrasant au passage entre nous les croissants qu'il avait apportés. Il me sert comme il peut contre lui, son nez dans mes cheveux.

— Tu m'as trop manqué Lou. Je ne pouvais pas attendre cet après-midi.

— Je suis tellement, tellement contente de te voir ! Toi aussi tu m'as manqué, c'était si long ces quelques jours sans toi...

— Oui, et puis, ça fait un mois aujourd'hui. Il fallait fêter ça... ajoute Tom en me montrant le sac de viennoiseries.

— Alors, j'ai bien fait ou pas de te réveiller en avance ce matin ? me lance Caro avec un sourire quand nous entrons dans la cuisine.

Nous déjeunons tous les trois en bavardant. Tom nous raconte ses vacances à Liverpool, chez sa grand-mère qu'il ne voit que rarement. Mariée à un français exilé pendant l'Occupation, « Granny » a vécu presque toute sa vie d'adulte en France mais elle a choisi de retrouver ses racines dans sa ville natale après le décès de son mari. Bien qu'elle soit née en France, la mère de Thomas a toujours tenu à ce que son fils unique partage la culture anglaise. C'est la raison pour laquelle, comme ses sœurs, il porte un prénom qui est le même en français et en anglais. Il est aussi parfaitement bilingue et d'après ses dires, capable d'avaler du plum pudding, mais ça je le croirais quand je le verrai.

Après le petit déjeuner, nous débarrassons et tandis que Caro s'attaque au repassage, je l'entraîne dans ma chambre. Il regarde les photos accrochées aux murs, les petits objets de déco, les livres dans ma bibliothèque, comme s'il cherchait le courage de se lancer, puis brusquement, se retourne vers moi, m'enlace et m'embrasse avec passion. Je m'enhardis et passe les mains sous son sweat, soupirant d'aise au contact de la peau de son dos, douce et tiède. C'est la première fois que je le touche réellement. Je devine, au creux de ses reins, deux petites fossettes. Lorsque nous décollons nos bouches, il prend mon visage dans ses mains et me regarde intensément.

— Tu m'as vraiment manqué Louise. Vraiment.

— Toi aussi.

L'espace d'un instant, j'ai l'impression qu'il va ajouter quelque chose mais il se ravise et se contente de me serrer contre lui.

Je m'allonge sur mon lit et l'invite à me rejoindre. Ma tête sur sa poitrine, il caresse mes cheveux. Cette proximité, ce moment de tendresse est un vrai bonheur après ces heures passées à rêver de sa présence.

— Comment un beau garçon comme toi peut-il être célibataire ?

— Célibataire ? Bah non, j'ai une femme et des enfants, désolé, j'aurais peut-être dû te le dire.

— T'es bête, je fais en lui donnant un petit coup de poing. Bon, sérieusement ?

— En fait t'es en train de m'interroger sur ma vie d'avant là ?

— Oui, c'est ça.

— Eh bien puisque tu veux tout savoir, j'ai passé quatre ans avec la même personne...

— Quatre ans ?

— Ben oui, on s'est rencontré à quatorze ans, au collège. Mais Marine était capricieuse. Une vraie enfant gâtée. Au début j'ai supporté, j'étais sûrement amoureux. Et puis j'ai commencé à en avoir assez, on se disputait beaucoup mais... je pensais qu'elle se calmerait en devenant adulte. Et finalement, c'est elle qui m'a quitté. Elle s'est trouvé un autre mec, un type de sa classe l'année dernière.

— Oh, mince, t'as dû être trop malheureux...

— Non, pas vraiment. Vexé, oui. Mais elle était réellement insupportable. Et je ne suis pas sûr que ce soit une bonne chose de passer sa vie avec sa copine rencontrée à quatorze ans. En fait, en me quittant elle m'a rendu service.

— Et c'est tout ? Pas d'autres nanas dans ta vie ?

— Si, une copine l'an dernier, juste le temps de me venger, de montrer à Marine que je me fichais de notre rupture. Oui, je sais, c'est pas cool. Et une petite aventure de vacances cet été. Mais c'est tout. Je ne sais pas si t'as remarqué mais je ne suis pas trop du genre extraverti. Draguer les filles, enchaîner les histoires sans lendemain, c'est pas trop mon truc. Et toi ?

— Moi aussi, un copain, mais ça s'arrête là. Des petites amourettes avant, mais rien d'important.

— Et euh... c'était, heu... sérieux entre ton copain et toi ?

— Assez.

Je rougis car je sais ce qu'il cherche à savoir derrière sa question.

— J'ai passé presque un an avec Baptiste, et on est restés amis... Oh là là ! il faut que j'y aille, j'ai cours dans vingt minutes.

— Je t'accompagne. J'irai bosser à la bibliothèque. Et comme ça tu pourras continuer à me parler de ce Baptiste sur le chemin.

✨✨✨✨✨

Les deux semaines suivantes filent encore à toute allure. C'est les soldes et j'enchaîne les heures à la boutique tout en préparant mes partiels. Thomas est sur Metz trois fois par semaine pour les cours, les lundis, jeudis et vendredis mais le reste du temps il reste sur Luxembourg, où ses parents, cadres à la Banque Européenne d'Investissement se sont installés. Lui aussi est bien occupé entre les révisions et son job d'extra dans un resto.

Nos cours en commun se terminent bientôt et Tom et moi sommes déçus, tout en sachant qu'il sera plus facile de trouver du temps pour nous voir une fois cette période dense passée.

Le dix-sept janvier, c'est l'anniversaire de mon frère. Nous le fêtons en famille le dimanche suivant. Je suis heureuse de retrouver les miens. Mon emploi du temps est si chargé ces temps-ci que nous ne nous sommes que croisés brièvement depuis Noël. Or je dois bien avouer que je suis une fille à maman. J'ai bien du mal à passer une semaine sans voir ma mère. Caro est également de la partie. Elle connaît bien Nico qui partageait nos jeux d'enfants et nos vacances chez papi et mamie, et ils s'apprécient mutuellement. Peut-être un peu trop d'ailleurs. Mes grands-parents sont là aussi, ils sont toujours heureux de revoir la petite Caroline.

Comme toujours, ma mère a mis les petits plats dans les grands. Terrine de poisson, rôti en croûte , fromage et entremet glacé en dessert, avec les vingt-et-une bougies de rigueur. Nico est aux anges. Lui aussi est très proche de mes parents et je sais qu'il souffre de l'éloignement. Même si Troyes, où il continue ses études, n'est pas le bout du monde, il ne rentre que toutes les trois semaines et les moments en famille lui manquent.

Après le dessert, nous lui offrons ses cadeaux. Un nouveau vélo de mes parents, des livres et un CD de ma part, et Caro a choisi un beau vinyle qu'elle a fait encadrer pour sa chambre à l'internat. Je vois que son geste le touche beaucoup. Je les laisse discuter déco et musique et aide ma mère à faire la vaisselle. Mes parents sont des dinosaures qui ont toujours refusé les lave-vaisselles sous prétexte que ça abîme les assiettes, ternis les verres et tâche les couverts. Mais finalement, j'aime bien ces moments où nous savonnons et rinçons côte à côte, toujours propices à des confidences. Et ce jour n'échappe pas à la règle car après l'échange de banalités, ma maman me jette un petit coup d'œil.

— Tu es rayonnante ma fille, murmure-t-elle. Ce n'est quand même pas de vivre loin de nous ?

— Oh non Mamoune ! Tu sais combien vous me manquez !

— C'est toi qui a voulu partir, tu avais encore ta place ici, soupire-t-elle.

— Je sais. Mais ça ne change rien, tu sais que je vous aime. Et encore plus, depuis que je peux dormir jusqu'à midi le dimanche.

— Ben voyons. Serait-ce alors ce « quelqu'un » la cause de ton si beau sourire ?

— Il se pourrait bien...

— Et il n'a pas de prénom ce jeune homme ?

— Thomas. Il s'appelle Thomas.

— Ça fait combien de temps maintenant ?

— Un peu plus d'un mois.

— C'est tout nouveau. Va doucement ma Loulou, ne t'emballe pas. Mais je te sens heureuse. Pour une maman il n'y a pas de plus grand bonheur.

Il est presque dix-huit heures quand nous rentrons car Caro doit aller travailler. Le service du dimanche soir est celui que nous détestons toutes les deux. J'ai le blues quand je termine la semaine seule. Et elle n'a que peu de clients. Pour la plupart des zonards et des gens seuls et déprimants.

Je profite de son absence pour faire un peu de ménage. Tom m'appelle et je lui raconte ma belle journée en famille, puis je réchauffe les restes confiés par ma maman et m'assois avec sur le canapé. Seize heures avant de le voir. J'aimerais tellement qu'il soit avec moi ce soir. Les choses vont lentement entre nous. Thomas est assez réservé, et je sais qu'il ne veut pas me brusquer. Il est temps de passer la seconde et que je prenne les choses en main. Je me lève regarder le planning de Caro pour la semaine suivante et saisis mon téléphone.

De Louise : Caro bosse jeudi soir. Veux-tu que l'on dîne ensemble ? Tu pourrais rester dormir, tu serais sur place vendredi matin.

De Tom : Avec grand plaisir :) J'ai cru que tu n'allais jamais me le proposer. Je t'embrasse, à demain. Tu me manques...

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