Chapitre 54

Je parviens à ravaler mes sanglots dans le bus, mais m'effondre en arrivant chez moi.

Je suis à la fois abattue par la réaction de mon père, et furieuse contre lui. Mise à part pour des broutilles à l'adolescence, nous ne nous sommes jamais fâchés. Même quand j'ai arrêté la fac, il a bien cherché à me dissuader, à m'empêcher de faire ce qu'il estimait être une énorme connerie, tout en restant néanmoins de mon côté, en acceptant mon choix. C'est la première fois que nous sommes brouillés. Je lui en veux de ne pas me faire confiance, de ses mots durs envers moi, de ne pas m'avoir simplement laissé parler. Il me traite comme une enfant alors que j'ai toujours assumé les conséquences de mes actes sans me plaindre.

Comme toujours, je finis par retourner ma colère contre le grand responsable de tout : Thomas. Thomas qui est parti, Thomas qui est revenu, Thomas qui fout le bordel dans ma vie. Serge m'a quitté, j'ai démissionné et maintenant je suis fâchée avec mon papounet chéri.

Il téléphone plusieurs fois, en fin de journée et dans la soirée, mais je n'ai pas envie de lui répondre, même pour sa foutue librairie. J'ai encore un peu de mal à cloisonner et la dispute avec mon père est trop fraîche. Je sais bien, au fond de moi, qu'il n'y est pour rien, mais j'ai besoin d'un responsable et Tom remplit parfaitement ce rôle de bouc-émissaire.

Voyant que ses appels restent sans réponse, il finit par m'envoyer un sms, inquiet. Je réponds succinctement, prétextant une migraine et éteins mon téléphone.

✨✨✨✨✨

Je reste maussade toute la journée du lendemain, et même mes collègues ne parviennent pas à me dérider. J'ai prévu un ciné avec Charlotte le soir. J'hésite à décommander mais la perspective de passer ma soirée seule à ruminer me dissuade d'annuler, et c'est tant mieux. Le film est sympa, mon amie vive et de bonne humeur depuis qu'elle a digéré mes mots malheureux, et cette soirée a au moins le mérite de me changer un peu les idées. Nous décidons d'aller boire un verre en sortant et une fois installées dans un bar, je me confie même à elle. Je lui raconte la dispute avec mon père qui me bouleverse et sème, une fois de plus, le doute dans mon esprit. En amie fidèle et éclairée, elle me console et me conforte dans ma décision, sans mâcher ses mots néanmoins, comme à son habitude.

- Lou, je comprends que ce soit difficile pour toi, mais tu as fait le bon choix.

- Je ne sais plus, Cha. Et si cette engueulade était justement le signe que c'est une mauvaise idée de bosser avec lui ?

- Depuis quand tu crois aux signes ? Arrête un peu tes bêtises, la seule chose que ça montre, c'est que ton père est encore plus buté que toi. Et, à mon avis, aussi que tu as peur parce que la situation devient concrète et que tu ne maîtrises pas tout. Tu utilises la dispute avec ton père comme un prétexte.

- Je ne sais pas... Je trouve que c'est bien cher payé déjà, et je n'ai aucune garantie. Je me demande si je n'ai pas fait une énorme connerie...

- Il faut parfois accepter de perdre des choses précieuses pour avancer.

- C'est drôle que tu dises cela. Thomas a eu presque les mêmes paroles pour me convaincre.

- Et ça a marché, sourit-elle. Où en es-tu avec lui, d'ailleurs ?

- Eh bien ça avance. On a trouvé un emplacement génial, et le frère de Gaël va nous aider pour l'aménagement. On est en train de choisir les fournisseurs...

- Lou, j'ai dit avec lui, avec Tom. Je ne te parle pas de la boutique.

- Oh. Nulle part, réponds-je, troublée.

- Oui, ça se voit, réplique-t-elle d'un air moqueur.

- C'est compliqué. J'ai du mal à savoir où j'en suis. Parfois, on s'entend vraiment bien, je pense même qu'on pourrait être amis. Et puis là, tu vois, c'est à lui que j'en veux. Je suis vraiment furieuse, parce que j'ai l'impression que quel que soit le confort dans lequel je me trouve, il m'en déloge.

- C'est pas faux. Mais c'est pour la bonne cause, non ?

- Oui, enfin, si je réfléchis bien, il a quand même chamboulé ma vie ces derniers mois.

- Ces derniers mois ? Pardon mais en vérité, Tom a chamboulé ta vie ce jour où il t'a souri à la fac. Alors oui, en ressurgissant brusquement, il a un peu perturbé tes habitudes, mais franchement, il va rendre ta vie plus belle qu'elle ne l'était ces huit dernières années. Tu vas réaliser ton rêve !

Je remue pensivement mon cocktail. J'ai plutôt bien digéré ma rupture avec Serge, mais cette histoire avec mon père m'a fait perdre tout mon enthousiasme. Je n'ai même pas parlé de l'avancement de mon projet avec ma mère.

- Allez, Loulou, ne t'inquiète pas, ton père va s'y faire, murmure Charlotte en pressant ma main, comme si elle lisait dans mes pensées. C'est normal d'avoir des doutes, des périodes où on n'est plus sûr d'avoir pris la bonne décision. Mais je t'assure que tu as fait le bon choix pour l'avenir. J'en suis certaine, et me suis-je déjà trompée dans mes analyses ?

- Non, tu as raison, dis-je en tentant de mettre de la conviction dans mon sourire. Bon, on ne fait que de parler de moi. Et toi, alors ?

Mon amie m'avoue alors qu'elle entretient une relation avec un des profs du lycée où elle enseigne, mais c'est un secret car il est marié. Je me dis que décidément, Charlotte et Capucine ne sont pas jumelles pour rien.

✨✨✨✨✨

Malgré les paroles réconfortantes de mon amie, je sens la colère qui vibre encore en moi comme les prémices d'un orage. Je considère toujours Tom comme le responsable de ma peine. Je sais que j'ai déçu mon père en faisant table rase du passé, qu'il prend le fait que j'accepte de rester dans le giron de mon ex comme un manque de force de caractère et cela me vexe vraiment. Pourtant, il n'a peut-être pas tort. J'aurais tellement aimé pouvoir dire à Thomas que je ne souhaitais plus le revoir. Au baptême, ou cet été au bord de la piscine. Ma vie aurait été tellement plus simple. Mais je dois bien avouer que je me sens bien après de lui. Même, il n'y a qu'auprès de lui que je me sens aussi bien, et cela me désespère et me terrorise à la fois.

En quittant le bar avec Charlotte, je vois qu'il m'a encore envoyé un message pour prendre de mes nouvelles.Je le supprime vite avant que mon amie ne l'aperçoive, et je me garde bien de répondre.

Grossière erreur. Quand je sors du travail avec mes collègues le lendemain soir, il m'attend à quelques mètres de la boutique. J'écrase un juron entre mes dents en baissant le rideau de fer.

- Les filles, souffle Pauline en allumant sa cigarette, matez le beau gosse à huit heures.

- Ça veut dire quoi à huit heures ? Il n'est même pas dix-neuf heures trente, demande Rihab

- Derrière toi sur la gauche...

- Ah.

Et Lola et Rihab de se retourner sans aucune discrétion.

- Il attend quelqu'un, non ?

- Oui, moi.

Les regards des trois jeunes femmes se braquent sur moi. Pauline siffle.

- Félicitations, Boss.

- Détrompe-toi, ce n'est pas mon mec, c'est mon futur patron.

- Dommage. Et il est célibataire, ce beau brun ?

- Lui, oui pour le moment, mais toi, non, Pauline.

- Ça peut s'arranger, lâche-t-elle en jetant un regard appréciateur sur Thomas.

J'ignore la dernière remarque qui fait monter mon agacement au summum et plaque un bref sourire sur mon visage le temps d'embrasser mes collègues. Je sens leur regard dans mon dos quand je m'éloigne pour rejoindre le beau brun en question.

- Qu'est-ce que tu fais là ?

- Bonsoir, Louise.

- Salut. Alors ?

- Je voulais être sûr que tu allais bien. Je vois donc que ce n'est pas le cas.

Je soupire bruyamment et commence à marcher en l'ignorant, mais il m'emboite le pas, comme si de rien n'était.

- Tu vas me suivre jusqu'à chez moi ?

Mon ton est agressif. Il me dépasse et m'attrape le bras pour m'immobiliser face à lui. Un couple de personnes âgées passent à côté de nous et nous récoltons le regard outré de monsieur et curieux de son épouse qui aurait visiblement aimé savoir ce qui a pu provoquer une telle scène de ménage en pleine rue.

- C'est quoi le problème ? Je te laisse heureuse après la visite avant-hier et aujourd'hui, tu as l'air d'être furieuse contre moi. Est-ce que j'ai fait quelque chose qui t'a fâchée ?

- Tu veux dire, en plus de te barrer il y a huit ans ?

- Merde, Lou, tu ne vas pas me ressortir cette histoire tous les quinze jours ! Je croyais qu'on en avait fini avec ça !

- On n'en aura jamais fini avec ça !

- Putain mais tu es impossible ! Écoute, je ne sais pas ce que tu as... j'ai pas envie qu'on s'engueule mais j'ai l'impression que toi, si. Qu'est-ce qui s'est passé depuis jeudi matin ?

Sa deuxième main se pose sur mon autre bras. Je suis prisonnière

- Parle-moi, Lou.

Son ton s'adoucit et son regard pénétrant traduit son inquiétude. Tous mes signaux internes se mettent à clignoter. J'aurais envie de m'effondrer sur sa poitrine, qu'il me console de mes malheurs d'enfant en caressant mes cheveux. Mais je n'arrive pas à me laisser aller, j'ai si peur de la manière dont pourrait se conclure chaque rapprochement. Je choisis encore l'agressivité et me dégage violemment de son emprise.

- Lâche-moi, Thomas, d'accord ? J'en peux plus de passer tout mon temps avec toi ! Fous-moi un peu la paix !

Il recule d'un pas, heurté, mais serre les dents et continue de me suivre quand je repars.

- Dégage, sifflé-je d'une voix sourde.

- Sûrement pas. Je peux admettre que tu trouves que je suis trop sur ton dos et on peut en parler. Je sais aussi que tu ne me pardonneras jamais mon départ mais je ne vois pas pourquoi ça ressort aujourd'hui, de cette manière. Et je te connais, Lou. Ça te défrise peut-être mais je te connais très bien et je vois bien qu'il y a autre chose.

- Je ne veux pas parler. Je suis crevée, je veux rentrer chez moi.

- C'est là qu'on va.

- Tu t'incrustes pas un peu là ?

- Si, totalement, répond-il d'un ton badin mais je le connais, moi aussi, et je sais qu'en fait, il a peur. Chacun son tour.

- Serge n'est pas là au moins ? demande-t-il, subitement inquiet.

- Non !

Mon ton est cassant, mais pas assez pour le décourager. Je regrette aussitôt, j'avais une excuse toute trouvée pour l'éloigner et je n'en ai même pas profité.

Nous effectuons le reste du trajet en silence. Je cavale presque et il suit le rythme sans moufter. Je déverrouille la porte de l'immeuble, gravit les marches toujours au pas de course et une fois dans l'appartement, ôte mes chaussures et mon manteau avant d'aller m'enfermer dans la salle de bain, ignorant sa présence. Je pensais qu'une douche me calmerait mais pas du tout, je rumine et suis encore plus enragée quand je sors de la pièce. Je passe en peignoir jusque dans ma chambre et enfile un pantalon de sport avec un tee-shirt avant de rejoindre la cuisine où Tom est en train de s'activer.

- J'ai fait de la soupe de brocolis, murmure-t-il, comme un enfant qui craint d'avoir peut-être fait une bêtise. Ma colère s'essouffle d'un coup.

-Tu as cuisiné ? Une soupe ?

- Oui, enfin, j'ai trouvé des vieilles pommes de terre, et un sachet de brocolis au congélateur... Tu veux boire quelque chose en attendant que ça cuise ?

Je hausse les épaules en guise de réponse et vais m'assoir sur mon canapé. Il prend ça pour un oui car il décapsule deux bières avant de me rejoindre et de m'en tendre une. Il prend place à son tour sur le sofa et boit quelques gorgées dans un silence pesant, avant de poser sa bouteille sur la table basse. Il s'adosse soudain au canapé et passe ses mains sur son visage. Je le regarde faire. Il a l'air très las, comme le soir au bar de son hôtel, où il m'avait avoué la raison de sa rupture avec Jeanne. Pour la première fois, je remarque de petites rides au coin de ses yeux.

- Tu me rends dingue, Lou, finit-il par dire. Puis il ajoute très vite, conscient du double sens de son propos : Tu me fais tourner en bourrique.

J'esquisse une petite moue de contrition, à laquelle il répond sur le même mode, puis il tourne la tête, ferme les yeux un instant.

Je me tais, alors, c'est lui qui reprend.

- Je ne sais pas quoi penser. A peine on fait un pas en avant à deux, que tu en fais trois en arrière, deux sur le côté.

- Je t'avais dit qu'on n'y arriverait pas.

- Bullshit ! Arrête Lou ! On peut y arriver, on va y arriver ! Mais pas moi tout seul ! A deux. Je sais que tu as du mal à me faire confiance, que tu ne digèreras jamais ce qui s'est passé il y a huit ans, mais ça suffit. Si tu acceptes qu'on bosse ensemble, tu dois cesser de me balancer ça à la tête à chaque fois que tu es contrariée. Tu dois grandir un peu.

Je pince les lèvres, vexée, mais je sais qu'il n'a pas tort. Je joue nerveusement avec l'étiquette de ma bouteille de bière que je décolle. Il me la prend des mains et la pose sur la table à côté de la sienne. Ce qu'il m'énerve quand il me traite comme une gosse ! Mais il me force à me tourner un peu face à lui puis plante ses yeux marine dans les miens et subitement, je ne suis plus qu'une petite chose à sa merci.

- Arrête de bouder, et dis-moi ce qui s'est passé depuis jeudi. S'il te plait.

J'hésite un peu, mais finis par lui avouer la raison de ma mauvaise humeur.

- J'ai parlé de notre projet à mon père, et il s'est fâché, on s'est disputé.

- Pardon ?

- Il a eu des mots assez durs, envers toi, et pour moi aussi, il a dit que...

- Je ne veux pas savoir ce qu'il a dit. Mais de un, c'est ton père, et il t'aime, il a juste peur pour toi. Et de deux ... putain, Lou, tu me fais la gueule, à moi, parce que tu t'es pris la tête avec ton père ?

Je me sens très bête d'un coup, je n'ose même pas acquiescer. Il ne semble pourtant pas vraiment fâché, plutôt soulagé que ce ne soit que cela.

- Quand je te dis qu'il faut que tu grandisses... soupire-t-il, les yeux au ciel. Bon, les légumes doivent être cuits, t'as un truc pour mixer la soupe ?

- Regarde dans le troisième tiroir dans le bar... Je crois qu'il n'a jamais servi.

Je termine ma bière tandis qu'il s'affaire à nouveau en cuisine. Je me retourne pour le regarder. Il fait comme chez lui, fouillant, ouvrant les placards et le frigo.

Il déniche des œufs et me rejoint quelques instants plus tard avec un plateau contenant du pain de la veille et du fromage, plus deux assiettes de velouté de brocolis dans lequel il a ajouté des œufs mollets. Il pose le tout sur la table basse. Il me tend une assiette et une cuillère, attend ma réaction lorsque je goûte l'épais potage vert.

- Ça te plaît ? J'ai mis du fromage ail et fines herbes dedans.

- C'est excellent. Simple et pourtant délicieux, tu es un vrai cordon bleu. Les œufs mollets avec les brocolis, j'adore.

- Il suffit parfois de pas grand-chose...

Son sourire, son air doux, sa gentillesse à mon encontre malgré mon caractère de dogue, me désarment complètement. Je sors le drapeau blanc.

- Excuse-moi, Thomas. Je n'aurais pas dû retourner ma colère contre toi. Tu as raison, je suis complètement immature.

Sa cuillère reste en suspens, il est totalement interloqué par mon mea culpa inattendu.

- Je sais que je suis parfois... difficile à gérer...

- J'aurais même dit franchement pénible.

- Oui, oui, bon, faut pas exagérer non plus. En tout cas, je te promets que je vais faire un effort pour être plus...

- Souple ? Gentille ? Calme ?

- Hum, un peu tout ça. Enfin, je vais essayer.

Il pose sa cuillère à côté de son assiette et s'adosse au canapé. Il cherche ses mots et ses doigts tapotent sur ses cuisses.

- Écoute, Lou, annonce-t-il, comme une sentence. Je ne veux pas te faire peur et ce n'est en aucun cas un ultimatum... Mais on ne va pas avoir cette conversation éternellement. Je ne comprends pourquoi tu as accepté que l'on travaille ensemble si tu as si peu confiance en moi.

- Moi non plus.

- On fait quoi alors ? demande-t-il d'un ton las. Tu veux arrêter, on laisse tomber ?

- Non, surtout pas, m'écrié-je.

- Alors tu décides, tu restes, ou tu pars. On continue, ou on arrête. Mais c'est maintenant, pas dans trois mois. Je vais signer pour le local mais je ne peux pas faire cela si je ne te sens pas derrière moi. Tu parles toujours de confiance, mais moi aussi, je dois avoir confiance en toi, et là tu m'inquiètes.

Nous nous défions du regard. Le sien est sombre, pourtant il a plus l'air épuisé que fâché. Lentement, je me penche en avant et attrape ma bouteille de bière vide avec laquelle j'entrechoque la sienne.

- Je reste.

- Tu es sûre ?

- Oui.

Il soupire de soulagement.

- Finis les drames, alors ? On pourra passer des moments ensemble sans revenir toujours sur le même sujet, sans que ça ne frise la tragédie ?

- On va essayer.

C'était le moment idéal pour reparler de ma dernière crainte, celle confirmée par la réaction de Solène. Mais je suis éreintée. J'ai juste envie de terminer mon repas et de m'allonger sur le canapé. Les nuits sans sommeil, mon esprit toujours en alerte, les recherches, en plus de mon travail, et les disputes incessantes, tout cela m'écrase.

Thomas le sent. Il sent tout.

- Pause demain. On ne bosse pas. Tu as besoin de te reposer, de faire autre chose. Et puisque tu trouves qu'on se voit trop et que tu ne me supportes plus...

- Tom... tu sais que j'ai dit ça sur le coup de la colère.

Ses yeux sondent les miens pour y lire la vérité. Dans ses iris outremer, je lis tant de tristesse, tant de lassitude. J'y vois les épreuves de la vie, les chagrins, les déceptions, tout ce qu'il tait à longueur de temps sans jamais se plaindre.

- Je suis vraiment désolée.

J'ai envie de le prendre dans mes bras, de lui offrir à mon tour un peu de la douceur qu'il distille à longueur de temps. Mais ses lèvres s'étirent légèrement en un petit sourire. Un sourire pourtant triste, fatigué. Un sourire qui ne contredit pas son regard. Il se lève prestement, comme pour éviter mon geste qu'il devine.

- Fruit ou yaourt pour le dessert ?

Il va chercher deux poires dans le frigo, que nous mangeons en silence. Je regarde ses mains soignées éplucher rapidement le fruit, le couper en morceaux qu'il porte à sa bouche. Ses mains que j'aimerais sentir se promener sur moi. Ses doigts fins qui s'entrecroiseraient avec les miens. Le jus fait briller ses lèvres, j'ai envie de...

- Lou, tu rêves ? Elle n'est pas bonne, ta poire ?

- Si, si. C'est juste que je n'ai plus très faim.

En tout cas, pas de fruit.

Le dessert avalé, Thomas prend congé. Je n'ai pas l'habitude de le voir si calme, je m'en veux beaucoup de l'avoir assombri par mon attitude. Je l'accompagne à la porte et, au moment de partir, au lieu de m'embrasser sur les joues, comme le veut l'usage, il pose sa bouche sur mon front. C'est un geste à la fois d'une grande tendresse, mais aussi très platonique, presque fraternel. Un geste qui veut tout dire. Il faut que je calme mes ardeurs. Je le retiens et pose ma tête sur son épaule, comme pour lui demander à nouveau pardon. Je sens le parfum dans son cou, son odeur qui m'affole et m'apaise à la fois. Cette ambivalence infernale. Il passe brièvement sa main dans mon dos avant de s'écarter de moi et de partir.

Nous avons prévu de nous retrouver jeudi prochain, pour faire le point sur l'avancement du projet, et continuer à rechercher les fournisseurs. Dès que la vente sera effective et que nous aurons les clefs, nous pourrons nous concentrer sur l'aménagement et la décoration, j'ai tellement hâte.

Nous n'allons pas nous voir pendant cinq jours, et contrairement à ce que je lui ai craché sur le chemin du retour, il me manque déjà.

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