Chapitre 50

Deux jours plus tard, je rejoins Tom au parking du Novotel où sa voiture est garée et nous nous dirigeons vers l'énorme magasin suédois, situé en périphérie de la ville.

Il n'y a pas grand monde en ce jeudi matin, nous serons tranquilles pour faire nos achats.

- Je ne sais même pas par quoi commencer, soupire Tom en prenant un petit crayon de papier et une fiche pour les références. De quoi on a besoin quand on s'installe ?

En souriant, je lui sors la liste que j'ai préparée ce matin pendant mon petit déjeuner. Je suis très forte pour les listes.

- Tout ça ? Mais c'est de la folie ! s'écrie-t-il, affolé.

- Mais non, tu vas voir.

Nous commençons par les meubles, déambulant dans les faux appartements et reconstitutions de studios, mais il n'est pas emballé, rien ne lui convient. Il craque juste sur deux tabourets vintage, en bois et tissu coloré. Je lui propose d'aller plus tard dans un autre magasin, d'une chaîne concurrente, où le design est un peu plus soigné. Avec son budget, il pourrait aussi aller chez un grand ameublier, mais il ne semble pas décider à dépenser une somme folle pour s'installer.

Armés d'un chariot, nous descendons au sous-sol où je lui fais choisir tout ce que j'ai inscrit sur ma liste : la vaisselle d'abord, sans oublier les plats pour le four, poêles et casseroles, saladiers et égouttoir. Il y a tout, jusqu'aux sacs de congélation, boîtes de conservation et serviettes en papier que je fourre dans son caddie.

- Qu'est-ce que c'est que ça ? demande-t-il en pêchant des objets au hasard dans le fourbi de ce que j'ai entassé.

- Un moulin à glace.

- Et j'ai besoin d'un moulin à glace ?

- Bien sûr, pour les cocktails.

- Ah. Et ça ?

- Des clips pour fermer les paquets entamés. C'est très pratique.

- Donc indispensable... Et les six sortes de verres différentes ?

- Bah pour l'eau, le vin blanc, le rouge, le champagne... Mais tu vivais dans une caverne, avant ?

- Non, c'est juste que je n'avais pas ce genre de priorité. Mais j'imagine que je pourrais m'accommoder de ce confort bourgeois.

- Très drôle.

Au rayon du linge de maison, nous prenons un tas de serviettes de toutes tailles et quelques torchons, une couette et deux oreillers, puis il reste circonspect devant les draps.

- C'est quoi toutes ces matières ? J'y comprends rien... C'est quoi le mieux ?

- La percale, réponds-je en sélectionnant une parure réversible. C'est ce qu'il y a de plus fin, de plus doux. Ça te plaît, ça ?

- Oui, si tu veux, je m'en fiche.

- Moi aussi, ce n'est pas moi qui vais dormir dedans. J'aime bien les draps unis mais il y a des motifs aussi, regarde. Ou des couleurs plus vives.

- Non, ce que tu as pris c'est parfait, je te fais confiance.

- Prends une seconde parure, quand tu les laves ou si tu as du monde, ça sert toujours.

- T'es une vraie petite femme d'intérieur, en fait.

- Tu veux finir tes courses seul ?

- Non.

- Alors, fais gaffe à ce que tu dis. Et prends une table à repasser. La percale, ça se froisse.

- Et toi, au fait, tu ne prends pas un drap-housse ?

- Non, pourquoi ?

- Ben, je ne sais pas, tu as dit qu'il t'en fallait un. C'est pas pour ça que tu m'as accompagné ? demande-t-il, les yeux pétillants de malice.

- Si, bien sûr que si, j'avais oublié c'est tout.

- Hin hin. Et pense à ton étagère à chaussures aussi.

Nous avançons enfin jusqu'à la décoration.

- Tu as besoin de bougies ?

- Pour quoi faire ? fait-il, d'un air un peu moqueur.

- J'en sais rien, si tu veux prendre un bain à la lueur des bougies pour te détendre...

- Pour moi tout seul ? Ça va aller, ce n'est pas trop dans mes habitudes.

- Tu ne resteras pas seul toute ta vie.

- Je reviendrai quand j'en aurai besoin, je sais où elles sont rangées maintenant.

- Comme tu veux. Mais choisis une ou deux plantes vertes, ce sera joli chez toi. Et quelques objets de déco aussi, tu ne vis plus dans un monastère.

- Très drôle, répond-il à son tour.

Après avoir payé, nous entassons les achats dans sa voiture et je lui propose de manger sur place pour gagner du temps avant de continuer les magasins. Il accepte et me suit jusqu'au snack en face des caisses.

- On mange quoi, ici ?

- Des salades et des sandwiches.

- Ça ne vaut rien, note-t-il en regardant les prix affichés. Tu es sûre que c'est bon ?

Je hausse les épaules sans répondre, je ne me suis jamais posé la question. Le verdict ne se fait pas attendre.

- Immonde, déclare-t-il en reposant son hot-dog après l'avoir goûté.

- C'est pas si terrible, ça se laisse manger quand même.

- Même pas en rêve. Comment tu fais pour avaler ça ?

- Si tu voyais ce que je mange tous les jours...

- C'est pas bien Lou, c'est mauvais pour ta santé de n'avaler que des cochonneries.

- Oui, papa, il paraît.

- Tu sais, des études ont montré que le cancer...

- C'est bon Tom, lâche-moi, ne mange pas ton sandwich si tu n'en veux pas, mais ne commence pas à me dire ce que je dois faire.

Il secoue la tête et lève les yeux au ciel.

- Viens on va manger ailleurs, insiste-t-il. Je t'offre un vrai resto en ville.

- Non, j'ai pas envie de rentrer trop tard. On mange vite et on bouge. Allez, fais un effort, t'as du en manger des trucs pires que ça quand tu as baroudé, non ?

- Oui, soupire-t-il, pas convaincu. Il regarde son hot-dog et le termine à contrecœur.

***

Dans une autre enseigne, Thomas trouve son bonheur. Ils ont une collection au design nordique qui lui plaît et qui ira très bien dans son appartement. En deux heures, il choisit une grande table et huit chaises en bois et tissu gris, deux immenses bibliothèques, un meuble télé, trois tables basses gigognes et un buffet pour le salon, deux tabourets de bar pour la cuisine, plus un lit, une armoire, une commode, une étagère et un bureau. Je suis effarée par le montant qu'il paye sans sourcilier, et il lui manque encore une partie de l'électro-ménager et tout le matériel hifi.

Nous enchainons ensuite dans un magasin de literie, où il hésite entre plusieurs matelas.

- C'est con, dit-il en s'allongeant sur l'un d'eux. On ne peut pas choisir en restant couché trois minutes.

- Bah, tu sais quand même ce que tu préfères, ferme ou moelleux.

- Je dors partout, mais ferme c'est mieux, non ? Tu veux pas l'essayer avec moi, Lou ? Je crois qu'il est pas mal celui-ci, risque-t-il en changeant de modèle.

Je secoue la tête, mais un vendeur arrive, pour lui prêter main forte.

- Qu'en dites-vous Monsieur ? C'est notre modèle spécial toutes saisons, en latex thermo-respirant. Je vous en prie, Madame.

- Non, merci.

- Il faut le tester pour voir s'il vous convient.

- Mais oui darling, n'hésite pas.

Tom a du mal à garder son sérieux, ses beaux yeux bleus brillent de l'éclat de rire contenu. Je lui jette un regard noir.

- Ça va chéri, je te fais confiance, répliqué-je sèchement, mais il ne se laisse pas démonter pour autant.

Le vendeur en rajoute une couche, inconscient de la joute visuelle.

- Je vous conseille tout de même vous allonger, la portance n'est pas la même selon si on dort seul ou à deux dessus.

J'ouvre la bouche pour lui dire que je ne risque pas de dormir sur le foutu matelas mais Tom me précède, tapotant la place à côté de lui.

- Allez, ne te fais pas prier.

Je m'autorise un certain nombre de mots d'oiseaux dans ma tête en me couchant à ses côtés et il se rallonge tout à fait. Raide et tendue, je fixe le plafond sans bouger davantage. Tom, au contraire, s'agite et remue, se retourne, je suis sûre qu'il le fait exprès pour finir de me mettre mal à l'aise. Si ça continue, il va se mettre à sauter sur le lit, comme un gosse, mais il s'assoit finalement.

- Il est bien, non ?

- Sûrement.

- Et garanti cinq ans ! ajoute le vendeur, sourire ultra-brite à l'appui. Je peux aussi vous proposer des modèles en fibre de bambou...

Nous le suivons et j'en profite pour glisser à l'oreille de Tom, assassine :

- Plus jamais ça !

Il me sert en échange un petit sourire malicieux, complètement désarmant.

- Pardon, Lou, c'était trop tentant...

Après qu'il ait enfin trouvé le matelas de ses rêves, nous terminons nos achats par un dernier magasin qui propose des divans italiens fait main. Les tarifs sont ahurissants, mais je dois reconnaître que les produits sont splendides. Tom a repéré un grand canapé avec méridienne, en alcantara gris clair, absolument magnifique, avec un pouf assorti. Je pense avec nostalgie au sofa pourri que j'ai chez moi, qui date encore de l'époque où je vivais avec Caro. Mais je l'aime bien, avec ses tâches et son assise râpée. Il y a plusieurs semaines de délais, mais Tom s'est déjà arrangé avec un vieux copain pour récupérer un canapé qui traîne dans son garage en attendant la livraison.

- J'en peux plus, avoue Tom en quittant le magasin. Il regarde sa montre, pensif, et reprend. J'ai encore l'électro-ménager à choisir, mais je pense que ça suffit pour aujourd'hui, non ?

- Tom, si je fais encore un magasin, je vais défaillir.

- De toute façon, je peux le choisir à Lyon chez Darty ou Boulanger et le récupérer ici directement, je pense. Bon, je t'offre un verre pour te remettre ?

- Je suis épuisée. Franchement, j'ai juste envie de rentrer.

- Bien sûr, je comprends. Je te ramène.

- On passe chez toi d'abord vider ta voiture si tu veux. Seul, tu vas en avoir pour trois plombes.

- Non, pas besoin. Tu es crevée, je vais me débrouiller.

- Ne sois pas bête, ça ira plus vite à deux et je ne suis pas à quelques minutes près.

- C'est gentil.

Nous roulons un petit quart d'heure, bercés par la musique de Woodkid. Nous avons toujours eu des goûts musicaux similaires.

Nous arrivons à proximité de son nouvel immeuble mais la rue piétonne n'est pas encore accessible en voiture et il doit s'arrêter en double file quelques dizaines de mètres plus loin. Les inconvénients de vivre au centre-ville. Nous enchaînons huit allers-retours pour tout sortir et déposer les achats dans son entrée, puis entassons le tout dans l'ascenseur avant de les décharger enfin dans l'appartement vide. Je contemple l'amas d'objets dans un coin du salon avec la satisfaction du travail accomplis.

- Dommage qu'il n'y ait rien dans le frigo, on aurait bien mérité une boisson fraîche !

- Oui, c'est vrai, mais ce n'est pas grave. Tiens, je t'ai fait une autre liste, avec ce qu'il faut que tu achètes au supermarché, surtout au niveau de l'épicerie et des produits d'entretien. Et des trucs tous bêtes, comme un séchoir à linge, ou un seau, des sacs poubelle, de l'essuie-tout...

- Louise, tu es une perle.

- Je suis surtout folle, je ne sais pas pourquoi je fais tout ça, mais j'aime bien. Si tu as besoin de laver du linge avant de recevoir ta machine, tu pourras venir à la maison si tu veux. Bon allez, j'y vais.

- Attends, je te raccompagne.

- Non, Tom, tu dois aller déplacer ta voiture, tu vas te la faire embarquer si tu traines.

- Oui, tu as raison. Désolé de te laisser rentrer seule. Et Lou... Merci de ton aide et du temps que tu m'as consacré.

- C'est tout naturel, je te dois bien ça quand même !

- Tu ne me dois rien.

- Ça m'a fait plaisir, c'était sympa. Crevant mais sympa, souris-je en m'avançant pour lui dire au revoir.

- Et euh je me demandais... est ce que tu me détestes toujours ?

Je suspends mon geste, interdite. Il a l'air d'un petit garçon qui a fait une bêtise, les yeux pleins d'inquiétude en guettant ma réponse.

- Je... je suppose que non. C'est la seconde fois que tu me poses la question, pourquoi tu fais une fixette avec ça ?

- Parce que je trouve qu'on s'entend bien. C'est sûr que notre relation n'a plus rien à voir avec celle que nous avions mais je suis content de passer du temps avec toi. Et j'avais l'impression... enfin il me semblait que... toi aussi.

Je reste silencieuse un moment. La seule image qui me vient est celle de sa voiture en warning et du PV qu'il ne manquera pas de se prendre s'il ne va pas la déplacer tout de suite. Je déteste ces discussions entre deux portes. Mais il attend une réponse à sa question impromptue.

- Oui, j'apprécie aussi de passer du temps avec toi, et c'est plutôt une bonne chose vu ce qu'on s'apprête à faire. Mais ne te méprends pas Tom, ça ne change rien, en tout cas pas grand-chose. On a déjà parcouru un chemin immense tous les deux, et je crois bien qu'on a atteint la Suisse que tu me proposais il y a quelques mois. Cependant, je n'ai toujours pas vraiment confiance en toi, et même après t'avoir vu acheter autant de choses, je ne peux pas m'empêcher de craindre que tu ne décides de repartir à l'autre bout du monde sur un coup de tête.

Il accuse le coup, visiblement déçu par ma réponse un peu froide.

- Je te jure que non.

- Alors, pourquoi tu loues un appartement par exemple ? Avec tes moyens tu pourrais acheter.

- Parce que je ne veux pas me précipiter, mais c'est bien ce que je compte faire dès la librairie lancée.

Je hoche la tête, pas vraiment persuadée.

- Ce n'est pas le moment d'avoir cette discussion de toute façon.

- Dis-moi ce que je dois faire pour que tu me croies, pour que tu aies confiance en moi et je le ferai.

- Tom, la confiance ne s'achète pas, elle se gagne.

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