Chapitre 49


Le mardi soir, Nico et Solène profitent que Thomas est de passage à Metz pour nous inviter à dîner. J'hésite un peu, ce repas à quatre ne me réjouit pas mais je n'ai pas vu mon frère et mon filleul depuis plus de trois semaines et ils me manquent.

Tom est remonté de Lyon en voiture pour apporter déjà des valises et quelques cartons et en profite pour les stocker dans la cave de sa cousine en attendant d'emménager. Il me propose donc tout naturellement de me récupérer en ville pour m'emmener. Je ne suis pas à l'aise d'arriver avec lui comme un petit couple mais une voiture contre un bus après ma journée de travail, je ne réfléchis pas longtemps.

Il m'attend en double file dans une rue proche de la boutique, car celle-ci est située dans une zone piétonne. Quand j'entre dans la vieille Clio, il est radieux.

— Alors, locataire ? demande-je en m'installant à côté de lui.

— Oui ! Enfin ! Je suis trop content !

Il se penche, et m'embrasse sur la joue.

— Tu reviens quand définitivement ?

— Fin de semaine prochaine, je pense. J'ai un de mes élèves, Mamadou, qui a besoin d'aide pour écrire son CV et un modèle de lettre de motivation. Je veux aussi le préparer, au cas où il aurait des entretiens. Et puis, prendre le temps de dire tranquillement au revoir à tout le monde. Et il faut aussi que j'achète de quoi m'équiper pour le nouvel appart. Pour le moment je ne peux pas m'y installer.

— Qu'est-ce qu'il te manque ?

— Tout. Tous les meubles, vaisselle, linge de maison. C'est l'inconvénient des meublés, je n'ai même pas une serviette de toilette. Et d'ailleurs... je me demandais si tu m'accompagnerais chez Ikea... ?

— Thomas...

— S'il te plait, Lou, je n'ai aucune idée de ce qu'il faut, j'ai besoin d'aide pour choisir les meubles et ne rien oublier...

— Mais demande à quelqu'un d'autre. Charlotte, par exemple, je suis sûre qu'elle sera contente de t'accompagner.

Il ne répond pas, se concentre sur la route, mâchoires serrées, regardant un peu nerveusement dans le rétroviseur. Ça me fait drôle d'être en voiture avec lui. Nous n'étions que des enfants quand nous nous sommes quittés et maintenant nous sommes grands. Il faut vraiment que je me décide à passer ce permis de conduire.

— C'est quoi la musique ?

Cats on tree.

— Drôle de nom.

— Ouais, surtout que ce sont des français.

— En tout cas, c'est sympa.

— Oui, pas mal.

— Tu boudes ?

— Non, pourquoi ?

— Parce que je ne veux pas t'accompagner.

— Non, j'aurais bien aimé, mais c'est pas grave, soupire-t-il. Je demanderai à Charlotte, tu as raison.

Je me mords la langue. Ce que je peux être bête parfois. En fait, je n'ai pas du tout envie qu'ils aillent faire leur courses ensemble, mais c'est trop tard.

— Tiens, regarde sur la banquette, j'ai acheté un petit truc pour notre filleul.

Notre filleul. C'est la première fois que l'un de nous prononce ces mots et c'est comme si je réalisais seulement. Nous avons quelque chose en commun. Un enfant même. Bon, ce n'est pas le nôtre, mais compte tenu de nos relations sinusoïdales, c'est aussi bien. Je me retourne et attrape un sachet d'une célèbre enseigne pour enfant à l'arrière, posé sur un des cartons. J'en sors une boîte colorée que j'ouvre pour découvrir un petit ensemble taille douze mois. Il y a un pantalon marron, un tee-shirt bleu ciel avec un renard vintage floqué et un gilet à capuche assorti. C'est adorable.

— Tu as choisi tout seul ?

— Oui, pourquoi c'est pas bien ? demande-t-il, inquiet.

— Si, c'est parfait.

— Vraiment, ça te plait ?

— Oui, je suis sûre que Solène et Nico vont adorer. Et Loris aussi, bien sûr.

— Tant mieux.

Le silence s'installe. Je range les minuscules vêtements et ferme les yeux quelques instants jusqu'à ce que Tom se gare en bas de la petite résidence de mon frère et Solène.

Thomas sort et récupère à l'arrière le sachet avec le cadeau pour le petit, et y ajoute des bouteilles.

— Tu as apporté du champagne ?

— Oui, pour trinquer à mon emménagement et à notre projet aussi, si tu veux bien qu'on en parle.

— Bien sûr, on peut le rendre officiel maintenant, souris-je.

— Rassure-toi, j'ai aussi pris de la bière et du vin pétillant pour toi, je ne savais pas ce que tu préférais.

Je le détaille un moment. Aucune trace de moquerie sur son visage, il a vraiment voulu bien faire. Je lui prends le sac des mains et repose les bouteilles supplémentaires dans la voiture.

— Je boirai du champagne comme tout le monde, ça ira très bien.

Il hoche la tête sans répondre, mais un bref sourire passe dans ses yeux. Un petit morceau de hache de guerre enterrée. Je garde le sachet tandis qu'il sort deux valises du coffre.

— Besoin d'aide ?

— Non, je redescendrai avec Nicolas pour les cartons, ne t'inquiète pas.

Je passe devant, sonne et ouvre les portes, appelle l'ascenseur.

— Salut, vous deux, claironne ma belle-sœur en ouvrant la porte de l'appartement.

Ça commence.

Nous l'embrassons à tour de rôle. Je lui donne la bouteille et le cadeau pour Loris, ainsi que les chocolats que j'ai apportés. Nico est en cuisine, Solène a le petit dans les bras mais elle me le tend dès mon manteau enlevé. Je reçois le paquet avec le sourire, effleure sa joue rebondie de mes lèvres et plonge mon nez dans les cheveux bouclés du petit bonhomme qui fleurent bon le savon pour bébé. Tom me rejoint, lui sourit tout en caressant son visage. Je me sens tout à coup très mal, oppressée par la situation. Je lui pose brusquement l'enfant dans les bras et m'éloigne un peu trop vite.

— Ça va, Lou ? s'inquiète-t-il.

— Oui, il faut juste que... j'aille aux toilettes.

Il hausse les épaules, pas dupe et je m'enfuis vers la salle de bain le temps de reprendre une contenance.

Quand je reviens, je passe par la cuisine pour embrasser mon frère qui s'affaire. Il est vingt heures et ils travaillaient tous les deux aujourd'hui. Récupérer Loris à la crèche, rentrer s'occuper de lui et préparer le repas pour recevoir du monde, je les trouve bien courageux. Si je n'avais pas été ici ce soir, j'aurais mangé une boîte de raviolis, ou rien.

Enfin, il retire son tablier d'homme moderne et nous rejoignons les deux autres au salon. Tom est en train de donner son biberon à Loris. Il lève vers moi un regard lumineux et mon cœur se serre. Depuis sa révélation, j'y pense souvent. Je suis sûre qu'il aurait fait un papa merveilleux. Cela viendra probablement un jour, mais je n'ai pas hâte de le voir.

Solène va chercher quatre flûtes tandis que Nico ouvre la bouteille. Tom pose le biberon vide et me repasse le petit que je garde contre mon épaule. Il est drôle, il se penche en arrière pour me regarder en plissant les yeux, comme s'il se demandait où il m'a déjà vue.

— A quoi on trinque ? demande ma belle-sœur en me jetant un coup d'œil en biais.

Je lève les yeux au ciel. N'importe quoi.

— A deux très bonnes nouvelles. J'ai trouvé un appart déjà, et je ne devrais pas tarder à redevenir messin.

— Génial ! Celui que tu as visité deux fois ?

— Oui, exactement. J'ai signé le bail aujourd'hui, je suis vraiment content.

— Et la deuxième chose ? questionne Nico en distribuant les verres.

Thomas coule un regard vers moi et Solène exulte. Mais qu'est-ce qu'elle s'imagine ?

— Lou et moi allons... ouvrir une librairie !

— Merveilleux ! s'exclame Nico, comme s'il n'était pas au courant.

— Une librairie ? Mais pour quoi faire ? grince sa compagne, visiblement déçue.

Patiemment, Thomas lui explique ses raisons. Je vois bien que Solène n'est pas convaincue par cette idée. Elle trouve que c'est de l'argent gâché, qu'il y avait des façons bien plus rentables d'invertir une telle somme. Je pense aussi qu'elle est un peu contrariée que Tom consacre autant de moyens, dans tous les sens du terme, pour faire mon bonheur.

— Et si tu as envie de repartir à l'aventure ? demande-t-elle, un peu aigrement.

Je le regarde avec le sourire de « je te l'avais bien dit » sur les lèvres, mais je ne sais pas si ça me fait peur ou plaisir que Solène soulève les mêmes objections que moi.

— Je ne pars plus, répond son cousin, passablement agacé.

— Aujourd'hui oui, mais plus tard, quand la vie en France te paraîtra bien fade.

— Non.

— Tu dis ça mais il paraît que quand on y a goûté une fois, on...

— Je ne pars plus, j'ai dit, gronde-t-il.

— Ça va, on se détend, Toto, moi je demandais comme ça, pour que Lou ne se retrouve pas le bec dans l'eau...

Les yeux de Thomas lancent des éclairs et elle ne semble même pas s'en apercevoir. Un instant, j'ai peur que la situation ne dégénère mais Nico, qui est plus fin que sa compagne, change habilement de sujet.

— Chérie, tu couches Loris ou tu mets la table ?

Le petit au lit, nous dînons rapidement et prenons congés assez tôt car les jeunes parents sont épuisés et se lèvent à l'aube le lendemain matin. Nico descend avec nous pour aider Tom à transporter ses cartons de la voiture à la cave.

— Je suis content que tu aies accepté. Il était temps de reprendre ta vie en main, murmure mon frère à mon oreille quand je l'embrasse avant de partir.

Je lui réponds par un sourire un peu crispé et il ne remarque pas mon manque d'enthousiasme. Pas si observateur que ça, finalement.

Je lui adresse un petit signe de la main et monte en voiture à côté de Thomas qui démarre en direction du centre-ville.

— C'était sympa hein ?

— Oui, très bonne soirée. Enfin, sauf peut-être la scène à l'apéro... D'ailleurs je vois que Solène pense comme moi.

— Ne commence pas, Lou...

— Je ne commence pas, je continue.

Il rit brièvement et ne me relance pas, se contentant de chantonner par-dessus la musique du vieil autoradio. Je décide de ne pas poursuivre, je n'ai aucune envie de me lancer dans ce genre de débat stérile à cette heure-ci. Je laisse passer quelques instants, puis lâche, du ton le plus détendu possible :

— En fait, je viens de me souvenir que je dois acheter un drap housse, et il me faut aussi un nouveau meuble à chaussures... Alors finalement je peux t'accompagner chez Ikea. Enfin, si tu veux.

Je le vois réprimer un sourire.

— Oui, bien sûr. Demain ?

— Non, je bosse. Jeudi, ça irait pour moi. Tu repars quand ?

— Je dois être rentré vendredi en fin de journée, donc jeudi c'est bon. Je pensais aussi aller voir pour un beau canapé chez d'autres marchands de meubles, j'irai déjà faire un tour demain. Si je trouve quelque chose qui me plaît, on pourra y aller ensemble jeudi, ou je demande à Charlotte ?

J'ignore son ton moqueur, et répond, magnanime.

— Si c'est juste pour te donner mon avis, je veux bien.

— Merci, Lou. Tu es... formidable.

— Je sais.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top