Chapitre 44

Lentement, mes envies mûrissent, le choix se dessine.

Le dimanche soir, après être rentrée de chez mes parents, j'ai reçu un sms de Tom. Le premier en deux semaines, pour que je lui envoie mon adresse électronique. J'étais contente qu'il me la demande directement, sans passer par Charlotte cette fois-ci.

Quelques minutes plus tard, j'ai reçu un mail de sa part.

De : [email protected]

Objet : Pour rêver ou t'aider à décider ;-)

J'ai découvert, en ouvrant son mail, des tas d'images Pinterest et de liens vers des blogs de déco. Plein d'idées pour notre hypothétique future boutique. J'ai passé une partie de la nuit à voguer de sites en sites, enregistrer les adresses, prendre des notes.



Il me reste pourtant un avis à prendre, celui de l'une des personnes qui compte le plus pour moi : mon frère. Nous nous retrouvons le jeudi soir dans un bar, après son travail, pour boire un verre.

— Alors, Loulou, qu'est-ce que tu avais de si important à me dire ? So n'était pas ravie que tu veuilles me voir en tête à tête. Elle n'aime pas qu'il se passe des choses dans son dos.

— Bah, je suis ta sœur quand même ! On peut bien se voir juste tous les deux, non ? Et puis, cela concerne Thomas.

— Je m'en serais douté. Qu'est-ce qu'il t'a encore fait ce chenapan ?

— Nico, plus personne ne dit « chenapan » depuis au moins trente ans.

— Pas grave, j'aime bien, moi. Alors, tu racontes ?

Je lui relate rapidement le projet, ainsi que la conversation que j'ai eu avec notre mère.

— Papa est au courant ? demande-t-il, les sourcils froncés.

— Non.

— Il va péter un plomb.

— Oui, mais qu'est-ce que tu en penses, toi ?

Nico prend ma main dans la sienne. C'est bon, c'est doux. Cette sensation immuable que lui sera toujours là pour moi. Je ne sais pas comment font les filles qui grandissent sans grand frère.

— Je crois que tu as besoin de reprendre le contrôle de ta vie et que... Loulou, tu m'écoutes ?

Non, je ne l'écoute plus, les yeux aimantés sur la jolie blonde qui vient d'entrer. Elle porte sa nouvelle robe verte avec une petite veste, elle rit et tient la main d'un homme. D'un homme qui n'est pas Thibault.

Ils s'assoient ensemble, cuisse contre cuisse, à une table au fond du bar, juste en face de la nôtre. Je n'ai qu'à attendre qu'elle lève les yeux vers moi, ce qui se produit quelques secondes plus tard. Immédiatement, elle blêmit, cesse de pouffer. Elle tourne lentement la tête vers le beau trentenaire qui l'accompagne et me regarde à nouveau, navrée.

— Loulou, ça va ? T'es toute pâle. C'est ce que j'ai dit ? Ce n'est pas ce que tu voulais entendre ?

— Si, si, c'est juste que j'ai mal à la tête, la musique est trop forte ici. Viens, on s'en va.

Nico me raccompagne chez moi. Je tente de me concentrer sur ses paroles pendant le trajet, mais je sens mon portable vibrer à plusieurs reprises dans mon sac. J'entends tout de même qu'il se range à l'avis de notre mère et de Caro.

Je ne sors mon mobile qu'une fois mon frère reparti et moi à l'abri de mon salon, mon havre de paix où rien ne peut m'arriver. Cet endroit où je ne vois pas mon amie tromper son mari que j'adore. Cet endroit où mes quelques repères fixes ne s'effondrent pas subitement. Cet endroit où je peux croire qu'il y a encore des couples qui s'aiment toute une vie.

J'ai plusieurs appels en absence et un sms.

De Capou : Je suis désolée Loulou. Je t'expliquerai. S'il te plaît, pas un mot à quiconque.

De Louise : A moi, tu ne dois rien. Tu es adulte, tu fais ce que tu veux.

Et tant que j'y suis, je continue sur ma lancée et envoie un message à Thomas. Comme on saute du plongeoir. Cette métaphore ne me quitte pas.

De Louise : As-tu prévu de remonter sur Metz prochainement ? Il faut que l'on discute.

La réponse ne se fait pas attendre.

De +33607422832 : Bonsoir Louise. J'espère avoir trouvé un appartement. Je le visite vendredi prochain et je pense rester jusqu'à dimanche ou lundi. Mais si c'est urgent on peut s'appeler.

De Louise : Non, ça attendra. Samedi soir ou dimanche, comme tu veux.

De +33607422832 : Je te dirai. À bientôt Lou, je t'embrasse.

✨✨✨✨✨

Le samedi, la boutique reste ouverte toute la journée car le flot de clients est continu. Nous prenons une heure pour déjeuner, deux par deux. Pauline et moi de midi à treize heures, puis Rihab et Lola de treize à quatorze.

Quand je sors avec ma collègue ce jour-là, Capucine attend en face du magasin. Elle a remis ses lunettes, et a l'air triste de la femme qui a peur d'avoir perdu une amie.

— Désolée Pauline, je ne peux pas déjeuner avec toi.

— Pas de soucis, on se voit ici tout à l'heure.

Je me dirige vers elle.

— Salut Capou, ça fait longtemps que tu es là ?

— Une demi-heure. Je ne savais pas à quelle heure tu prenais ta pause.

Sa voix tremble un peu, elle a l'air tellement fragile.

— Louise, je suis désolée... Tu m'en veux ?

— Non... c'est ta vie, tu fais ce que tu veux. Mais j'ai de la peine. Et ça me place dans une position délicate vis-à-vis de Thibault.

— Je peux t'expliquer ? S'il te plaît.

Il fait beau en ce dernier jour du mois de septembre. On croirait presque un jour de printemps. Nous achetons un sandwich avant d'aller nous assoir sur un banc.

— Il s'appelle Vincent, commence Capucine, les yeux rivés sur ses genoux sur lesquels elle a posé son sandwich sans y toucher. C'est un parent d'élèves, son fils est dans ma classe. En fait, j'ai déjà eu sa fille ainée en classe, il y a deux ans, et j'avais eu un petit coup de cœur pour lui, mais sans qu'il ne se passe rien. Mais cette année...

— Il est marié ?

— Oui. Comme moi.

— Et Thibault ?

— Il n'est évidemment pas au courant.

— Mais quoi, Capou ? T'es amoureuse ? Tu vas divorcer ?

— Non et non. C'est juste une passade.

— Tu risques de foutre ton couple en l'air pour une « passade » ?

— Que sais-tu de mon couple, Loulou ?

Je me tais. Elle a raison. Je ne sais que ce que je vois. Ou plutôt ce que je veux voir.

— Je n'ai pas encore vingt-huit et je suis en couple depuis douze ans, tu te rends compte ? J'ai une maison, un travail stable et deux beaux enfants.

— Et ça ne te convient pas ? Tu sais combien de femmes aimeraient être à ta place ?

— Mais c'est ça, le problème. J'ai tout, je n'ai donc plus rien à attendre de la vie. C'est terrible, Loulou, à mon âge, de ne plus avoir d'objectifs, de voir le reste de mon existence tout tracé. Ecoute, j'aime Thibault. Je l'aime profondément. C'est un mari adorable, un papa merveilleux. Mais je m'ennuie. On ne fait plus l'amour, on ne sort jamais tous les deux, il ne me dit pas que je suis jolie, tout est automatique chez nous. Du bisou du matin avant d'aller travailler, à celui du soir avant de se tourner le dos pour dormir. Alors, de voir que je plais à quelqu'un d'autre, qu'il a envie de moi...

— Est-ce que tu... couches avec cet homme ?

— Oui, souffle-t-elle en baissant la tête. Tu me juges ?

— Non. Je suis triste. Triste de ne pas l'avoir vu ou compris, triste que tu n'aies pas eu envie de te confier à nous, triste parce que je vous trouve magnifiques, Thibault et toi, et les enfants. Mais je ne te juge pas Capou. Je suis ton amie.

— Je sais que ça peut paraître paradoxal, mais je fais ça pour sauver mon couple, pour ne pas quitter Thibault. Ça m'aide à accepter la routine qui est maintenant la nôtre.

— Je crois que je comprends.

— C'est vrai ?

— Oui. Mais j'ai de la peine parce que je croyais que l'amour pouvait durer toujours.

— L'amour peut durer toujours. Mais pas la passion. Tu sais, Loulou, je crois que rencontrer mon mari au lycée a été la plus belle chose de ma vie et aussi la pire. Avant Vincent, je n'avais connu aucun autre homme que lui...

Nous restons silencieuses un moment, mais je dois rompre l'instant.

— Il faut que je retourne bosser Capou, je vais être en retard. Mais rassure-toi, je n'en parlerai à personne. Cela dit, ne me demande pas de te servir d'alibi s'il te plait. Je tiens à Thibault et je vais déjà avoir du mal à le regarder en face.

— Bien sûr. Merci, Loulou. Tu es une véritable amie.

— Tu en doutais ?

✨✨✨✨✨

Les paroles de Capucine résonnent dans ma tête toute l'après-midi. Je n'aurais jamais pensé que se cachaient une telle détresse et un tel ennui derrière son sourire. J'imagine combien ça doit être difficile de ne plus se sentir désirée et désirable. Je n'approuve pas sa conduite, mais je la comprends.

Si Thomas n'était pas parti en 2010, si nous étions restés ensemble, aurait-ce fini de la même manière ? Est-ce qu'il s'échapperait pour sauter une collègue dans des cinq à sept douteux avant de venir raconter l'histoire du soir à nos enfants ? Ou est-ce moi qui aurais trouvé un amant pour me faire rêver à nouveau ? J'ai la sensation qu'on aurait été plus forts que ça, mais c'est aussi ce que je croyais de Capucine et Thibault.

Je rentre chez moi après la fermeture, et Serge me rejoint peu de temps après pour aller dîner en ville. Il perçoit tout de suite que je ne suis pas dans mon assiette, et vient m'entourer de ses bras.

— Ça va, ma chérie ? Tu as l'air soucieuse...

Depuis quelques jours, il a laissé tomber mon prénom pour un surnom d'amoureux. Je trouve cela mignon, même si moi je n'y arrive pas encore. J'ai l'impression que dans ma bouche ça sonnerait faux.

— Oui, je... la journée a été difficile. On a eu une cliente pénible et je n'ai pas atteint mon objectif.

Je déteste lui mentir, mais j'ai promis. Et connaissant son passif, je crois qu'il ne serait pas aussi compréhensif que moi vis-à-vis de l'attitude de Capucine.

— Oh, mince. Désolé pour toi. Du coup, tu préfères qu'on reste ici si tu es fatiguée ?

— Non, ça va aller. Nous ne sommes pas sortis tous les deux depuis longtemps.

— Tu es sûre ?

— Oui, ça va me changer les idées.

Nous choisissons au hasard un petit restaurant italien, dans une rue près de mon appartement. Je prends sur moi pour plaquer un sourire sur mes lèvres et rebondir aux bavardages de Serge. Il est gai, enjoué, je n'ai pas envie de gâcher notre soirée. Et puis, je suis heureuse d'être en sa compagnie ce soir, toute seule, j'aurais été complètement déprimée.

Le serveur vient juste de poser devant nous mon assiette de cannelloni et la pizza de Serge quand une vieille connaissance ouvre la porte.

Décidément, c'est la semaine. Metz est vraiment une toute petite ville.

— Loulou ! s'exclame Baptiste en venant m'embrasser. Ça faisait un bail ! Qu'est-ce que tu fais là ?

— Salut Bat. Eh bien, on dîne. Je vous présente Serge, mon ami.

— Oh, bien sûr, fait mon ex en serrant la main de Serge. Bonsoir, Baptiste, un ami de Louise, et Natacha, mon épouse.

Natacha nous embrasse à tour de rôle, mais son expression ne me laisse pas de doute quant au fait qu'elle aurait préféré me mordre. Je m'attends à ce qu'ils partent, changent de resto, mais vont finalement s'assoir dans le fond de la petite salle.

— « Mon ami » ?

Je rougis immédiatement.

— Comment je dois dire ? Pas mon petit copain quand même, on n'a plus quinze ans.

Il éclate de rire. Son beau rire jovial qui me plait tant.

— « Mon ami » c'est parfait. Ça correspond bien à mon âge. Trente-neuf ans dans un mois... Mais d'ici là, je serais peut-être ton amoureux, qui sait ? Et avant les quarante, ton compagnon...

Ses yeux m'interrogent. Je me sens fondre.

— J'espère bien.

Il caresse doucement ma main et se penche par-dessus la table pour déposer un léger baiser sur mes lèvres. Une démonstration en public contraire à ses habitudes mais qui doit rassurer Natacha qui ne quitte pas notre table des yeux.

— Et lui, c'est qui ?

— Un ami du lycée, réponds-je prudemment.

— Madame n'a pas l'air de te porter dans son cœur.

— C'est le moins que l'on puisse dire.

— Je comprends, tu es bien plus jolie qu'elle.

J'ai une moue incrédule. Il est gentil, mais Natacha est une femme magnifique, beaucoup plus belle que moi. Grande, élancée, très féminine. Etudiante, elle a même fait quelques photos de mode. On ne joue de toute évidence pas dans la même cour. Pourtant, son mensonge me touche.

Nous dînons paisiblement, je sens ma bonne humeur revenir.

Baptiste profite du moment où sa femme se rend aux toilettes pour s'inviter à notre table. Ses yeux brillent.

— Nat serait folle si elle savait que je te l'ai dit mais je n'en peux plus, j'ai trop envie de t'annoncer la nouvelle. Je vais être papa !

— Non, c'est pas vrai ! m'exclamé-je en essayant de mettre un peu de gaité dans ma voix

— Oui ! C'est tout frais encore, c'est pour le mois de mai !

— Félicitations, Baptiste, je suis vraiment heureuse pour toi.

— Merci, ma Loulou. Bon, je repars m'assoir. Avec les hormones au taquet, Nat pète un plomb pour rien, si elle me voit là, je suis mort.

Et il disparait, aussi vite qu'il est arrivé. Je soupire.

— Il est marrant, ton copain, note Serge. Un peu exalté comme garçon, mais marrant.

— Et encore, tu l'as pratiqué une minute trente...

La vérité, c'est que l'annonce de Baptiste m'a achevée. Même lui, il avance. Et moi je reste bloquée entre passé, présent et futur, entre mes peurs et mes envies.

Il me fournit le déclic qu'il me fallait, la révélation que j'attendais. Je vais le faire. Je vais dire oui.

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