Chapitre 41

       

Je sors mon mobile pour téléphoner à Serge sur le chemin qui me ramène chez moi. Il est tard mais il décroche à la deuxième sonnerie, je suis sûre qu'il attendait de mes nouvelles.

— Allo, Serge ?

— Louise ! Alors, comment s'est passé ce dîner ?

— Bien. Je suis en train de rentrer.

— Il ne te raccompagne même pas ? Quel genre de mec laisse une femme rentrer seule à plus de vingt-trois heures ? Enfin, c'est pas grave, je préfère à la limite.

— Ne commence pas...

— Bon, qu'est-ce qu'il te voulait alors ?

— Oh, pas grand-chose. Mais il m'a fait une proposition pour du travail.

— Ah bon ? Il travaille pour pôle emploi maintenant ? raille-t-il. Mais il est au courant que tu as déjà du boulot ?

— Oui, bon Serge, on en parlera demain si tu veux bien, j'ai un peu mal à la tête, je voulais juste te rassurer...

— D'accord, ma belle. Dis, tu veux venir passer l'après-midi à la maison ? La météo annonce du beau temps, on pourrait profiter du jardin...

— Avec Elena et toi, tu veux dire ?

— Oui, avec Elena et moi, je veux dire.

— Avec plaisir, j'apporte le goûter.

— A demain alors, je t'embrasse.

— Moi aussi.

Je me sens mieux après avoir raccroché. Serge est un merveilleux garde-fou.

Je prends une longue douche en rentrant. Tout se mélange dans ma tête. Thomas, que je connais par cœur, qui suscite en moi tant d'émotions contradictoires. Serge, que je découvre chaque jour, avec ses défauts et ses qualités, sa tendresse qui me laisse croire qu'un autre chemin pour le bonheur est possible.

Je repense aussi à la proposition de Tom. La librairie de mes rêves d'enfant. Etre entourée de livres toute la journée. Je suis à la fois touchée qu'il s'en soit souvenu, qu'il cherche par ce biais à me rendre heureuse et inquiète de l'emprise qu'il aurait sur moi si j'acceptais de le suivre dans ce projet. Mais dans tous les cas, comment pourrais-je travailler avec lui ? La confiance est la base d'un tel projet et je n'ai plus confiance en lui. Quand il est parti si brusquement, il a fait s'écrouler mon monde, rien ne me prouve que ça n'arrivera pas à nouveau dans un, trois ou dix ans. Et il faudra, d'une façon ou d'une autre, que l'on clarifie la situation entre nous. Je n'ai jamais été infidèle, il est hors de question que je trompe Serge. Pourtant, l'attirance intense que j'ai ressentie ce soir pour lui m'effraye.

Epuisée, à bout de force, je me traine jusqu'à mon lit et pour une fois, malgré toutes les pensées parasites qui défilent dans ma tête, je m'endors rapidement, pour un sommeil profond et réparateur.

Je me lève tard le lendemain, traîne un long moment en chemise de nuit et grignote un morceau de pain et du fromage avant de me mettre au ménage. Je me prépare ensuite et passe en ville dans une pâtisserie acheter un goûter de rêve avant d'aller prendre le bus pour me rendre chez Serge. J'ai revêtu une belle robe portefeuilles, noire à pois blancs, j'espère qu'elle plaira à Elena. Je n'ai que ça pour la mettre dans ma poche.

Elle joue dans le jardin quand j'arrive. Serge vient m'accueillir avant que je n'ai eu le temps de sonner, ce qui me laisse à penser qu'il guettait mon arrivée.

— Je lui ai dit que tu avais déjeuné chez Capucine et que comme on s'était bien entendu la dernière fois, je t'avais proposé de passer, me prévient-il, à mi-voix.

Elena semble contente de me voir. Elle m'embrasse gentiment sur la joue et détaille sans se priver ma tenue et mes bijoux.

— T'as un beau vernis. Moi, mon papa, il veut pas que j'en mette, et puis y'en a même pas ici, déclare-t-elle en observant mes ongles laqués de blanc nacré. L'importance se niche parfois dans les détails.

— La prochaine fois je le prends avec moi et je lui demanderai s'il est d'accord, je suis sûre qu'il n'osera pas dire non, chuchote-je à son oreille.

La petite glousse, ravie, et repart faire de la balançoire.

— Eh bien, tu nous as gâté ! siffle Serge en ouvrant la boîte de carton blanc.

Il pose les pâtisseries sur une assiette. J'ai essayé de choisir tout ce qui pouvait plaire à une enfant. Un éclair au chocolat et un à la vanille, une tartelette aux framboises et une sorte de petit cochon en pâte d'amande, vraisemblablement fourré de génoise et de crème au beurre.

— Elena, va te laver les mains et viens goûter.

Sur la table de la petite terrasse, il sert un verre de lait pour sa fille, deux cafés pour nous. La petite, folle de joie devant l'assortiment, veut goûter à tout, et Serge coupe de petites parts de chaque gâteau que nous partageons. J'ai l'impression de jouer à la dînette.

— Tu restes manger avec nous ce soir ? me demande Serge alors que l'enfant est repartie jouer.

— J'espère bien.

Je décale ma chaise pour ne pas être à portée de vue et écarte un peu les pans de ma robe sous laquelle j'ai revêtu la lingerie qui affolait Matthieu. Le résultat est celui attendu, Serge écarquille les yeux en apercevant le porte-jarretelles et les bas chair.

A tête refroidie ce matin, j'ai essayé d'analyser la raison de mon désir pour Thomas et j'en ai conclu qu'il n'était que la conséquence  de ma frustration avec Serge. Et je suis bien décidée à aller de l'avant. Puisque je veux construire une relation solide avec lui, je dois essayer de faire en sorte de ne plus lui mentir, quel que soit le sujet. J'ai donc sorti l'artillerie lourde, pour mettre toutes les chances de mon côté.

— On mange à dix-huit heures, à dix-neuf, elle est au lit, et je t'enlève ta robe pour découvrir totalement ce qui se cache en dessous, souffle Serge. Si je suis capable d'attendre jusque-là...

Je me contente de sourire, satisfaite de mon effet.

Je profite de sa bonne humeur pour lui détailler la proposition de Thomas. Evidemment, cela ne lui plait pas du tout. Autant le fait que je lui sois redevable que de nous imaginer travailler ensemble. Je le persuade que ma décision est loin d'être prise mais il sait, il sent qu'il n'aura pas son mot à dire dans le choix que je dois faire, et cela l'inquiète. Pourtant, à force d'arguments, je parviens à éloigner la contrariété, du moins temporairement. Je sais que nous sommes loin d'en avoir fini avec cette histoire mais c'est une belle journée, et aucun de nous n'a envie de la gâcher.

Nous restons dehors un long moment, jouissant des derniers rayons du soleil tiède, puis Serge appelle sa fille pour lui donner son bain. Le dimanche, c'est lavage de cheveux et j'en profite pour m'échapper une demi-heure embrasser Capucine et les enfants, puis reviens pile au moment où ils descendent tous les deux.

Nous cuisinons ensuite, à trois. Nous préparons de la semoule avec des légumes et Elena nous aide à couper des morceaux de courgettes avec son petit couteau d'enfant. C'est un bon moment familial partagé. Ils sont complices tous les deux mais je ne me sens pas de trop. Petit à petit, je sens l'enfant s'ouvrir, comme si je parvenais à l'apprivoiser, et c'est même agréable pour moi. C'est une gentille petite fille, bien élevée et polie, j'aurais vraiment pu tomber sur bien pire.

Après le dîner, c'est à moi qu'Elena réclame une histoire et je lui expose mes talents de conteuse pendant que son papa débarrasse la table.

Il monte ensuite l'embrasser puis nous nous installons sur le canapé du salon.

— Remontre-moi un peu ce que j'ai vu tout à l'heure...

— Serge, elle ne dort pas encore.

— Juste montrer...

Je remonte un peu ma robe, mutine, et il pousse un soupir rauque.

— Bon, j'allume la télé, il faut que je pense à autre chose, sinon je vais devenir dingue.

Nous zappons quelques instants, puis au moment où le journal télévisé commence, il remonte vérifier que la petite s'est endormie.

— C'est bon, on a le champ libre, fait-il en redescendant, un sourire gourmand sur les lèvres.

Je me lève alors, éteins la télévision et le pousse doucement sur le canapé où il tombe assis. Face à lui, très lentement, je tire sur le nœud qui garde les pans de ma robe serrés. 

— Louise... gémit-il.

Les liens se dénouent et ma robe s'ouvre, dévoilant un corset assorti aux porte-jarretelles. D'un mouvement d'épaules, je la laisse glisser au sol.

— Mon Dieu, tu ne m'avais jamais sorti le grand jeu comme ça...

— Il faut bien en garder un peu pour chaque jour, soufflé-je en m'asseyant à califourchon sur ses genoux.

— Des surprises comme ça c'est quand tu veux.

Pour la première fois, mon amant laisse de côté la douceur et la tendresse pour quelque chose de plus sauvage, animal et je profite qu'il soit plus ou moins étourdi par l'excitation de ma surprise pour lui chuchoter subtilement quelques indications, comme me l'a suggéré Caro. Le résultat est à la hauteur de mes attentes et je m'effondre un peu plus tard dans ses bras, enfin foudroyée par l'orgasme.

— Louise, c'était... incroyable, murmure-t-il, encore tremblant après le moment de passion intense que nous venons de partager. J'adore quand tu me parles, tu n'imagines pas comme ça m'excite.

Je me garde bien de lui dire que c'était surtout nécessaire.

— Pour moi aussi, c'était génial...

Il cale son front mouillé de sueur dans mon cou, respire plusieurs fois profondément. Je sens les pulsations rapides de son cœur.

— Tu me rends complètement fou. Je t'aime.

Dans le taxi qui me ramène chez moi quelques heures plus tard, je me sens partagée.

Avec Serge, j'ai trouvé un équilibre. Il m'aime, et moi je n'en suis vraiment pas loin. Sa fille s'habitue doucement à moi et j'apprécie nos moments à deux, à trois. Je viens de régler la seule chose qui pouvait constituer un problème entre nous.

Plus j'y réfléchis, plus je me dis que je vais refuser la proposition de Tom. Je ne crois pas que Serge pourra le gérer, et je n'ai pas envie de tout foutre en l'air.

Je repense à ce qui s'est passé il y a bientôt huit ans. Une vie de bonheur à deux contre un rêve. Suis-je prête à être aussi égoïste que Tom ? En toute honnêteté, s'il n'avait pas déboulé dans ma vie avec cette idée de librairie, j'aurai continué ma petite vie tranquille, entourée seulement des bouquins de ma bibliothèque et je mentirais en disant que ça ne me suffisait pas. Et vraiment, décidément, je ne crois pas que côtoyer au quotidien celui qui a été mon grand amour soit une bonne idée. C'est même tout le contraire.

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