Chapitre 39
Pour la première fois depuis que j'ai revu Thomas il y a plus de quatre mois, je me sens enfin en paix. Je suis décidée, je sais ce que je veux et la présence de Serge à mes côtés me permet d'être plus forte. Je n'ose pas imaginer dans quel état la situation m'aurait mise sans son soutien.
Depuis le retour d'Elena, nous avons du mal à trouver du temps pour nous. Elle est revenue de chez sa maman juste avant la rentrée des classes et Serge la garde deux week-end d'affilé ensuite, car Valérie doit assister à un séminaire. La petite a repris l'école début septembre, et son papa évite de la mettre chez la nounou quand il ne travaille pas, pour qu'elle puisse se réhabituer tranquillement au rythme scolaire. Entre l'enfant et nos emplois, impossible de nous voir pendant une dizaine de jours. Il ne me propose pas de venir chez lui, probablement pour éviter de mettre la puce à l'oreille de sa fille. Il n'empêche qu'après notre mois de liberté, je trouve le temps un peu long. J'espère simplement que cette distance n'est due qu'à nos emplois du temps, et qu'elle n'a rien à voir avec le fait que je doive dîner avec Thomas quelques jours plus tard.
Nous nous appelons chaque jour, une fois Elena couchée, mais ce n'est pas pareil. J'imagine que je suis un peu paranoïaque aussi, guettant et tentant d'interpréter le moindre signe de lassitude ou de rejet après avoir été si aveugle avec Thomas.
Enfin, le jeudi soir il me demande si je suis libre le lendemain. Je lui manque trop, il projette de demander à ses parents de venir garder Elena pour que nous puissions nous voir. Je suis vraiment contente et accepte avec enthousiasme.
Quand je rentre du travail, il est déjà là, en bas de chez moi, à m'attendre, un gros bouquet de fleurs dans les bras et un sac mystérieux. Nous montons et il me tend son cadeau surprise, ses yeux dorés brillants de malice. Je trouve un beau vase emballé.
— Malgré tous tes efforts j'ai bien vu que tu n'en avais pas la dernière fois.
J'éclate de rire et l'embrasse avant de mettre ses fleurs dans mon nouveau vase.
Je réchauffe la meilleure tourte surgelée de chez Picard, pendant qu'il lave la salade, puis nous asseyons avec un verre de vin pendant que notre dîner finit de cuire et bavardons mais j'ai comme un flash, une évidence. Je sais comment lui témoigner mon engagement, lui montrer combien il compte pour moi.
— Attends, j'ai quelque chose à faire...
Surpris, il me regarde me lever et aller farfouiller dans l'entrée.
— Donne-moi ta main, dis-je en me rasseyant à côté de lui.
Et, dans sa paume ouverte, je pose une clef. Celle de mon appartement.
— Louise, tu me donnes la clef de chez toi ?
— Oui, réponds-je un peu intimidée.
Il referme ses doigts sur mon cadeau, visiblement ému.
— Merci, murmure-t-il d'une voix rauque.
Il pose le petit objet sur la table basse et m'attire contre lui.
— Ecoute, j'ai quelque chose à te demander, à te proposer plutôt... Je me disais que comme on est ensemble depuis presque cinq mois, on pouvait peut-être... laisser tomber les capotes, qu'en dis-tu ?
— C'est une excellente idée, réponds-je, enchantée par son initiative qui ne pourra qu'améliorer la qualité de nos ébats. Mais il faut peut-être qu'avant on fasse un test de dépistage, non ? Même si toi comme moi n'avons pas eu de rapports à risque, cela me parait plus raisonnable.
— Je suis d'accord, sourit-il avant de se rapprocher encore. Je prends rendez-vous chez le médecin dès lundi matin.
La main sur ma nuque, il nous fait basculer sur le canapé. Son baiser est passionné, enflammé et je me laisse consumer par son ardeur jusqu'à ce qu'il susurre à mon oreille :
— Je t'aime...
Aïe.
Je sens qu'il attend une réponse, mais je ne peux pas lui mentir. Je le balade déjà sur une grande partie de notre vie de couple, je ne peux pas m'inventer des sentiments que je n'éprouve pas encore pour lui faire plaisir.
Il perçoit ma retenue et ses yeux cherchent les miens. Je voudrais disparaitre sous terre, mais son regard n'est que bienveillance.
— Ça viendra... j'espère, souffle-t-il.
— Serge... je t'apprécie énormément... j'ai juste besoin de plus de temps. C'est difficile pour moi de...
— Chut. Je sais. Je comprends et je serai patient, chuchote-t-il avant de reprendre où nous nous étions arrêté.
Serge quitte mon appartement peu avant minuit, après avoir attaché ma clef sur son trousseau.
Avant de partir, il m'embrasse tendrement et pose son front contre le mien.
— J'espère que tout se passera bien, demain soir. Je penserai à toi.
— Ça ira, ne t'en fais pas.
Je recule et arrime mes yeux aux siens en essayant de mettre dans mon expression toute la conviction dont je suis capable. Il soupire légèrement et tente un sourire, puis m'embrasse à nouveau.
— Tu m'appelles dimanche matin pour me raconter ? Et on essaye de se voir la semaine prochaine ?
— Oui, et oui. Rentre bien Serge, bonne nuit.
— A toi aussi, dors bien, ma jolie Louise.
Je referme la porte doucement et vais m'assoir sur mon canapé. Bien dormir ? Pas cette nuit, non.
Je savais qu'on en arriverait là, j'avais juste imaginé que ça viendrait plus tard. Serge m'aime et ça devrait me rendre heureuse, mais je me sens surtout angoissée. Je m'en veux de ne pas encore être capable de réciprocité. J'ai la sensation d'avoir un cœur de pierre.
Nous avançons ensemble, petit à petit et cette soirée aura été un grand pas dans notre relation.
Je me demande tout de même si le fait que Serge m'ait dévoilé ses sentiments ce soir n'a pas un rapport avec mon entrevue de demain. Je trouve cela bien à propos. Quoiqu'il en soit, je suis soulagée par sa réaction, qu'il ne m'en veuille pas de ne pas lui avoir répondu la même chose. Surtout connaissant son caractère soupe au lait, sa jalousie vis-à-vis de Thomas. A peu de chose près, cet homme est parfait, je suis consciente d'avoir une chance insolente de l'avoir rencontré, surtout au moment où j'en avais le plus besoin.
Je vais jusqu'au velux, l'ouvre et allume une cigarette.
Que me veut-il ? Je ne cesse pas d'y penser depuis son message. Qu'a-t-il donc à me dire qui nécessite un vrai rendez-vous ? Je suis certaine que les hypothèses de Capucine et Serge sont fausses, car même si mon attitude a pu être parfois plus équivoque que ce que j'ai laissé entendre à mon amant, je connais assez Tom pour savoir qu'il ne s'interposera pas entre Serge et moi. Tom et Lou, c'est fini depuis plus de sept ans, définitivement fini. Nous avons chacun notre vie maintenant. Mais quoi alors ? Quoi ?
Ma cigarette terminée, je me réinstalle sur le canapé et me branche sur Netflix, puis lance un épisode de la saison quatre de The Good Wife. La nuit va être longue, autant m'occuper. Demain, j'aurai le cœur net, je saurai et je dormirai mieux. Peut-être.
J'ai dormi de quatre heures à huit heures trente et je suis d'une humeur de dogue. Je prends sur moi toute la journée pour être gentille avec mes collègues, agréable avec les clientes, mais j'espère que mon rendez-vous avec Tom ne va pas tourner au pugilat car je ne me sens vraiment pas capable d'entendre des choses qui ne me conviendront pas. Et je ne sais pas trop ce qui me conviendrait. Je sens que cette soirée s'annonce compliquée.
Après ma journée de travail, je prends le temps de repasser chez moi. J'enfile un slim en jean brut avec une blouse légère en dentelle crème et troque mes petits talons qui me permettent de rester debout toute la journée contre des escarpins. Je me remaquille rapidement et ajoute une paire de boucles d'oreilles pour compléter ma tenue.
Je ne suis pas en avance mais repars sans me presser, il peut bien attendre.
Il est presque vingt heures quinze quand j'arrive devant le restaurant où je dois le retrouver. Je marque un temps d'arrêt, le cœur battant. J'ai envie de prendre mes jambes à mon cou. Rentrer mettre un jogging et appeler Serge pour lui dire qu'un jour, bientôt, moi aussi je serai amoureuse de lui.
Je regrette de ne pas avoir pris mon paquet de cigarettes, j'en aurais bien grillé une.
Je me décale pour laisser entrer deux couples qui plaisantent ensemble mais laisse la porte se refermer sur eux.
Allez Lou, c'est comme sauter du plus haut plongeoir, ça fait peur mais il faut y aller sans trop réfléchir, sinon on n'ose plus.
Je ne suis pas une dégonflée, je me jette à l'eau.
Je pousse la porte et me retrouve dans un petit sas fermé par un rideau qui isole la salle du restaurant de l'entrée. Un maître d'hôtel en chemise blanche et tablier noir sur son pantalon à pinces vient immédiatement à ma rencontre.
— Bonsoir, Madame, puis-je vous aider ?
— La table de Monsieur Lartigue, s'il vous plait.
— Par ici, je vous prie.
Je ne suis jamais venue dîner dans ce restaurant. C'est assez chic, cossu. Le genre brasserie traditionnelle avec un zeste de modernité pour plaire à une clientèle plus jeune. Il y a de la moquette au sol, des banquettes moelleuses, des alcôves à tentures. Pas vraiment le genre d'endroit où j'ai l'habitude de me rendre. En dépit de l'impression de confort que l'établissement cherche à donner, c'est assez bruyant, animé, plutôt sympathique.
Il est installé à une petite table pour deux au fond de la salle. Je le vois de loin, il a l'air soucieux. Il n'est pas en train de regarder son smartphone, comme tous ces gens qui ne savent pas attendre. Les traits de son beau visage sont tendus, il pianote du majeur et de l'index sur la nappe de lin blanc, puis soudain, il pose les yeux sur moi et son regard s'éclaire.
— Merci, dis-je au serveur qui m'a escortée.
Tom se lève immédiatement et m'embrasse doucement sur la joue avant de me laisser m'assoir. Il porte un jean aussi, et une chemise blanche sous un blazer noir. Son parfum me heurte en plein cœur.
— Bonsoir, Louise.
— Bonsoir Tom, réponds-je en m'asseyant face à lui. Ça m'étonne que tu aies réservé ici, cela ne me semble pas être le genre d'établissements que tu aimes fréquenter.
— Détrompe-toi. C'est moins guindé qu'il n'y parait à première vue, et vraiment très bon.
— On verra. Gin Tonic ? demandé-je en désignant le verre posé près de lui.
Il acquiesce avec un sourire. Un sourire léger, la bouche fermée, comme avant, parce qu'il complexe sur ses incisives qui se chevauchent un peu. Moi je trouvais ça mignon.
— Comme au bon vieux temps... Je vais prendre la même chose.
Il accoste le serveur de tout à l'heure, et lui passe ma commande, avant de revenir vers moi.
— J'ai cru que tu n'allais pas venir, murmure-t-il.
— Tu plaisantes ? Je n'ai qu'une parole... Et surtout je me demande bien ce que tu as à m'annoncer...
— Tu es très élégante. J'aime bien ton nouveau style. Je te trouve vraiment jolie.
— S'il te plaît, Tom, ne commence pas. On n'est pas là pour parler de mode, n'est-ce pas ?
Thomas s'apprête à répondre avant d'être interrompu par le serveur qui revient avec ma boisson.
— Et un Gin Tonic pour Madame. En suggestions ce soir, le chef vous propose le potage Du Barry et son pain croustillant, ou le tartare aux deux saumons, pomme verte et grenade en entrée, puis le cordon bleu de veau maison, sauce aux girolles et sa purée grand-mère, ou le cabillaud en croûte de chorizo et parmesan, riz pilaf et légumes de saison. Vous trouverez tout cela sur les ardoises aux murs. Je vous laisse également les cartes. N'hésitez pas à me faire un petit signe quand vous serez prêts, ou si vous avez besoin de quoi que ce soit.
Nous nous absorbons quelques instant dans la lecture des menus, comme si nous cherchions le temps de reprendre le contrôle, chacun de notre côté.
— Tu as choisi ? demande Tom en posant la carte à côté de son assiette.
J'hésite encore un instant et l'imite.
— Souris d'agneau. Et toi ?
— Le risotto aux gambas. Et, euh sinon, ça a été ta journée, tu n'es pas trop fatiguée ?
— Tu vas tourner longtemps autour du pot ?
— Je dirais au moins le temps que tu termines ton verre et que le serveur vienne prendre la commande. Mais on peut parler de ce que tu veux en attendant... Météo ? Dernier film que tu as vu au cinéma ?
Je pourrais objecter que je n'ai pas de temps à perdre mais il est souriant et fait des efforts pour que nous passions une bonne soirée. Et il est très beau aussi, même si ça n'a rien à voir. Je bois une nouvelle gorgée de mon cocktail et l'alcool dans mon estomac vide me fait déjà légèrement tourner la tête. Le goût du gin et du citron me rappelle tant de souvenirs... Je commence à me détendre et décide de baisser un peu la garde pour entrer dans son jeu... tant que je garde la main.
— D'accord, on peut parler de cinéma si tu veux, mais d'abord, dis-moi pourquoi Jeanne et toi vous êtes séparés.
Il s'assombrit brusquement, joue avec son verre, semble chercher ses mots. Ma question l'embarrasse et le prend au dépourvu. Tant pis, je veux savoir.
— C'est compliqué, on en parlera une autre fois si tu veux, mais pas ce soir...
— Une autre fois ? Tu penses qu'on va se revoir ?
— Louise, s'il te plaît.
— C'est elle qui t'as quitté ?
— Non, c'est moi qui suis parti. Mais pas aujourd'hui, Lou. Pas maintenant.
Le serveur revient à temps pour le sauver. Il note les commandes et nous aide à choisir deux verres de vin qui s'accorderont avec nos mets. Alors qu'il s'éloigne, je me résigne à laisser Thomas tranquille mais je suis vraiment intriguée.
Cependant, puisque j'abandonne ce sujet, je reviens sur l'autre. Je vide mon cocktail et pose le verre un peu brusquement sur la table.
— Ça y est, Thomas, je t'écoute. Je veux savoir pourquoi je suis là.
Il s'adosse à sa chaise, pose les mains à plat sur la table, mal à l'aise.
— Je... j'ai une proposition à te faire.
— Une proposition ? Voyez-vous cela... Mais quel genre de proposition ?
— Eh bien, j'ai touché beaucoup d'argent à la mort de mes parents. Leurs assurances, l'argent des comptes, et la vente de la maison de Luxembourg. Et ma grand-mère maternelle, que tu as connue, est décédée elle aussi, elle nous a laissé à mes cousins et moi, une belle somme également. Tu vois, mes sœurs et moi n'avons plus personne, mais nous sommes riches.
J'ai parfois du mal à boucler mes fins de mois, mais il semble tellement seul, tellement amer en prononçant ces mots que vraiment je ne l'envie pas. J'aime tellement ma famille, je ne peux pas m'imaginer à sa place.
— En quoi puis-je t'aider, Thomas ?
— Je ne sais rien faire, je n'ai pas terminé mes études, je n'ai pas de diplôme. Alors je me suis dit que le mieux, en attendant de trouver ma voie, ce serait d'investir une partie de cet argent.
— Très bien, mais je ne vois pas en quoi cela me concerne. Je n'ai pas de talent pour comprendre les cotations en bourse.
— Je veux acheter une librairie, Louise, et j'aimerais que tu la diriges.
Hey !
Alors, que pensez-vous de la proposition de Thomas ? Lou doit-elle accepter selon vous ?
Suite du dîner mercredi...
Belle journée à vous et bonne fête à toutes les mamans, vous ou les vôtres !
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