Chapitre 38




Cette nuit-là, encore, je n'ai pas pu dormir. Je n'ai pas osé me lever pour ne pas réveiller Serge et ai passé de longues heures, les yeux ouverts, à me poser mille questions. Que me veut-il ? De quoi souhaite-t-il me parler ? Ai-je envie de le revoir ? Et surtout, pourquoi diable surgit-il dans ma vie à chaque fois que je trouve un semblant d'équilibre ?

J'aurais pu lui répondre, lui demander directement de quoi il retournait mais après avoir lu son message, j'ai tout de suite éteint mon téléphone, comme par réflexe, comme prise en faute. Comme si mon geste pouvait rembobiner la situation mais évidemment, ça ne marche pas et je passe la nuit entière et les jours suivants à me torturer.

Je n'en dis bien sûr pas un mot à Serge, cela ne me semble pas le bon moment après son accès de colère et tant que je ne sais pas si je vais accepter ce dîner, cela me parait prématuré.

Le jeudi suivant, je retrouve les jumelles pour déjeuner. C'est la dernière semaine d'août et elles préparent toutes les deux la rentrée, qui aura lieu dix jours plus tard. Capucine a laissé les enfants à leur grand-mère pour pouvoir travailler et nous nous octroyons cette pause ensemble. Chaque année à la même époque, j'ai un peu le cafard. Je me dis que moi aussi, je pourrais être en train de refaire des progressions, d'établir des listes d'œuvres à étudier, d'élaborer des projets.

Nous nous installons dans un bar à pâtes bon marché en échangeant les dernières nouvelles et dès la commande passée, j'ouvre les hostilités.

— Cha, j'ai reçu un sms de Tom.

Elle gigote, mal à l'aise.

— Oui, je savais qu'il cherchait à te joindre... c'est moi qui lui ai donné ton numéro.

— Je sais. Tu ne crois pas que tu aurais pu me demander mon avis, avant ?

— Franchement, Lou, tu fais des histoires pour rien, là. Il me l'a demandé, je le lui ai donné, c'est tout. Je ne sais pas ce qu'il te veut mais je me doute qu'il ne va pas te harceler. Si tu préfères qu'il ne contacte plus, dis-le-lui et il te laissera tranquille, déclare-t-elle un peu sèchement.

— Mais qu'est-ce qu'il disait son message ? demande Capucine, curieuse.

— Pas grand-chose... Il y a quelque chose dont il souhaite me parler et il me propose qu'on aille dîner ensemble quand il remontera à Metz, dans quinze jours.

— Et tu vas y aller ?

— Aucune idée. En fait, j'ai reçu son message vendredi soir en rentrant de chez toi Capou, et au passage, après une petite crise de Serge, à propos de lui, justement.

— Serge a fait quoi ?

Je raconte brièvement aux filles la réaction de mon amant et la conversation qui a suivi.

— Ce n'était donc pas le meilleur moment pour prendre une décision, conclus-je. Serge va être contrarié si j'y vais, et je ne suis de toute façon pas certaine d'avoir envie de voir Thomas.

— Pourtant vous aviez l'air proches ce jour où il est venu, note Charlotte d'un ton détaché.

— Ah bon, tu trouves ? Moi j'ai trouvé que c'était plutôt électrique, mais pas dans le bon sens, objecte sa sœur avant de répondre au téléphone.

— J'ai vu les tasses dans l'évier... me souffle mon amie. Et je t'ai entendue retourner dans ta chambre à quatre heures passées. Je sais que Tom et toi vous êtes relevés la nuit, après que nous soyons couchés.

— Nous avons discuté, c'est tout.

— Tu fais ce que tu veux, Lou, tu es grande.

Nous nous taisons brusquement quand Capucine raccroche.

— Bon, et du coup, tu n'as pas essayé d'en savoir plus ? De comprendre ce qu'il te voulait ?

— Non, je n'ai pas répondu.

— Pas du tout ? Mais, Loulou, ça fait six jours, ça ne se fait pas ! Tu aurais au moins dû lui dire que tu réfléchissais.

— Bah, il a de l'avance sur moi dans ce qui ne se fait pas.

Je vois Charlotte se crisper, mais elle ne commente pas. Sa sœur reprend.

— Lou, tu dois lui répondre, même si tu décides de ne pas y aller. Si ça se trouve, il ne sait même pas que tu as eu ton message.

— Mais c'est plus que ça, renchérit la brune. Tu dois y aller. Il faut que tu saches ce qu'il te veut. Sinon tu passeras des semaines, des mois, plus même, à te demander ce qu'il avait à te dire. Je ne comprends même pas comment tu peux tenir, j'aurais trop envie de savoir à ta place !

— Si ça se trouve, il est toujours amoureux de toi et il veut te l'annoncer, clame Capucine les yeux brillants.

— Mais oui, probablement... Et comme moi je ne suis qu'une sotte, avec sa déclaration j'oublierai tout ce qu'il m'a fait subir, on se mariera et on aura beaucoup d'enfants. Tu crois que ça marche comme ça, Capou ? Et puis, j'ai Serge maintenant, j'ai pas envie de tout foutre en l'air pour un dîner avec mon ex que je déteste.

Charlotte plante ses yeux dans les miens.

— Si tu n'y vas pas et que tu n'écoutes pas ce qu'il a à te dire, tu ne pourras pas tracer un trait sur lui. Je t'ai déjà fait cette réflexion il y a sept ans quand il est rentré et tu ne m'as pas écoutée. Avais-je tort ?

— Je ne vois pas ce que ça aurait changé. Mais tu as l'air d'en savoir plus que nous, Cha. Il t'a parlé de quelque chose ?

— Non, et je ne me serais pas permise de demander. Pour des renseignements, adresse-toi à lui. Bon, sur ces belles paroles, je vous laisse les filles, j'ai rendez-vous chez le coiffeur et ensuite je me remets au travail.

— J'y vais aussi, maman me ramène les petits à dix-huit heures et j'ai encore une tonne de boulot.

Nous partageons l'addition et je regarde les deux jumelles s'éloigner. Je rentre chez moi d'un pas rapide comme d'habitude, assaillie par des tonnes de pensées. Charlotte a raison, je dois y aller. Et ce n'est qu'un dîner. Il faut absolument que je prenne du recul par rapport à cette situation sinon cela va devenir invivable. Je dois appliquer à moi-même cette belle théorie que j'ai servie à Serge. Thomas fait à nouveau partie de ma vie, que je le veuille ou non et je ne peux pas fuir, me dérober dès qu'il y fait une apparition. Il faut que j'apprenne à vivre avec lui, à accepter sa présence et ce dîner est sans doute la première étape. L'occasion aussi de lui dire que je ne veux pas de son affection. Son amitié ne m'intéresse pas. Il n'y a qu'en l'affrontant bravement que j'arriverai à l'indifférence que je revendique.

Ceci dit, si je décide d'y aller, je vais devoir en parler à Serge, et c'est peut-être cela le plus compliqué.

Effectivement, quelques jours plus tard, ma décision est prise et je décide d'aborder le sujet avec lui. Comme je m'y attendais, il ne prend pas bien la nouvelle.

— Comment ça, Louise, un dîner ? Tu sais ce que je pense de ton ex, ça ne me réjouis pas du tout de savoir que tu vas manger en tête à tête avec lui !

— Ce n'est pas un dîner romantique, il a juste quelque chose à me dire.

— Ce qui me gêne c'est qu'il te réclame du temps et que tu accours.

— Pas du tout. Il m'a envoyé un sms il y a dix jours et je n'y ai pas répondu, je voulais t'en parler avant.

— Dix jours ? Eh bien, tu n'étais pas pressée de m'en parler.

Je me mords la langue. Tout ce qui concerne Thomas est sujet à polémique.

— Je ne savais pas si j'allais y aller, inutile qu'on se dispute pour rien.

— On se dispute, là ?

— Non, mais je vois bien que tu n'es pas content.

— Effectivement, c'est le moins que l'on puisse dire. Mais bon, puisque tu n'as pas encore accepté, tu peux lui dire non, alors le problème ne se pose pas.

Je le regarde, surprise.

— Je n'ai pas l'intention de refuser.

Serge me dévisage à son tour, visiblement contrarié par ma réponse.

— Alors pourquoi tu m'en parles ? boude-t-il.

— Par respect envers toi. Mais je ne te demande pas ton autorisation. Ecoute, Serge, je comprends que ça ne te plaise pas mais je veux juste savoir ce qu'il a à me dire et ensuite c'est fini, je n'ai pas l'intention de le revoir seul à seul.

— Dans ce cas, je viens avec vous.

Je tente de rester tranquille pour ne pas envenimer la situation déjà bien complexe mais mon sang commence à bouillir.

— Non, Serge, tu ne viens pas avec nous. Tu dois avoir confiance en moi.

— J'ai confiance en toi, maugrée-t-il, mais en lui pas du tout.

— C'est tout comme.

— Mais enfin Louise, cesse d'être si naïve ! A ton avis, que veut-il te dire ? Qu'il t'aime encore, c'est évident !

Je m'exhorte au calme et lui prends la main.

—Non, Serge.  Aucun rique, car rien dans mon attitude depuis que je l'ai revu ne peut lui laisser croire que je pourrais envisager de reprendre notre histoire. Et Thomas sait que nous sommes en couple, que je suis heureuse avec toi. Malgré ce que tu penses de lui c'est un type droit. Et surtout, même si c'était ça, je ne veux plus de lui, dis-je en insistant sur chaque mot.

Je le sens malgré tout hésitant, mes arguments ne suffisent pas. Son regard reste baissé sur ses genoux. Je dois frapper plus fort.

— Nous avons eu une vie, tous les deux, auparavant. Tu as eu Valérie, et moi Thomas. Cela peut nous déranger, nous contrarier, mais on ne peut pas effacer le passé. Thomas a sûrement des choses à régler avec moi et ça ne m'enchante pas, parce que la seule personne avec qui j'ai envie de passer mes soirées, c'est toi.

Il lève les yeux vers moi et son regard s'éclaircit.

— Je te promets qu'il n'y a pas de loup, poursuis-je Mais il faut que j'y aille, Serge. Je dois savoir ce qu'il me veut pour finir de tracer un trait sur mon passé, dis-je en répétant les arguments de Charlotte qui m'ont moi-même convaincue. Tu peux comprendre cela ?

Il hoche lentement la tête et me souris faiblement. Un sourire qui me montre combien cela lui coûte. Pourtant, pour la première fois en mentionnant Thomas avec lui, j'ai la sensation d'avoir été sincère. Nous sommes sur la bonne voie.

J'attends que Serge ait quitté la pièce pour prendre mon téléphone et répondre à son message, sans même prendre la peine d'enregistrer le numéro.

De Louise : OK pour samedi soir. Tu me diras où.

La réponse arrive quelques instants plus tard.

De +33607422832 : Je n'espérais plus... je suis vraiment content que tu aies fini par accepter. Je te propose qu'on se retrouve au « Bistrot de Gé » à 20h si ça te convient.

De Louise : Ça marche. On se voit là-bas samedi 9.

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