Chapitre 35
Deux heures plus tard, mes yeux sont encore grands ouverts. Évidemment, j'aurais dû me douter qu'avec la présence de Tom je ne pourrais pas dormir.
Je fixe le plafond un moment puis tente de lire un peu mais j'ai trop chaud. Je finis par me lever et j'ouvre la fenêtre pour laisser entrer un peu la fraîcheur de la nuit. Je l'aperçois à travers les persiennes. Il est assis au bord de la piscine, les pieds dans l'eau.
Je ne fais pas de bruit, pourtant, il a dû m'entendre car il n'a pas le moindre mouvement de surprise quand je m'assois à côté de lui. Je glisse à mon tour les pieds dans l'eau tiède.
— Tu ne dors pas ? me demande-t-il, sans tourner la tête.
— Non. Et toi ?
Les lumières de la piscine éclairent faiblement son visage et je vois un sourire se dessiner sur ses lèvres.
— Non plus.
Nous restons silencieux un long moment, accompagnés par le clapotis de l'eau. Il y a des lucioles dans la pelouse près de nous. Je n'en avais pas vu depuis mon enfance.
— Bon anniversaire, au fait.
— Merci.
— J'y ai pensé jeudi, mais je n'avais pas ton numéro...
— Alors, tu es content d'être là, tu as passé une bonne journée ? l'interromps-je
— Oui, répond-il doucement, presque avec précaution. Les copains m'avaient manqué. Vous m'avez tous manqué. Les petits de Capucine sont trop mignons. C'est dingue de se dire qu'elle a déjà deux enfants de cet âge, alors que moi j'ai à peine l'impression d'être adulte.
— Je me dis souvent la même chose...
Le silence s'installe à nouveau. Je sais que comme moi, Thomas se repasse les dernières années dans sa tête. C'est moi qui brise le calme, parce que je sais que cette réflexion n'apportera rien de positif.
— Tu veux boire quelque chose ?
— Mais comment vous faites pour ingurgiter autant d'alcool sans être malades ? soupire-t-il.
— Je pensais à une boisson chaude...
— Ah ? Euh oui alors. Comme toi.
Je me lève et me dirige pieds nus jusqu'à la cuisine où je me fais couler un café et lui prépare un thé. Il ne m'a pas demandé pourquoi je l'avais rejoint. Je ne me suis pas inquiétée de savoir pourquoi il ne dormait pas. Sans doute connait-on chacun les réponses à ces questions.
A mon retour, il n'a pas bougé d'un pouce. Je lui tends sa tasse en reprenant ma place et il regarde le breuvage sombre, avant de relever la tête vers moi.
— Du earl grey ?
— Oui, je me souviens que c'est ce que tu préfères. Enfin, ce que tu préférais.
— Mes goûts n'ont pas changé.
Je frémis à ces mots prononcés d'une voix basse et rauque, à ce que cela peut vouloir signifier. Il m'observe, la tête penchée vers moi, ses yeux plongés dans les miens. Dans la pénombre, ses iris marine paraissent presque noirs. Mais c'est trop facile. Je détourne le regard vers l'eau et porte la tasse à mes lèvres. Le café arrive deuxième dans mes préférences, après la lecture. Quelle vie riche et passionnante. Thomas n'insiste pas et change de sujet devant mon absence de réaction.
— Alors, j'ai cru comprendre que tu avais un compagnon ? reprend-il.
— Oui.
— Et c'est... sérieux ?
Il y a presque dix ans, quand nous commencions juste à sortir ensemble, il m'avait posé cette question au sujet de ma relation avec Baptiste. A l'époque, il voulait savoir si je couchais avec, alors j'imagine que sa question a le même sens ce soir.
— Oui, on peut dire ça.
— Ça fait longtemps ?
— Quelques mois.
— C'est bien, Louise, je suis content pour toi. Tu mérites d'être heureuse.
Je voudrais ouvrir la bouche, lui dire qu'à cause de lui, je suis inapte au bonheur, mais pour une fois, je me tais.
— Et toi, tu as quelqu'un ?
— Non.
— C'est bien, Thomas, je suis contente pour toi. Tu mérites d'être seul.
Aïe, celle-ci j'aurais pu essayer de la retenir aussi. Il accuse le coup sans répondre. Combien de temps encore aurai-je besoin de le blesser ainsi ?
— Pardon, je suis méchante. Je ne sais pas ce qui m'a pris de te dire ça, je crois que je ne le pense même pas.
— C'est moi qui t'ai rendue comme ça ?
— Méchante ?
— Oui. Et triste, taciturne, maigre.
— Oui, Thomas. Et tu peux ajouter insomniaque, aussi.
Il hoche la tête, le regard perdu sur le mouvement de l'eau. Un pli douloureux abîme sa bouche. Il avale sa salive avec difficulté, les lèvres serrées.
— Comment pourrais-je me racheter ? Qu'est-ce que je pourrais faire pour que tu sois à nouveau heureuse, pleine de joie, comme avant ?
— Rien. Ça passera.
— Lou, je sais que je te l'ai déjà dit mais si tu veux que je sorte de ta vie à nouveau... Je vois bien que tu vis ma présence comme une souffrance, alors la famille, les amis maintenant... Tu n'as qu'un mot à dire, Louise et tu ne me verras plus, je te le promets.
— Je n'ai pas envie de te perdre à nouveau, murmuré-je
Ce n'était pas prémédité. Visiblement, les mots ont décidé de fuser sans mon avis ce soir. Thomas tourne vivement la tête vers moi mais je l'ignore, gardant les yeux fixés sur l'eau qui bouge doucement. Je m'amuse à tendre les jambes pour faire sortir mes orteils de l'eau avant de les replonger doucement.
Il hésite un instant, mais se rapproche lentement de moi et m'entoure de son bras. Je pose la tête sur son épaule.
Nous restons longtemps dans la même position, sans parler. Je ne porte que ma chemise de nuit à bretelles et j'ai froid. Mes pieds dans l'eau fraîche sont tout engourdis.
— Viens, on rentre. Tu es gelée et le jour ne va pas tarder à se lever. Il faut qu'on aille se reposer, souffle Tom quand un grand frisson me traverse.
Il me prend la main pour m'aider à me relever puis je le suis en silence à l'intérieur de la maison. Nous déposons nos tasses dans l'évier de grès et je m'apprête à monter quand il me retient et m'attire contre lui, m'emprisonnant de ses bras. Je reste inerte un moment, luttant de toutes mes forces, puis enfin, me laisse aller à ce que j'ai envie de faire depuis des heures. Je passe mes bras autour de sa taille, plonge le nez dans son cou.
Il a changé de parfum mais je reconnais toujours l'odeur de sa peau. C'est à la fois réconfortant et terriblement douloureux. Je le repousse doucement pour aller me coucher. Je sens son regard sur moi quand je monte les marches, puis il s'en retourne dans sa chambre improvisée.
Il est plus de neuf heures quand je me lève, réveillée par les éclats de voix sur la terrasse. Hormis Capucine qui s'est recouchée, tout le monde est là.
Je me sers un café et vais rejoindre mes amis à table. Je lance un bonjour à la cantonade m'assois au bout de la table, à l'opposé de Thomas. Ses yeux sont cernés, il n'est pas rasé, mais je le trouve encore plus beau. Plus homme.
-Salut tout le monde !
-Coucou Lou, bien dormi ? s'enquiert Thibault.
-Ça va...
Thomas me sourit. Un sourire léger, presque indicible. Ses yeux cherchent les miens mais j'évite son regard. Je ne veux pas qu'il s'imagine quoique ce soit.
Je chipe une tartine à Zoé et me tourne face à la piscine, dans ma bulle.
Les copains sont en train d'essayer de convaincre Thomas de rester à midi mais il refuse, prétextant une invitation à déjeuner chez des amis à Lyon. Je sais que c'est faux. Quand il ment, il se gratte la joue. Tout le monde le sait d'ailleurs, parce qu'à l'époque, on l'avait grillé au poker avec ce tic. Mais les autres comprennent que ça ne sert à rien d'insister.
Le petit déjeuner s'éternise, puis, dès que Capucine redescend, Tom prend congé. Tout le monde s'embrasse, se serre dans les bras, s'échange des promesses.
— On n'attend pas aussi longtemps pour se revoir, hein !
Je reste en retrait, mais quand il se présente devant moi pour me saluer, je me lève.
— Je t'accompagne.
Je marche avec lui jusqu'à sa voiture, suivis par les yeux écarquillés de toute la bande.
Hors de la vue des autres, nous restons quelques instants à nous dévisager. Son regard bleu est à la fois doux et triste, c'est une vraie torture. Tout ce qu'il ne dit pas avec des mots.
— Tom, vas-y, j'ai vraiment du mal avec les au revoir, maintenant.
Il hoche la tête, et se rapproche pour m'embrasser sur les deux joues puis brusquement, presque violemment, il m'étreint, comme ce matin à l'aube.
— Lou... tu m'as tellement manqué, fait sa voix étouffée dans mon cou.
— Tu vas te mettre en retard, réponds-je, un peu froidement.
Il s'écarte de moi et me lance un dernier regard lourd avant de monter dans sa voiture et de démarrer sans un mot de plus.
Je remonte directement dans ma chambre rappeler enfin Serge et faire ma valise.
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