Chapitre 32
Le lendemain, il ne reste plus trace de notre dispute. Nous traînons au lit un long moment avant d'aller prendre un brunch sous le soleil de début d'été, puis nous déambulons longuement, main dans la main, dans les rues pavées de la vieille ville.
Nous nous quittons en fin d'après-midi et je rentre seule chez moi, prête à régler mes comptes avec Capucine. Avoir différé mon appel jusqu'au départ de Serge a permis de faire retomber la colère, mais, quand même, je ne peux pas passer outre. Elle décroche à la troisième sonnerie.
— Allo, Loulou, ça va ?
— Non, pas trop, Capou, réponds-je un peu, sèchement.
J'attaque fort, cela lui coupe la chique.
— Qu'est-ce qui se passe ? bredouille-t-elle
— Il se passe que j'ai une amie qui croit que, sous prétexte qu'elle m'a présenté un homme, elle peut s'immiscer dans ma vie et se mêler de ce qui ne la regarde pas.
— Je ne comprends pas...
— Il ne savait pas Capucine. Pour Thomas. Serge n'était pas au courant.
Elle se tait un moment, avant de reprendre faiblement.
— Mais si, il savait, il a dit que...
— Non, il n'était pas au courant. Je ne lui en avais pas parlé. Il t'a menti parce qu'il ne voulait pas passer pour un con. Ça m'a valu une belle scène de ménage.
— Je suis désolée, Lou, vraiment, à aucun moment je n'ai imaginé que tu ne lui avais pas raconté que Thomas était le parrain de Loris... Mais d'ailleurs pourquoi tu ne lui as pas dit ?
— N'inverse pas les rôles. Ça me regarde, et je n'ai pas à me justifier.
— Oh ! là là je suis confuse... pardon Loulou ! Et vous vous êtes réconciliés quand même ?
A l'autre bout du fil, mon amie semble vraiment catastrophée par sa gaffe. Je baisse d'un ton.
— Oui mais... Ecoute Capou, je te suis vraiment reconnaissante de nous avoir présentés, Serge et moi. Mais ça ne te donne aucun droit sur notre histoire.
— Mais oui, je sais, c'est juste qu'on discutait de toi, et...
— C'est ça, le souci. Je ne veux pas que tu parles de moi avec Serge.
— Hein ?
— C'est ton ami, vous pouvez parler de « nous » si ça te chante, comme moi aussi je te raconte nos soirées, mais je ne veux pas que vous discutiez de « moi ». Je déteste cela, Capou. Ma vie, c'est ma vie et tu n'as pas à évoquer avec lui des choses qui ne concernent que moi.
— C'est bon, j'ai compris la leçon. Je ferai attention à tenir ma langue. Mais quand même, je ne pige pas pourquoi tu lui as caché une chose aussi énorme.
— Je te laisse, j'entends les enfants qui se battent...
— Non, non, non, Louise, réponds à ma question !
— Et, au fait, je vais venir pour les vacances. Une semaine, je pense.
— C'est vrai ? Youhou ! Je suis super contente !
— Moi aussi. Allez, bisous Capou.
— Bisous Loulou !
Trop facile.
✨✨✨✨✨
Après notre dispute, j'ai eu peur que Serge refuse que je voie Elena. Non pas que ça m'aurait dérangé de repousser ma rencontre avec la petite, mais j'aurais été contrariée, peinée même, de reculer dans ma relation avec lui. Heureusement, une fois les choses mises au point, Serge semble avoir oublié jusqu'à notre confrontation. C'est l'une des choses que j'aime chez lui, son caractère léger. Je sais que je l'ai blessé mais il ne m'en tient pas rigueur.
Exceptionnellement, il laisse la petite à son ex-femme le premier week-end des vacances scolaire puisqu'elles ne se verront pas ensuite pendant trois semaines. C'est un arrangement entre eux, pour Elena. A cinq ans, elle est trop jeune pour passer un mois sans voir l'un de ses deux parents. Serge et Valérie s'organisent donc toujours pour couper leur mois de garde et permettre leur ex-conjoint et à leur fille de se retrouver au moins deux jours sur la période de vacances.
Nous profitons à fond de ce dernier week-end à deux avant longtemps pour nous offrir de vraies sorties. Resto le samedi soir, cinéma et bowling le dimanche. Nous élaborons aussi un plan pour « les présentations ». Avec la complicité de Capucine qui ne demande qu'à se faire pardonner son indiscrétion, nous organisons un goûter dans son jardin le jeudi suivant. Mon amie est en vacances, Serge en repos et c'est mon jour de congé. Nous sommes la veille du quatorze juillet, et dans leur commune, le traditionnel feu d'artifice est tiré le soir même. Nous avons prévu d'en faire la surprise aux enfants.
Je suis présente en tant qu'amie de Capucine.
A son arrivée, Elena me fait un timide bisou sur la joue et ne prête plus attention à moi, trop heureuse de jouer avec sa copine Zoé, de barboter dans la petite piscine.
Elle est vraiment mignonne. Même craquante dans son bikini vert à froufrous. Serge est un papa parfait. Très attentif, il veille sur elle comme une louve. Je le regarde l'enduire de crème solaire jusque sur les oreilles, veiller à ce qu'elle porte bien son chapeau et ses lunettes. Ça me fait un peu bizarre de les voir ensemble. Mais bizarre bien. Je ne suis pas jalouse comme j'aurais pu le craindre.
C'est une très belle journée. Il fait moins chaud qu'en juin, mais le soleil est au rendez-vous. Nous passons l'après-midi à paresser sur la terrasse en buvant des boissons fraiches et à discuter au milieu des rires des enfants. Je porte une robe légère de coton fleuri que je troque bien vite contre un short et un haut de maillot de bain.
Serge me regarde avec appétit mais je lui fais signe derrière mes lunettes noires qu'il devra patienter. Je sens plusieurs fois le regard curieux de Capucine sur nous mais il n'y a rien à voir aujourd'hui, nous jouons notre rôle de simples connaissances à la perfection.
La journée se prolonge avec un barbecue puis nous emmenons les enfants assister au beau spectacle pyrotechnique. C'est génial de voir ces petits bouts fascinés par les fusées multicolores. Ils sursautent en rythme à chaque explosion avant de s'extasier. Le petit Théo est fatigué, Thibaut le garde dans les bras où il finit par s'endormir au milieu du feu d'artifice, malgré le vacarme. Zoé et Elena, en revanche, sont quelques pas devant nous, main dans la main, hypnotisées par les lumières du ciel.
Il est plus de vingt-trois heures quand nous ramenons tout le petit monde à la maison. Serge rentre directement coucher Elena et je patiente chez Capucine en attendant son feu vert. Enfin, je reçois un sms pour me dire qu'il m'attend et j'embrasse mon amie et son mari avant de sautiller jusqu'à chez lui dans la nuit fraîche.
Je partirai dimanche matin avec le club L3C et ses extensions, mari et enfants. Nous prendrons la route à deux voitures, Capucine et sa tribu dans l'une, Clément, Caro, Charlotte et moi dans la seconde. Cette journée et la nuit qui va suivre sont donc les dernières ensemble pour Serge et moi avant au moins deux semaines. Ça va me paraitre bien long.
Je me jette sur mon amant dès la porte passée. Nous aurions pu trouver un instant pour nous embrasser chez Capou, à l'abri des regards dans la cuisine ou la salle de bain, mais je sens que ce n'est pas le genre de Serge. Pas en présence de sa fille, en tout cas.
Mais, Elena au lit, il accueille ma fougue avec enthousiasme et cette fois, je n'ai plus de gêne quant au fait de me retrouver chez lui.
Avant de m'endormir, je programme mon téléphone pour qu'il sonne à six heures trente afin de m'éclipser avant le réveil d'Elena. Il est une heure passé, ça ne va pas être facile de me lever, mais j'ai l'habitude de dormir peu et je pourrai profiter de ce jour férié pour me reposer si besoin.
— Tu n'es peut-être pas obligée de mettre une alarme, murmure Serge alors que je repose mon mobile sur la table de chevet.
— Impossible que je me réveille sans cela.
— Je me disais que si j'allais vite faire un lit sur le canapé du bureau, et vite le défaire aussi, tu pourrais peut-être rester demain matin aussi, Elena ne se douterait de rien...
— Mais si elle nous voit ensemble dans la chambre ?
— Aucune chance, elle ne sort pas de sa chambre avant que je n'aille la chercher. Tu auras le temps de te faufiler dans le bureau et faire semblant d'y avoir dormi.
— Elle ne se lève pas sans toi ? Mais c'est quel genre de gosse, ta fille ?
— Le genre bien élevé.
Je ris doucement.
— J'avais remarqué.
— Alors, t'es d'accord ?
— Tu crois vraiment que ça peut marcher, elle ne va pas comprendre ?
— Elle a cinq ans, Louise. Elle est plutôt maligne mais il n'empêche qu'à cet âge-là, on peut leur faire croire n'importe quoi. Elle croit qu'un gros bonhomme apporte des cadeaux gratuits sur un traineau qui vole, qu'une souris collectionne les dents et offre de l'argent en échange, qu'un lapin mystérieux planque du chocolat dans le jardin. Alors oui, si elle te voit sortir du bureau et qu'on lui dit que tu y as dormi, elle va y croire !
— Hum, pas faux... ok alors !
— Génial !
Serge se lève alors, tout content et va transformer le canapé convertible du bureau en lit d'appoint sur lequel il jette un oreiller et un sac de couchage, puis il revient se coucher à mes côtés.
— Bonne nuit Louise, murmure-t-il en m'embrassant tendrement.
Et je m'endors vite, profondément, comme à chaque fois que je suis auprès de lui.
***
Malgré tout, mon sixième sens reste en éveil et je me lève bien avant Elena. Je secoue Serge qui m'accompagne dans la cuisine en râlant car son petit scénario ne sert à rien.
Probablement réveillée par le bruit dans la cuisine, la petite appelle son papa quelques minutes plus tard.
Je profite du temps qu'il passe avec elle pour la lever et l'emmener aux toilettes et avale déjà une grande tasse de café noir et ainsi être d'attaque. J'ai un peu de mal avec les enfants, et je déteste être brusquée au réveil, ce petit déjeuner va être un cauchemar. Bel entrainement pour la semaine prochaine.
Serge débarque quand je repose ma tasse vide. C'est une jolie image que ce grand ours blond avec sa petite poupée dans les bras. Elle porte une chemise de nuit rose avec des poneys arc-en-ciel, ses cheveux dorés sont tout emmêlés de la nuit. Elle tient encore son doudou à la main.
— Nous avons une invité, chuchote le papa à l'oreille de sa fille, au moment de franchir la porte de la cuisine.
Elena m'adresse un sourire poli avant de tourner son visage vers son père.
— Pourquoi elle est là ?
Aïe.
Serge se décompose brusquement, on avait pensé aux détails de la pièce, pas aux questions.
— Je... je n'ai pas de voiture, et j'ai raté mon dernier bus, alors ton papa m'a proposé de rester dormir ici...
— ... dans le bureau, s'empresse-t-il d'ajouter.
Mais la petite n'a que faire de ce détail. A se demander si elle n'est pas plus maligne que nous.
Elle descend des bras de son père et se hisse à table, en face de moi. Ses yeux se plantent dans les miens. Ils sont marron clair, presque mordorés, comme ceux de son papa.
— Alors pourquoi t'as pas dormi chez Capucine ? C'est ta copine. Nous, on ne te connait pas trop.
C'est l'inquisition, cette gamine. Je panique mais Serge a eu le temps de reprendre ses esprits. Il est plus habitué que moi aux interrogations qui n'en finissent pas.
— Capucine et toute sa famille dormait déjà, mais moi je rangeais encore les jouets que tu avais laissé trainer, mademoiselle, et j'ai aperçu Louise par la fenêtre, je lui ai proposé de rester.
Elena se tait, vraisemblablement le temps d'assimiler ces informations, puis elle semble satisfaite.
— D'accord. C'est bien, j'aime bien quand on a des invités. Des fois, c'est mon tonton Régis qui vient dormir. Tu restes avec nous, aujourd'hui ?
— Je ne sais pas, bredouillé-je, désemparée
— Ça te ferai plaisir que Louise reste ? demande Serge très doucement, presque avec précaution, ce à quoi la petite répond, d'un ton péremptoire :
— Oui. Elle a une belle robe.
Je bois un second café en silence en regardant Serge beurrer de petites rondelles de pain. Pour chaque tartine, elle choisit une confiture différente qu'elle étale délicatement. Elle trempe son pain dans sa tasse et avale les tranches détrempées avec délectation mais refuse ensuite de boire son lait dans lequel flottent des miettes.
Serge négocie, puis commence à gronder tout en restant très calme, et Elena vide sa tasse avec un soupir à fendre l'âme.
Nous débarrassons la table et je vais profiter du soleil sur la terrasse avec le livre de poche qui ne me quitte jamais tandis que Serge va aider sa fille à faire sa toilette.
J'entends des éclats de voix à nouveau puis le papa redescend avec un sourire.
— Elle voulait mettre une robe en tulle que j'ai acheté pour un mariage en avril. Ça n'a pas été évident de lui faire enfiler un short ! Je crois qu'elle cherche à t'impressionner.
Je souris.
— Elle t'attend en haut, poursuit-il, mais tu n'es pas obligée de monter.
— Si si, j'y vais, dis-je en posant mon livre.
— Tu en as un beau short ! m'exclamé-je en entrant dans la chambre d'Elena.
— Oui. Je voulais mettre une robe mais mon papa il a dit que pour jouer dehors c'était pas « praquique ».
— C'est vrai, il a raison, moi aussi, hier, j'avais mis un short.
Elle hoche la tête et me présente ensuite ses doudous. Elle me montre aussi son bureau pour dessiner, son déguisement de la reine des neiges et sa médaille de gymnastique avant que j'arrive à m'échapper de nouveau.
La journée se passe agréablement, mais je ne suis pas fâchée de repartir en fin d'après-midi. Pour une première, je trouve que c'est amplement suffisant.
— Tu es sûre que tu ne veux pas rester manger ? Je te raccompagne juste après...
— Non, merci. C'est adorable mais je dois encore faire une machine et commencer à préparer ma valise pour ne pas avoir à tout faire demain soir...
— Au revoir, alors, Louise, passe de bonnes vacances...
Cachés sous le porche de sa maison, nous nous étreignons longuement et Serge m'embrasse langoureusement.
— Tu vas me manquer.
— Toi aussi. Bonnes vacances à toi aussi. Profite bien de ta petite fée, elle est adorable.
Je m'éloigne en lui envoyant un baiser. C'est vrai qu'il va me manquer.
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