Chapitre 31

       

Je me sens mieux. Tout s'est bien passé. Pas de drame, mon père s'est tenu, et j'ai survécu à une journée à ses côtés. Maintenant ça ne peut qu'aller. Même si on doit effectivement se revoir parfois, ça ne sera jamais aussi compliqué que ce jour-là.

Mes parents me redéposent chez moi en fin de journée. Ils sont plus détendus aussi, probablement soulagés de voir que j'ai tenu le coup, que je ne leur avais pas menti en affirmant que revoir Thomas me laissait indifférente. Ce n'est pas tout à fait la vérité, mais s'ils y croient c'est le principal.

Il fait chaud et moite dans mon appartement sous les toits. A peine arrivée, je troque ma jolie robe en soie contre une combinaison de coton et appelle Serge.

Il n'est que dix-huit heure trente, j'entends Elena qui joue près de lui. Nous convenons de nous voir pour déjeuner le mardi suivant, et de passer le week-end prochain ensemble, comme une semaine sur deux.

— J'ai hâte de te voir, tu me manques. C'est long quand on ne se voit pas pendant plusieurs jours.

— Toi aussi tu me manques Louise. Bonne soirée, je t'embrasse. A mardi.

Je soupire d'aise avant de raccrocher. Serge est mon radeau.

J'envoie ensuite un message à chacune des 3C, inquiètes et curieuses de savoir comment s'est passé ma journée. Je les rassure en quelques mots et m'étends enfin sur mon canapé. Je me sens bien, comme quand on a enfin achevé un travail long et pesant, ou passé avec succès une épreuve stressante. C'est un peu tout cela à la fois.

Le mardi midi, je suis seule avec Pauline et Lola à sortir de la boutique. Mathilde est en congé maternité et va d'ailleurs accoucher d'un jour à l'autre, et c'est le jour de congé de Rihab.

Serge m'attend juste en face de la boutique, un sac à la main.

— Dis donc, c'est pour le monsieur là-bas que tu nous abandonnes pour le déjeuner ? me souffle Pauline à l'oreille pendant que je ferme la porte à clef.

Le monsieur. Ça me vexe un peu. En même temps, Pauline a vingt et un ans, c'est un vieux pour elle. Mais quand même, ça pique. Je sais que mentalement, elle doit comparer avec Matthieu qu'elle a aperçu à l'occasion, et malheureusement pour Serge, ils n'ont pas grand-chose en commun.

Je confirme avec un sourire crispé et m'éloigne en leur souhaitant un bon appétit.

Serge ne s'aperçoit heureusement pas de ma gêne et m'embrasse tendrement. Il me montre les deux salades de supermarché qu'il vient d'acheter.

— On se trouve un coin sympa pour manger ça ?

— C'est parti.

Il fait une chaleur étouffante, plus de trente degrés. Mais j'aime cela, j'aime sentir la brûlure du soleil, l'air chaud qui souffle sur ma peau. Les rues sont calmes, par cette chaleur, les personnes qui ont la chance de ne pas travailler recherchent plutôt le frais à la piscine ou au plan d'eau.

Nous nous installons à l'ombre d'un arbre sur l'esplanade de la place de la République. Les fontaines et les parterres fleuris rendent l'atmosphère plus respirable.

— Niçoise ou Italienne ? demande Serge en déballant son festin.

— Hum... Italienne ! De toute façon, je suis à peu près sûre qu'elles ont le même goût, j'ajoute avec un sourire.

Nous ouvrons les boîtes de plastique transparent et commençons à picorer les ingrédients bas de gamme qui composent nos salades.

— Alors, ça s'est bien passé le baptême ?

— Oui, oui.

— C'est tout ? Vous avez bien mangé ? Le parrain était sympa ? 

— Oui, le repas était délicieux, et le parrain je l'avais rencontré chez mon frère il y a quelques temps, tu te souviens ?

— Ah oui, c'est vrai...

Nous restons silencieux un moment. Serge triture sa salade et je vois bien que quelque chose le turlupine, il ne va pas en rester là.

— Louise, je ne veux pas mettre la pression, te stresser, mais si tu es d'accord, j'aimerais bien qu'on parle des vacances.

Ouf !

— Oui, bien sûr,  à propos de quoi ?

— Eh bien, plusieurs choses, en fait. Déjà, j'ai Elena tout le mois de juillet. J'ai posé deux semaines de congé et nous partirons dix jours ensemble, à la fin du mois. Le reste du temps elle ira chez la nounou quand je travaille, mais sans l'école ce sera plus compliqué pour nous de nous voir...

— Je comprends. Je pense aussi partir en juillet. Quelques jours dans la maison que loue Capucine.

— Ah oui ? Je ne savais pas. Elle m'en a parlé mais tu ne semblais pas emballée.

— Non, effectivement, mais je vais probablement accepter. Ne lui dis pas surtout, elle va devenir hystérique.

— D'accord, rit-il, avant de poursuivre, gêné. Et du coup, pour en revenir à Elena, je me disais que, peut-être, je pourrais vous présenter. Pas comme ma petite amie, hein, mais comme... juste une amie. Et puis, si le courant passe entre vous, tu pourrais éventuellement rester dormir, de temps en temps. Du moment qu'elle ne nous voit pas dans la même chambre, elle ne se douterait de rien.

Je me tais. Je ne l'avais pas vu venir celle-là. Ce n'est pas ce que j'avais imaginé dans mes projets immédiats mais en même temps, je n'ai pas envie de passer un mois sans le voir...

— Oui, on peut peut-être essayer...

— C'est vrai, tu es d'accord ? Je suis tellement content Louise ! Ne t'inquiète pas, ce n'est pas un piège. Il est vraiment hors de question de lui avouer la nature de notre relation pour le moment. Mais ça nous permettra de nous voir plus facilement, ce qui me rend vraiment heureux !

— Et le reste alors ?

— Le reste ?

— Tu as dit que qu'il y avait plusieurs choses dont tu souhaitais me parler.

— Oui... Donc puisque j'ai Elena en juillet, elle sera chez sa mère tout le mois d'août.

— C'est une bonne nouvelle !

— En effet. Enfin, c'est long, un mois, Valérie me la laisse un week-end quand même au milieu mais elle me manque beaucoup. Ceci dit, au moins, ce sera plus simple pour nous. Et je me disais que... enfin on a le temps d'en reparler, mais éventuellement... si tu veux, on pourrait...

— Partir tous les deux ?

— Oui.

— Effectivement, on en reparlera, mais je crois que ça me plairait beaucoup.

— Formidable.

Il sourit. Ses yeux dorés brillent de joie. Et moi je n'ai même pas de sueurs froides.

Nous nous attablons ensuite sur une terrasse pour terminer notre déjeuner frugal d'une pâtisserie accompagnée d'un expresso, puis nous repartons, lui vers sa vie de famille, moi vers mon magasin.

Je me sens légère. J'ai l'impression d'être une femme normale.



C'était trop beau pour durer. La roue tourne quelques jours plus tard.

Quand il sonne à l'interphone le samedi soir, je sens tout de suite à sa voix distante que quelque chose ne va pas.

Il monte, m'embrasse tièdement, la mine sombre.

— Il y a un souci ? demande-je d'un ton que j'essaye de rendre enjoué, comme si ça allait lui rendre son sourire.

— Je ne sais pas, à toi de me le dire...

— Je ne comprends pas, Serge.

— Moi non plus, Louise.

Il va s'assoir sur le canapé et je le suis, ébranlée.

— Ne joue pas aux devinettes et explique-moi le problème, s'il te plait.

— Tu m'as menti.

Très vite, nos dernières conversations passent dans ma tête et je ne trouve pas à quoi il fait référence.

— Ton ex, précise-t-il, voyant mes sourcils froncés. Ne fais pas semblant de chercher.

— Je ne fais pas semblant, et je ne t'ai pas menti. Je ne t'ai pas tout dit, c'est tout.

— Pourquoi ?

— Je n'en sais rien.

— Et tu penses que je vais me contenter de cette réponse ?

Tu n'as pas le choix, ai-je envie de répondre, mais quelque chose me dit que c'est moi qui suis en tort et que j'ai tout intérêt à museler mon sale caractère si je ne veux pas tout faire foirer avec Serge.

— Je suis désolée, Serge. Je ne voulais pas te blesser. Je n'en voyais pas l'intérêt, c'est tout...

— Pas l'intérêt. Bien sûr. Et tu ne me demande pas comment je l'ai appris ?

— Par Capucine ?

— En effet. Tu imagines ce que j'ai ressenti Louise, quand elle m'a dit que le fameux parrain était le type qui t'a brisé le cœur il y a sept ans, celui qui t'a rendue si malheureuse et que tu t'étais bien gardée de me le préciser ? Alors rassure-toi, j'ai fait comme si j'étais au courant, pour ne pas perdre la face devant elle, pour qu'elle ne sache pas combien tu m'as pris pour un con.

— Tu es injuste. Ce n'est pas le cas.

— Je ne sais pas. Tu as sciemment omis de m'en parlé. Tu as eu plusieurs occasions, et tu ne l'as pas fait. Tu vois, Louise, je ne sais pas ce qui me blesse le plus. Si c'est que tu m'aies menti volontairement, ou si c'est que finalement tu n'aies aucune confiance en moi. En tout cas, c'est justement ton silence qui m'engage à penser que tu me caches quelque chose. Je suis vraiment déçu.

Malgré sa colère, il reste parfaitement calme, se contentant d'assener ces dures vérités d'une voix sourde. J'ai les larmes aux yeux. Je crois que j'aurais préféré qu'il crie, qu'on s'engueule. Je suis plus habile dans la fureur. Je me sens tellement mal, et en même temps, je suis presque certaine que si je pouvais rembobiner, je ne changerais rien. Je suis irrécupérable.

— Pardon, Serge. J'aurais probablement dû t'en parler.

— Probablement ? Mais, Louise, tu te fiches de moi ? D'accord, on n'est pas ensemble depuis longtemps mais si tu apprenais que je revoyais mon ex en douce ça ne te gênerait pas ?

— On s'est à peine adressé la parole. Je n'ai rien à me reprocher.

— Si c'était le cas, tu me l'aurais dit.

— Serge, je sais que c'est difficile à comprendre pour toi, mais Thomas fait partie de mon passé. Je n'ai pas eu envie de parler de lui, parce qu'il n'a rien à faire dans mon présent. Alors, je conçois que tu te sentes trahi, mais je t'assure, je te jure que pour moi, il n'existe plus.

Nous restons silencieux un moment, sans bouger. Lentement, la main de Serge quitte sa cuisse et s'approche de la mienne. Son index hameçonne le mien et ce premier contact me rassérène. Nous sommes sur la bonne voie.

— Louise, j'ai besoin de savoir où je vais. Si c'est trop rapide pour toi, tu peux m'en parler, on peut aller moins vite. Mais si tu n'es pas prête pour quelque chose de sérieux, dis-le-moi. Je pensais que c'était clair entre nous. Je ne veux pas perdre mon temps. Je t'aime beaucoup, mais j'ai trop souffert dans le passé pour accepter de me reprendre des claques dans la tronche sans broncher.

— Je suis désolée, Serge, vraiment désolée de tout cela. Je t'apprécie énormément, et j'adore passer du temps avec toi. Mais je ne sais pas de quoi j'ai envie pour le futur. J'avance au jour le jour, chaque étape entre nous est déjà un énorme progrès pour moi. Si tu préfères qu'on arrête de se voir, je comprendrais, mais ça me rendra malheureuse. Je place vraiment beaucoup d'espoir dans notre histoire et je tiens réellement à toi.

Enfin, il se tourne vers moi. Son visage s'est détendu, plus de trace de colère. Du pouce, il efface la larme qui a creusé un sillon sur ma joue.

— Je n'ai pas envie qu'on cesse de se voir Louise. Moi aussi je tiens à toi, j'ai besoin de toi. Je conçois que tu aies besoin de temps, et je suis prêt à te le laisser.  Mais ne me mens plus, d'accord ?

— Je te le promets, murmuré-je en me jetant dans ses bras.

Nous avons franchi une nouvelle marche ensemble. Une première dispute aura permis à Serge de s'affirmer davantage, et à moi de comprendre l'importance qu'il a à mes yeux.

Plus tard, au creux de mon lit, je trouve un nouvel homme. Plus fougueux, il prend plus d'initiatives, comme galvanisé par notre différend et la manière dont nous l'avons réglé. Cette nuit-là, je n'ai pas besoin de faire semblant.

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