Chapitre 28
Je m'en suis beaucoup voulu d'avoir fait capoter notre soirée en tête à tête en m'endormant. Serge me plaît vraiment, il faut que je fasse davantage d'efforts.
Nous avons trouvé notre rythme de croisière. Il vient passer le week-end chez moi quand Elena est chez sa maman et le reste du temps, nous nous retrouvons parfois pour déjeuner, quand il n'est pas de garde, ou jonglons avec Capucine, les grands-parents, ou la babysitter en asseyant de ne pas attirer la suspicion de la petite. Je ne suis pas du tout prête à la rencontrer, et j'aime bien nos moments volés qui pimentent notre relation.
— Pas trop d'engagement, quand même... lâche négligemment Charlotte alors que nous profitons de la douceur de fin de journée pour boire l'apéritif sur la terrasse d'un bar.
— Pardon ?
— Ben oui, finalement, c'est bien arrangeant cette petite qui...
— Franchement, Cha tu me fais chier là. Déjà, mêle-toi de tes affaires, et en plus, c'est complètement faux.
— Je t'en prie Louise. Il y a toujours une bonne excuse. Avec Matthieu, c'était une volonté commune, avec Serge, t'aimerais bien mais il y a la gosse...
— Ça n'a rien à voir.
— Sur la forme, peut-être, mais sur le fond, c'est exactement pareil. Tu es incapable de t'engager. Tu dois décider de tout, mener la danse, et tu ne supportes pas de baisser la garde.
— N'importe quoi.
— Ah oui ? Mais vous vous voyez où, Lou ? Chez toi, et uniquement chez toi. As-tu fini par accepter d'aller chez lui ? Non.
— Mais il y a la petite.
— Qui dort. La nuit, elle dort, cette petite. C'est ce que je te dis. Tu te caches derrière elle pour justifier tes actes et tes décisions. Et puis, tu ne crois pas que tu aurais pu la rencontrer cette gosse ? Pas officiellement, mais je ne sais pas, aller au parc un jour avec elle, Capucine et Zoé. Juste pour la voir.
— Je l'ai vue en photo, je bougonne. Et je te signale que c'est toi qui m'as mise en garde contre Elena.
— Je ne te suis pas là.
— Quand j'ai commencé à sortir avec Serge, tu m'as dit que j'avais mal choisi, parce qu'il était papa. Maintenant, tu ne peux pas me reprocher de prendre mon temps avant de rencontrer sa fille.
— Tu transformes mon propos. C'est ce que j'ai dit, en effet, mais puisque tu t'es obstinée et que vous êtes maintenant « en couple », enfin, si on veut, tu dois assumer et je trouve que...
— C'est quoi ton problème, Charlie ? Je peux savoir pourquoi tu fais mon procès, comme ça, ce soir ?
Elle soupire et le ton baisse entre nous.
— Parce qu'on a déjà eu ces discussions des dizaines de fois et que j'en ai assez de te regarder aller droit dans le mur. Lou, si tu ne fais que prendre et que tu ne lui donnes rien, Serge va finir par se sentir floué et se barrer. J'ai l'impression que vous n'êtes pas sur la même longueur d'ondes.
— Pourtant je l'aime bien. Je suis bien avec lui...
— Avec Matthieu aussi, tu disais que tu étais bien, et tu l'as jeté du jour au lendemain.
— C'est vrai. Mais ça n'a rien à voir. Serge est gentil, vraiment gentil. Il me redonne confiance en moi. Je ne sais pas si je me vois finir ma vie avec lui mais c'est une possibilité.
— Alors, ouvre-toi davantage, Lou. J'ai vraiment peur que sinon, tu ne finisses par le regretter.
Contrairement à Caroline et Capucine, Charlotte est très franche, très « cash ». Ça me blesse ou me vexe parfois, comme aujourd'hui, mais je dois avouer que ses paroles me font réfléchir, et dans ce cas précis, elle a raison. Je tiens à Serge et je dois le lui montrer.
En ce week-end de fin mai, c'est la fête des mères. Serge et Valérie ont exceptionnellement changé les dates pour qu'elle puisse profiter de sa fille. J'ai, quant à moi, prévu d'aller déjeuner chez mes parents le dimanche mais toujours quand Elena n'est pas là, nous passons la soirée du samedi et la nuit ensemble chez moi.
Toute la soirée, je tente de me lancer, mais je n'y arrive pas. Impossible. Plusieurs fois, je prépare le texte dans ma tête, j'ouvre la bouche mais aucun mot ne sort. Je ne peux pas.
Les paroles fusent pourtant, au moment où je m'y attends le moins.
Allongés nus sous les draps de mon lit, je suis un peu frustrée. Malgré toute sa bonne volonté, Serge est encore assez maladroit, et je ne retrouve jamais l'extase que j'ai connue avec les autres. Ce soir-là, je reste donc une fois de plus sur ma faim. J'ai néanmoins décidé de ne pas en faire à un drame, quitte à simuler un peu. Je suis certaine qu'il finira par s'améliorer et il m'apporte tellement à côté que je suis prête à faire l'impasse sur la satisfaction sexuelle.
Serge, qui ne se doute de rien, a le sourire béat de l'homme repus. Je pourrais m'en agacer, pourtant, il m'émeut.
Il m'étreint tendrement quand je lui propose enfin ce qui me trotte dans la tête depuis ma conversation avec Charlotte.
— Tu fais quelque chose samedi prochain ?
— Ben non, rien. J'ai Elena, alors...
— Je pourrais peut-être venir ? Enfin, quand elle sera au lit, je veux dire. Si tu en as envie.
— Si je veux ? Bien sûr que je veux ! Louise, ça me fait tellement plaisir. J'ai bien vu que tu n'étais pas emballée par l'idée jusqu'ici, alors si maintenant tu es d'accord, je suis vraiment, vraiment très content.
— Moi aussi.
— Je couche Elena assez tôt, vers dix-neuf heures trente. Le temps que tu arrives du travail, elle sera endormie.
— C'est parfait. Je pense que je viendrai directement, si tu es d'accord, pour ne pas arriver trop tard.
— Mais, comment tu vas rentrer ensuite ? Je veux dire, je ne pourrai pas laisser Elena seule pour te raccompagner...
— Je sais, ne t'en fais pas, je m'arrangerai.
La veille, en préparant mes affaires, je me maudis. Qu'est-ce qui m'a pris de lui proposer de venir ? Je déteste sortir de ma zone de confort, Charlotte a raison. Et puis il va falloir que je prenne le bus après ma journée de travail, et je ne sais toujours pas comment rentrer ensuite. J'avais initialement prévu d'aller finir la nuit chez Capucine qui vit quelques maisons plus loin mais j'ai ensuite imaginé me faire réveiller par les cris de Zoé et Théo, trop heureux de me trouver sur leur canapé et j'avais été subitement dissuadée.
Soit je prends un taxi, mais je risque d'en avoir pour au moins trente euros, soit je passe la nuit entière chez Serge, et attrape le premier bus vers six heures trente. Galère. Il faut vraiment que je passe mon permis. Ou au moins que je m'achète un vélo.
Toute la journée, à la boutique, je cherche une excuse valable pour décommander, tout en sachant que je n'en trouverai pas. Et puis, notre premier rendez-vous, j'avais voulu l'annuler aussi, et je suis bien heureuse de ne pas l'avoir fait. Serge semble être si content que je vienne, je ne peux pas lui faire ça.
Je prends donc sur moi et m'engouffre avec mon petit sac dans le bus de la ligne numéro trois, dès le magasin fermé.
Il est huit heures dix quand j'arrive, et frappe doucement à la porte de la petite maison mitoyenne, pour ne pas réveiller Elena.
— Louise ! s'exclame Serge, comme s'il était lui aussi surpris que je sois venue finalement. J'ai presque honte d'avoir hésité.
Je pénètre dans la maison, en jetant des tas de coups d'œil curieux autour de moi. C'est plutôt propre et bien rangé. Après l'entrée étroite, nous passons au salon. Il y a un petit pupitre rose, couvert de gommettes, feuilles et feutres, quelques caisses de jouets mais le reste est à peu près en ordre. J'aime bien ce mélange de deux mondes, les albums de littérature de jeunesse qui côtoient Dan Brown et Harlan Coben dans la bibliothèque, la poupée échevelée oubliée sur le canapé de cuir beige. Je m'attarde sur les nombreuses photos tandis qu'il va me chercher quelque chose à boire. Il y en a beaucoup d'Elena. Seule, surtout, à tous les âges, mais aussi avec lui, et avec ses parents probablement. Mais pas une de la petite et sa maman. Dommage, j'aurais bien aimé savoir à quoi ressemblait son ex-femme.
— Bon, Louise, il faut que je t'avoue quelque chose... lance Serge avec un sourire gêné en entrant dans la pièce, deux verres de vin dans ses mains.
Je m'arrache à la contemplation des images et le rejoins sur son grand canapé.
— J'ai essayé de faire illusion le plus longtemps possible mais maintenant que tu es là, il faut que je te dise la vérité...
J'ai à peine le temps de m'inquiéter qu'il souffle :
— Je ne sais pas cuisiner, et je déteste ça !
Soulagée, j'éclate de rire et l'embrasse.
— Moi aussi !
— Toi ? Mais non, les quelques fois où j'ai mangé chez toi, c'était délicieux. Moi je ne sais vraiment rien faire, à part des pâtes au jambon et des légumes surgelés pour la petite.
En riant, je lui explique que Caroline m'a prise sous son aile et m'a coachée pour lui préparer de bons plats les quelques fois où il est venu dîner.
— Mais pour moi, je ne cuisine jamais rien ; Conserve et surgelés c'est vraiment tout ! conclus-je.
— On est vraiment fait pour s'entendre alors !
— Oui.
Il ne rit plus. Sa main caresse doucement ma joue et son regard de chat se plante dans le mien, puis il plisse le nez.
— Jambon coquillettes, alors ?
— C'est parti ! Je t'aide, si tu veux, je suis très forte pour ouvrir les barquettes sous vide ou pour faire bouillir l'eau.
— Alléluia.
Nous dînons dans des assiettes à soupe, accompagnant notre plat gastronomique de Nuit Saint Georges, on a au moins ça, et cela nous convient à tous les deux. Nous terminons par des petits suisses aux fruits, ceux à la pêche et à l'abricot qu'Elena laisse parce qu'elle n'aime que les rouges et les jaunes.
Serge s'échappe une fois pour vérifier que sa fille dort profondément, puis quand il me rejoint, il a un sourire coquin sur les lèvres.
— Je ne t'ai pas fait visiter la maison encore...
— Très juste, je ne sais pas ce que tu attends.
— Alors là on est dans le salon, là-bas c'est la cuisine que tu as vue et qui ne sert pas beaucoup et ici le couloir par lequel tu es arrivée. Je te propose de me suivre à l'étage, je vais te montrer la salle de bain et ma chambre.
— Je te vois venir.
— Tant mieux.
Au moment de me déshabiller, je me sens pourtant mal à l'aise.
— Et si elle nous entend ?
— Elena ne se réveille jamais la nuit, sauf si elle est malade. Elle a le sommeil très profond, ne t'en fais pas.
— Mais si elle se réveille quand même ?
— On va essayer de ne pas faire trop de bruit, et la porte est fermée à clef, ne crains rien.
— Mais t'as pas l'impression de la trahir, là, de faire des trucs dans son dos ?
Serge s'assoit alors à côté de moi et me regarde d'un drôle d'air.
— Louise, Elena est ma fille, pas ma femme. Alors non, je n'ai pas l'impression de la trahir. Elle ne souffre pas de ma relation avec toi et c'est même plutôt le contraire car je crois qu'elle trouve son papa bien plus heureux depuis deux mois. Ceci dit, si ça te gêne de faire l'amour ici, je peux comprendre. On n'est obligé à rien.
— Je crois que j'ai besoin d'un peu de temps pour me faire à cette idée.
Faire tomber les barrières. Aller de l'avant. Ne plus avoir peur de l'inconnu. Je ne comprends pas pourquoi chaque pas me coûte tant.
— Du temps... genre cinq minutes ou genre un mois ? demande-t-il, doucement.
Je souris.
— Plutôt cinq minutes.
— Aaaah ! Alors voilà ce que je propose. Pendant que tu te fais à cette idée, je t'aide à te mettre dans l'ambiance...
Il m'embrasse délicatement dans le cou et je me laisse faire. Certaines barrières tombent plus facilement que d'autres.
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