Chapitre 22

Mon téléphone est pris d'assaut dès le lendemain main. Pas par Serge, non, mais pas Capucine qui me harcèle pour savoir comment s'est passé le rendez-vous de la veille. J'ai aussi un sms de Caro, mais je ne réponds à personne et prends soin de laisser mon téléphone au fond de mon sac au vestiaire. C'est, de toute façon, l'attitude que j'impose à mes vendeuses. Pas de téléphone pendant le travail. Il y a un poste fixe à la boutique pour les urgences et cela doit suffire. Les mobiles sont réservés aux pauses.

J'ai bien un peu peur de voir Capucine débarquer à la pause déjeuner. Sous ses airs de sage institutrice, elle est parfois aussi imprévisible que sa sœur. Mais heureusement, elle n'ose pas, ou n'arrive pas à se débarrasser de ses marmots le temps de faire l'aller-retour jusqu'au centre-ville et j'en suis soulagée.

Vers dix-huit heures trente, les chalands s'espacent progressivement, il y a moins de monde. Je reste à disposition des derniers clients avec Mathilde pendant que Rihab, Lola et Pauline s'astreignent à rendre une allure de vêtements aux tas de chiffons qu'il reste sur les étagères. Elles rangent, replient les pulls et tee-shirts, remettent les piles en place, disposent correctement les cintres sur les penderies.

Une fois la porte fermée à clef, elles saisissent chiffon, aspirateur et serpillère pendant que Mathilde et moi comptons la caisse de la journée. Les produits que nous proposons sont assez onéreux et lors de journées comme aujourd'hui, nous brassons plusieurs milliers d'euros. Même si la majorité des payements s'effectue en carte bancaire, nous ne sommes pas trop de deux pour éviter les erreurs.

Enfin, j'appelle David pour lui annoncer le chiffre d'affaire du jour, puis enfin nous nous habillons et attrapons nos sacs avant de sortir. Je tape de code de l'alarme, ferme la porte à clef et tire le rideau de fer. Fini pour aujourd'hui. Nous discutons quelques minutes pendant que Rihab et Pauline allument leur cigarette, puis chacune s'éloigne vers ses projets de la soirée.

Je sors mon téléphone de mon sac et pouffe. Depuis midi, Capucine m'a encore envoyé neuf sms. Je lis les messages en observant la gradation de son agacement.

De Capou : Alors ? T'aurais pu m'appeler à midi pour me raconter quand même.

De Capou : Je ne te demande pas la lune, juste un sms pour me dire si ça s'est bien passé, t'as bien deux minutes quand même.

De Capou : Tu m'envoies juste OUI si ça a été, NON si tu ne veux plus le revoir.

De Capou : Il t'a embrassée ?

De Capou : Loulou t'es fâchée contre moi ? Pourquoi tu ne réponds pas ?

De Capou : Tu as séché le boulot parce que vous avez passé la journée au lit ?

De Capou : Louise réponds-moi ou je débarque ! Je veux savoir !

De Capou : Je vais l'appeler.

Bordel, elle n'a pas fait ça quand même ?

De Capou : Je te laisse jusqu'à 19h30, si tu ne m'as pas rappelée je lui téléphone pour savoir.

Il est dix-neuf heures vingt-trois. Vite, je remonte dans les derniers numéros appelés et appuie sur le sien. Elle décroche à la première sonnerie et m'aboie dessus avant de se calmer pour écouter mon compte rendu. J'essaye de ne pas trop en dire mais elle me bombarde de questions. Enfin, elle a son compte d'informations et raccroche, satisfaite.

Je termine le trajet rapidement, j'ai rendez-vous avec Baptiste et je suis vraiment contente à l'idée de le voir.

Mon ami m'attend devant chez moi, je lui saute dans les bras. Nous ne nous sommes pas vus depuis plus d'un an et il m'a manqué.

Après avoir passé plusieurs années à batifoler, mon ex a fini par tomber amoureux, vraiment amoureux. Et deux ans plus tard, à seulement vingt-six ans, il était marié. Le seul souci c'est que Natacha, son épouse, n'apprécie pas que nous nous voyions. Bat a eu beau lui expliquer que nous n'étions que des amis, qu'il ne se passerait jamais plus rien entre nous, elle n'en démord pas, elle est jalouse. Dans un premier temps, Il a affronté la colère de sa femme et nous avons continué à nous voir, mais lassé des scènes de ménage, il s'est finalement aplati. Nous ne nous rencontrons plus qu'en douce quand elle s'absente. Je déteste jouer à la maîtresse alors que nous n'avons rien à nous reprocher et j'ai moi aussi mis de la distance entre nous deux, sans pour autant me résoudre à tirer un trait définitif sur celui qui a toujours été un de mes meilleurs amis.

Natacha est partie pour le week-end avec ses amies, nous avons le loisir de passer la soirée ensemble. Mais pas au resto, chez moi. Je sais que le reste du club L3C aurait été heureuse de le voir aussi mais égoïstement, je préfère le garder pour moi seule.

— Toujours aussi mignon chez toi, me dit Baptiste en entrant. J'aime bien cet endroit.

Il retire sa veste légère et la jette sur une chaise. Je l'observe regarder autour de lui, presque ému de se retrouver là.

— Si ça avait marché entre nous, je vivrais peut-être ici avec toi.

— Ne parle pas de malheur.

Nous éclatons de rire de concert, il n'y aura jamais d'ambiguïté entre nous.

— Tu m'as vraiment manqué ma Loulou, il ne faut plus qu'on reste aussi longtemps sans se voir, soupire-t-il en me prenant à nouveau dans ses bras.

— A qui la faute ?

— Je sais, c'est vrai... mais j'arrive pas à la raisonner. C'est complètement con cette obsession qu'elle nourrit à ton égard. Ça me rend triste. Et puis je me dis que quand on aura des enfants, ils ne connaîtront pas leur super tata Loulou.

L'image de Baptiste avec des gosses me pique brusquement le cœur. Ce n'est pas tant de ne pas faire partie de la vie de ses marmots, mais de l'imaginer devenir un jour papa, lui, l'adolescent attardé alors que je suis toujours seule. Ça arrivera, je devrais me réjouir pour lui mais je n'y arrive pas.

— Qu'est-ce que tu bois ? Coca, bière, vodka ? Un gin tonic comme à la grande époque ?

— Ah oui, si tu m'accompagnes.

— Bien sûr !

Il s'approche et s'assoit sur un des tabourets de bar pendant que je prépare les cocktails.

— Tu sais, ça fait plusieurs mois qu'on essaye.

Tout ce que je ne voulais pas entendre. Je lève les yeux vers lui et lui adresse un sourire un peu crispé qu'il prend, à tort, pour une invitation à continuer.

— La gynéco de Nat lui a dit que si au bout d'un an ça n'avait toujours pas marché il faudra prendre rendez-vous à...

— Bat, excuse-moi mais... je ne suis pas la bonne personne pour parler de ça.

Il me regarde, mi-blessé, mi-penaud. J'ai conscience de mon égoïsme mais je ne peux pas faire autrement, et en fait, je m'en fiche un peu. Je reprends plus doucement.

— Ne m'en veux pas, je suis désolée. Je voudrais bien être présente pour toi, mais tes histoires de couple avec Natacha, vos soucis pour avoir un bébé c'est un peu trop.

— Oui, t'as raison. Je comprends, on change de sujet. Ça va toi ? T'es toujours avec Ken ?

— Matthieu.

— Ah pardon, j'ai mélangé avec le beau gosse en plastique, fait-il en se marrant de sa propre blague.

— J'avais compris, je précise avec un sourire indulgent. Non, c'est fini depuis quelques semaines.

— Qu'est ce qui s'est passé ?

Je hausse les épaules.

— Bof, on n'a jamais été tellement ensemble de toute façon.

— C'est bien ce qu'il me semblait aussi. Et sinon t'as quelqu'un d'autre dans le viseur ?

— Peut-être, je réponds d'un air mystérieux.

— Bon, tu vas me raconter ça, mais avant y'a moyen qu'on commande à manger ? Je crève de faim.

— De quoi as-tu envie ?

— Je ne sais pas, qu'est-ce que tu proposes ?

Je vais chercher dans le tiroir de la cuisine quelques menus de livraison à domicile. Baptiste écarquille les yeux devant les propositions de plats libanais, chinois, italiens, végétariens, indiens, japonais.

— Mais c'est quoi tout ça ? Tu ne cuisines jamais ?

— Pas souvent non, j'avoue.

— Et tu crois que c'est comme ça que tu vas attirer un type bien ?

— Tu veux dire un type dans ton genre, espèce d'enfoiré de machiste ?

— T'as raison, je suis con des fois. Je ferai la vaisselle pour me faire pardonner.

— Les commandes sont livrées dans des barquettes à usage unique.

— Ouais, je sais.

Nous optons finalement pour des plats chinois et en attendant le livreur, je lui raconte ma soirée avec Serge, les espoirs que je verse dans cette éventuelle relation.

Plus tard, tandis que nous picorons les nouilles sautées et le bœuf aux champignons noirs, c'est lui qui me parle de sa vie. Son boulot de commercial dans une entreprise de leasing de voiture qui l'ennuie, sa famille, ses dernières vacances. Nous échangeons des nouvelles des amis communs, les potes du lycée. Plus tard, alors que nous enchaînons les tournées de cocktails, la conversation prend un tour plus personnel et il revient sur son couple, leur désir d'enfant. L'alcool me rend plus consensuelle, je parviens à lui donner des conseils qui n'ont, de toute façon, probablement ni queue ni tête mais il est satisfait, abruti aussi par le gin et la tendresse qui nous unit.

Il fait mine de se lever vers quatre heures du matin mais je l'en empêche et le pousse sur le canapé où il s'affale en bavant jusqu'au lendemain matin.

Il est plus de midi quand nous émergeons mais personne ne nous attend et nous sirotons tranquillement une aspirine et plusieurs cafés. Il part en me promettant cette fois ci de ne pas attendre aussi longtemps pour nous revoir. Je n'en crois pas un mot mais ce n'est pas grave, c'est l'intention qui compte.

Je prends une longue douche pour faire taire le bourdonnement dans ma tête, et c'est plutôt efficace, je passe le reste de la journée à paresser sur le canapé avec des livres.

Je reçois un message de Serge vers dix-huit heures.

De Serge : Bonjour Louise, comment vas-tu ? As-tu passé une belle journée ? Je ne suis pas de garde ni mercredi ni jeudi, je me demandais si tu serais libre pour un dîner ?

De Louise : Bonsoir Serge. Très bonne journée, merci et toi ? Je suis à mon entraînement mercredi, mais rien de prévu jeudi, alors volontiers !

De Serge : Moi aussi j'ai passé une bonne journée mais ce sera surtout une bonne soirée car je sais que je vais bientôt te revoir :) Mes parents viendront garder Elena chez moi jeudi, si je passe te prendre vers 20h est-ce que cela te convient ?

De Louise : C'est parfait, j'ai hâte. Bonne semaine, à jeudi.

De Serge : Moi aussi, j'ai vraiment hâte. Bonne semaine toi aussi. Je t'embrasse.

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