Chapitre 18

       

— Loulou, ouvre... Allez... ouvre-moi s'il te plaît...

— Lou, ouvre-moi. Il faut te lever, maintenant. Tes parents m'ont appelée, ils sont inquiets. Lou ?

— Lou, c'est Charlie. Ouvre cette putain de porte, tu ne vas pas rester moisir des mois dans ta chambre !

— S'il te plaît, Louise, tu dois sortir. Ça ne va pas le faire revenir. Allez...

— Loulou, ton frère passe ce soir, tu iras lui ouvrir ? Je dois aller bosser. Je te laisse un plateau devant ta porte, si tu as faim. Il faut que tu manges.

— Ma Loulou, c'est moi, Nico. Je suis rentré exprès pour venir te voir. Ouvre-moi qu'on discute, je suis sûr que t'as besoin d'un câlin de ton grand frère.

— Viens, Loulou, on sort, on va au ciné, boire un verre, manger un kebab, ce que tu veux, on va se changer les idées. Allez, laisse ton lit, on y va... s'il te plaît...

— Loulou, c'est maman. Ouvre-moi mon cœur. J'imagine combien tu dois être triste mais ça fait trois jours que tu n'es pas sortie de ta chambre... Sois raisonnable ma chérie.

— Bon, Lou, c'est quoi ces conneries ? Alors je t'informe que t'as cinq minutes pour ouvrir, parce qu'après je défonce ta porte. Mais comme j'ai pas envie de me faire mal à l'épaule, tu vas écouter ce que j'ai à te dire et après tu vas sortir de là, toute seule, comme une grande. T'as perdu ton mec, t'as foiré ton semestre à la fac et ça fait trois jours que t'es pas allée bosser. Ta responsable a monté un bobard au patron mais si t'y vas pas lundi, tu vas te faire virer. Ou alors tu vas chez le médecin te faire faire un arrêt maladie, mais tu te bouges. Sinon, tu vas réussir à pourrir encore plus ta vie. Ça va pas le faire revenir ton prince charmant. Pis franchement, tu crois pas qu'il est temps de prendre une douche ?

Je ne sais pas si ce sont ses paroles, ou juste le fait que ce soit lui, mais je me lève et ouvre la porte à Baptiste.

— Putain Lou, fait-il en entrant. Ouvre-moi cette fenêtre et ces volets ! Pas étonnant que tu sois déprimée, cette atmosphère flinguerait un ours !

La lumière du jour me blesse mais je lui obéis. J'ai l'impression de me réveiller et pourtant mon cauchemar n'est pas fini.

Je m'assois sur le bord du lit défait et Baptiste m'imite avec une grimace.

— Pour info, Thomas est bien arrivé à Addis-Abeba.

— J'en ai rien à foutre.

— Ok, tu plantes le contexte... Lou, je suis vraiment désolé pour toi. Je te jure que j'ai mal de te voir malheureuse comme ça, mais t'es une battante. T'as pris quelques jours pour pleurer, mais tu ne vas pas passer les six prochains mois à te morfondre.

— Et le reste.

— Il paraît que tu l'as envoyé bouler, tu lui as « rendu sa liberté ». Mais qu'est-ce que t'avais dans la tête ? Je veux dire, en plus de ta putain de fierté mal placée ?

— Au moins, je verrai bien s'il tient vraiment à moi.

— Foutaises, Lou. S'il trouve une autre nana, tu l'auras bien cherché.

— Merci, Bat, de me remonter le moral.

— Je n'essaye pas de te remonter le moral si t'avais pas remarqué. Je te dis ce que personne n'ose te dire. Tu peux m'en vouloir si tu veux, même me détester, me frapper -mais pas trop fort-  tout ce qu'il faudra pour que tu sortes de là et que tu souris à nouveau.

— Je vais sortir. Mais pour le sourire on va attendre encore un peu.

✨✨✨✨✨

Je suis retournée au travail, Je me suis douchée, habillée, maquillée, coiffée. J'ai enfilé un pantalon de tailleur et un chemisier repassé, des chaussures cirées.  Mais pour le pli amer de ma bouche, pour l'éclat de mes yeux, je n'ai rien pu faire.

Caro avait appelé Jessica, une des collègues avec laquelle je m'entends le mieux pour la prévenir de ma rupture avec Thomas, lui dire que je ne pourrai pas venir travailler les prochains jours. Jess avait mis Marie, ma responsable au courant et les filles, solidaires, m'avaient couverte. Mais la solidarité a un prix et j'ai dû affronter, dès mon arrivée, le regard compatissant de mes collègues, en plus de celui de mes amis.

En revanche, je ne peux pas retourner à la fac. Je n'ai de toute façon pas validé mes unités, et chacun de ces lieux me rappellent trop de souvenirs, me font horreur. Impossible pour moi d'y remettre les pieds.

C'est la cause de ma première dispute avec Caroline, le soir où je lui annonce que je mets mes études en pause jusqu'à la rentrée suivante.

— C'est une plaisanterie ?

— Non, je n'ai plus goût à rien. Je ne me sens plus capable de me concentrer sur les cours, et je n'ai pas le courage de retourner à la fac.

— Permets-moi de te rappeler que tu as refusé de suivre Tom parce que tu ne voulais pas interrompre tes études.

— Tu crois que ça m'amuse ? Que je n'y ai pas pensé ? Je ne peux pas Caro. Je ne peux pas !

— C'est une énorme connerie, un énorme gâchis.

— Ce n'est qu'un semestre.

— Je ne parlais pas que de la fac.

— Va te faire foutre.

Je pars en claquant la porte et vais me réfugier chez Capucine qui a emménagé avec Thibaut. Je sais que Charlotte prendra le parti de Caro, pas besoin de ça ce soir.

Chez Capou, je trouve la douceur et la gentillesse dont j'avais besoin pour digérer les paroles de Caro et comprendre qu'elle ne veut que mon bien.

Ma colère passée, je rentre la queue entre les jambes. Caro m'attend dans le salon. Anxieuse, elle guette ma mine, et me tombe dans les bras quand elle voit que je ne suis plus fâchée.

— Pardon, ma Loulou, je suis désolée pour ce que je t'ai dit.

— Tu as été dure, Caro. Je sais que ce n'est pas méchant, mais je n'ai pas besoin de ça en ce moment, j'ai besoin de ton soutien.

Mon amie se recule et me regarde sérieusement. Elle ne lâchera pas le morceau.

— C'est vrai Lou, et je comprends cela mais... arrêter tes études, c'est une erreur. Je ne peux pas te regarder foncer droit dans le mur sans rien dire.

— Tu as peut-être raison, mais je prends le risque. Je ne peux plus Caro. Je me sens vidée, j'ai besoin de prendre du recul, de faire le point sur ma vie.

— Ce n'est qu'un homme. Tu en trouveras un autre.

— Non, c'était Lui.

Elle reste silencieuse un instant, cherche une autre approche.

— Tu vas broyer du noir toute la journée et t'enfoncer dans la déprime.

— Non. Je garde mon travail à la boutique. Mais la fac c'est terminé pour cette année.

— Tu n'y mettras plus les pieds.

— Peut-être. Je prends le risque.

— Tu vas foutre ta vie en l'air, abandonner tes rêves, tes projets d'avenir.

— Thomas s'est barré avec mes rêves et mes projets.

— Il ne tient qu'à toi de garder la tête hors de l'eau et de maintenir le cap. Je sais que c'est difficile mais...

— Non, Caro, tu ne sais rien.

✨✨✨✨✨

J'ai donc arrêté temporairement mes études malgré les protestations de mes proches.

Évidemment, mes parents ont très mal pris la nouvelle, mais je leur ai tenu tête. J'ai repensé à Thomas, qui avait su imposer ses choix à tous. Ses études de philo, et son voyage ensuite.

Mais moi, je ne me sentais ni courageuse, ni rebelle, ni volontaire. Je ne pouvais simplement pas faire autrement.

Durant ces six mois, c'est mon travail qui m'a donné la force de me lever, de me préparer chaque jour, m'a empêché de sombrer complètement dans la dépression.

Le reste du temps, je le passais sur le canapé ou dans ma chambre, à ressasser mes idées noires. J'avais la sensation d'être dans une dimension parallèle en attendant le retour de Thomas.

Conformément à mes désirs, il n'a jamais cherché directement à me contacter. Les premiers temps, il envoyait souvent des mails aux filles. Prudemment, elles me transmettaient de ses nouvelles. « Tom est au Népal, il t'embrasse. » , « J'ai reçu un email de Thomas depuis Bali, il espère que tu vas bien. », puis de moins en moins souvent. Je ne sais pas si c'est parce qu'il espaçait ses courriers ou si elles cherchaient à me protéger. En tous cas pour moi ça ne valait rien de bon, je le sentais s'éloigner encore plus.

J'ai quand même reçu une carte du Brésil pour mon anniversaire. Je l'ai déchiffrée, le cœur battant. Quelques lignes, des souhaits neutres. Pas de « je t'aime », « tu me manques », « j'ai hâte de te revoir ». Je crois que c'est seulement à cet instant que j'ai compris que c'était vraiment fini entre nous.

Un mois plus tard, mon patron qui possédait plusieurs boutiques dans le centre-ville m'a proposé de prendre la direction de la nouvelle qui allait ouvrir quelques semaines plus tard.

J'avais évolué au sein de l'entreprise depuis que j'avais  interrompu mes études, je gérais à présent certaines clientes et, privilège suprême, j'avais le droit d'utiliser la caisse. Je n'avais pas pris de congé pendant les deux mois d'été et j'avais été la seule à travailler sans discontinuer. J'étais extrêmement flattée de sa confiance, alors que j'avais commencé comme simple étudiante.

Je savais que je ne serais jamais prof de lettres. Pas plus que je n'aurais de librairie ou deux gosses dans un monospace. Ça, c'était la vie que j'aurais dû avoir avec Tom. Sans lui, ces projections n'avaient plus d'intérêt.

Mais j'hésitais. Si j'arrêtais complètement mes études maintenant, sans diplômes, ce serait difficile de revenir en arrière.

Heureusement, ou pas, le destin m'a aidé à faire mon choix.

✨✨✨✨✨

En ce jour de début septembre, Charlotte, Capucine, Caro et moi nous préparons pour aller chez Ludo fêter son anniversaire. Alors que je sors de la salle de bains, j'entends les filles se disputer en chuchotant dans le salon.

— Mais pourquoi ce serait à moi de lui dire ?

— Allez Caro, on ne peut pas la laisser y aller sans la prévenir.

— Pourquoi moi ? T'as qu'à lui annoncer toi !

— Elle va pêter un câble.

— Il fait chier Ludo !

— M'annoncer quoi ?

Elles se taisent brusquement, blêmissent.

— M'annoncer quoi ? je répète d'une voix plus menaçante.

— Thomas est rentré, murmure Capucine, guettant ma réaction.

— Il sera là à l'anniversaire de Ludo, ajoute Charlotte.

— Avec son amie, termine Caro en chuchotant, la tête basse.

— Son « amie » ?

— Oui.

— Sa copine, donc ?

— Oui. Une française qu'il a rencontrée au Pérou. Ils ont fini le voyage ensemble.

— Vous êtes au courant depuis combien de temps ?

— Au courant de quoi ? demande Caro d'une voix à peine audible.

— De son retour déjà, et pour cette nana évidemment.

Les filles fuient mon regard, personne ne me répond.

— Dites-moi, putain, je gronde.

— Ils sont arrivés lundi soir, ça fait cinq jours. Pour Jeanne, on sait depuis le mois dernier. Ils ont visité l'Amérique du Sud tous les deux mais on ne pensait pas que c'était sérieux, qu'il rentrerait avec elle.

— Et sinon, vous aviez prévu de m'en parler un jour ?

— On attendait le bon moment, mais on ne l'a jamais trouvé...

— Lou, tu sais, si tu n'as pas envie de venir, je suis sûre que Ludo comprendra...

— Pardon ? Évidemment que je ne viens pas. Ce traitre de Ludo peut aller se faire foutre et il est hors de question que je vois Tom se pavaner avec sa pétasse.

— N'exagère pas, Loulou. Ludo est l'ami de Thomas avant tout, il n'a pas pensé à mal. Quant à Tom... ça m'étonnerait qu'il se pavane, il sera plutôt dans ses petits souliers.

— Tant mieux. Mais je ne veux pas voir ça. Je ne m'en sens pas capable.

— Si tu n'y vas pas, tu le regretteras, intervient Charlotte, restée silencieuse jusque-là. Il faut que tu règles tes comptes avec lui et ça t'aidera à tirer un trait sur votre histoire.

— Non.

— C'est toi qui vois.

Ce soir-là,  j'ai eu l'impression que Thomas venait de m'enlever pour la seconde fois le peu d'espoir, le peu de foi en l'amour qu'il me restait. J'ai continué à vivre, mais c'est comme si j'étais morte à l'intérieur.

J'aurai pu en vouloir à mes amies de m'avoir caché tout cela, mais j'ai choisi de retourner ma rage contre le responsable de mon chagrin, de mon mal-être. Et finalement, c'était plus facile de détester Thomas que de l'aimer encore.

Je ne suis pas allée à l'anniversaire de Ludo, mais j'ai appelé mon patron pour accepter sa proposition.

Marie m'a formée durant deux mois, et à l'ouverture en novembre, j'étais prête pour ma nouvelle vie.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top