Chapitre 15
Quand j'arrive, Thomas est radieux. Dans la pièce de vie qui combine chambre, salon et cuisine, il a disposé des bougies et une couverture au sol avec deux gros coussins, pour figurer un pique-nique.
Il se précipite vers moi dès mon arrivée, et m'embrasse.
— Tu es magnifique, mon ange.
— Toi aussi, tu t'es fait beau...
— Oui, ce n'est pas un jour comme les autres !
Ses yeux pétillent de bonheur, j'ai beau essayer de me raisonner, mon cœur bat à tout rompre et j'ai vraiment la sensation qu'il s'apprête à me faire une annonce importante.
— Va t'assoir, propose-t-il. Je t'apporte une coupe de champagne.
— Du champagne ! On fête quelque chose ?
— Ben oui... notre anniversaire !
Imbécile que je suis. Ça m'apprendra à minauder.
— A nous, fait Tom en entrechoquant son verre contre le mien.
Nous buvons une gorgée et il se racle la gorge, me sourit.
— Hum, Lou, je voulais attendre la fin du dîner, mais je n'ai pas le courage de patienter davantage...Tu as remarqué que j'étais un peu occupé ces derniers temps ?
Je hoche la tête en silence, la bouche sèche.
— J'ai essayé d'être discret, mais ce n'était pas évident... Bref. J'avais, disons, pas mal de choses à préparer, parce que j'ai quelque chose à te demander.
Oh mon dieu, nous avions raison. Ma poitrine va exploser.
— Lou, je vais partir faire le tour du monde, et je voudrais que tu m'accompagnes.
Douche glacée.
— Pardon ?
— J'ai deux passions dans ma vie : les voyages, et toi. Concilier les deux ce serait...
— Tu as perdu la tête ?
Son sourire et son enthousiasme disparaissent immédiatement.
— Mais... pourquoi dis-tu cela ? murmure-t-il, blessé.
— Enfin, c'est complètement fou ! Le tour du monde ? Mais on ne peut pas partir comme ça ! On est au beau milieu de notre année, on n'a rien prévu...
— Si, au contraire, j'ai tout prévu. L'itinéraire est prêt, il ne reste que les vaccins à...
— Mais la fac, Thomas ! Le boulot !
— Louise, on a vingt ans ! Tu ne crois pas qu'on peut prendre quelques mois pour nous ? On n'a pas d'années de retard. On termine le semestre pour valider nos unités d'enseignement et après les partiels, on part, on profite de la vie et quand on rentre on termine nos études, c'est tout...
— Avec quel argent tu vas financer ça ? Combien de temps ?
— Je ne sais pas, cinq ou six mois je dirais, mais ça dépendra de ce qu'on fait sur place, des petits boulots qu'on trouve... En se débrouillant bien, on peut vivre pour pas cher, rien à voir avec la vie ici.
— Je n'arrive pas y croire, je souffle, la tête entre mes mains.
Les larmes me montent aux yeux. Tant de désillusions. Je me sens tellement bête, et si déçue à la fois.
— Lou, chuchote Thomas en écartant mes mains, ne pleure pas... Je suis désolé, je pensais que...
Je lève la tête et lis la déception dans ses yeux à lui aussi. Les larmes ne sont pas loin non plus.
Nous restons un moment à nous regarder en chien de faïence, sans savoir quoi ajouter. C'est lui qui trouve le courage de reprendre la parole.
— Promets-moi quand même que tu vas y réfléchir.
— Mais non ! j'explose. Je ne vais pas y réfléchir ! Je ne veux pas partir faire le tour du monde ! D'où tu sors cette idée ?
— Mais... ce n'est pas nouveau, on l'avait déjà évoqué ensemble. Je croyais vraiment te faire plaisir...
— On n'a jamais envisagé de faire le tour du monde tous les deux !
— Si, quand nous avons parlé de notre avenir.
— Oh oui, bien sûr... Une idée balancée comme ça, je n'avais pas imaginé que tu étais sérieux.
— Pourtant les histoires de mariage et de gosses, tu y croyais, non ?
— Ce n'est pas pareil.
— C'est vrai. Tu prends au sérieux les choses qui te plaisent, et tu considères comme des caprices celles qui ne te conviennent pas.
Je ne peux pas nier qu'il a raison. Je n'arrive pas à croire que nous en sommes là, à cause d'un bête quiproquo.
— Lou, reprend-il très doucement. C'est mon rêve de partir à l'aventure, de découvrir le monde, ne me demande pas d'y renoncer.
— Je ne partirai pas Thomas. Je n'ai pas envie de quitter mes amis, ma famille, d'interrompre mes études...
— Même pour moi ?
Sa voix est à peine audible, il a l'air si malheureux.
J'acquiesce sans bruit, dévastée.
Le reste de la soirée se déroule sombrement. Nous tentons vainement de changer de sujet, dînons sans appétit, mais nous n'avons que ce voyage en tête. Nous passons la moitié de la nuit à tenter de nous convaincre l'un l'autre, de partir, de rester, mais chacun est fixé sur sa position. Il est tard quand nous finissons par nous endormir, tristes et pour la première fois, chacun de notre côté du lit.
Le lendemain matin, nous déjeunons dans un morne silence, face à face. La nuit a été courte et n'a pas porté conseil. Tom finit par caresser doucement le dessus de ma main, pour attirer mon attention. Je lève un regard lourd sur lui.
— Je t'aime, Lou. Je t'aime plus que tout au monde.
— Pas au point de renoncer à ton voyage.
— Non, parce que je t'en voudrais toute ma vie de m'avoir privé de mon rêve. Ecoute... je voulais prendre les billets d'avion aujourd'hui parce que je... n'avais pas imaginé ta réaction. Quoi qu'il en soit, je vais attendre quelques semaines, et si tu changes d'avis...
— Ne te prive pas Tom, je ne changerai pas d'avis.
— Lou, je t'en prie, je t'en supplie, prends le temps de la réflexion.
— Tu changeras d'avis, toi ?
— Non.
— Voilà.
— J'attends quand même. Lou, je ne veux pas te perdre et je sais que si je pars seul...
Sa voix se brise, il ne termine pas sa phrase. Ce n'est pas nécessaire.
Au moment de me voir quitter son studio, Tom hésite, puis me donne un tiède baiser avant de me serrer brusquement contre lui. Je sais ce qu'il ressent. Un drôle de mélange de colère et de déception, et bien sûr de l'amour. C'est ce que j'éprouve aussi.
Je reprends avec moi le cadeau que j'avais prévu de lui offrir pour nos deux ans. Le carnet de voyage de Claire et Renaud Marca. Je n'ai plus ni le courage, ni l'envie de le lui donner.
✨✨✨✨✨
— Alors, fiancée ? demande Caro dès qu'elle m'entend franchir la porte d'entrée.
— Pas vraiment. Ce serait même le contraire... réponds-je avec une grimace en arrivant dans le salon.
Son sourire s'évanouit quand elle découvre ma mine, mes cernes et mes yeux rouges.
— Qu'est ce qui s'est passé ?
— Tom avait effectivement une surprise. Le tour du monde en amoureux.
— C'est vrai qu'il avait parlé plusieurs fois de partir...
— Tu ne vas pas t'y mettre aussi ! Je n'avais pas imaginé qu'il était sérieux ! Pour moi, c'était des rêves de gamins tout ça, là on est dans la vraie vie !
— Bon, d'après ta tête, j'imagine que ça ne te tente pas...
— Tu te fiches de moi ? Le camping est l'aventure la plus exotique que j'ai vécu, j'ai cru que je n'allais pas tenir quinze jours dans une tente avec les sanitaires publiques, tu me vois six mois avec un sac à dos ? Et vous ! Et ma famille ! Et mes études !
— Et alors, qu'est-ce que tu vas faire ? demande mon amie avec précaution.
— Rien. Thomas va partir. Après les exams, en février. Sans moi.
— Et qu'allez-vous devenir ?
— Rien, j'imagine. Je ne lui pardonnerai pas.
— Quoi ?
— Eh bien de partir, de m'abandonner !
Caro fronce les sourcils, ne répond pas.
— Vas-y, balance, ne te prive pas.
— Ça ne va pas te plaire.
— Vu ta tête je m'en doute, mais je ne suis plus à ça près.
— Loulou... que tu refuses de l'accompagner, je comprends. Moi-même dans ta situation, je ne crois pas que je suivrais Kader. Mais si c'est son rêve, tu ne peux pas lui en vouloir à lui. Etre triste, oui, mais fâchée, non.
— Eh bien pourtant je suis furieuse.
— Contre lui ou contre toi ?
— Pourquoi contre moi ?
— Parce que tu n'as pas su comprendre combien son besoin de voyage était important. Parce que malgré ton amour pour lui tu as été égocentrique au point de ne pas prendre en compte ses envies les plus profondes.
— Ouais, t'as raison Caro, en fait, tais-toi. J'ai pas envie d'entendre tout ça.
— Désolée, Lou. Je suis vraiment désolée pour tout ça.
— Pas autant que moi.
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