Chapitre 11
De Matt : On se voit ce soir ? Je t'emmène dîner si tu veux. Tu me manques...
Dans le bus qui me ramène chez mon frère et Solène, je souris. Nous ne nous sommes pas vus depuis lundi soir et je lui manque. Le chaud et le froid.
De Louise : Avec plaisir. Est-ce que je prévois ma trousse de toilette ?
De Matt : Oui, avec des rechanges pour deux jours, pour une fois on va pouvoir passer le week-end ensemble. Prends ta guêpière noire, j'ai des idées plein la tête.
J'ai dû vraiment lui manquer.
Je marche vite pour rentrer chez moi, me doucher et préparer un petit sac pour les deux jours.
Je suis à peine prête que Matthieu fait sonner mon téléphone. Il attend en double file en bas de l'immeuble.
— Salut ma belle, fait-il en m'embrassant tendrement. Tu veux aller dîner tout de suite ou on passe chez moi avant ?
— Chez toi, pour quoi faire ? je demande, comme si je ne connaissais pas la réponse.
— Six jours Lou...
— On n'est pas à deux heures près. Je préfère aller dîner d'abord, j'ai faim.
— D'ac. Léger alors.
— La crêperie sur le chemin ?
— Vendu !
Nous passons une très bonne soirée en tête-à-tête, sans télévision. Je lui raconte mes quelques jours de vacances, omettant de lui parler des projets de Capucine. A son tour il me détaille ses histoires assommantes de boulot. Matthieu est programmateur informatique et je sais à peine lancer une vidéo YouTube, autant dire que je ne comprends pas grand chose à ce qu'il me dit, mais je hoche la tête et je crois que c'est tout ce qu'il demande.
Nous ne nous attardons pas après la crêpe chocolat-coco que nous partageons pour le dessert et quand je m'endors à ses côtés quelques heures plus tard, je me dis que j'aurais quand même pu plus mal tomber.
Le lendemain matin, il est déjà tard quand nous déjeunons dans sa cuisine carrelée de blanc, avec le téléshopping en fond mais je suis reposée, et j'ai la sensation, rare, qu'aujourd'hui rien n'entamera ma bonne humeur, pas même le déjeuner chez ses amis.
— Philippe m'a demandé si on pouvait passer au supermarché en venant. Ils voulaient cuisiner chinois mais il leur manque deux ou trois trucs.
— Pas de soucis.
— Départ dans une heure ?
— Parfait !
Cela me laisse le temps de lire quelques chapitres de mon bouquin. Ma journée ne pouvait pas mieux commencer.
✨✨✨✨✨
J'étais pourtant vraiment dans un bon état d'esprit. Matthieu était gentil, presque tendre.
Mais cette vision m'a transpercée, foudroyée sur le parking bondé du supermarché, alors que Matt et moi le traversions en silence, l'un à côté de l'autre.
Ils ont notre âge je dirais, entre vingt-cinq et trente ans. Ni beaux ni laids, pas particulièrement assortis. Un couple normal. Ils travaillent probablement, puisqu'ils sont réduits à faire leur course le samedi matin. Ils avancent enlacés jusqu'à l'abri à chariots, en choisissent un et tandis qu'il le pousse d'une main, il glisse la seconde dans celle de sa copine. Ils marchent un peu plus loin devant nous, et je les suis du regard jusqu'à l'entrée du Leclerc. Ils discutent. Il doit être drôle car elle rit souvent. Avant de les perdre de vue, j'aperçois la femme déposer un léger baiser sur ses lèvres à lui.
Nous passons une très bonne journée chez Daphné et Philippe. Leur petite Lilou est mignonne, et même si je n'ai pas de passion pour les bébés, je la trouve trognon quand même. Heureusement d'ailleurs, car Daphné me la colle dans les bras dès qu'elle peut, comme si le fait d'être une femme incluait d'office le plaisir de se trimballer avec un marmot. Mais je n'ose pas la contredire et m'écrase, espérant secrètement éviter les régurgitations sur mon gilet en cachemire.
J'aime bien Matt quand il est avec ses amis. Il me semble qu'à leur contact, il retrouve un peu de la simplicité qui lui fait parfois défaut.
Le repas chinois qu'ils ont cuisiné n'est en fait qu'un assemblage de préparations industrielles du rayon exotique, mais cela ne me change pas de mon quotidien, et je suis aguerrie quand il s'agit d'avaler de la bouffe dégueulasse.
Après le déjeuner, nous buvons un café paisiblement pendant la sieste de la huitième merveille du monde, puis le couple la colle dans la poussette pour une petite balade dans le quartier histoire de prendre l'air et je suis contente de sortir me dégourdir les jambes.
Nous prenons congé au retour de la promenade et rentrons tranquillement chez Matthieu.
C'était vraiment une bonne journée, et pourtant, tout a changé.
C'est seulement chez lui, alors que nous sommes assis sur son canapé en cuir que je comprends que Matthieu les as vus aussi. Ce couple qui, même sur le parking du supermarché, ne peut que rester collé. Ce couple qui irradie de bonheur.
— Nous ne sommes pas heureux ensemble, pas vrai ? souffle-t-il.
Et il a raison, il a tellement raison.
Je lui ai manqué, il m'a manqué aussi peut-être. Nous sommes sexuellement compatibles. Nous apprécions nos amis mutuels, et pourtant, ça ne marche pas. C'est son constat après une belle journée sans dispute, et c'est le mien aussi. Même comme ça, ça ne marche pas. Je repense aux paroles de Charlotte. A ce couple parfait, amoureux, ce couple que nous n'avons jamais été, que nous ne serons jamais. A quoi bon perdre son temps ?
— Est-ce que tu m'aimes ? demande Matthieu, toujours aussi doucement, presque avec inquiétude.
— Non. Et toi ?
— Non plus. Pourquoi, Lou, pourquoi on n'est pas tombé amoureux l'un de l'autre ?
— Je ne sais pas. On est peut-être trop différents, ou notre histoire a été mal programmée depuis le départ.
Dès le début je savais que Matthieu n'était pas celui reboucherait le trou béant dans ma poitrine, qui me ferait oublier Thomas. Pourquoi me suis-je obstinée ? Probablement parce que comme le dit mon amie, « ça m'arrangeait bien ».
— Mais je tiens à toi, Lou. Je tiens vraiment à toi, j'aime le temps qu'on passe ensemble, j'aime nos...
— Moi aussi Matt, mais ça ne suffit pas. Ça ne sert à rien de continuer ainsi, on perd notre temps ensemble.
— Tu es en train de rompre là ?
Il semble sincèrement blessé, j'ai du mal à suivre.
— Je croyais que c'est ce que tu voulais. En tout cas c'est la meilleur solution pour nous deux. Tu vas rencontrer une fille qui sera folle de toi, et moi peut-être un mec qui arrivera à me supporter.
— Moi j'arrivais à te supporter, objecte-t-il d'une voix plaintive.
— Pas tant que ça. Mais arrête, à quoi tu joues ? C'est fait, c'est dit, on arrête sans frais.
— Je n'ai pas envie...
— C'est n'importe quoi, c'est toi qui provoques la discussion et je suis d'accord mais tu changes d'avis.
— Je n'avais pas imaginé qu'on cesserait de se voir, là tout de suite.
Je soupire profondément.
— Ecoute, Matthieu, dans quelques jours, mon frère va devenir papa. Capucine et Thibaut ont deux enfants, Philippe et Daphné, leur petite Lilou...
— Ça te fait envie ?
— Non, pas du tout. Mais pourquoi, ça changerait quelque chose ? Si je te disais que j'avais envie d'un môme, tu me le ferais là, sur ce canapé, peut-être ?
— Non.
— Bon, alors laisse-moi parler. Ce que j'essaye de te dire c'est qu'ensemble, on tourne en rond. Les autres avancent, mais nous, on n'a pas de projets communs, et surtout pas l'envie d'en avoir. Je ne te jette pas la pierre, je ne tiens pas plus à toi que toi à moi.
— Ce n'est pas gentil ce que tu dis. Tu es cruelle, Lou.
— Mais non, c'est la vérité. Je vais rassembler mes affaires.
— Attends, fait-il en m'attrapant par le bras. Ça ne va pas te manquer ça ?
Et il soulève son tee-shirt pour découvrir son ventre aux abdominaux sculptés. Je sens ma volonté flancher.
— Si... mais ce n'est pas une raison suffisante, je t'assure.
Il saisit mes mains et les pose sur ses fesses délicieusement fermes.
— Alors, au moins juste une dernière fois, pour se dire au revoir.
Je rassemble tout le courage dont je suis capable, en essayant de ne pas penser aux mois de disette qui vont suivre.
— Non, Matt. Vraiment non. Tu peux me ramener chez moi ?
En bas de mon immeuble, Matthieu se gare comme il peut sur le trottoir et coupe le moteur. Un silence pesant s'installe mais je ne nous laisse pas le temps d'avoir des regrets et attrape mon petit sac.
— Bon, eh bien, au revoir...
— On reste en contact, hein ?
— Si tu veux parler d'une relation libre, ou un truc du genre, c'est non.
— Non, Lou. Amis, je veux dire.
— Matthieu, on n'a pas été amis durant tout le temps qu'on a passé ensemble, on ne va pas le devenir maintenant.
Ses yeux s'humidifient, je suis horrifiée.
— Mais non, qu'est-ce que tu fais ? Pas d'engagement, pas de larmes !
— Faut croire que je suis plus sentimental que ce que tu crois.
— Eh bien, tant mieux, parce que tu vas pouvoir trouver une jolie jeune femme dont tu tomberas amoureux.
— Je n'arrive pas à croire que tu sois si froide... On a passé de bons moments ensemble. Tu sais, tu vas me manquer quand même.
— Oui, mais il n'y a rien à regretter, rien à pleurer.
J'ai été plus sèche que ce que j'aurais voulu. Il se tait. J'en profite pour glisser un baiser sur sa joue et sortir de sa voiture. Pour la dernière fois.
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