Chapitre 10




Février 2017

De la vapeur chaude et parfumée, de la musique relaxante et un gommage au savon noir, voilà de quoi j'avais besoin pour aller mieux. Je me sens vidée, propre, et enfin détendue.

Charlotte et moi, alanguies, savourons un thé à la menthe accompagné de pâtisseries dans le salon de l'institut, mais mon amie retrouve vite son énergie.

— Lou, il faut que je te parle de quelque chose. En fait, c'est Capucine qui a une proposition à te faire, depuis plusieurs semaine d'ailleurs, mais elle n'ose pas t'en parler... Alors comme je sais que tu manges chez elle demain midi, ça te laisse le temps d'y repenser.

— Tu m'inquiètes là, ça sent le coup tordu.

— Mais non. En fait, elle a eu l'occasion de louer, pour quinze jours en juillet, une grande maison, dans le Luberon, pas cher du tout. La maison d'amis de parents de Thibaut je crois... Enfin bref. Elle nous a donc suggéré que nous partions tous ensemble. Caro et moi avons accepté.

— Pourquoi elle n'ose pas m'en parler ?

— Parce qu'avec les enfants, Clément et Thibaut ce n'est pas forcément les vacances rêvées, mais ce sera sympa, enfin j'espère.

Effectivement, l'idée de passer les vacances avec les mecs de mes amies ne m'enchante pas, mais c'est surtout les gosses qui posent problème. J'adore Zoé et Théo, je les trouve très mignons le temps d'une soirée ou d'une sortie au parc, mais deux semaines ?

— Elle a loué quelle période ?

— Les deux dernières semaines de juillet. Et te fatigue pas Lou je sais que t'es en vacances à ce moment-là.

— Franchement, je ne sais pas trop.

— Réfléchis-y. La maison est louée, tu peux te décider au dernier moment. Et juste une semaine si tu préfères. Tu peux en parler à Matthieu aussi.

J'éclate d'un rire jaune.

— Ah non, je ne crois pas. Déjà, ça m'étonnerait que l'idée le séduise, mais en plus, je ne pense pas en avoir envie non plus.

Le sourire de mon amie s'efface, ce qui est rare.

— A quoi tu joues, Lou ?

— Pardon ?

— Avec Matthieu, à quoi tu joues ? Qu'est-ce que tu cherches ?

— Mais rien, on est bien ensemble, on passe le temps, on...

— Si tu étais bien avec lui, tu serais heureuse à l'idée de passer tes vacances en sa compagnie, or ce n'est pas le cas.

— Tu es mal placée pour me faire la morale, toi qui changes de mec comme de chemise.

— Premièrement, je ne te fais pas la morale. Deuxièmement, je change de mec pour trouver celui qui saura vraiment me séduire, me donner envie de m'engager, et parce que j'ai toujours été comme ça. Toi, tu restes avec Matt alors que tu sais très bien qu'il ne te convient pas. Comme si tu perdais volontairement ton temps. Ça n'a rien à voir.

Son discours me fait l'effet d'une décharge électrique.

— Je ne sais pas.

— Tu ne sais pas quoi ?

— Ce que je fais. Je ne me pose pas de questions, tu comprends ? C'est comme si je me laissais porter par les évènements.

— Lou, je sais combien tu as souffert. Je comprends que tu n'arrives plus à te laisser aller, à croire en l'amour. Mais tu passes peut-être à côté de belles histoires.

— Je ne suis pas prête à quitter Matthieu pourtant...

— Parce que tu n'as pas envie d'être seule. Bon, allez viens, on bouge. On a plus besoin d'une vodka que d'un thé et justement, c'est presque l'heure de l'happy hour.

— C'est la saint-Valentin, on va être entourées de couples qui roucoulent.

— Là où je t'emmène, pas de risque.

L'apéro s'est prolongé, nous avons partagé une planche de charcuterie et de fromage et il est tard quand je rentre. Comme souvent, j'ai du mal à dormir.

Les paroles de Charlotte résonnent dans ma tête. Bien sûr, ce qu'elle m'a dit n'est pas une surprise, j'en avais conscience mais de l'entendre, c'est tout à fait différent. Pourtant, j'apprécie Matthieu. Il m'agace parfois -souvent même- mais je suis contente de l'avoir dans ma vie et je n'ai pas envie que ça s'arrête. Et puis, dans le bar branché où nous sommes allées boire un verre, personne ne m'a jeté un regard. Les hommes n'avaient d'yeux que pour mon amie. Quand je le lui ai fait remarquer, elle a haussé les épaules.

— Tu ne souris pas, ton visage est fermé comme la porte d'une centrale. On voit que tu n'es pas disponible.

Je finis par me lever vers quatre heures du matin et m'enroule dans mon plaid sur le canapé. J'allume la télévision pour m'abrutir jusqu'à ce que le sommeil ne vienne me prendre en douce.

✨✨✨✨✨

Le mercredi midi, je rejoins Capucine chez elle pour déjeuner. Nous nous croisons devant la porte de sa petite maison, elle rentre de la ludothèque avec ses petits, et rien n'est prêt.

Nous pénétrons ensemble dans le couloir encombré de mini bottes en caoutchouc, cartables et moufles en vrac. L'ordre n'a jamais été le fort des jumelles, et depuis que Capucine a des enfants, elle vit dans le chaos.

— Zoé, accroche ton manteau, ne le laisse pas traîner dans les escaliers. Théo, enlève ta cagoule.

— Non, tata Youyou.

— Quoi, tata Youyou ? Enlève ça, on ne comprend rien.

— C'est tata Youyou qui fait.

— Viens bonhomme, je fais en lui ôtant sa parka et ses accessoires de grand froid.

— Zoé, tes chaussures ! Range-les, ton frère va trébucher dedans !

— Mais t'as mis les tiennes à la place des miennes, je sais pas où les mettre, pleurniche la petite.

— Trouve une place !

Je suis toujours surprise de voir comment Capucine se retrouve débordée avec ses deux enfants alors qu'elle parvient parfaitement à gérer une classe de vingt-huit gamins de six ans.

— Viens, on va dans la cuisine. Les enfants, allez jouer mais je vous préviens on mange dans dix minutes. Pas de bazar hein !

Je m'assois à table et regarde mon amie s'activer.

— Je peux t'aider ?

— Non, non, tu veux quelque chose à boire ?

— Non, merci.

— Mais si. Coca, jus de pommes ?

— Non, ça va.

— De l'eau ? Ou un café sinon... tu veux un café ?

— Rien, Capou.

— Prends un coca quand même. C'est du sucre t'es toute maigre. Des pâtes ça ira ? Je voulais faire les courses ce matin, mais j'ai eu la flemme. Finalement on est allés à la ludo c'était bien plus sympa.

— Oui des pâtes c'est bien.

Il règne une atmosphère très particulière chez Capucine, un joyeux désordre. L'entrée et le couloir ne sont que les prémices au capharnaüm de la cuisine. Un bavoir en plastique accroché au dossier de la chaise haute. Des tas de tickets de caisses, bons de réduction, factures et publicités diverses traînent sur le buffet. Une machine à pain avec la cuve que je n'ai jamais vu ailleurs que dans l'évier et tout un tas de gaufrier, bouilloire, grille-pain, mixeur, appareil de cuisson pour bébé et une corbeille de fruits où se perdent des échalotes encombrent le plan de travail en compagnie de colliers de perles en attente de réparation, une plante à moitié crevée dans un pot peint à la main, un playmobil sans cheveux, un carnet de santé oublié là, une pile de cahiers à corriger. Et sur le frigo, des dessins, des photos et les horaires de la crèche. J'aime bien ce bazar. Il sent la vie. Il sent le bonheur.

Les pâtes dans l'eau, mon amie finit par s'assoir en face de moi.

— Comment ça va, toi ? Zozo, arrête de faire crier ton frère !

— Ça va.

Je décide de couper court en changeant de sujet mais elle se lève pour se précipiter à la porte.

— Chut les enfants ! Calmez-vous ! Lou, tu veux quoi comme viande ? Un steak haché ou une saucisse ?

— Peu importe. Capou, pour les vacances...

— Oui ? fait-elle subitement intéressée.

Mais les enfants choisissent pile ce moment pour débarquer en courant.

— C'est prêt ? Z'ai faim !!!!

Capucine prépare aussi des haricots verts surgelés, parce qu'elle fait partie de ces mamans que j'admire et qui pensent que leurs enfants ne grandiront pas correctement sans légume à chaque repas.

Nous mangeons dans le bruit et l'animation, incapable d'échanger deux mots sans être interrompues. Je renonce à la moindre conversation et nous nous consacrons aux petits, heureux d'être au centre de l'attention.

Je le regarde ensuite avec attention Capucine éplucher des clémentines pour ses loupiots. Elle enlève précautionneusement chaque filament blanc, coupe les quartiers en deux pour les petites bouches, inspecte chaque morceau à la recherche d'un pépin dissident. De simples gestes du quotidien mais qui transpirent d'amour et de tendresse.

Zoé chipote, joue avec ses demi-quartiers mais finit par se hisser sur mes genoux, et nous jouons à « une bouchée pour », option copains de l'école : un morceau pour Malik, un petit bout pour Lysianne, mais pas pour Mattéo parce qu'il tape, hein.

Les enfants réclament ensuite une histoire avant la sieste, et je me dévoue pendant que leur maman débarrasse. Je me fraye un chemin entre le boa géant en peluche et un Mickey qui a déjà bien vécu et m'installe sur le lit de Théo, un petit de chaque côté pour leur narrer une énième aventure de Barbapapa et de sa famille nombreuse qu'ils connaissent déjà par cœur.

Enfin, il est quatorze heures et les petits monstres dorment. Nous soufflons toutes les deux en nous installant sur le canapé taché de Capucine. D'un geste du pied, elle se débarrasse de ses pantoufles Isotoner et allonge ses jambes sur la méridienne en soupirant. Nous restons silencieuses quelques instants, notre tasse de café à la main, goûtant le calme retrouvé.

— Tu voulais qu'on parle des vacances ? risque-t-elle doucement

— Oui. J'ai vu Charlotte hier, et elle m'a dit pour la maison... Ecoute Capou, c'est super sympa de penser à moi, mais je ne crois pas que... je ne suis pas sûre que...

— Allez ! Tu auras ta chambre, tu feras ce que tu veux. On ne sera pas obligés de passer les journées ensemble mais... Oh Loulou, ça va être chouette !

Je reste silencieuse un moment. C'est elle qui reprend.

— Lou, je sais que la semaine dernière, ça a fait sept ans que Thomas...

— Marche arrière ! Non Capou... pas toi aussi.

— Si. Et je sais aussi que tous les ans, entre décembre et février, mars, c'est difficile pour toi, parce que tous ces souvenirs remontent, tu n'as pas le moral et c'est bien normal. Mais cet été, tu iras mieux, et je pense vraiment que c'est dommage de te priver de bons moments entre amis. Cela dit, même si tu te décides la veille, tu auras ta place et ta chambre dans la maison.

— Tu ne me dis pas qu'il faut que je tourne la page ?

— Non.

— Parce que tu sais que je l'ai fait ?

— Absolument pas. Si tu crois cela, tu te mets le doigt dans l'œil. Mais je ne pense pas que t'abuses toi-même, tu essayes juste de nous avoir pour qu'on te fiche la paix.

Je hoche la tête, les larmes aux yeux. Elle a raison, bien sûr que je le sais.

— Je vois bien que Charlotte et Caro pensent que j'exagère, que sept ans pour me remettre d'une histoire d'ado c'est trop...

— Lou, ce n'était pas une histoire d'adolescent, murmure Capucine tout doucement. C'était ton grand amour. Et ça a été tellement brusque, si rapide... ça a été un tel choc... Moi je comprends. Alors oui sept ans c'est long, mais cette page, tu la tourneras quand tu seras prête et c'est tout, peu importe le temps qu'il te faudra. Nous n'avons pas à te dire ce que tu dois ressentir, décider de ta guérison.

— Merci Capou. Je crois que c'est juste ce que j'avais besoin d'entendre...

— Bon, du coup tu viens ?

— On verra.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top