Chapitre 8
Aiko_nsr
───※ ·❆CHAPITRE 8❆· ※───
M O R T E N
De retour à l'appartement, il m'était difficile de la regarder droit dans les yeux en sachant de quoi elle pouvait être capable. Je n'étais pas effrayé, je ne la craignais pas. J'avais tout simplement du mal à encaisser que la réponse de mon existence entière se trouve devant moi et qu'une fois de plus, elle venait de me prouver qu'il existait en ce monde des personnes capables de biens des choses. Du sol, elle avait fait naître des lianes qui savaient parfaitement comment s'enrouler autour des jambes et comment les attirer à l'intérieur de cette sombre brume. Les questions se déroulèrent comme une pluie de grêlons, rendant mon cerveau lourd et douloureux.
Une fois la porte fermée derrière nous, la rouquine fit valser ma casquette à travers le salon et se plia de douleur. J'avais fait de mon mieux pour rentrer au plus vite, dans l'espoir de lui retirer la balle tirée par nul autre que moi. L'hôpital n'était pas une option, pas lorsque l'on a des oreilles pointues et des yeux aussi verts que ceux d'un reptile.
Je ne regrettai pas mon geste, j'avais dû l'arrêter de force avant qu'elle n'envoi le Golden Night entier pourrir dans cette brume. Je savais déjà que tous les flics du pays allaient être au courant, tout comme les plus dangereux de nos collaborateurs. La mort d'Elijah était un bruit qui allait courir dans le monde entier, comme le pion principal d'un jeu d'échec s'étant retiré pour de bon. Cette fille m'avait attiré la foudre, et mon but premier n'était pas de décimer la race humaine entière après avoir passé des années dans le corps d'un fugitif. À la base, je voulais juste gagner du pognon dans ces combats de boxe clandestins et faire partie d'une meute. La solitude me connaissait bien, pourtant, j'avais comme un petit mouton, trouvé refuge dans une prairie. J'avais probablement eu le besoin de me faire un nom, et si c'était l'effet recherché, j'avais réussi haut la main.
Je m'approchai de la fille avec prudence, elle dont le visage était contracté de douleur.
— Il faut retirer la balle avant que ça s'infecte.
Un pas de plus dans sa direction lui provoqua un mauvais frisson sur l'entièreté de ses bras. Elle avait peur de moi, et c'était logique. Je l'avais enfermé chez moi après l'avoir trouvé dans la forêt, je ne cessais de lui poser ces mêmes questions encore et encore puis je l'avais emmené dans un de ces endroits qu'on ne souhaite jamais y mettre le pied. Elle avait tué les hommes d'Elijah, et je lui avais tiré dessus pour ça. Cette fille était totalement déboussolée depuis la seconde même où elle avait ouvert pour la première fois ses yeux dans ma cuisine.
Alors, je pris la décision de ne pas m'avancer davantage et tout simplement lui demander de me suivre jusque dans la salle de bain, là où je commençai à tirer de l'eau dans la baignoire.
— Je n'ai aucun anesthésiant, alors on va utiliser la bonne vieille technique du bain glacé, à moins que tu préfères que je te retire la balle à sec ?
Je jetai un coup d'œil par-dessus mon épaule tandis qu'à genoux devant la baignoire, mes doigts attendaient de ressentir la plus froide des eaux. Les oreilles de la jeune femme se redressèrent comme ceux d'un chat après avoir sentis une bonne odeur de pâtés, et sans plus attendre, elle retira son corset en passant ses mains dans son dos.
— Bon choix, ai-je murmuré en me relevant et en sortant de la salle de bain.
Il me fallait un sac de glaçon, ou même deux. La température de son corps devait nettement baisser pour tromper son cerveau sur l'origine de la douleur. Ce fut donc avec trois sacs de glaçon que je retournai dans la salle de bain, là où la rouquine ne portait sur elle qu'une tunique faite d'un tissu blanc au reflet légèrement bleu. On aurait dit des ails de fées. Plus je m'attardais sur la qualité de ce vêtement, plus j'en oubliais ma discrétion. La rouquine fixait le mur face à elle tout en me jetant des regards furtifs tandis qu'elle mordillait ses pétales de rose rouge.
J'avais mieux à faire que de partir sur une réflexion de couturier pour me demander de quelle planète pouvait bien provenir ce tissu qui transportait une galaxie entière, alors je finis par esquiver sa robe au sol pour vider les sacs de glaçon dans l'eau déjà froide de la baignoire.
Puis, pas moins de dix minutes plus tard, l'eau atteignait son paroxysme.
Je lui demandai donc de bien vouloir plonger dedans, ce qu'elle fit sans broncher. La jeune femme ferma les yeux à la rencontre de son pied contre la glace, mais elle ne se laissa pas impressionner, elle y plongea sa jambe entière. Le sang dégoulinait de sa peau pour venir peindre l'eau d'une couleur écarlate, puis lorsque qu'elle s'y plongea entièrement, laissant la baignoire débordée de tous les côtés, l'eau se transforma en un vrai bain de sang. Ses mains au doigts fins et grâcieux se cramponnèrent aux rebords de la baignoire. Ses lèvres charnues prirent rapidement une couleur bleutée et sa peau naturellement blanche devint de porcelaine.
J'attrapai ensuite un ustensile de cuisine à pince et l'approcha d'elle après l'avoir désinfecté. Ma main se dirigea lentement vers sa cuisse tremblante, mais je la sentis se contracter.
— Je vais avoir besoin de lever ça si je veux te soign-
Elle releva elle-même sa tunique qui flotta désormais au-dessus de son nombril.
Une œuvre d'art.
Je le pensais à chaque fois que je fixais que ce soit son visage, mais aussi les traces sur son corps. Ses tâches de naissance attiraient mon regard avec tant d'emprunt. On trouvait les mêmes dessins que ce soit sur les feuilles d'un quelconque arbre, mais aussi parfois dans le ciel avec toutes ces étoiles qui badigeonnait son visage. Puis, dès la seconde même où mes doigts se posèrent sur sa peau meurtrie, ses tâches de naissances réagirent. Tout sur son corps semblait vivre, prenant parfois une teinte plus claire et sur d'autre endroit elles s'assombrissaient.
Somptueux, m'étais-je mis à penser.
Je posai mon ustensile sur la peau morte qui entourait le trou et qui n'arrêtait pas de saigner. Jamais je n'enfonçais les pincettes, je connaissais pertinemment la douleur qu'elle allait ressentir. J'en avais moi-même reçu des balles, et cette partie-là était bien pire que de la recevoir.
— Alors, Vrenkal, qu'est-ce que ça veut dire au juste ?
Mon regard croisa le sien, qui se trouvait tantôt sur sa blessure et sur l'objet qui tout comme la jupe de sa tunique, naviguait au-dessus de sa blessure. Elle replongea dans un silence qui ne cessait de m'agacer.
— Tu te crois peut-être assez forte pour supporter la douleur, alors on en reparlera une fois que tu deviendras vraiment aphone à force de hurler, dis-je en grimaçant.
Elle ne devait pas comprendre la gravité de la situation, ce n'était pas comme extraire une écharde. On parlait d'une balle de neuf millimètres en plomb.
— J'essaie juste d'attirer ton attention autre part, Clochette, alors parle.
Silencieuse. Elle resta de marbre, alors j'enfonçai les pincettes à l'intérieur de la blessure, ce qui lui arracha un cri de douleur. Je voulais lui dire que je lui avais prévenu, mais j'étais plus impliqué par le fait de trouver la balle que de lui lancer un pique. Cette saloperie s'était enfoncée assez loin, et avait peut-être même brisé l'os. Nous voilà bien partit...
Je déchirai la peau morte à l'aide d'un ciseau pour faciliter le passage. La rouquine n'apprécia aucun de mes mouvements. Ses ongles crispés contre le rebord arrachaient la peinture et la faisait saigner. Puis, après avoir tourné de l'œil, son menton se leva au plafond.
— Connard, lâcha-t-elle d'une voix remplie d'amertume, tandis que moi, l'unique chose que je pensais être capable de sortir de cette bouche si douce ne pouvait être qu'un énième aboiement de douleur. Ça veut dire connard dans ma langue natale.
J'arrêtai de la charcuter pour venir observer ses traits du visage. Il m'était impossible de cacher le rictus naissant sur mes lippes, ni l'amusement qui dansait dans mes yeux.
— Tient, tient, en voilà une qui vient de prononcer ses premiers mots...
Elle fixait le plafond en ravalant sa salive, devant probablement déjà regretter ses paroles. J'ignorai l'insulte qu'elle venait de m'avouer.
— C'est super ça, on va pouvoir discuter de choses sérieuses pendant que je te bichonne.
Les pincettes bougèrent contre les tissus internes que formait son épiderme, tâtant chaque espace pour trouver où cette merde avait bien pu se réfugier. Le sang s'était coagulé tout autour de la balle et m'empêchait de trouver l'endroit exact où elle résidait. Je ne pouvais pas non plus tout ouvrir, je n'étais pas chirurgien, j'avais juste appris les bases sur le terrain.
Elle balança un nouveau grognement de douleur lorsque les pincettes rencontrèrent un muscle qui fit crisper ses pieds. L'eau glacé passait parfois sur ses hanches pour venir nettoyer tout ce sang qui coulait.
— Et si on commençait par le commencement, annonçai-je d'une voix calme. Quel est ton nom ?
— Anezka.
Mes yeux lâchèrent une seconde mon travail pour venir la regarder.
— Anezka Rivee, dit-elle, les lèvres tremblantes.
Bien, on avance doucement...
— Enchanté Anezka, répondis-je en frôlant un tendon. Moi c'est-
— Morten. Je sais, pas besoin de te présenter.
J'aurais pu faire exprès de découper ce bout de tendon uniquement pour lui faire comprendre que son ton ne me plaisait pas, mais malheureusement, nous en étions qu'au début de l'interrogatoire. Donc je fis à nouveau abstraction de la colère qu'elle envenimait en moi.
— Et dis-moi Anezka, pourquoi le Diable t'a envoyé ici ?
Un court silence pesa dans la salle de bain, le temps qu'elle assimile ma question et qu'elle trouve une réponse adéquate.
— Le Diable ? souffla sa fine voix.
J'avais enfin senti une surface plate et dur comme de l'acier, et à mon avis, la rouquine l'avait aussi senti car un tremblement lui prit dans le corps entier. J'avais trouvé la balle.
— Lucifer. Satan. Belzébuth. La bête. Qu'importe le nom que vous lui donniez en enfer.
— L'enfer ?
Mes sombres yeux s'abattirent sur son visage qui transpirait d'affliction, les siens étaient larmoyants et rouges.
Elle se fichait de moi, pas vrai ?
— Ne me dit pas que t'es une sorte d'ange bienveillant envoyé par Gabriele, car je n'y croirais pas une seule seconde.
Si ce symbole que nous partagions provenait du même endroit d'où on était née, alors ça ne pouvait être que l'enfer. Je n'étais pas prêt à croire que j'étais destiné au bien.
La rouquine semblait réfléchir un instant, le temps que j'empoigne la balle avec les pincettes, puis me demanda doucement :
— Pourquoi je devrais te dire quoi que soit alors que par ta faute, j'ai reçu cette chose dans mon corps ?
Bonne question. Il n'y avait aucune excuse valable à lui offrir, alors je jouais carte sur table.
— Parce que j'suis pas le gentil type qui va te laisser partir sous prétexte que tu as de la poudre de fée à vendre. J'aurais pu te laisser pourrir avec cette balle dans la hanche sans ressentir aucun regret, sauf que j'ai fortement besoin de réponse, et actuellement, tu es l'unique personne que j'ai croisée ayant ce même symbole que moi, et qui plus est de gravé. Alors sois-tu m'expliques, et je te laisse partir, soit je t'enfonce mes quatorze autres balles dans ta chair.
Je n'étais pas là pour me faire une amie. Je n'aimais pas non plus lui donner le nom « d'otage », même si c'était exactement ce qui allait se produire si elle continuait de garder ses secrets pour elle.
Elle papillonna des cils en ravalant sa salive.
— Si... Si je te dis la vérité, tu me laisses partir ?
— Oui, c'est le deal Clochette.
Elle soupira jusqu'au moment où je lui conseillais de garder au chaud son souffle, puisque j'allais extraire la balle de sa hanche. Si elle pensait avoir fait le pire, elle allait être déçu. La vraie douleur commençait maintenant.
Elle hurla brusquement tandis que la balle se délogea de son os, et s'infiltra entre ses muscles et ses tissus. Son corps entier bougeait dans tous les sens, ce qui n'arrangeait pas son cas. Je risquai de perdre la balle si elle ne cessait pas de se mouvoir de cette manière.
— Parle-moi de toi, Anezka Rivee. Qui es-tu ?
Elle suffoqua un instant tout en essayant de prendre de grandes bouffées d'air.
— Je- Je suis une Elfiah, déclara la rouquine qui reprenait peu à peu le contrôle de son corps. Je vis dans un village qui se trouve à cinq kilomètres de la rivière Hojvik, mais le moyen le plus rapide d'y parvenir est le chemin des branches, pour éviter les cours d'eaux et les rochers parfois camouflés par des tas de feuilles.
Lentement, je laissai la balle se faire un chemin hors de son corps. Je tendis une oreille attentive à ces révélations.
— Mais... Mon village a été pris d'assaut par Okto, le peuple de la mer. Ils ont tué ma mère et ma sœur.
À nouveau, je lui jetai un regard. Une larme roula sur sa tempe.
— Qu'est-ce que c'est une Elfiah, lui demandai-je.
Le cul de la balle était dehors, ne restait plus qu'à l'extraire en évitant une hémorragie.
— Les Elfiah sont le peuple de la forêt, lâcha cette femme avec légèreté.
Qu'est-ce qu'elle était en train d'inventer ? Un peuple de la mer, puis maintenant un peuple de la forêt. Dans quelle secte elle était tombée pour se croire Robin des bois ?
— Oui, et puis vous utilisez des arcs pour vous combattre, c'est ça ?
— Uniquement les Gaerilah. Je compte en devenir une, je dois juste faire mes preuves auprès de notre Gardien, Vidaar. C'est lui qui choisit les meilleurs apprentis Gaerilah.
Je pouffai de rire puis tira une bonne fois pour toute sur la balle. Le plomb entre les pincettes était badigeonné de sang. Je le lassai tomber dans un verre que je posai contre le lavabo.
— C'est totalement logique, dis-je avec ironie. Et vous appelez votre monde le « pays imaginaire » ?
Une certaine irritation se dessina dans ses iris. Elle plissa ses yeux en retroussant son nez. J'avais visiblement réussi à toucher un point sensible.
— On le nomme Oxstrea, et il est loin d'être imaginaire, déclara Anezka avec sérieux. Tu ne devrais pas déshonorer ta Reine avec ce mauvais sourire, surtout lorsque tu portes autour de ton cou la marque sacrée du pacte des Quartum Regnum.
Nous y voilà enfin...
Je me redressai de toute ma grandeur, mon ombre engloutissait son corps frigorifié encore baignant dans cette eau remplie de glaçon. Elle semblait s'y être habituée.
— Un pacte... Répétai-je en laissant trainer mes mots qui résonnèrent contre les murs de la salle de bain.
Ce symbole circulaire avait été la raison de sa venue dans mon appartement. J'étais sur le point d'apprendre de mon passé, et pourquoi la femme qui m'avait mise au monde avait eu la bonne idée de me laisser dans un pâturage avec cet unique médaillon.
Je penchai légèrement mon visage sur le côté, ignorant la peur qui naissait dans ses yeux verts.
— Dis-moi en plus au sujet de ce symbole.
— Depuis la nuit des temps, les Ox sont au pouvoir, commença-t-telle, et à chaque nouveau monarque, un pacte se créer entre les quatre royaumes pour faire perdurer la tradition. Nous vivions tous en harmonie grâce à ce pacte de paix. À chaque naissance, on marque au fer rouge les épaules des nouveaux nés, ça annonce un nouveau membre de la couronne d'Oxstrea.
— Oxstrea, qu'est-ce ? Un enfer ?
— J'ignore ce qu'est un enfer, mais Oxstrea est un monde merveilleux d'où résident des êtres dotés de pouvoir, comme les miens, et comme les tiens.
Je pouffai à nouveau de rire.
Je croyais en Dieu et en Lucifer. Lorsque l'on est en possession d'une certaine malédiction, il est impossible de rester impassible face à la religion. J'étais persuadé d'être l'enfant d'un démon. Il n'y avait aucune autre solution qui puisse expliquer ce ressentis au fond de mes entrailles. Cette soif de sang. Cette faim de chaos. Cette obstination pour les ténèbres. Ce désir d'anéantissement. Tout ça dans mes mains. J'étais forcement construit avec les pires sorts venus des bouches infâmes de l'enfer.
— Mon don n'a rien de merveilleux, Clochette, crachai-je avec rage. Il me suffit de penser pour qu'une personne se foute le cerveau en bouillit, ou saute d'un pont.
— C'est parce que tu ne vois que ça, mais tu pourrais aussi faire de bonne chose avec ce don. Tu pourrais sauver mon peuple par exem-
— Je suis pas un gentil type j't'ai dit, la coupai-je dans son élan de bonté. Je cherche pas à aider des personnes que je ne connais pas sous prétexte qu'ils ne sont pas assez doués pour sauver leurs propres culs.
La demoiselle baissa ses yeux en mordillant ses lèvres. Moi, je tremblai de colère.
Je ne comprenais rien. Je ne voulais pas croire en un monde aux créatures angéliques, ni en un foutu pacte du 17ème siècle entre royaume par mariage forcé. Ça n'avait aucun sens, et tout ça ne s'accordait pas avec mes croyances.
Lentement, la femme se leva en grimaçant de douleur. Je devais la recoudre avant qu'elle n'effectue des mouvements, mais c'était trop tard. Le pire était fait.
— Moi aussi j'ai tué, mais mon don ne sert pas qu'à ôter la vie, Morten.
L'accent qu'elle avait employé en prononçant mon prénom créa en moi un fluide d'incertitude. Jamais personne n'avait réussi à le dire avec tant de facilité, et surtout sans froncer les sourcils. Combien de fois on m'avait dit que ce nom était affreux, qu'il n'aurait même pas dû être accepté par la famille qui m'avait accueilli, qu'il était effrayant et importable. Justement, c'est toutes ces choses que j'aimais avec ce prénom, il était hors-norme et portait sur lui une cape affreuse que j'aimais vêtir sur ma peau.
Pour elle, mon prénom était trop commun pour le prononcer avec dégoût. Les lettres étaient sorties délicatement de ses lèvres aussi attrayantes que la couleur d'un rubis.
Soudain, elle souleva sa tunique blanche trempée, qui tirait davantage sur un rouge. Ses doigts se posèrent en haut de l'incision que j'avais effectué. Je voulais lui criais de ne pas toucher, mais pourquoi le faire ? Elle m'avait donné les réponses, maintenant elle pouvait mourir d'une infection que je ne devrais pas m'en soucier. Pourtant, il y avait encore des incertitudes qui planait au-dessus de ses révélations. Tout me semblait brouillon.
Lorsque mon corps se mit enfin en action pour attraper son bras et l'éloigner de la blessure ouverte, son doigt glissa dessus, refermant peu à peu sa chair abimée. Je restai stoïque. Sa peau se refermait, uniquement grâce à son doigt.
— Mais je suis aussi capable de soigner, et bien d'autres merveilles.
Une fois la réparation faite, elle se faufila hors de la baignoire pour venir se pointer face à moi. Elle était très proche. Trop proche. Ses yeux en amandes vertes avaient la taille de deux ailes de papillon, avec cette couleur claire au milieu et foncé sur cet anneau qui l'entourait, tout me faisait penser à la Grande Naïade verte. Elle venait de poser ses pattes sur un terrain ensanglanté, comme elle l'avait toujours fait. Cette fois-ci, ce n'était plus un papillon, mais belle et bien un être doté d'une conscience.
— Il n'est pas trop tard pour découvrir les miracles dont tu es capable, termina-t-elle avec bienveillance.
Les miracles.
— Sors, lui ordonnai-je amèrement.
Si pour elle le métier de mercenaire avait une échappatoire vers la rédemption était possible, pour moi, ça ne l'était pas.
Avait-elle une idée du nombre de personne morte sous mes mains ? Des personnes venues se battre sur un ring espérant simplement obtenir un gros chèque. Des hommes dont je ne connaissais pas les noms, mais dont des jaloux avaient placardé leurs visages pour une belle somme d'argent. Des mafieux mal tombés, et parfois même des flics qui me collaient trop au cul. Je ne méritais aucun miracle, aucun don, comme elle le nommait si bien. Je n'étais doté que d'une malédiction. Et cette chose me pourrissait de l'intérieur, car j'aimais tant la ressentir, j'en était accro.
Et je me détestais pour ça.
Pourquoi dans ce cas avais-je toujours pensé appartenir à l'enfer ? Tout simplement car je n'avais ma place nulle part autre que dans un monde où les ténèbres régnaient. Je ne méritais rien d'autre que de finir mes jours dans un trou à rat, et même ça, j'y trouverais un semblable de passion. C'est ce que j'avais aimé dans le Golden Night, cet endroit ressemblait à l'enfer.
Je ne méritais même pas la tendresse de son regard à mon égard, moi qui lui avais tiré une balle qui aurait pu la paralyser à vie.
Des miracles, j'en étais incapable.
La rouquine me fixait sans bouger, jouant sur la corde de mes nerfs. Encore une fois, je ressentais le besoin de prouver aux autres que je n'étais capable que de violence. Je voulais être détestable. Anezka devait me haïr.
— DEGAGE DE MA PUTAIN DE SALLE DE BAIN ! hurlai-je contre son visage aussi doux que ceux d'une colombe.
La luciole qui tantôt faisait battre une rué d'étincelle dans ses yeux venait de perdre la capacité de voler et briller. Ses oreilles percées de diamant venaient de pointer vers le sol, de même que son corps souhaitait s'enterrer dans le carrelage.
Elle ne bougea pas.
J'allais exploser. Il fallait qu'elle parte avant que je retourne la salle de bain et creuse sa tombe.
— S'il te plaît Anezka, ne me fais pas répéter une troisième fois, lui murmurai-je d'une voix à peine audible.
Je devais faire un effort considérable pour ne pas lui hurler encore dessus.
Enfin, elle hocha la tête, comme si ma formule de politesse lui avait fait changer d'avis. Elle se mit à se mouvoir et passa à côté de moi en prenant soin de ne pas percuter mon épaule. Au passage, elle récupéra ses vêtements. Je patientai d'entendre le bruit de la porte qui se ferme pour prendre une immense bouffé d'air et la stocker dans mes poumons. Je fermai les yeux en me concentrant sur cette chaleur qui prenait le contrôle peu à peu de mes veines ainsi que de mon esprit. Dans ces cas-là, je me réfugiais sur le ring pour me défouler, mais je ne pouvais pas me pointer dans un tel lieu en sachant que mon visage était connu pour avoir renversé le Golden Night. De plus, je ne pouvais pas laisser la fille seule dans mon appartement.
Je devais donc réussir à me contrôler, seul, et sans buter quelqu'un.
Lentement, j'ouvris les yeux, mon visage se déporta sur le côté, là où mes yeux rencontrèrent mon reflet dans le miroir. Le sang de la dépouille d'Elijah marquait encore mon visage.
Il n'est pas trop tard pour découvrir les miracles dont tu es capable.
Le miroir se brisa subitement, alors que je ne l'avais pas touché, je n'avais que regarder dans le noir de mes yeux.
Voilà l'unique miracle dont j'étais capable. Briser les choses.
Je fis couler l'eau du robinet et avec des gestes busques, mes mains humides passèrent contre mon visage afin de nettoyer ces taches de sang qui étaient une extension de moi-même. Je frottais et frottais.
J'avais tué la seule personne qui m'avait offert une place dans ce monde, mais aussi l'unique personne qui avait osé me trahir.
Lentement, mon visage se releva. À travers les morceaux de miroir brisés, je voyais le visage d'un homme qui ne savait pas se contrôler. La seule image que me renvoyais ces brises était celle d'un échec. Si tout ce qu'elle m'avait dit était la vérité, alors pourquoi je n'avais pas grandi dans ce monde ? Pourquoi Diable m'avoir abandonné au milieu de vache !
Mon estomac semblait se retourner, des taches noires dansaient devant mes yeux, mes mains se mirent à trembler et mon souffle se fit rare. Plus je fixais mes bras, plus je me rendais compte que ce n'était pas des taches, mais tout simplement mes veines qui s'assombrissaient. Une montée de fureur incontrôlable fit naitre au creux de mes mains une flamme qui n'attendait qu'à rejoindre un réservoir d'essence. C'est avec force que je les amenais dans mes cheveux, les tirants en arrière jusqu'à me les arracher.
Tout ce que je n'avais jamais cherché à comprendre m'avait été révélé. C'était de la folie... Un monde avec des royaumes, des peuples vivant dans la mer ou la forêt, des pactes de paix, de la magie... Elle se payait ma tête.
Je tournai en rond dans cette petite pièce en hurlant à cette souris de bien vouloir cesser de gratter.
Tu pourrais aussi faire de bonne chose avec ce don.
— Tais-toi...
Et n'essaie pas de voir en moi une lueur d'espoir. Je ne réussirais pas à vivre sans cette part d'obscurité, car elle bat dans mes tempes, elle vit en moi, elle grandit, elle est moi, et ne partira jamais.
Je m'arrêtai face au miroir de verre brisé, leva mon poing, et frappa de plein fouet mon reflet qui me répugnait même à travers ces brises. Du sang coula sur le verre, et gouttait dans l'évier. Je frappais une seconde fois en appréciant chaque ressentit.
Il n'est pas trop tard pour découvrir les miracles dont tu es capable.
J'enfonçai mes phalanges dans ce miroir cassé à chaque fois que j'entendais sa voix résonner.
Sale démon.
Frapper me faisait du bien, cela m'empêchait d'exploser. Je pouvais être capable de pire, je le sentais bruler en moi. Voulais-je être curieux ? Non, pas forcément. Me nourrir de cette adrénaline me suffisait pour le moment à faire taire cette souris.
Une fois le miroir méconnaissable, et mes mains coupé de partout, je cessai de frapper comme un fou et me cramponna au lavabo. Le feu diminua peu à peu à mesure que je contrôlais mes respirations. Mes bras cessèrent de trembler et le monde cessa de tourner autour de moi. Je passai le dos de ma main contre mon front luisant, ainsi que partout sur mon visage. J'avais remplacé le sang d'Elijah par le miens.
Je devais poser une dernière question à cette fille aux oreilles pointues. Je voulais savoir si j'avais une famille, et que peut-être la connaissait-elle. Si elle vivait encore dans son monde, je devais le savoir.
J'ouvris la porte avec fracas et m'empressa de m'engouffrer dans le salon. Il était vide.
Non. Elle ne devait pas être partis.
Je fis le tour de la cuisine, puis rejoignis ma chambre, qui ne portait aucune présence elfique. Je jetai un coup d'œil dans chaque pièce de l'appartement, sans succès. Elle s'était barrée. Mon pied rencontra violement la table basse du salon qui se retourna tout en traversant une bonne partie de la pièce.
— MERDE !
La sensation était pire que d'ignorer mes origines. J'en voulais plus. Je voulais tout connaître, voir, entendre, ressentir. Je devais à tout prix rattraper la fille, alors j'empoignai mon casque de moto et mes clés, puis ouvrit la porte.
Avec un peu de chance, la circulation routière l'avait effrayé. Il était possible qu'elle se soit réfugiée dans un endroit reculé, comme la nature.
La forêt.
En relevant mes yeux vers mon paillasson, je fus arrêté par le son d'un cliquetis que je connaissais parfaitement. Juste devant mes yeux se trouvait une arme à feu, et pas n'importe laquelle. Il s'agissait de mon arme. Anezka se trouvait devant la porte de mon appart, bras tendu et doigt posé sur la gâchette. Elle m'avait observé, elle savait comment utiliser cet objet. Et bien sûr, je n'avais pas pensé à prendre un flingue de rechange en sortant, tellement dans l'urgence de la retrouver.
C'est génial, mais vraiment génial...
La rouquine ne souriait pas tandis qu'elle me lança :
— Maintenant, c'est toi qui vas faire exactement ce que je te dis.
Un rictus tremblant fendit mes lèvres. Je levais les bras à niveau de mon visage en faignant une fausse innocence.
— Depuis le temps que j'attendais que les rôles s'inversent... dis-je avec amusement, arquant un de mes sourcils pour appuyer mon ton taquin. Où allons-nous, Clochette ?
Elle leva le menton, puis fis un pas en arrière pour m'indiquer de lui emboiter le pas.
— Chez moi, à Oxstrea.
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