Chapitre 6

Aïko_nsr

───※ ·❆CHAPITRE 6❆· ※───
A N E Z K A

De la cendre. Une odeur de brulée. La fumée brouillant les silhouettes des arbres, de nos foyers. Les cris. Le sang qui jaillissait des corps, des têtes coupées, des cœurs arrachés. La respiration coupée de ma mère, son corps qui s'écroula au sol. Thenaë sautant d'une branche pour venir me sauver. Son torse totalement ouvert. Les couleurs ternes de son visage. Les hurlements de Zemya. Les pleurs d'Enok. Le silence de papa. L'air était lourd de désespoir, imprégné de l'odeur âcre du feu et du sang de ces scènes.

Les images macabres et terrifiantes ne cessaient de peindre une toile parfaitement lisse devant mes paupières closes. C'était un tableau apocalyptique, née dans un lieu pourtant si pur et joyeux.

Anezka ! NON !

Mon père sauta dans cet abysse, sa main était agrippée à mon poignet. Je nous vis tous les deux sombrer dans un tunnel sans fond, et à nouveau, je ne me sentis pas atterrir. Je vis tout simplement le corps de mon père allongé au sol, baignant dans son propre sang. Ses yeux étaient ouverts, fixant les miens. Je m'approchai de lui à pas feutrées, m'abaissant sur son corps afin de pouvoir ressentir chaque émotion se glisser contre mon cœur meurtri. Puis, sa bouche se mit à mouvoir. Une voix grave et sinistre sortit de ses entrailles, une voix qui n'était pas la sienne.

On mourra tous par ta faute, Anezka. Il ne doit pas passer les barrières de ce portail. Il ne doit pas revenir à Oxstrea. Tu ne mérites pas ce don ! TU MERITES DE MOURIR !

Mon souffle se rompis à l'instant où le visage de mon père se transforma en monstre aux yeux noirs et aux dents pointus. Un mauvais frisson me traversa le corps et mes paupières s'ouvrirent brusquement. Je m'aidai de mes mains pour m'installer en position assise, allégeant l'effort que mes poumons devaient effectuer pour se gonfler. Chaque endroit de mon corps me faisait mal. Mon dos, mes jambes, mon estomac, mes bras, ma tête.

Je respirai bruyamment tandis que mes paupières papillonnaient de plus en plus lentement. J'avais beau me concentrer sur ce qu'il y avait devant moi, venant tourner la tête et la lever, que je ne reconnus rien. Je ne connaissais pas ce lit et ces draps gris, ni cette armoire blanche devant ce mur clair. La pièce m'était totalement inconnue. Elle était tamisée d'une couleur orangé grâce à cette lueur qui traversait les rideaux à moitié tiré.

Ici, ce n'était plus Oxstrea. Je me souvins peu à peu des évènements, comme s'ils n'avaient pas voulu se manifester dès mon réveil par peur que je ne sois pas en mesure d'y faire face émotionnellement. Désormais, je me souvenais très bien d'avoir créé ce portail vers ce nouveau monde.

Pourquoi ?

Pour sauver ma famille.

J'aurais souhaité que les images de ma mère et ma sœur ne jonchent plus les parois de mon esprit, malheureusement, j'étais incapable de les effacer de sitôt. Une partie de ma famille était morte, tandis que l'autre était prisonnier d'Okto. J'avais choisi de me jeter dans ce gouffre plutôt que d'écouter les mises en garde que mon père m'avait répété depuis mon plus jeune âge.

Il était très dangereux de créer des portails. Cela pouvait avoir des répercutions à long therme sur ces deux mondes. Mon père n'avait jamais cessé de me raconter des histoires sur des Passeurs de monde. Ils avaient tous fini par mourir à cause de leur don. La puissance de la nature se trouve être bien plus dangereuse qu'elle ne parait l'être, et un simple Elfiah ne pourrait supporter un trop long voyage, ou tout simplement des voyages répétés entre les mondes.

Je n'avais pas réfléchi à tous ses mots lorsque mon père avait observé sa femme mourir. J'avais ignoré ses craintes lorsque j'avais moi-même observé Thenaë se faire couper en deux par une queue tranchante et écailleuse.

Désormais, je comprenais. Mon corps était si faible que j'avais du mal à rester debout sans me tenir au mur. Je souffrais, et imaginer mon retour à Oxstrea en endurant ce même passage me semblait presque inimaginable. Je ne me sentais pas capable d'ouvrir un portail à nouveau.

Étais-je coincée ici ? Pourrais-je revenir un jour chez moi ?

— La fée Clochette se réveille enfin, j'ai presque attendu...

Je n'avais pas remarqué la présence d'une personne dans la chambre. Mon menton se détourna rapidement vers la source sonore. Il était là. Cet homme. Celui qu'avait rencontré mes yeux la veille était la chose qu'Hoak recherchait. Il m'avait dit que je le serais au moment venu, et bien il n'avait pas eu tort. J'avais su avant même d'ouvrir les paupières.

Son odeur. Sa présence.

Tout en lui diffusait un effluve proche de celle du chaos. J'avais ressenti le danger comme un nuage flottant au-dessus de mon corps, et lorsque mes yeux s'étaient ouverts, et l'avait vu orné cette lame si tranchante, j'avais de suite compris que le danger n'était pas qu'un simple nuage, mais bel et bien une personne.

Encore une fois, mon instinct me hurlait de rester loin de lui. Il était assis dans un fauteuil au fond de la pièce, n'ayant absolument rien dans les mains. Je trouvai ça presque hautain, voir insultant que ses mains soient vides. Il n'avait besoin de rien pour garder son contrôle sur moi, voilà ce qu'il voulait me montrer. Il n'avait besoin d'aucune arme.

Cet être venait du même monde que moi, il n'appartenait pas aux humains. Il ne devrait pas être ici, parmi ceux qui n'ont aucun don venant de la nature. Hoak le voulait pour rétablir une certaine balance entre nos royaumes. On nous avait enseigné étant jeune que l'autre monde et le nôtre ne devait jamais, O grand jamais se rencontrer. Pourtant, lui, il vivait parmi eux, portant sur lui la marque sacrée de la couronne d'Oxstrea. Qui était-il ? Comment avait-il atterri là ? Mon père et moi étions les uniques Passeurs de monde Elfiah, qui d'autre que mon père aurait pu lui ouvrir un portail ?

Il me fixait en gardant son dos enfoncé dans ce fauteuil bleu nuit, une main montée au niveau de son visage, ayant l'index qui tapotait contre ses lèvres au rythme similaire d'un égouttement d'eau tombant d'une feuille à l'autre. Depuis combien de temps il était là ? M'avait-il regardé dormir ?

— Maintenant que tu as terminé ta sieste, on va pouvoir discuter de ce symbole, qu'est-ce que tu en penses ?

Il leva un sourcil, attendant probablement une réponse venant de ma part. Mon regard divagua ailleurs.

Tout était étrange. Je n'avais jamais vu une chambre décorée de cette manière. C'était un sanctuaire sobre et masculin. Les murs n'étaient pas en bois, ils étaient lisses et peint. Le sol ne présentait aucune trace de terre. Il brillait en reflétant la lumière du jour. C'était assez spacieux, moi qui avais l'habitude de partager ma chambre avec mes sœurs et mon frère, voir un unique lit me surprenait assez. Des étagères plates et blanches étaient fixées au mur, exposant des livres et des objets mal disposés. La pièce était spacieuse, mais pourtant très étouffante. Près du lit se trouvait une petite table de chevet en bois, avec différent objet que je ne pouvais nommer.

Je fixai cette fois la porte entre-ouverte de la chambre. Il ne l'avait pas fermé. Me laissait-il une chance de m'échapper ?

— Inutile de penser à ça, il me suffira d'une seconde pour te rattraper et t'enfermer ici à clé.

Je perçu ses mots, mais j'en dis abstraction.

Si c'était cet homme, le même que la vieille, alors je ne devais en aucun cas l'affronter pour le moment. Du moins, pas sans un plan. Il était fort, bien plus que moi. Ce qui me perturbait davantage avant même que ce ne soit sa présence, était l'absence de la nature. Je ne la ressentis nulle part, et cela m'effrayais. Je n'étais pas en sécurité ici, je ne connaissais rien de ce monde. Comment se battaient-ils ? Comment vivaient-ils ? Comment étaient-ils ?

Je gardai le silence en me mordant l'intérieur des joues.

— Regarde-moi.

Soudain, une brulure semblable à une main enflammé se posa contre mes joues et me força à tourner la tête dans une direction bien précise. Ce contact m'avait paralysé. Sauf que personne ne m'avait touché. Il était toujours assis au même endroit, le dos relâché en arrière, les jambes lourdement et impassiblement ouvertes, montrant que cette confrontation l'ennuyait au plus haut point.

Comment était-ce possible ? J'avais senti ses doigts bruler ma peau, je devais même en porter les traces, et pourtant il n'avait pas bougé d'un cheveu. Était-ce son don ? Une lueur noire emplissait ses iris. Plus il m'observait, plus je ressentais le danger glisser contre le sol et s'agripper à mes vêtements, me tirant vers le bas, le trainant vers lui, entre ses mains qui ne semblaient pas connaitre la douceur et la beauté de la création. Il n'y avait que de la destruction dans ses iris noires. Rien d'autre.

J'ignorai de quel peuple il faisait partie. Aucun n'avait un pouvoir aussi dense que le siens. Il n'avait qu'à penser pour que sa victime obéisse sans jamais se rendre compte de rien. Son don était au-dessus du mien, bien au-dessus de tous les dons que je connaissais. Est-ce la raison d'Hoak de le vouloir ? Pour son don ?

— Il te suffit juste de parler, puis tu pourras retourner gambader dans la forêt, reprit-il.

La forêt ? Il savait d'où je venais ? Pourtant, il n'arrêtait pas de me questionner sur le symbole présent sur mon corps, le même qui gravait son pendentif. La marque d'Oxstrea. Nous naissions tous avec la marque.

Ne connaissait-il donc pas l'existence d'Oxstrea ?

Ça expliquerait beaucoup... Sa manière de s'acharner sur ce symbole, ainsi que la confusion naissante dans ses yeux lorsqu'il m'avait fixé moi et mes oreilles d'Elfiah.

Pourquoi donc ignorait-il tout sur ses origines ?

Toi... Qui es-tu ?

Après un soupire venant de sa part, il se redressa uniquement pour poser ses coudes sur ses genoux.

— Tu parles pas ma langue, c'est ça ?

Il se pinça l'arête du nez en gonflant ses poumons. Il murmura quelque mot que je n'arrivais pas à comprendre.

De là je pouvais pleinement observer son visage, que je m'étais jusque-là interdite de détailler. Cet être était d'une beauté chaotique, presque violente. Il ne pouvait pas appartenir aux humains, chose certaine. Son visage était tracé dans de la pierre, montrant une mâchoire saillante, un nez parfaitement sculpté, doté d'une légère bosse. Sa bouche était fine, construite pour ne délivrer que des sourires narquois et mauvais. Ses cils était d'un noir aussi obscur que ses yeux, de même que l'était ses sourcils. Ses cheveux noirs non coiffés et assez longs laissaient divaguer des mèches plus courtes sur ce visage tout droit sortis des comptes que l'on nous racontait enfant. Il ressemblait à ses descriptions que l'on donnait aux créatures infâmes, piégé par le peuple des esprits qui les gardaient bien au chaud dans leurs cellules.

Interdit. Tel était le mot qu'il incarnait. Ce genre de regard ne devrait pas exister.

Je ressentis le besoin de me protéger, d'avoir en mes mains plus qu'un simple lien avec la nature, plus que le simple pouvoir de faire pousser une fleur ou d'entendre les battements réguliers de son cœur. Ma main tapota contre mon corset en bois souple, à la quête de ma dague.

— C'est ça que tu cherches ? me demanda-t-il en sortant d'une poche l'unique objet qui aurait pu encore me sauver.

En voyant mon regard s'élargir, il comprit qu'il avait en possession bien plus que ma parole, il avait mon attention.

Thenaë me l'avait offerte. Elle avait trouvé cette dent d'une créature de la mer flottée dans le lac d'Hojvik. Ce genre de dent était très rare, et ce fut à moi qu'elle avait décidé de l'offrir. Cette arme était importante pour moi, c'est avec celle-ci que je comptais tuer Hoak. Il avait assassiné ma sœur et ma mère. Il méritait pire comme sort. Il méritait de souffrir éternellement pour avoir brulé mon peuple.

Il fit tourner la dague entre ses doigts, démontrant une habilité déconcertante. Ses yeux la détaillaient avec réel intérêt.

— C'est quoi exactement ? Une dent de phoque ? Ou de la porcelaine taillée à la main ?

Je l'observai silencieusement, lui qui tenait la chose la plus précieuse pour moi en ce moment précis.

— Tu la veux ? dit-il en me présentant le poignard.

Je n'avais pas eu le temps d'enregistrer toutes ces paroles que je me trouvais d'ores et déjà debout à marcher vers lui. Il replia sa main pour éloigner mon dû de ma portée.

Un rire furtif s'échappa de ses abominables fines lèvres.

— Oh, donc tu comprends ce que je dis ?

Mon corps s'était immobilisé. J'ignorai comment réagir.

— Et tu ne veux juste pas répondre à mes questions... Très bien...

Il fit tourner une dernière fois la dague contre sa paume de main, appuyant la pointe sur son épiderme, testant la résistance de sa propre peau. Puis, d'un geste brusque, il jeta mon arme, la faisant atterrir dans un mur. Elle avait frôlé mon visage, passant près de moi comme un courant d'air qui m'aurait pu être fatal.

Son corps n'était plus assis dans son fauteuil. Il se tenait debout, devant moi.

— Quel est ton nom ? D'où est-ce que tu viens ?

Sa voix s'éleva dans la chambre, il s'avançait en posant ses questions, son regard obscur planté dans le mien.

— C'est quoi ce symbole ?

Ses pas étaient délibérés, comme s'il voulait me mettre au pied du mur, littéralement.

— Qu'est-ce que tu foutais dans les bois la nuit dernière ?

Chaque question était accompagnée d'un mouvement, s'approchant de plus en plus près, comme s'il voulait percer mon secret en me forçant à reculer.

— Qui es-tu putain de merde ?!

Je sentis l'urgence monter en moi. Mon dos heurta le mur derrière moi, m'empêchant de reculer davantage. La proximité entre nous ne me plaisait pas, son souffle chaud se mêlait au mien moins rapide et moins lourd. Ses questions pleuvaient et résonnaient dans mon crâne comme un coup de tonnerre.

Il ne savait rien.

Il ne connaissait rien d'Oxstrea.

Je me sentis piégée. Sa présence était oppressante. Je vis ses lèvres s'ouvrirent une nouvelle fois, dans l'espoir de me tirer les vers du nez, et pourtant, ce fut une autre voix féminine qui lui répondit.

— Morten ?

Une porte venait de claquer, puis des bruits de pas divaguaient dans l'habitation.

— Fait chier... Pas maintenant... siffla le noiraud en passant une main dans ses cheveux.

Il s'écarta rapidement et se dirigea vers la porte ouverte de sa chambre.

— Morten, tu es là ?

Il sorti de la chambre et ferma la porte au moment où une silhouette venait de surgir face à lui.

— Riley, je te manquais déjà ?

La voix du dénommé Morten résonna contre la porte de la chambre. Je m'approchai de cette dernière pour y coller mon oreille.

Qui était Riley ? Est-ce que cette femme aussi venait d'Oxstrea ?

— Te fais pas d'illusion, je viens car il y a quelque chose que tu ignores, et que tu devrais savoir avant de rejoindre le Golden, l'informa cette femme.

— C'est si important que ça ?

— Ça dépend, tu veux savoir qui en a après toi, ou tu veux te cacher indéfiniment ?

Un silence suivi sa question.

— Montre-moi.

— Eh bah voilà, quand tu veux...

Un soupir long et agacé suivit les paroles de la femme, à qui, je présumais, appartenait à ce type nommé Morten.

Je perçu ensuite des bruits de pas qui s'éloignaient. Les deux individus ne se trouvaient plus derrière la porte, ils avaient migré plus loin encore.

Bien, maintenant je devais réfléchir.

Je me trouvais dans un monde dont je connaissais aucun code. J'ignorai si j'étais capable d'utiliser mes dons d'Elfiah. Même si cela se résumait à faire pousser une fleur, la nature d'Oxstrea n'avait pas la même puissance et ne reposait pas sur les mêmes bases que celui des humains. Dans ce monde, personne n'avait de pouvoir. Chez nous, nous avions perduré la croyance des autres mondes, nous savions qu'un voyage aussi grandiose que celui que je venais de faire était possible. Le nôtre était rempli de magie. Ici, non. Les humains n'avaient probablement pas voulu entendre parler d'Oxstrea, ils n'avaient pas cru en une source magique quelque part ailleurs. C'était peut-être mieux comme ça. Nous n'avions jamais tenté de nous montrer à eux. Les humains et Oxstrea étaient deux mondes différents qui ne devaient pas se rencontrer. Nous ne devions pas nous mélanger.

C'est pourquoi la présence d'un des nôtre dans ce monde me perturbait autant.

Je ne souhaitais pas spécialement en apprendre de trop, je voulais juste sauver ma famille et le ramener là où il devait être. Qu'importe comment je parviendrais à le faire, je me devais de le renvoyer avant la prochaine lune rouge.

Si nous avions les mêmes lunes et soleils, la prochaine lune de sang allait apparaitre le soir-même, alors que la nuit aura bercé toute la population dans un profond sommeil. Il me restait moins de 12 heures. Il fallait tout d'abord que je trouve une source naturelle. Qu'importe. Un arbre. Une pelouse. De la terre. Un vent. Quelque chose qui me ferait ressentir le pouvoir grandissant en moi, et qui pourrait ouvrir ce portail.

Les voix des deux individus ne m'étaient pas perceptible. Ils avaient quitté la cabane ? Étais-je désormais seule ? Je ne devais pas perdre le garçon de vue, ou bien ma famille mourra.

Avant de me décider, j'attrapai ma dague qui était enfoncée dans le mur et la fourra dans mon corset.

La porte grinça. Je m'engouffrai discrètement dans un couloir sombre. Quelques portes étaient ouvertes sur de nouvelles pièce. Je fis abstraction de ma curiosité qui entourait tout ce monde et décidai de venir dans l'unique pièce que je reconnaissais.

Le salon.

Ils étaient là, à discuter dans un coin de la pièce.

— Comment suis-je censé te croire ?

— Tu fais comme tu veux. Elijah a peur de toi, il a peut-être voulu t'utiliser avant, mais aujourd'hui tu as grandi, tu es devenu bien plus redoutable que lui et il le sait. Il veut t'avoir tout près de lui pour garder un œil sur toi, c'est comme ça qu'il va t'avoir.

La fille employait des mots et des noms qui ne referait à rien que je connaisse. Son ton était grave. De ce que je comprenais, elle voulait le prévenir de quelque chose, ou plutôt de quelqu'un. Elle le protégeait ?

— Pourquoi me demander de quitter le pays, puis de m'accepter à nouveau dans ses troupes ? S'il voulait vraiment me tuer, il l'aurait fait. Il n'a pas froid aux yeux, je sais très bien qu'il n'hésitera jamais à faire disparaitre la moindre menace...

Le noiraud leva un sourcil, son épaule était posée contre un mur, et ses doigts jouaient avec un objet métallique.

— Il veut que tu penses qu'il serait prêt à tout pour te protéger. Il t'a payé une liberté, pas vrai ?

Il secoua une fois sa tête. La fille croisa ses bras sur son torse habillé d'un tissu noir, ou figurait une tête de mort. Ses cheveux longs et d'une couleur blonde étaient enroulés en boule derrière son crâne.

— Jamais Elijah ne paye pour prouver sa confiance, je le sais mieux que toi Morten. C'est mon père, et il ne m'a jamais donné la possibilité d'avoir une vie ailleurs qu'à ses côtés. Il garde les gens qu'il aime proche de lui, et ceux qu'il craint encore bien plus près.

— Je suis censé faire quoi alors ? Me ramener au Golden Night et lui fourrer une balle dans la gorge ? cracha le noiraud avec agacement.

Son visage se crispa de colère. Ses lèvres avaient cessé d'être curieuses ou joueuses. Je n'aimais pas la tournure que prenaient ses traits. Un unique mot provenant de lui pouvait faire exploser une tête. En avait-il conscience ? Savait-il que son don était si extrême qu'il pouvait être nuisible pour toute une population ? Il n'avait eu qu'à penser, et j'avais agis.

— Non, justement, cesse de travailler pour lui, proposa la jeune femme en faisant un pas vers lui.

— Oui c'est très intelligent ça, Riley. C'est vrai, comme ça il pourra envoyer tous ces détraquer devant ma maison et viendra me démembrer à la tronçonneuse.

— Tu peux aussi disparaitre.

Non. Il ne devait partir nulle part. Il devait absolument rester ici. J'ignorai les réactions de ce type, mais j'imaginais bien que face à une menace comme celui que représentait le fameux Elijah, le noiraud n'aurait aucun mal à m'abandonner pour sauver sa peau, et tout seul.

— Ce n'est pas si s-

J'avais voulu m'avancer de quelque pas, mais mon pied nu se mêla à un fil beige. Il était relié à une décoration posée sur une table basse. Lorsque mon pied tira malencontreusement dessus, la décoration tomba au sol et arrêta de briller. Morten et Riley se tournèrent vers moi. La femme n'hésita pas à sortir quelque chose de noire et de cylindrique de son manteau pour pointer le bec vide vers moi.

— Riley, non ! hurla le noiraud en s'écartant du mur pour se positionner devant l'objet, qui désormais le pointait lui.

— C'est qui elle ?

— C'est... C'est une longue histoire, mais s'il te plaît, pose ton flingue.

Riley me jeta des regards sombre par-dessus l'épaule de Morten, avant de le regarder lui.

— Tu n'invites jamais de fille chez toi, alors c'est qui ?

— Longue histoire je t'ai dit.

Elle me détailla une nouvelle fois, zieutant ma robe et mes pieds nus.

— Pourquoi elle a du sang partout ?

— Oh, on a fait une petite activité artistique, j'avais besoin de me détendre un peu, dit-il ironiquement.

La blonde ne riait pas. Elle scruta le garçon en grimaçant.

— C'est vrai que tu es doué avec tes mains, quand il s'agit de peindre en rouge un corps.

La femme soupira puis rangea la chose sous son vêtement.

— Je ne sais pas dans quoi tu t'es encore embarqué, mais sache qu'Elijah sera dans son bureau jusqu'à quinze heures. Tu ferais mieux d'aller lui rendre visite maintenant, délivra la jeune femme en passant à côté de lui.

Ses yeux bleus m'analysèrent une dernière fois alors qu'elle se dirigeait vers la porte d'entrée. Je lui renvoyai son regard. Elle, je n'allais pas l'aimer.

— Riley, attends dehors.

Le noiraud parti en direction du canapé sombre, puis se pencha en avant afin de récupérer un objet similaire à celui de Riley, rangé dans une mallette par terre.

Elle sortit de l'habitation en laissant la porte entre-ouverte. L'homme aux yeux noirs s'avança ensuite dans ma direction puis agrippa sauvagement mon bras.

— Je te laisse le choix, soit je t'enferme dans ma chambre le temps que je revienne, soit tu restes muette comme tu le fais si bien et tu nous accompagne. Tu choisis quoi ?

Partagée entre agacement et peur, je tirai sur mon bras en me dégageant de son emprise. Je fis un pas vers la porte pour lui signaler mon choix. Je ne devais pas le perdre de vue, et rester ici à l'attendre était une idée qui ne me plaisait guère.

— Bien, attends ici un instant.

Il s'engouffra rapidement dans le couloir, regagnant sa chambre et fouilla quelque part dans une armoire. J'entendis des tiroirs s'ouvrir, des portes claquer, des rideaux être tirés, puis un soupir. Il revint vers moi, tenant un gros blouson marron qui ressemblait à une peau d'Aakrius. Elle était lourde et chaude. Il me demanda de l'enfiler, ainsi que ses chaussons ouverts bien trop grands pour moi. Les humains portaient vraiment ça ? Pourtant, les siennes étaient fermés et bien plus proche de la peau...

Sans crier gare, il engouffra ma tête dans un tissu très peu doux et dure. Cette chose me gênait dès l'instant où il me l'avait posé sur la tête. Je voyais à peine, et ça appuyait contre mes oreilles. Je tentai de le retirer mais il éloigna mes mains de cette visière qui m'empêchait presque de voir ses yeux.

— Ne tente surtout pas de retirer cette casquette. Là où on ira, tu ne dois regarder personne. Je sais pas exactement ce que tu es, mais chez nous il n'existe aucune fée Clochette de ton genre. Alors baisse les yeux et cache tes oreilles, c'est compris ?

Fée Clochette ? Qui était-ce ? Une amie à lui ? C'était quoi une fée ? Et pourquoi la nommer clochette ? Faisait-elle beaucoup de bruit, comme les clochettes ?

Je penchai la tête sur le côté en plissant mes yeux. Je ne comprenais pas tout lorsqu'il parlait. Il soupira en évitant mon regard.

— C'est compris, oui ou non ? se répéta le noiraud qui d'un seul coup, pencha son visage en avant.

Ses yeux étaient remplis de haine et d'exigence. De nouveau, je ressentis l'urgence de m'écarter. Je secouai lentement ma tête, lui confirmant que je l'avais bien entendu, et bien compris.

Un sourire généreux fendit le bas de son visage, un sourire qui ne montrait pas que de la satisfaction, mais aussi de la surprise. Je venais de lui prouver une nouvelle fois que je parlais sa langue. Lui parler m'exposais au danger. Je devais garder le silence, car lui parler d'un monde magique allait probablement l'abasourdir. Comment j'étais censée le convaincre de me suivre à Oxstrea ? Je ne savais pas mentir, les Elfiah n'était pas doté de cette capacité. S'il venait à me demander pourquoi faire un tel voyage, j'allais être contrainte de tout lui avouer. Mon dessein était de l'échanger contre ma famille. N'importe qui s'enfuirait face à ça. C'est pour cela que je ne pouvais rien lui dire, et garder le silence était la meilleure arme contre la vérité. Je devais me taire, et trouver une source naturelle assez puissante pour créer ce portail.

— Parfais, alors on peut y aller.

Il me devança puis ferma la porte derrière moi. Tous les trois confinés dans un tout petit espace qui semblait bouger, je sentis le regard oppressant des deux individus dans mon dos.

— T'as rien trouvé de mieux que des claquettes ? surgit la voix féminine de Riley.

— Quoi ? Tu voulais peut-être qu'elle se trimballe pieds nus peut-être ?

— Mes talons doivent encore trainer sous ton lit, j'ai oublié de les récupérer la dernière qu'on a-

— Ferme la Riley, grogna la voix du noiraud dont le pied ne cessait de frapper contre le sol sombre. Je préfère largement quand tu me craches une fausse rancœur devant ton père.

— Je dois bien lui faire croire que je suis de son côté, et je pense souvent ce que je dis, sale démon.

Soudain, la porte face à moi s'ouvrit en deux toute seule. La jeune femme me bouscula pour sortir de la petite pièce en pestant des mots vulgaires envers son ami. Le noiraud me souffla un « sort » autoritaire et me conduisait à l'extérieure de l'immense abris fait de pierre blanche. La blonde s'était déjà enfuis quelque part, je ne lui prêtais aucune intention car le noiraud venait de me poser une question. Je n'avais compris aucun des deux mots qu'il m'avait soufflés, alors il se répéta :

— Voiture, ou moto ?

Voiture ? Ou moto ?

Le garçon m'observait attentivement, attendant ma réponse qui allait probablement s'afficher au creux de mes iris. Ses yeux sombres semblaient chercher quelque chose en moi, tentant de déchiffrer mes pensées.

— C'est un genre de traumatisme crânien que tu as eu ? bafouilla-t-il sans jamais me lâcher du regard. Une amnésie ?

Je ne connaissais pas non plus ces thermes.

— Bien, alors je suppose que c'est à moi de choisir notre moyen de locomotion... J'espère que tu aimes les sensations fortes ?

Ce n'était pas une question, ça sonnait davantage comme une affirmation. J'avais l'habitude des sensations fortes. Je vivais à plus de vingt mètres du sol, perché dans des cabanes qui tenait entre deux arbres. Je sautais de branches en branches, je volais dans les airs lorsque Thenaë...

Plus jeune, ma sœur s'amusait à utiliser son don pour faire surgir des rafales venteuses et me faire décoller du sol. Cette sensation de voler m'était paisible. Je voulais un jour la ressentir, sauf que Thenaë n'était plus là pour me faire voler dans les airs.

Le noiraud nous dirigea tous deux vers un objet qui brillait, mais qui ne bougeait pas. Comment on était censé se déplacer avec ça ? Il remarqua mon incrédulité, mes yeux ne cessèrent d'analyser cette chose étrange.

Un sourire en coin se dessina sur son visage, accentuant ses traits durs et anguleux. Sans dire un mot, il me signe de m'approcher. Je n'avançai pas, alors il le fit, ayant agrippé une énorme boule noire. Il remplaça la chose qu'il appelait casquette par cette nouvelle casquette, bien plus encombrante.

— C'est un casque, il risque d'être un peu grand pour toi. Il appartenait à un vieil ami, ce type avait le cerveau d'Einstein, tu le connais ?

Son vieil ami ? Ou Einstein ?

Dans tous les cas, je ne connaissais, ni l'un, ni l'autre. Alors je secouai négativement la tête tandis qu'il me donnait le casque pour que je l'enfile.

— Bien sûr que non, le Diable doit détester les hommes de science, concluait le noiraud en enfilant à son tour un casque noir qui ne me laissait plus aucune possibilité de voir son visage ou ses yeux.

Il passa ensuite ses jambes autour d'une énorme créature métallique. Je tentai de comprendre comment cette chose vivait et pouvait faire autant de bruit lorsqu'il avait posé les mains dessus. Le type effectua un mouvement de la main et un son très lourd me parvins, résonnant entre les murs de cet espace très vaste aux murs gris, froids et humides. Il glissa habilement sur la créature noire et verte. Un second mouvement le propulsa vers l'avant d'une vitesse qui fit figer mes muscles. Comment cette chose se mouvait aussi facilement tout en ayant un lourd poids sur elle ?

Elle avait des roues. Le noiraud s'amusa à faire tourner la créature autour de moi, pendant que mes yeux tentaient de le suivre. Les vibrations se diffusaient dans le sol et tremblait sous mes pieds. L'air faisait battre sa veste derrière lui, et des traces noires dessinaient des ronds lorsqu'il ordonna à la bête de s'arrêter et d'avancer brusquement.

Je restai là, à fixer ce spectacle étrange avec fascination. La bâte métallique, aussi étrange que terrifiante, semblait obéir aux moindres mouvements du garçon, se déplaçant avec une agilité surprenante malgré sa masse imposante.

Le noiraud se tourna vers moi, son visage dissimulé derrière le casque, mais je pouvais sentir son regard me scruter lorsqu'il s'arrêta à quelque pas de moi.

— Prête pour un tour, Clochette ? demanda-t-il d'une voix pleine d'excitation, sa voix restait étouffée par le casque.

Je m'approchai délicatement pour ne pas effrayer la bête verte et noire. Ma main frôla sa peau dépourvue de poile, qui reflétait uniquement la lumière présente au plafond. Pourquoi recouvrir un animal de métal ?

Le garçon m'observa faire, moi qui tentai de calmer les rugissements grotesques de la bête. Puis, une fois sereine, je montai à l'arrière.

— Je te conseil de t'arrocher, si tu ne veux pas mourir.

Un frisson de peur me traversa le dos. À quoi devais-je m'attendre ? J'avais l'habitude de monter sur le dos des animaux, rien ne pouvait être pire qu'un Aakri-

Il venait d'élancer la bête, qui rugissait avec acharnement. Instinctivement, mes mains s'agrippèrent fermement à la taille du cavalier, qui semblait tout à fait à l'aise et prêt à lancer la terreur dans la nature. Il prit un virage serré, qui monta en spirale, puis enfin, la lumière du jour nous apparue.

Il filait à toute vitesse. Très vite, j'eus le vertige. Le vent fouettait mon corps, mes cheveux volaient en arrière dans une danse chaotique. J'étais à la fois terrifiée et avide de nouveauté. Comment cette bête pouvait être aussi rapide ?

Je m'agrippai à lui, sentant chaque virage, chaque accélération dans mes os. Le monde autour de nous filait à une vitesse vertigineuse. Il y avait tant de lumière, tant d'habitation empilé les uns sur les autres, tout devenait très rapidement flous lorsqu'il prit encore plus de vitesse.

Pendant un instant, je me sentis libre, comme si rien ne pouvait me retenir. Mais cette liberté était teintée de danger, de l'inconnu qui m'entourait. Et au fond de moi, une voix insistante me rappelait que cette évasion n'était que temporaire, que je devais bientôt retourner à ma mission, à ma quête pour sauver ma famille.

Je n'oubliai pas d'où je venais, et pourquoi j'étais ici.

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