Chapitre 3

Aïko_nsr

───※ ·❆CHAPITRE 3❆· ※───
A N E Z K A

Nous étions en guerre. Hoak et son peuple avaient décidé de brûler nos forêts pour une raison inconnue.
             
— Anezka ! Où est-ce que tu comptes aller ?
             
— Je comptes protéger mon peuple et aller me battre, dis-je férocement en descendant de l'arbre.
             
— Non c'est trop dangereux, on doit rejoindre les grottes et s'y cacher jusqu'à ce que la menace soit partie.
             
Je m'arrêtai d'effectuer tout mouvement, puis leva la tête vers Ze'ev, qui ne semblait pas comprendre mes motivations.
             
— Donc tu me penses capable de rester cacher au fond d'une grotte pendant que notre peuple se fait massacrer par Okto ? Les Gaerilah ne se cachent pas, ils combattent.
             
— Mais tu n'es pas une Gaerilah, Anezka ! Tu n'as jamais reçu un vrai entraînement, tu ne fais que te camoufler derrière les hautes fleurs ! Et tu sais pourquoi on n'a jamais voulu te recruter dans les rangs ? cracha-t-il, les poings serrés et le visage rouge de colère. Parce que tu n'as aucun don qui puisse nous aider pendant une guerre ! Tu n'es pas faite pour ça, alors viens avec moi, rejoins-nous dans les grottes Anezka ! Je t'en supplie.
             
Parce que tu n'as aucun don.
             
Je mordillai mes lèvres de manière frénétique pour les empêcher de s'ouvrir et lui renvoyer une haine en pleine face. Nous n'étions pas de nature colérique, ni sanglante, nous les Elfiah, et pourtant, je ressentais dans le creux de mon ventre une certaine rage alimentée non seulement par le cri de détresse envoyé par les entrailles de nos forêts, mais aussi par les mots crus de Ze'ev.
             
— Je n'ai peut-être pas un don qui puisse tous vous sauver, mais je sais me servir d'un arc et de mes mains. Alors contente-toi d'emmener ma famille dans tes grottes et moi je m'occupe d'Hoak.
             
Ze'ev secoua sa tête, faisant trembler ses bouclettes qui dévalaient sur son front.
             
— S'il te plaît Anezka, si tu pars te combattre, tu mourras.
             
Il n'avait donc aucune confiance en moi ? Il pensait sincèrement que je n'étais pas capable d'affronter le peuple de la mer, alors qu'ils étaient dans notre habitat, au milieu des arbres que je connaissais par cœur ? Il me pensait aussi fragile qu'une feuille morte ?
             
— Alors je mourrai pour mon peuple. Au revoir Ze'ev, j'espère qu'on se retrouvera dans de meilleures conditions.
             
Je me jetai de l'arbre. Le sol frais et humide rencontra mes pieds nus, aussi doux qu'un tas de mousse verte. Sans perdre de temps, j'accourrai vers l'armurerie, là où des dizaines et des dizaines de Gaerilah se rejoignaient, prenant lame, arc, fleurs sylvestres, qui lorsqu'on les écrasaient, produisaient une lumière aveuglante et libéraient du poison naturel. Mon corps se fraya un chemin entre ce tas de guerrier qui s'empressait de récupérer leurs armes, la panique les animait, mais étant entrainé au pire des scénarios, ils savaient comment agir et rester professionnel. Ma main était sur le point d'attraper un arc lorsque l'on m'attrapa par l'épaule et qu'on me tira en arrière.
             
— Anezka ! Qu'est-ce que tu fais ici ? hurla Thenaë, le visage peint par la peur et luisante de sueur.
             
Les marques qui traçaient son visage, telles des fleurs traversant ses tempes et son front, avaient comme disparu. Nos corps avaient un lien très profond avec notre environnement, et si la forêt mourait, alors nous mourions.
             
— Va rejoindre les autres !
             
— Non !
             
Thenaë fronça ses sourcils. Dans ses yeux reflétait une âme courageuse qui n'avait plus peur de se cacher, et cette âme était la mienne. Je ne voulais plus me cacher derrière ma sœur, je voulais être aussi déterminée qu'elle ne l'était.
             
Ma grande sœur lâcha mon épaule lentement, redressa son dos et prit une grande inspiration.
             
— J'espère que tu es au courant du danger que représente Okto. Ce n'est pas parce qu'ils ne sont pas dans la mer que nous avons l'avantage sur eux. Okto est un peuple impitoyable, sauvage et brutal.
             
— Je sais, j'ai entendu toutes les mises en garde pendant vos entraînements, je connais leurs points faibles.
             
Thenaë acquiesça. Elle attrapa l'arc et me l'offrit.
             
— Alors va protéger notre peuple.
             
Mes mains se posèrent sur le bois de l'arc, mes yeux glissèrent sur les gravures qui traçaient des lunes et des étoiles. Mon menton se leva vers Thenaë, qui me fixait depuis un certain temps avec une expression mélangeant fierté et inquiétude. Je reculai, jusqu'à sortir de l'armurerie.
             
— Petite sœur !
             
Je me détournai, évitant de peu un Gaerilah qui courait pour rejoindre le lieu de l'attaque.
             
— Fais attention à toi, plaida ma sœur d'une voix qui eut l'effet d'un couteau transperçant mon cœur.
             
Elle n'a jamais été démonstrative en ce qui me concernait, pensant que la jalousie était ce qui la poussait à se montrer distante et froide avec moi. Sauf qu'en cet instant présent, seul de la compassion et de l'amour accompagnait sa voix.
             
— Fais attention à toi aussi, grande sœur.
             
Nous hochions notre tête une unique fois, avant de nous séparer définitivement. Thenaë prit le chemin des arbres, tandis que j'empruntais celui de la terre.
             
J'aidais un bon nombre d'Elfiah à leur montrer le chemin des grottes, leur conseillant d'y accourir aussi vite que possible et de prévenir les Sages du danger prééminent. Nous avions besoin de Vidaar et de ses pouvoirs. Seul le Gardien des forêts allait pouvoir sauver un peuple entier.
             
Il restait encore beaucoup à faire, seuls les plus en forme avaient réussi à se sortir du village, mais les Okto avaient déjà pris d'assaut tous nos ponts et avaient brulé un bon nombre de cabane. Hoak était en train de réunir tous les habitant sur la place principale, les mettant à genoux. Je percevais les pleurs et les cris de mes voisins. Mon cœur tambourinait à l'intérieur de mon buste. En levant la tête, je vis un Okto trancher la gorge d'un Elfiah. Son corps tomba au sol, laissant sur les planches en bois une importante flaque de sang, qui s'égouttait. Une goutte tomba sur mon front, et glissa le long de ma joue telle une larme.
             
Je m'arrêtai un instant, à bout de souffle. L'arc dans ma main tremblait. Non, ma main tremblait, ce n'était pas l'arc.
             
Une femme courait vers moi, les bras autour de sa poitrine, protégeant un enfant. Elle hurlait au secours, hurlait en pleurant, hurlait de rage, hurlait de désespoir. Puis son crâne venait de se fendre en deux. Son corps tomba à quelque mètre de moi. Les yeux ouverts de la femme me fixaient, totalement imbibés de sang. Ses oreilles pointues s'étaient abaissées, ses poumons lâchèrent un unique et dernier souffle.
             
C'était cette femme qui m'avait salué plus tôt dans la soirée, lorsque nous étions rentrés de nos cueillettes de champignons rouge.
             
Ma vue s'embuait, malgré mes paupières bien ouvertes. Mes genoux rencontrèrent le sol. Je n'arrivais plus à tenir debout. Son enfant n'était plus dans ses bras, il était tombé avant d'elle. Il y avait du sang partout sur son torse.
             
On lui avait arraché le cœur.
             
J'hurlai soudainement en levant la tête vers mon village en haut des arbres, là où Okto était en train d'assassiner tout mon peuple.

Un Gaerilah ne s'abandonne jamais face à la douleur, il se relève et se bat jusqu'à son dernier souffle.
             
J'essuyai mes larmes, poussant un dernier rugissement de haine, puis me leva avec détermination. Une flèche était placée devant mes yeux, que je relâchai à la vue d'un Okto, et qui traversa son ventre. Je tirai sur chaque monstre de la mer jusqu'à atteindre une liane. Une main attrapa ma cheville et me tira au sol. Mon dos percuta violemment la terre, bloquant mes capacités respiratoires durant quelque seconde.
             
Un Okto se plaça au-dessus de moi, puis s'abaissa en me livrant un sourire de satisfaction.
             
— En voilà une Elfiah courageuse...
             
Il avait des cheveux très longs, si longs qu'ils chatouillèrent mon visage. Des perles étaient coincées dans certaines mèches de ses cheveux clairs, parfois nattés avec des algues. Il lui manquait un œil, une énorme cicatrise traversait sa paupière et sa joue, mettant en avant la violence de ce peuple. Lorsqu'il souriait et ouvrit la bouche pour parler, de l'eau s'évacuait de ses tripes et trempa mon visage.
             
Ces bêtes avaient les poumons remplis d'eau, et avaient en plus de ça la capacité de respirer notre air.
             
Ses mains crasseuses vinrent bloquer mes poignets au sol, faisant entrechoquer chaque bijou que ses bras et son cou contenait. Sa chemise large et salit lui donnait une couleur semblable à de la terre.
             
Contrairement à ce que nous pouvions penser des Okto, ils ne vivaient pas dans les profondeurs des mers, à nager parmi les poissons et les vagues. Okto étaient principalement des pirates infâmes, vivant sur des bateaux au beau milieu de rien.
             
— Alors ma jolie, tu me montres un peu ces belles oreilles ?
             
D'une main, il dégagea un coté de ma chevelure afin que mon oreille lui soit pleinement visible. 
             
Ma main désormais libre tentait de le frapper, de l'étrangler, de le repousser, mais il était costaud, et moi je ne réfléchissais pas à mes mouvements.
             
— Chez nous, on dit qu'une oreille Elfiah libère une énergie puissante lorsqu'on la coupe d'un être encore vivant, cita l'Okto en passant ses doigts sur la pointe de mon oreille. Apparemment, manger une oreille pointue rallongerait notre espérance de vie. Dis-moi, tu n'y vois aucun inconvénient à ce que j'essaie de couper ton oreille ?
             
Ma main passa sous mon corset et attrapa le manche de ma dague.
             
— Et chez nous, on dit que le cœur d'un Okto bat encore lorsqu'on le retire de sa cage thoracique, soufflai-je en arrêtant de gigoter. Dis-moi, tu n'y vois aucun inconvénient à ce que j'extrais ton cœur ?
             
L'Okto ria une seule fois, avant d'écarquiller ses yeux lorsque ma lame traversa le tissu de sa chemise et s'implanta directement dans son cœur. Mon poignet pivota, broyant son organe vital et lui créant un trou béant.
             
J'avais appris à chasser, et je savais que certain cœur continuait de battre malgré qu'il soit percé. C'est pour cela que beaucoup de nos pratiques de chasse demandaient à extraire le cœur et de le bruler.
             
Le corps de l'Okto sombra lentement sur moi, mourant à petit feu. Je le bousculai sur le côté avec répugnance puis je fis glisser ma lame contre le bas de ma robe pour la nettoyer. Je visualisai le corps sans vie une dernière fois, en priant pour que le peuple des esprits n'accepte pas la sienne.
             
Durant les prochaines minutes, je grimpais sur les uniques lianes pas encore emportées par les flammes. Je passais entre des corps inertes, des Elfiah à la tête tranchée, aux épées transperçant leurs cœurs, harpons implantés dans leurs ventres, et parfois tout simplement mort à cause des flammes. Je connaissais chaque visage sans vie, j'avais grandi avec tous ces gens, j'avais joué et appris à leurs côtés, et voilà comment ils avaient fini.
             
Okto devait payer pour leurs crimes.
             
Lentement, tel un lézard se fondant dans les branches, je montai dans un arbre pour avoir une vue parfaite de la place principale.
             
— Qu'est-ce que tu veux Hoak ? cracha Jyok.
             
J'étais à la fois heureuse de le voir en vie, mais à la fois inquiète en l'apercevant aux mains du peuple de la mer.
             
— J't'ai déjà dit ce que je voulais. Darios Rivee, où il est ?
             
— Je ne connais aucun Elfiah portant ce nom, mentis Jyok, dont les écorces décoratives avaient quitté sa barge blanche.
             
Il portait sur lui sa tenue de cuisinier, une blouse blanche et des gros sabots en bois.
             
En face, Hoak et sa figure imposante empestait une prestance royale, sa silhouette évoquait la puissance de la mer ainsi que celle de son peuple. Sa peau teintée de bleu rappelait les profondeurs mystiques des mers. Des écailles délicates, irisées et brillantes ornaient son corps, reflétant la lumière d'une manière visqueuse. Sa chevelure, d'un bleu intense, semblait constamment être caressée par des courants marins invisibles. Des algues vertes y étaient tressées et des coquillages précieux entrelaçaient sa crinière.
             
Hoak était vêtu d'un long manteau fait de peau de ses créatures marines, il flottait derrière lui, comme emporté par des vagues qu'ils ne le quittaient jamais. Les extrémités étaient ornées de motifs complexes, représentant des constellations aquatiques et des symboles particuliers dont j'ignorais les codes. Le Gardien des mers avait une queue qui longeait sa colonne vertébrale, et se baladait sous son manteau, une queue tranchante et mortelle.
             
L'Okto mâchouilla des mots inaudibles, ruminant probablement une colère noire. Il leva une main dont chaque doigt était relié par de la peau, et l'instant d'après, une tête fut coupée.
             
Ma main pressa contre ma bouche, camouflant un énième cri de terreur.
             
Hoak baissa sa nageoire puis s'avança assez proche du cuisinier, qui ne tremblait pas.
             
— Tu peux me dire où il se trouve, où tu peux regarder tout ton peuple mourir. Tu as le choix.
             
Jyok était à genoux, les mains joints par quelque chose qui ressemblait à un serpent des mers, la chose se resserrait toute seule, probablement sous les ordres d'Hoak.
             
L'Elfiah garda le silence.
             
Hoak leva une nouvelle fois la main, sauf qu'une voix s'éleva parmi la foule. Une voix que je connaissais bien.
             
Papa passa entre des corps apeurés, en attirant sur lui tous les regards.
             
— Non... Papa...
           
Mes ongles s'implantèrent dans le tronc d'arbre, ainsi que dans l'arc. À quoi il jouait ?
             
— Relâche le, ce n'est pas lui que tu veux.
             
Le Gardien des mers se détourna lentement, faisant trainer sa lourde cape derrière lui, créant un mouvement de vague invisible pour notre œil d'Elfiah. Il grinça des dents en laissant mon père s'approcher de lui.
             
La peur m'envahit aussi brutalement que le feu se propageait autour de nous. Mes mains prirent l'arc, le montèrent devant mon visage puis tirèrent sur la corde, prêtes à lâcher une flèche sur ce poisson aux cheveux bleu foncé.
             
— Qui es-tu ? demanda Hoak.
             
— Darios, s'annonça papa. Darios Rivee.
             
La lèvre supérieur d'Hoak se retroussa pour former un drôle de sourire, ce qui révéla une dentition bien aiguisée.
             
— Alors, c'est toi...
             
La bête tourna autour de mon père, l'examinant de la tête au pied, passant en revu ses oreilles, sa taille inférieure à lui, et son vêtement simple, fait main.
             
Mon coude se recula encore, de quelque centimètre, je fermai un œil et me concentra sur le cœur d'Hoak. Il ne fallait pas que je rate mon coup. Je n'avais droit qu'à une unique chance. Je bloquai alors ma respiration, cessa de force les tremblements de mes bras et relâcha l'air. 
             
Un vent se leva subitement, faisant valser mes cheveux autour de mon visage. Mes yeux traversèrent la forêt jusqu'à trouver l'origine de l'appel. Un vent ne se levait pas de cette manière en pleine forêt, et uniquement dans une direction précise. Seule Thenaë avait le don de pouvoir contrôler le vent. Effectivement, je trouvai ma sœur perchée sur une branche, les yeux perçant les feuillages. Elle secoua la tête, m'interdisant de lancer la flèche.
             
Agacée, je l'ignorai et tira une nouvelle fois sur la corde, mais Thenaë lança un vent brutal sur moi, il fut si puissant que je perdis l'équilibre et m'obligeât à lâcher mon arc pour me retenir au tronc d'arbre. Mon regard furieux trouva celui de ma sœur, ses lèvres me mimèrent un « non, c'est trop dangereux, une flèche ne peut pas le tuer ».
             
Elle n'avait pas tort, mais papa était en danger, ainsi que tous ces Elfiah forcés à se mettre à genoux pour se faire exécuter les uns après les autres.
             
— J'ai entendu dire que ton don était unique, ajouta Hoak d'une voix rocailleuse. Il se pourrait bien que j'en ai besoin. Je dois... passer le bonjour à quelqu'un, dans cet autre monde.
             
— Je ne peux pas te laisser faire ça, Hoak, refusa papa qui ne se laissait pas impressionner par le Gardien des mers.
             
Hoak s'arrêta de lui tourner autour, il leva un sourcil.
             
— Tu refuses ma demande ?
             
— Si tu passes le portail, tu mourras. Seul un être de la nature, et doté de ce don peut supporter le passage d'un monde à un autre, expliqua papa. Ton corps se désintègrera à la seconde ou tu passeras le portail, tu ne seras que cendre, ou eau.
             
Le maître des mers semblait réellement agacé par cette révélation. Il fouilla une réponse dans sa tête, une sorte d'alternative, puis lâcha tout simplement :
             
— Alors tu iras à ma place, Darios. 
             
— Non, répondit papa la seconde d'après.
             
Hoak, surprit par le courage de papa à se défendre verbalement, avança assez proche pour être capable de sentir son souffle fouetter son visage.
             
Non ? répétait-il, comme si ce mot était devenu une blague. Tu l'auras voulu.
             
Il leva sa main faites d'écailles et on balança une femme aux pieds de papa. Sa chevelure rousse glissait sur ses épaules et sa couronne de fleurs avait presque totalement brulé. Mon cœur était une pierre, il me faisait horriblement mal à chaque fois qu'il devait battre.
             
— MAMAN ! hurla Enok derrière elle, prit dans les bras d'un Okto.
             
Hoak plongea sa main dans la crinière de maman et l'obligea à se relever. Des larmes dévalèrent ses joues rouges, ses oreilles pointaient vers le bas, et ses bras tentaient de se défendre contre la menace.
             
Papa avança d'un pas, mais Hoak brandi sa queue de poisson et la plaça rapidement autour du cou de maman. 
             
— Ne fais pas ça, suppliait mon père.
             
— Alors ouvre ce portail, et accepte d'y aller et de revenir avec mon dû.
             
— Je- Je ne peux pas faire ça... Si on le ramène à Oxstrea, tous nos peuples mourront. Il détruira notre monde, son pouvoir est trop mauvais et trop grand pour être contenu ici.
             
Hoak ria, et cette fois-ci, son rire fut franc, dur et audible. Un frisson parcourra mon corps.
             
— Mmh Darios... Qui te dit que je le veux vivant ? Peut-être que lui ne sait pas contrôler son pouvoir, mais moi, j'en ferais bon usage. Je ne peux pas laisser le Prince Nakarin monter sur le trône. Alors, tu me l'ouvres ce portail ?
             
Mon père fixa ma mère, puis baissa ses yeux vers son ventre rond, un enfant qu'elle portait depuis sept mois.
             
— Désolé, mais je dois protéger Oxstrea, venait de dire mon père de manière froide.
             
Le sourire d'Hoak se crispa. La colère déforma son visage, puis, sans crier gare, sa queue brisa la nuque de maman.
             
J'eus l'impression que mon arbre venait de disparaitre, et que mon corps s'écroula au sol. J'avais l'impression que des centaines, ou des milliers de lianes glissaient contre ma peau, frottant ma chair, créant des griffures profondes et brûlant chacun de mes muscles. J'avais l'impression que de la terre bouchait mon œsophage, m'empêchant de parler ou de respirer.
             
J'avais l'impression de mourir.
             
Je m'éteignis, et à l'instant où je m'étais abandonnée, une puissance inconnue fit vibrer mes veines. Mon corps entier se mit à mouvoir, mais moi, je me sentais comme dans un de ces rêves lucide.
             
Je sautai de l'arbre, sortis ma dague de mon corset, accourue à travers les lianes des ponts encore présentes, trancha la gorge d'un Okto sur mon passage, et me pointa entre mon père et Hoak. Ma lame dégoulinante de sang était posée sous la gorge de ce meurtrier, dont les yeux ne fixèrent que moi, et moi uniquement. Des yeux qui me laissaient apercevoir les abysses des fonds marins, d'un bleu céruléen contenant des reflets parfois argentés. Son regard était empreint de la connaissance d'une profonde violence qu'il incombait.
             
— Non ! Anezka !
             
J'ignorai mon père. Il pouvait m'appeler autant qu'il le souhaitait, rien ne pouvait m'arrêter en cet instant précis.
             
Hoak leva le menton, et ma lame s'implanta difficilement dans sa peau écaillée. Son regard scruta mon visage
             
— Tu as les mêmes yeux que ton père, et des cheveux identiques à ceux de ta mère, lorsqu'elle était encore en vie.
            
J'appuyai la dent contre sa trachée mais jamais elle ne réussit à la percer pleinement, sa peau était trop dure.
             
— Je vais te tuer, vrenkal.
             
Ces mots étaient sortis de ma bouche. Je ne les avais à peine pensés. Il n'allait surement pas comprendre mon insulte, car il ne connaissait pas notre langue.
             
Hoak pouffa et d'un bras uniquement, il me poussa violement. Mon corps vola et roula sur le sol. Je sentis un goût assez désagréable se répandre dans ma bouche, mais je n'y prêtais pas attention. Je m'aidai de mes deux mains pour me relever et fonça sur le démon des mers. Je sautai sur lui. Comme s'il avait des yeux derrière son dos, sa tête se détourna et sa large main s'enroula autour de mon cou. Sa poigne me coupa la respiration. En cinq secondes à peine, je suffoquais. Mes pieds ne touchaient plus le sol.
             
Il allait aussi me briser la nuque au moment où une flèche siffla dans l'air et traversa le torse d'Hoak. Il eut un mouvement de recul et me lâcha. Je tombai de nouveau, toussant et ayant la tête qui tournait à m'en faire vomir.
             
Je vis Thenaë courir sur nous et porter son arc devant ses yeux, avant de lâcher sa flèche. Hoak l'arrêta avec une unique main. Ma sœur poussa un cri et sauta en l'air, ses mains amassa un trop plein d'air et une sorte de mini tornade se créa, qu'elle jeta en direction du poisson. Hoak, bien habitué aux rafales que lui offrait la mer, ne bougeait pas d'un poil. Son unique riposte fut de tourner sur lui-même, lui donnant un élan convenable, avant de brutalement déroula sa queue tranchante dans le ventre de Thenaë.
             
La tornade se dissipa à mesure que la queue s'enfonça dans son corps, lui créant un trou si énorme qu'elle en fut aphone. Elle qui avait toujours su se battre et gagner, elle qui m'avait inculpé un bon nombre de valeur, et qui m'avait appris à ne jamais m'abandonner à la douleur, venait de poser ses genoux au sol, et lâcha son arc. Du sang perlait du coin de ses lèvres. Je la regardai d'un œil lointain, encore profondément anesthésié par une force inconnue.
             
Thenaë était venue me sauver. Et tout comme ma mère, elle en avait payé le prix fort.
             
— Je vais me répéter une dernière fois Darios, parce que je commence sérieusement à perdre patience. Ouvre-moi ce fichu portail ou je tue le reste de ta famille.
             
Enok et Zemya était pris en otage. Ils hurlaient à s'en déchirer de l'intérieur.
             
Papa fixait sa femme, puis Thenaë. Des larmes lui sortaient des yeux, mais aucun mot ne lui vint.
             
Thenaë toussa une fois, et du sang jaillissait de sa bouche, tachant l'entièreté de son visage autrefois si beau, si audacieux. Elle me regardait, sa main tendait vers moi, souhaitant probablement que je l'accompagne dans son dernier parcours, ou autre. Mais il était trop tard, elle donna son dernier souffle, sans que ses paupières ne se ferment.
             
— Je dois... Je dois protéger... Je dois protéger Oxstrea... Je suis désolé... répéta cet homme que je reconnaissais plus.
             
— Moi je peux le faire, venai-je de dire en me levant.
             
Si mon père n'était pas décidé à ouvrir ce portail magique, alors j'allais le faire. Mais je n'allais pas regarder un autre membre de ma famille mourir sous mes yeux.
             
— Non Anezka, s'il te plait, chuchotait papa dans une parole presque inaudible.
             
Hoak me jeta un regard par-dessus son épaule, ayant enfin sa curiosité attisée.
             
— Toi ?
             
Je levai le menton en cessant de pleurer.
             
— J'ai hérité du don de mon père. Je peux t'ouvrir un portail sur cet autre monde.
             
— Voilà qui est intéressant...
             
— Je le ferais seulement si tu laisses ma famille en vie, ainsi que le reste de mon peuple.
             
Sa cape nageait presque sur le sol lorsqu'il s'avança vers moi, ses bottes en cuir frappaient les planches de bois, et les coquillages s'entrechoquaient à chacun de ses mouvements, créant un bruit assez harmonieux. Une fois assez proche de moi, il scella nos iris et hocha sa tête.
             
— D'accord.
             
Ce fut le seul mot qu'il m'accorda avant d'ordonner à ses pirates de l'eau de relâcher mon peuple et descendre rejoindre la terre, pour quitter le village perché. Je jetai un dernier regard vers Thenaë, puis vers ma mère. Une douleur insupportable me broyait de l'intérieur, je ne supportais pas de les voir dans cet état. J'allais les venger, mais avant ça, je devais protéger le reste de ma famille, ainsi que mon peuple.

Avant de descendre, il ordonna une dernière fois :
             
— Et prenez ceux-là avec nous, je veux une monnaie d'échange, dit-il en pointant Enok, Zemya et mon père. 
             
Je protestai, Hoak m'expliqua qu'il était d'accord pour ne pas les tuer, mais cela n'incluait pas le fait de les garder auprès de lui le temps que je récupère ce pour quoi il était venu. Ils ne me laissèrent pas l'opportunité de leurs parler, je voulais rassurer mon frère et demander à Zemya de veiller sur lui, mais on noua leurs mains et banda leurs yeux. Un des Okto venait d'abattre le manche de son épée contre le dernier du crâne de mon père, qui sombra de force dans un sommeil.
             
La scène se déroula sous mes yeux sans que je puisse venir l'aider. 
             
Je rangeai ma lame dans mon corset, et suivis Okto jusqu'au lac d'Hojvik. De là, on me demanda d'ouvrir le portail.
             
— Qu'est-ce que je suis censée récupérer ? demandai-je, intriguée.
             
Hoak et moi étions les seuls encore les pieds sur terre, tandis que son équipage et ma famille avaient embarqué sur un bateau, direction les mers du Nord.
             
— Tu le sauras très rapidement une fois arrivée là-bas, bredouilla-t-il comme si j'étais devin.
             
— J'ai besoin de savoir ce que je dois rechercher. Mon père était peut-être compétent en la matière, mais moi, je ne suis jamais allée dans un cet autre monde.
             
Il soupira et se décida à m'expliquer les grandes lignes :
             
— Une créature d'Oxstrea se trouve dans ce monde, et je le veux. Je veux que tu me le ramène, c'est aussi simple que ça.
             
— Comment vais-je le retrouver ?
             
— Ça, c'est à toi de voir. Mais si tu ne me le ramène pas ici avant la prochaine lune rouge, je tuerais le reste de ta famille, est-ce bien compris ?

J'opinai du chef, et Hoak recula jusqu'à avoir de l'eau à niveau de ses hanches.
             
— La prochaine lune rouge, Rivee, pas une nuit de plus.
             
Puis il plongea dans l'eau, laissant une drapée de vague caresser le lac anciennement calme. 
             
Je m'éloignai du lac, jusqu'à me retrouver coincée par un ravin derrière mon dos, presque impossible à remonter avec tous ces rochers glissants.
             
Je me mis à genoux, et posa mes mains contre l'herbe. Je perçus le cœur d'Oxstrea battre dans mes oreilles, ainsi que ses pleurs. Je revoyais la mort de ma mère et celle de ma sœur. Il m'était difficile d'y faire abstraction, mais il le fallait.
             
Je devais le faire pour mon peuple, mais avant tout pour ma famille. Dans mon cœur, elle était encore au complet, il y avait cette voix dans ma tête qui me disait qu'en ouvrant ce portail, ma mère et Thenaë allait revenir auprès de nous. Pour moi, il restait encore un moyen de les sauver, et c'est cette détermination qui me poussa à découvrir le don qui se propageait dans mon corps pour la première fois de ma vie.
             
Une certaine énergie se mit à bouillir dans mes mains, créant un léger tremblement au niveau de la terre, juste sous mes paumes de mains. Je poussais mon imagination à voir plus loin. Je ressentais soudainement la puissance d'un monde méconnu se dessiner dans mon esprit, elle n'avait pas de forme particulière, juste une énergie. Je la mettais en lien avec Oxstrea, et soudain, le sol sous mes mains disparus.
             
Il y avait face au sol une sorte de tunnel, une unique brume blanche, et grisâtre, qui me barrait le chemin. On aurait dit qu'en dessous se trouvait des toiles d'araignée. C'était intriguant.
             
Mes doigts glissèrent contre la brume, la faisant valser en répondant à mes mouvements. Puis, j'y mis la tête, une force m'agrippa et me tira à l'intérieur du trou. Je tombai et hurlai sous cette sensation de ne plus avoir pied. Il faisait sombre, l'unique source de lumière fut ce trou qui m'éloignait d'Oxstrea, le monde que je quittai pour la première fois.
             
Il faisait affreusement froid, et la descente m'obligea à fermer les yeux. Je me sentis perdre le contrôle, jusqu'à sentir mes membres s'engourdir et m'abandonner.
             
Je ne me sentis jamais atterrir.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top