Chapitre 23

Aïko_nsr

───※ ·❆CHAPITRE 23❆· ※───
M O R T E N

Le paysage avait changé. La verdure se faisait de plus en plus rare. La forêt nous entourait toujours de leurs troncs massifs, mais aucun ne portait sur sa tête un chapeau de feuille. Ils étaient tous dénudés et d'ici quelques kilomètres, on allait en percevoir certain de couleur blanche.
Face à nous, les montagnes se dessinaient avec précision. Massives. Pernicieux. Glaçantes.

Nous avions parcouru un bon bout de chemin sur le dos de ces bêtes aveugles. Nous n'avions fait qu'une unique pause pour que nous puissions se dégourdir les jambes et vider notre vessie. Puis nous revoilà à devoir patienter que les secondes passent jusqu'à atteindre notre objectif.

Anezka ne parlait pas beaucoup. Et je n'étais pas autant bavarde qu'elle. À vrai dire, mes yeux ne s'étaient qu'encrés dans les paysages face à nous, je me devais de trouver un ancrage, n'importe quel son ou distraction qui puisse me faire oublier la douleur de mes blessures et la soif de cette souris à vouloir se venger de mon agresseur.

Je me sentais guérir, sauf que le processus se faisait d'une lenteur trop accablante. Il y avait encore des restes d'Amolikk dans mon organisme, je pouvais la sentir, cette chaleur qui ne me brulait pas, mais qui m'apaisais. Et je redoutais déjà le moment où il n'y aura plus aucune trace de cette drogue dans mon sang. Car plus les jours passaient, plus ma malédiction demandait à toucher son point culminant. Et si ce jour devait arriver, je me devais de m'éloigner de plus loin possible de toute forme de vie. La vision que m'avait monté Enok ne pouvait qu'être un fruit de mes cauchemars, mais certainement pas une image tirée d'un futur possible.

Non.

Aucune couronne n'allait se poser sur ma tête et aucun cœur ne se déciderait à faire de moi une personne de confiance, assez pour en être leur guide, leur roi.

Les yeux scrutateurs de Cynestra ne cessèrent de faire des vas et vas entre les bois et le chemin devant nous. Lors de notre dernier arrêt, elle nous avait confié avoir vu une présence nous suivre. Anezka l'avait rassuré en lui disant que c'était probablement un animal et que de toute manière, nous nous trouvions trop loin des peuples dans les alentours. Notre présence ne devait pas être encore arrivé à l'oreille des Tuzak. Ce n'est pas pour autant que Cynestra se sentait rassurée, au contraire, je voyais bien sur son visage que son impression se confirmait à chaque pas de sabots.
 
— Arrêtons-nous un instant, dis-je assez fort pour les deux femmes puissent m'entendre.

— Quoi ? Mais on vient tout juste de s'arrêter, m'informa l'elfe comme-ci je n'étais pas courant de cette information. Tu as une si petite vessie que ça ?

J'ignorai la critique d'Anezka et fixa Cynestra. Elle comprit à travers mon regard que sa crainte pouvait être justifier rapidement. Alors elle descendit du dos de la bête et attrapa un poignard qu'elle dissimulait dans ses longues tresses noires.

— C'est encore cette histoire d'ombre ?

— Si quelqu'un est belle et bien en train de nous suivre, tu seras bien contente qu'on l'attrape avant que lui nous attrape, tu n'es pas d'accord, Clochette ?

Elle se tut et lança un unique regard envers la femme poisson.

— Je t'accompagne, articulai-je tandis qu'elle venait de rebrousser chemin inverse.

Je sautai à mon tour de l'Aakrius et mes pieds protégés par des bottes en cuir atterrir sur la fine couche de neige qui se mélangeait à la terre. Une condensation se libera de ma bouche en formant un nuage de bué. Nous n'étions plus dans les basses forêts et je me demandai comment cela était même possible de voir de la neige alors que quelques heures plus tôt, la chaleur nous faisait dégouliner de sueur.

La magie. 

Bien évidemment, Oxstrea connait des saisons différentes. Pourquoi ça me surprenait ? 

— Morten ! s'écria Anezka lorsque je m'apprêtai à rejoindre l'Okto.

Je me détournai dans sa direction, elle qui était assise gracieusement sur l'Aakrius, ses cheveux dégoulinant de son torse et ses yeux brillant d'une lueur inquiète.

La nature l'avait si bien façonné. La pureté l'accompagnait dans chacun de ses mouvements ainsi que sur chaque parcelle de son corps.

— Faites attention, lâcha-t-elle, les lèvres tremblantes en réponse du vent mordants et des températures glacials. Je n'ai pas envie de te retrouver une nouvelle fois au bord de la mort.

— On forma un si bon duo, ça serait dommage que l'un de nous meurt.

Je lui lançai un clin d'œil accompagné d'un léger rictus avant de la quitter pour m'enfoncer dans la forêt.

Face à nous, il n'y avait qu'un sol blanc sous un voile de brume d'où perçaient les silhouettes des troncs d'arbres. Un merle se mit à chanter avec puissance. Mon menton diriger vers le ciel, je le vis quitter sa branche pour battre des ails. Ce n'était pas un merle. C'était un cordeau dont le plumage noir y laissait refléter des nuances bleues. Il continua de chanter même lorsqu'il quitta la forêt et qu'on son petit corps s'effaça dans le ciel gris.

— L'épouse du Gardien des mers, c'est un sacré titre que tu t'es donné, dis-je pour alléger le silence qui s'était soudainement installé dans la forêt.

Les sombres yeux de Cynestra quittèrent un instant la forêt pour venir s'ancrer dans les miens. Les traits noirs sous ses yeux et les marques faites par la cendre sur son front à son menton accentuèrent ses traits. 

Je pouvais l'entendre grincer des dents, et cette fois, pas de froid. Pourtant, elle ne portait que son corset noir en forme de V au larges bretelle remplis de chaine et d'où pendait des coquillages. Si nous ne mourions pas d'un adversaire un peu trop collant, nous allions tous mourir glacé sur place.

— Pourquoi tu ne lui as pas dit la vérité ? repris-je.

Cynestra jeta un œil dans son dos, probablement pour s'assurer que nous nous trouvions désormais à bonne distance d'Anezka.

— Je ne vois absolument pas de quoi tu parles.

— Du fais que tu lui fais croire que tu veux te venger d'Hoak, alors que tu cherches juste à atteindre la famille royale pour avoir le privilège d'un tête-à-tête avec le prince héritier, Nakarin Ox si je ne me trompe pas.

Elle tiqua sa langue contre son palais et renchérit :

— Et toi hein, pourquoi tu ne lui dis que tu l'utilises uniquement pour atteindre la Reine ?

À mon tour de la regarder par-dessus mon épaule.

— Je ne suis pas dupe, Morten, j'ai bien compris que tu détestais les Ox autant que je les déteste. J'ai aussi très bien compris que ta raison était bien trop personnelle pour que je puisse espérer que tu me partage ton histoire ou rien que des bribes.

Son ton s'était adoucit et pourtant il restait très ferme.

— Je respect ton choix, continua-t-elle. Mais cette fille, celle qu'un destin adroit a décidé de vous lier, serait prête à mourir pour sa reine. Elle est comme eux tous, aveuglée par un amour qui n'est même pas réciproque.

Mes yeux trouvèrent un point entre deux troncs d'arbres, qui reflétait la chaleur anormale de mon corps. Anezka se trouvait toujours au loin, à attendre notre retour, n'ayant aucune idée de notre conversation qui pourrait détruire à jamais notre unique lien.

— La Reine n'en a que faire des royaumes hors de sa foutue capitale, pour cause, Hoak a réussi à atteindre son peuple, ajouta Cynestra en balançant son menton dans la direction de notre compagnon mis à l'écart. Une vraie reine ne ferme pas les yeux sur la peine que lui murmure ses terres. Et ta rouquine se croit assez importante pour endosser le rôle du messager, mais ce qu'elle ignore, c'est qu'on atteindra le palais avant elle. Prépare tes adieux, car je n'aurai aucune pitié la concernant.

L'Okto me regardait droit dans les yeux, son corps s'était drastiquement rapproché du mien, si bien que son torse effleurer mon bras. Mon regard désapprobateur ne réussit pas à l'effrayer. Elle garda sa tête bien haute, prouvant son caractère audacieux, comme tout ce qui émanait d'elle.

Puis elle me devança en me lâchant une légère grimace histoire de me faire comprendre que je n'avais pas mon mot à dire. 

J'avais probablement fait une énorme erreur en l'ayant sortie de cette cellule... Elle aurait peut-être dû y rester, finalement.

Mon plan ne consistait pas à tuer Anezka, même si elle se trouve sur le chemin qui me mènera au cœur de la Reine. Je finirai par trouver le moyen de l'atteindre sans blesser Anezka. En revanche, Cynestra, elle, se fichait pas mal de ses beaux yeux verts.

Et j'aurai moi-même bien aimé en faire abstraction, malheureusement, c'était impossible.

— On peut peut-être trouver un terrain d'enten-

Ma mâchoire perdait toute aptitude à se fermer ou s'ouvrir. Quelque chose de lourd et dur venait de percuter le derrière de mon crâne. J'eus à peine le temps de porter mes doigts à mon crâne et d'y découvrir du sang que mon corps se renversa et tomba.

Non, pas encore ça...

Je ne pouvais plus bouger. La seule chose que j'étais encore apte à faire était de visualiser le ciel. Enfin, jusqu'à ce qu'un corps aussi costaud qu'un tronc de ces arbres apparaisse au-dessus de moi. Il portait une grosse fourrure sur son dos et le reste n'était qu'un équipement parfaitement bien adéquat pour survivre dans la montagne. Son visage était partiellement camouflé d'un voile pour le garder au chaud. Je ne vis alors que ses yeux polaires me déguster avec appétit.

Lorsque mon visage, trop fatiguer pour se soutenir tout seul, tomba sur le côté, je vis trois autres personnes se rugir sur Cynestra qui n'était pas décidé à se laisser prendre aussi facilement.

Je cherchai Anezka des yeux, sans jamais la trouver. Puis on engouffra ma tête un l'intérieur d'un sac opaque.

...

Une douleur lancinante me pris dans l'entièreté de mon crâne, partant de l'arrière pour se hisser dans chaque nerf présent derrière mes yeux. Je repris brutalement possession de mon corps, comme s'il me hurlait qu'un danger imminent était sur le point de me tuer. Une secousse contracta chaque muscle de mon corps qui, à plus grand regret, ne pouvait pas bouger. J'ouvris alors mes yeux, puis en referma un aussitôt qu'une goutte de sang s'y infiltra. Je grognai de douleur en tirant sur les chaines qui rejoignaient mes bras dans mon dos.

Je tirai comme un fou sans me préoccuper de mon épaule qui était sur le point de se déboiter. 

— Ça sert à rien, j'ai déjà essayé des dizaines de fois.
 
C'était la voix de Cynestra, oui, je la reconnaissais !

Mon visage voulu se déporter sur le côté mais le simple fait de bouger mon cou réveilla une insupportable douleur dans mon crâne.

— Anezka, où elle est ? lui demandai-je à l'instar en abandonnant l'idée de l'avoir dans mon champ visuel.

— Je suis là, répondit sa voix, faible et rempli de douleur.

Elle se trouvait de l'autre côté, et si je m'en fiais à la distance de leurs voix, nous nous trouvions tous les trois enchainés ensemble, dos à dos.

— Est-ce que tu es blessé ? Tu arrives à bouger ?

Ma voix s'était teinté d'agitation.

— Je sens... Je sens plus mon corps, répondit lentement Anezka. Ils m'ont fait boire quelque chose... pour me calmer...

Que lui avaient-ils donné ? Est-ce qu'elle allait mourir ?

— Et moi, tu me demande pas comment ça va, s'offusqua l'Okto.

— Tu m'as l'air bien en forme, alors non.

Nous nous taisions tous lorsqu'une porte s'ouvrit, elle se trouvait pile en face de moi. La lumière qui émanait de l'autre pièce me brula les rétines et une nouvelle décharge peu agréable transperça mon cerveau.

La lumière fut rapidement cachée par plusieurs masses de corps aussi charpentés que ceux apparu dans la forêt.

Nous nous trouvions visiblement dans une petite pièce ou était rangé des provisions.

— C'est eux, on les a trouvés à la frontière, Altesse.

Des semelles claquaient contre le parquet, s'écartant des trois costauds chaudement vêtus. Des bottes en fourrure blanches se placèrent face à moi, presque recouvert par le tissu d'une lourde et chaude robe de cette même nuance. Mon unique œil capable de voir fit l'effort d'analyser cette nouvelle venue. Autour de sa taille se trouvait une corde où y résidait une fiole qui semblait y contenir de petits cristaux bleus.

C'était une femme.

Le haut de sa robe blanche, teinté d'une nuance grisâtre par la chaude lumière ambiante, semblait incrusté d'écailles serpentines qui captaient les reflets avec subtilité. Une épaisse fourrure immaculée, accrochée à ses épaules, descendait majestueusement jusqu'à frôler ses chevilles. Son visage restait dans l'ombre, mais je distinguais sans mal la silhouette d'une couronne posée sur sa tête faite de cristaux scintillants.

— Pile à l'heure... balbutia cette étrange femme, les mains entrelacés et les coudes relevés à hauteur de son nombril. Amenez-les-moi là-bas, que je puisse y mettre un prix.

Ni une ni deux, les deux costauds passèrent à ses côtés afin de la détourner et s'agenouillèrent à notre hauteur. Puis, sans laisser place à la moindre hésitation, ils nous forcèrent à nous redresser, nous poussant à avancer d'un pas mal assuré.

Anezka avait du mal à se relever, si bien qu'un des types s'impatienta et attrapa violement sa nuque.

Cette vision me fit oublier toutes douleurs, toutes peurs, toutes questions. Je me défis assez facilement de l'emprise de celui que me tenait par l'épaule et me jetai en avant. Mes mains, toujours entrelacées entre elles dans mon dos, ne pouvaient pas atteindre leur objectif. Alors ce fut ma tête qui cogna la mâchoire de cette brute.

— Ne la touche pas avec tes sales mains ! Tu vois très bien qu'elle n'arrive pas à tenir debout, enfoiré ! crachai-je tandis que le blessé s'était reculé en maintenant sa mâchoire entre ses doigts.

Une lourde main s'abattit sur mon épaule et me poussa en arrière.

— Elle n'avait pas qu'à me cracher au visage, c'te pétasse, gronda le gars qui malheureusement réussi à parler malgré mon coup.

Face à cette insulte, mon sang ne fit qu'un tour dans mes veines. Je me débattis pour me libérer à nouveau, me jeta encore sur cette ordure et fis de mon mieux pour toucher un point vital. Mais sans bras, c'était peine perdue. 

On me claqua violemment contre le sol, la tête embrassant la fraicheur du bois.

— Tu vas te calmer, oui ? s'agaça celui qui tentai de me garder dans le rang depuis quelques minutes.

Mes yeux rencontrèrent ceux d'Anezka, qui portait la même haine que la mienne. Elle aussi était déçue par l'accueil. Mais que dire ? Nous avions été accueillis de cette même tendresse par les Okto, et moi personnellement par son clan. J'étais peut-être celui qui avait une mauvaise gueule, celui qui attirait les mauvais jugements et la violence.

— Qu'est-ce que vous attendez ? resurgit la voix peu mélodique de cet ours blanc. Je ne vous ai pas demandé de vous battre.

— On a un rebelle parmi ce trio, Altesse, je préfère vous prévenir.

— Et bien qu'on me le ramène, et tout de suite. Je n'aime pas me répéter.

— Oui, Altesse, disent-ils en chœur.

On me releva du sol pour nous amener dans une autre pièce, cette fois bien plus illuminés et chauffée. Il y avait des tables en bois dispersé un peu partout, ainsi que des bancs pour s'y assoir. Dans le fond de la salle se trouvait un bar on y résidait bon nombre de bouteille et de cornes creuses.

J'en conçu que nous nous trouvions dans un endroit où les gens venaient s'y retrouver pour boire et discuter. Un genre de bar-restaurant, peut-être bien. 

Un coup de talon à l'arrière de mon genou me fit basculer en avant, je perdis l'équilibre et comme Cynestra et Anezka, nous nous retrouvions genoux au sol, en ligne. La brute tenait Anezka par la nuque car son corps ne répondait toujours pas de lui-même. Je restai difficilement calme, ne pouvant pas quitter l'Elfiah des yeux plus de dix secondes. Il lui suffisait de me faire un signe, qu'importe lequel, et je foutrai le feu à cette baraque.

Devant nous, l'ours polaire marchait d'une lenteur accablante, pas par pas, nous zieutant tous un à un comme pour analyser chaque recoin de notre peau. Je m'autorisai enfin à la détailler, de l'exacte manière qu'elle était en train de le faire avec nous, avec dédain et froideur.

Sa peau aussi blanche que de la porcelaine laissait tracer des veines bleus visibles partout où elles passaient. Ses badigoinces peintes d'une couche de ce qui ressemblait à de la neige démontrait de fines lèvres scrupuleuses. Son nez rond, à peine marqué par une légère bosse, arborait deux petites cornes perçant la peau de chaque narine. Ses yeux, d'un bleu éclatant comme de l'eau turquoise, étaient encadrés de cils où reposaient des flocons de neige délicatement formés, comme s'ils avaient été sculptés par l'hiver lui-même. Ses cheveux, coupés courts presque à ras, étaient d'un blanc pur, tout comme ses lèvres. La couronne de cristaux qui ceignait sa tête semblait si parfaitement intégrée à son être qu'on aurait cru qu'elle était née avec.

Ses doigts aux bouts bleus attrapèrent la mâchoire de l'Okto, décoré d'une multitude de bijoux en cristaux bleus et transparent. Elle lui força à ouvrir le bec, puis posa un doigt sur la trace de cendre sur son front.

— Une Okto, confirma la femme en lâchant Cynestra, peu conquise par ce touché.

Elle s'avança désormais vers Anezka, qui peina à garder le menton droit. Elle lui attrapa aussi le visage, fit tourner sa tête pour y découvrir ses oreilles pointues, ainsi que la couleur vive de ses yeux verts qui lui laissait apercevoir toute la beauté de la nature au printemps.

— Une Elfiah, balança l'ours polaire.

Elle la lâcha et sa tête retomba aussitôt.

Mes yeux s'ancrèrent sauvagement dans ceux de cette femme à qui on ne pouvait donner aucun âge. On dirait que son corps avait été enfermé dans un congélateur depuis deux siècles. Elle pouvait avoir trente ans, autant que cent trente ans. Impossible de savoir.

Ses doigts se posèrent dans le creux de mes joues. La froideur de sa peau brula l'entièreté de mon visage, jusqu'à geler les fibres de mon cerveau endolori.

Quelque chose d'étrange se produisit. Comme si ses doigts étaient faits de glace et qu'ils eurent contact avec de la braise, de l'eau dégoulina de ses ongles en glissant sur mes joues et mon menton. Je la faisais littéralement fondre. 

Elle astreint mon visage à s'incliner, à la recherche d'une oreille pointu. Elle appuya sur ma mâchoire et je l'ouvris. Ses yeux cherchaient des traces de crocs. Elle se pencha et regarda au plus profond de mes yeux, cette fois, à la recherche de quelque chose qui m'était innomé.

— Ni un Elfiah, ni un Okto, ni un Mist, et encore moins un Tuzak... Cet être est un enfant des Limbes, je ne vois rien d'autre qui pourrai expliquer son étrangeté.

Un enfant des Limbes.

Alors j'étais si anormal qu'on me pensait venir d'un endroit habité par les Déserteurs ?

Son étrangeté.

Comment ce monde pouvait-il m'appartenir, alors que rien ne me ressemblait et qu'aucune espèce ne reconnaissait mes liens qui m'unissaient à ces terres ?

Probablement parce que rien de toute cette histoire n'était vrai.

Un roi...

Un roi qui se trouvait à genou et qui avait peur de lui-même. Peut-être que les peuples avaient raison de me tenir à l'écart. Autant qu'ils faisaient bien de ne pas voir cette trace infame et régalien dans mes yeux.

— Mais la vraie question est, comment a-t-il fait pour traverser le mur, aucun être ne peut sortir des Limbes. C'est impossible. 

J'allais répondre. Je voulais lui dire qu'elle se trompait, la voir se perdre dans ses propres hypothèses en lui révélant que je n'avais jamais mis un seul pied dans les Limbes, sauf qu'une porte s'ouvrit brusquement, assez pour réussir à la retirer de ses gonds.

Je fus incapable de voir qui venait d'entrer comme un bourreau, en revanche, je perçu à merveille ses bottes s'abattirent lourdement sur le sol grinçant de la taverne.

Les cornes sur les murs et les palettes décoratives tremblaient à chaque pas. Mes yeux cherchèrent à se tourner à leur maximum, pour ne pas tirer sur les muscles de mon cou. Je vis enfin les bottes qui créaient tout ce vacarme et pourtant, ce ne fut pas ce détail qui attisa ma curiosité, mais plutôt cette lourde chose qui pendait et glissait contre le sol. La peau en cuir de la bête saignait contre la fourrure de celui qui revenait de sa chasse.

Ce n'était pas un cerf, ni un sanglier, mais un Aakrius.  

La bête avait été découpé en deux, ne lui restant que sa tête, ses pattes avant et son torse. Tout le reste avait disparu.
Anezka se mis à geindre à la vue de la bête qui nous avait amené dans ces montagnes. Un sanglot lui échappa, puis elle hurla :

— Espèce de vaurien ! Tu mérites la pire des punitions pour ce crime !

Le type largua la demie-bête sur une table, qui failli succomber face au poids des cornes. Il se redressa avec difficulté, sans aucun doute accablé par une douleur au dos. Il fit rouler ses épaules puis craqua sa nuque, d'un côté, puis de l'autre.

— Les Aakrius sont sacrés, rugit la voix d'Anezka, décidément bien remontée. Vous ne pouvez pas les tuer sans recevoir aucun châtiment ! Et je rapporterai cet horrible crime aux oreilles de Vidaar !

Personne ne semblait se préoccuper de la menace émise par l'Elfiah, pas même le chasseur qui fit glisser sa fourrure imbibée de sang de ses épaules pour la balancer derrière le comptoir. Il retira de même le lacet de sa veste en peau d'animal qui reçut le même traitement que sa fourrure. Son dos nous était totalement dévoilé.

Je ne comptais pas les nombres de cicatrice, ni même le nombre de tatouage tribal présente sur ses épaules et sa colonne vertébrale.

Il était balèze, si bien qu'il avait réussir à fermer le claper d'Anezka.

Puis, il se détourna enfin pour nous faire face. Le devant de son corps était identique. Les mêmes cicatrices. Les mêmes tatouages. Les mêmes muscles. Ça ne m'étonnait pas qu'il ait réussi à porter à lui seul le poids de la tête d'un Aakrius.

Mes sourcils se froncèrent lorsque je reconnus ce tissu épais qui camouflait la moitié de son visage, ainsi que ce chapeau ressemblant de près à une Chapka, et surtout, ces yeux polaires.

C'était lui qui m'avait assommé dans la forêt.

Enfoiré...

— Sale monstre, cracha Anezka qui eut soudainement retrouvé sa voix.
Pour une fois que cette insulte ne m'était pas ciblé, je pouvais que me montrer enjoué !

Le chasseur s'approcha d'elle, très loin de la craindre elle et ses mots. Il ne prit même pas la peine de se pencher ou même de la regarder, il semblait chercher autre chose.

— Nous devons nous nourrir, alors merci pour ce présent, dit-il en attrapant finalement un tissu qui devait leur servir de torchon.

Il essuya les tâches rouges qui coloraient son cou ainsi que ses mains. Il n'y était pas allé de main morte. Je réussis presque à me voir moi, descendre du ring du Golden Night en attrapant une serviette afin d'effacer toute trace de ma violence.

Le chasseur balança le torchon sur son épaule, geste suivit de près par cette femme faites de glace et de neige.

— Essui le aussi, tu sais très bien que je ne supporte pas le sang, Korr, ajouta la couronné, en me désignant moi.

Le regard que lui jeta ce dénommé Korr aurait pu glacer le sang de n'importe qui, mais vu que le sien devait probablement déjà l'être, et bien elle ne flancha pas et ne baissa pas les yeux.

Le chasseur retira son torchon sale de son épaule et me le jeta en pleine figure.

— Qu'il le fasse tout seul.

Le torchon contenait une forte odeur cadavérique, et je savais de quoi je parlais. Il glissa de ma fête et s'étala au sol.

J'ai trouvé la prochaine gorge à trancher, je crois bien...

Cet abruti parti s'assoir lourdement sur l'un des bancs après s'être servie d'un gobelet en bois et d'une bouteille poussiéreuse. Il arracha le capuchon à l'aide de ses dents uniquement puis le souffla par terre. Je n'avais pas eu le temps de voir son visage qu'il remonta le tissu sur son nez.
 
L'ours blanc le détaillai presque avec dégoût, avant d'hausser ses sourcils et de regagner son attention vers nous.

— Que faites-vous ici ?

Anezka ne perdit pas de temps pour s'exprimer :

— J'ai un message de la part du Gardien des forêts, pour Eira, Gardienne des montagnes.

L'ours blanc redressa son menton, puis, son visage si figé dans le temps doté d'une unique émotion prit soudainement forme. L'intrigue froissa ses yeux ainsi que les commissures de ses lèvres.

— Je t'écoute.

Alors c'était elle, la Gardienne des montagnes ?

Hoak. Vidaar. Eira.

Quatre royaumes. Il manquait encore une ou un Gardien.

Notre esprit est confié aux Mist, ainsi que nos dons.

Anezka m'avait parlé d'un royaume où allait les âmes une fois que le corps mourrait. Eira avait elle aussi affermi que je n'appartenais pas aux « Mist ». C'était lui, le quatrième royaume.

— J'ai besoin de votre témoignage contre Hoak, renchérit l'Elfiah une fois l'identité de cette femme confirmée. Il a attaqué mon peuple et cherche à renverser l'ordre naturelle d'Oxstrea. Je veux l'arrêter avant qu'il ne soit trop tard, et pour cela, il me faut votre accord pour parler avec Silion Orka.

Silion Orka.

Cette même femme qui a révélé mon existence à Hoak ? C'est de sa faute si je me trouvais ici, et de sa faute si le peuple d'Anezka s'est fait anéantir ! Pourquoi vouloir lui parler ? Elle allait droit dans la gueule du loup ! 

— Que peut-elle vous offrir ? demanda Eira qui avait désormais l'appétit bien ouvert.

— Je l'ignore, mais Vidaar m'a confié qu'elle peut nous être utile pour faire tomber le Gardien des mers.

Oui, et puis quoi encore ! Silion Orka qui aide Hoak dans sa soif aveuglante d'obtenir du pouvoir, veut finalement devenir la grande Gardienne des sardines pour avoir la chance de se transformer en petite sirène ?

Ça n'avait aucun putain de sens...

— Il te faudra te rendre au Cœur d'Oxstrea, et le dénoncer à la Reine, en es-tu consciente ?

— Oui, pleinement consciente, affirma Anezka sans aucune once d'hésitation. C'est pour cela que j'ai besoin de votre aide. La Reine n'acceptera pas de me voir si je n'ai aucune preuve à lui donner.

Eira l'analysa, puis décréta : 

— Et qu'est-ce que j'y gagne, moi ?

Le visage d'Anezka se froissa. Elle tentait de bouger son bras. Ses doigts uniquement se mirent à mouvoir, mais l'effort n'allait pas plus haut que son poignet. Visiblement agacée et fatiguée de son effort, elle leva ses yeux verts vers Eira.

— C'est dans mon corset.

L'ours blanc s'impatienta.

— Korr, hurla-t-elle soudainement, pour lui faire comprendre d'aller lui-même chercher son dû.

Le chasseur se leva sans démontrer aucune peine ou agacement. Il atteignit le corset d'Anezka en moins de trois pas et chercha déjà une entré pour y passer sa main, mais Clochette l'arrêta avant même qu'il ose toucher à sa peau. 

— Non, pas de ce côté, Vrenkal.

Korr éloigna ses doigts de sa poitrine et les passa à l'instar au bas du corset, au niveau de sa taille. Il fouilla quelque seconde, qui me parurent des heures, enfin assez pour que je finisse par détourner les yeux et sentir mes dents se froisser entre elles.

Que l'image de ce type dévêtu passant ses mains sous le corset du papillon qui a hanté toutes mes nuits ne finissent pas par devenir une nouvelle source d'insomnie, je vous en conjure !

Du coin de l'œil, je vis le chasseur tendre d'une main un petit sachet en coton. Eira le prit, l'ouvrit, puis déversa son contenu dans sa main bleutée. Ses yeux s'agrandirent à la vue de ce caillou de la couleur de l'or.

— Un Tihumm, marmonna-t-elle. Un cristal rare que l'on trouve uniquement au cœur des arbres mères de vos forêts. Je vois que Vidaar tient à ta survie.

Elle observa longtemps la pierre, avant de prendre la fiole qui pendait à sa hanche, attaché à une corde. Le Tihumm allait rejoindre le reste de ses nombreux cristaux plus brillant les uns que les autres. 

— Détachez les, ordonna Eira en nous tournant le dos.

Les deux costauds qui depuis nous avoir amené ici étaient resté aussi sage qu'un mur de glace se mirent en action et détachèrent les cordes de nos poignets.

— J'autorise une seule et unique personne à s'entretenir avec Silion. L'Elfiah n'est pas en mesure de bouger, et vous les Okto, la pire erreur est de vous faire confiance. Alors l'étranger ira, seul. Toi, désigna Eira l'homme à qui j'avais presque déboité la mâchoire, conduis-le en haut de la colline.

Elle ne daigna pas me jeter un seul regard qu'elle partit rejoindre Korr, qui prit son bras et l'accompagna dehors.

On me poussa en avant, me grogna de me relever. J'ignorai la douleur encore présente à l'arrière de ma tête et le leva.

— Morten, attends !

Mes yeux s'abaissèrent vers le visage craintif d'Anezka. Elle me suppliait du regard, ses iris me laissait voir toute sa peine et sa désolation.

— S'il te plaît, ne fait pas tout foirer.
Je pris un instant pour la contempler. Je hochai de la tête et me maudit aussitôt.

Le prix que j'allais payer pour lui mentir et l'utiliser allait me causer un dégoût de moi-même bien pire que celui que je côtoyais déjà.

On me fit quitter la taverne et le froid mordant rongea chaque cellule de mon corps.

Ce n'est qu'un avant-goût de ton châtiment, Morten. Le pire arrivera.

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