Chapitre 2
Aïko_nsr
───※ ·❆CHAPITRE 2❆· ※───
A N E Z K A
C'était si bon, tellement bon que je riais à en avoir mal au ventre. Je courais plus rapidement qu'elle, et elle n'aimait pas ça. Elle n'aimait jamais l'idée que je puisse être meilleure qu'elle, que ce soit aux arts d'apprivoiser le vent et la végétation, que dans l'endurance ou mes capacités culinaires. Elle avait horreur de me voir grandir et d'être capable de devenir un jour l'une des meilleures Gaerilah.
Les Gaerilah étaient les soldats de notre peuple, le peuple de la forêt, également appelé les Elfiah.
C'était le rêve de Thenaë depuis qu'elle était avait appris à tenir un arc dans sa main. Thenaë était la plus âgée de mes frères et sœurs, elle était douée dans tous les domaines : elle savait manier les cerfs d'un Aakrius à la perfection, elle connaissait la forêt dans ses moindres détails et pouvait s'y repérer les yeux fermés. Elle connaissait les métabolismes de chaque insecte que l'on côtoyait, sachant lesquels étaient scabreux mais inoffensifs pour notre cœur, et lesquels pouvaient épicer nos plats. Elle savait faire d'une brindille une épée si aiguisée qu'elle pouvait trancher un os aussi solide qu'un diamant. Thenaë ne cessait de se lever à l'aube pour rejoindre les entraînements des apprentis Gaerilah, et rentrait uniquement lorsque l'odeur de la soupe divaguait entre les arbres.
Elle était bien plus âgée que moi, et pourtant, mes capacités ne cessaient de pousser les siennes à se questionner sur ses véritables talents.
Moi, je m'entraînais seule. En journée, je me cachais derrière les Cape Milkmaid violette lorsqu'elles étaient assez fleuries, et j'imitais chaque mouvement des apprentis Gaerilah. J'apprenais à créer un arc avec des branches imaginaires, et je m'amusais à les suivre lorsqu'ils partaient en expédition, sautant d'arbre en arbre, jusqu'à atteindre le lac d'Hojvik. Ce lac était l'unique moyen de rejoindre les différents royaumes existants à Oxstrea.
En tout, il y en avait quatre, et chacun d'eux apportait une balance parfaitement équitable en ce qui concernait les pouvoirs d'Oxstrea :
Le peuple de la montagne, les Tuzak, qui vivaient sur des sommets que seul eux étaient apte à gravir.
Le peuple de la mer, les Okto, qui résidaient sous nos pieds, partout où il y avait de l'eau ainsi que de quoi se mettre sous la dent.
Le peuple des esprits, les Myst, ou allaient les défunts d'Oxstrea, pour y vivre une nouvelle fois, mais éloignés de tout.
Puis le peuple de la forêt, les Elfiah, nous qui vivions dans la nature la plus sauvage, perchés en haut des arbres.
Oxstrea était basé sur des règles bien strictes. Chacun avait son royaume, chacun appartenait à un clan. Autrement dit, si l'un d'entre nous s'enfuyait de la forêt pour rejoindre les mers, nous n'aurions pas d'autre choix que de le déclarer comme étant un traître. Chaque royaume était soumis à la couronne, mais on ne mélangeait pas. C'était la seule règle, et cela ne risquait pas de changer demain.
Seul le lac nous permettait de passer d'un royaume à un autre, du moins, c'était le moyen le plus sûr. Essayer de parcourir les Limbes nous exposait au danger des Déserteurs, ces créatures démoniaques qui n'appartenaient à aucun royaume, qui étaient uniquement assoiffées de sang et de chair, mais qui ne pouvaient pas sortir des Limbes. Les Limbes étaient ce qui nous séparait d'un peuple à un autre, ces vastes plaines vides de population, dont le sol était, selon les dires, d'un rouge si âcre qu'il était impossible de discerner si cela venait de la couleur du sang, ou seulement du reflet d'une lune rouge. Les créatures des Limbes étaient les plus dangereuses. Les Déserteurs, autrement dit, ceux qui n'appartenaient pas à la couronne d'Oxstrea.
Nous ne pouvions donc pas dépasser le lac d'Hojvik, et si nous voulions l'emprunter, un guide était formellement conseillé. Rare étaient ceux qui savaient ou menait ce lac une fois le royaume des esprits passé.
Moi, je n'avais jamais quitté la forêt, je n'avais jamais mis un pied hors de mon royaume, mais lorsque que je deviendrais une Gaerilah, j'allais enfin pouvoir m'extraire de ces arbres qui m'avaient toujours protégée. J'aimais mon peuple, mais j'étais aussi assoiffée de curiosité.
— Anezka ! Attends-moi ! Je cours pas aussi vite que toi !
Dans mon dos, Enok ne cessait de crier en courant à vive allure, ses petites jambes ne lui suffiraient jamais pour nous rattraper ma sœur et moi. En temps normal, je ne laissais jamais Enok derrière, je marchais à ses côtés en lui apprenant à faire pousser des fleurs blanches et à leur faire changer de couleur, en lui contant des histoires de dragons à quatre ailes, qui au tombé de la nuit, survolaient nos forêts pour s'assurer qu'aucun intrus ne s'était introduit chez nous. Cette histoire, on me l'avait racontée lorsque j'étais moi-même enfant, on nous disait qu'il existait des dragons à Oxstrea, et qu'ils sortaient uniquement lorsque le peuple dormait pour veiller sur nous. Je n'en avais jamais vu un, malgré les nombreuses nuits que j'avais passées percher en haut d'un arbre, pas un seul dragon n'avait fouetté l'air d'un ciel obscur.
Devant moi, Thenaë ne cessait de jeter des coups d'œil par-dessus son épaule. Elle courait et s'aidait des troncs d'arbres pour bifurquer d'un sens à l'autre, sautant sur l'un pour atterrir sur l'autre. Elle devait entendre mon ricanement s'approcher dangereusement d'elle, car elle accéléra puis poussa soudainement sur ses jambes. Ses mains s'accrochèrent à une branche, elle leva ses hanches avec souplesse, puis je la vis piétiner ainsi sur les bois, aussi légère qu'une plume. Thenaë n'avait aucune difficulté avec son équilibre, et devait probablement penser que moi, je n'allais pas réussir de telles figures. Et pourtant, je suivis son parcours avec facilité, jusqu'à me jeter sur elle de tout mon poids.
Je m'esclaffai tandis que ma sœur perdit le contrôle de son corps et tomba de sa branche. Mes bras s'accrochèrent à son torse aussi solidement que possible durant notre chute. Nos deux corps percutèrent de nombreuses branches et des nids d'oiseaux aux queues de lézards. Le choc contre le sol fut assez violent, je retins ma respiration, puis pouffa de rire sans relâche.
— Anezka ! On aurait pu se briser le dos à cause de toi ! Ne refais plus jamais ça ! rouspéta Thenaë en frottant ses mains contre ses vêtements de couleurs verdelets.
— Tu dis ça uniquement car j'ai réussi à te rattraper, avoue-le.
Thenaë leva ses yeux verts en l'air, qui reflétèrent son agacement, puis tiqua sa langue contre son palais. La tige qui avait servi à maintenir ses cheveux bruns avait cédé, laissant cette longueur dévaler ses épaules dénudées de manière sauvage.
— On ne faisait pas la course, je voulais juste prendre de l'avance pour éviter d'entendre les pleurs d'Enok.
Alors celle-ci, c'était la meilleure !
— Mais qu'est-ce que tu es mauvaise perdante, riais-je en me levant à mon tour.
— Je ne suis pas mauvaise perdante, Anezka. Si tu veux faire une vraie course contre moi, alors on le fera dans le chemin des Elyss.
Un large sourire fendit mes joues.
Le chemin des Elyss.
C'était un parcours qu'aimait emprunter les Gaerilah durant leurs sessions d'entraînements, car il comportait un grand nombre de danger. Il y avait là-bas des rochers impossibles à explorer, sans arbre, mais simplement des chutes d'eaux et tout particulièrement des Aakrius, ces bêtes féroces qui se nourrissaient uniquement de poissons. Nous n'étions pas seul dans ces forêts, mais les Aakrius étaient les uniques être vivants avec qui nous n'arrivions pas à cohabiter. Les Gaerilah s'y aventuraient afin de pouvoir capturer un Aakrius et posséder ses cornes. De longs bois biscornus dotés d'un pouvoir particulier. Celui qui possédait les cornes d'un Aakrius détenait les yeux et les oreilles d'Oxstrea, parfois il s'agissait d'un simple souvenir, et parfois, il s'agissait du futur. Thenaë avait déjà eu de nombreuse opportunité d'en capturer, mais elle n'avait entendu que la brise du vent sur les océans et le froid des montagnes.
Finalement, je levai ma main devant son torse et pencha légèrement mon visage sur le côté.
— Va pour le chemin des Elyss.
Thenaë déposa sa main dans la mienne. Je lui offris un large sourire, qu'elle ne me rendit pas. Au lieu de ça, elle retira sa main de la mienne en grimaçant.
— Que la meilleure gagne, ajouta-t-elle fièrement.
Au moment où je voulais m'écarter de Thenaë, quelque chose de dur et de pointu frappa le derrière de mon crâne. Je maugréai de douleur en levant la tête. Au-dessus, les feuilles des arbres bougeaient et les branches craquaient, si bien qu'elles se cassèrent pour nous tomber dessus.
— Zemya ! Descends de là immédiatement, je sais que c'est toi !
Elle était très loin d'être discrète, elle et ses lourds pas qu'on ne pouvait pas rater. Aucune réponse ne résonna après ma phrase, alors je décidais d'attraper le caillou qu'elle m'avait jeté dessus. Je patientai quelque seconde, à visualiser l'air battre contre les feuillages, et ceux qui ne bougeaient pas sous l'effet d'un corps qui pourrait y faire barrière, puis je jetai la pierre en retours.
— Aïe !
Je n'avais même pas eu le temps de crier victoire qu'on attrapa mes jambes et les ligota. Enok était drôlement rapide, ils avaient réussi à diriger mon attention autre part pour qu'il puisse passer à l'action.
— J't'ai eu ! s'enjoua mon petit frère en sautillant dans tous les sens.
Zemya venait de descendre de son arbre et tapa l'épaule de Thenaë, partageant un sentiment commun qui ne dévirer aucunement de l'irritation. Ils étaient tous les trois face à moi, à rire sans retenu.
— Aller c'est bon, détachez-moi maintenant, dis-je en essayant de défaire le nœud d'Enok.
— Seulement si tu me porte sur ton dos jusqu'à la cabane ! grogna mon frère en croisant ses bras sur son petit torse vêtu d'un gilet sans manche au tissu léger, assorti à son pantalon ample légèrement trop grand pour lui.
— Enok... Tu n'es plus un bébé, ébruitais-je en tirant contre la ficelle de toute mes forces.
— Traduction, tu es trop lourd Enok ! surjouait Zemya en imitant ma voix.
Sans plus attendre, j'enfouis ma main dans mon corset, au niveau du haut de ma robe, pour y sortir mon couteau qui n'était rien d'autre qu'une dent des créatures des mers. Je coupai les liens et me relevai, sous les regards ébahis de mes sœurs et de mon frère.
— Zemya, la prochaine fois que tu veux me surprendre en haut d'un arbre, évite de marcher sur des branches mortes. Et Enok, évite d'utiliser des ficelles faites en paille, c'est bien trop facile à couper.
Ils opinaient du chef en se mordant les lèvres, tandis que Thenaë se curait les ongles en gonflant ses joues. Elle n'aimait pas que je joue son rôle, celle de la grande sœur protectrice donnant mille et un conseil. Je me devais bien de le faire, car Thenaë était assez personnelle et solitaire.
Elle soupira puis lança d'un ton fastidieux :
— Bon, on va les chercher ces champignons rouges, ou on attend que le prince Nakarin vienne les cueillir pour nous ?
Sincèrement, je n'aurais pas dit non à voir le voir le Prince d'Oxstrea à genoux dans la terre, les mains tapotant le sol pour trouver nos fameux champignons rouges. Lui qui n'était jamais sorti de son royaume pour venir cueillir des fleurs ou même voir la lumière du jour. Les membres de la famille royal ne quittaient jamais leur palais, car le cœur d'Oxstrea, comme nous le nommions, était un village d'une richesse bien exaltante. Nakarin Ox était notre futur Roi. Si l'âme de notre monde l'avait choisi lui, c'était bien pour une raison. Il était l'Elu.
Et qui sait, peut-être que nous allions pouvoir avoir la chance d'assister à son couronnement.
Thenaë nous emboita le pas et je restai cette fois ci à côté de mon petit frère. Nos pieds nus frottèrent le sol. Mes mains glissèrent contre les fleurs tombantes, celles qui ressemblaient à des chutes d'eau et qui avaient un parfum vraiment particulier, ressemblant presque à de la lavande. Sur le chemin, nous ramassions nos champignons rouges en prenant soin de ne pas arracher leurs tiges, c'était l'ingrédient le plus important. Je regardai Enok s'accroupir devant un insecte aux ailes transparentes et aux pattes pendantes. Les oreilles pointues de mon frère vibrèrent lorsque la libellule blanche se posa sur sa paume de main. L'insecte déposa sur sa peau une tendre caresse, qui ressemblait davantage à une révérence.
À Oxstrea, nous avions tous notre petit don, parfois très similaire. Maman pouvait soigner un corps malade grâce à ses mains. Thenaë pouvait contrôler le vent comme personne ne savait le faire, et voler dans les airs lorsque ça lui chantait. Zemya pouvait faire pousser n'importe quelle plante en posant sa main contre de la terre fertile, et Enok avait un lien très fort avec les insectes et les animaux. J'aimais observer la nature vivante en sa présence, voir ces bêtes sauvages s'approcher de lui et se prosterner avec grâce. Enok n'était qu'âgé de six ans, et il était déjà l'Elfiah le plus respecter de la forêt.
Moi, j'avais récupéré le don de mon père. Un don qui selon moi, n'allait m'aider en rien. Nous avions la capacité de pouvoir mettre en lien un monde à un autre, grâce à une brèche commune entre deux natures similaires. Mon père m'a formellement interdit d'utiliser mon don car cela était « dangereux » autant pour nous que pour « les humains ». Je n'avais aucune idée de ce qu'était un humain, mais selon ses dires, notre nature et la leur était liée par une certaine magie, que nous étions en capacité de pouvoir atteindre lui et moi, et créer un portail.
Mon don était tristement inutile.
La libellule se mit à battre des ailes et flotta autour de la tête d'Enok, ses cheveux d'un rouge flamboyant volèrent au rythme des courants d'airs crées par l'insecte, et s'arrêta au moment où elle s'en alla. Les yeux verts d'Enok brillèrent d'une joie enfantine qui réchauffa mon cœur.
Après plusieurs minutes de récolte, Thenaë se faufila derrière moi aussi discrètement qu'un esprit.
— Alors, avec Ze'ev ?
Je levai les yeux vers elle tout en enroulant les champignons rouges dans un tissu fait main.
— Comment ça, avec Ze'ev ?
Ma sœur soupira d'agacement.
— Ne fait pas l'innocente Anezka, je vous ai vu parler la dernière fois, et il avait les oreilles bien dressées quand il te regardait.
Je fronçai mes sourcils puis grimaçai.
— Nous avons juste parlé Thenaë, et ses oreilles étaient bien plates, rectifiais-je sans trop vouloir paraitre protective.
— Oui bien sûr, aussi plates que les cornes d'un Aakrius.
Elle me tapota l'épaule et ricana. Pourquoi me faisait-elle part de cette remarque ? Ze'ev et moi étions amis depuis notre enfance, qu'est-ce qu'elle y voyait de mal à ça ?
Ze'ev était un garçon du village, il travaillait dans la récolte de bois et passait souvent du temps à la maison, puisque ma mère et lui avaient un don commun. Elle lui apprenait à le développer, et à devenir comme elle, un médecin du village. Je m'entendais bien avec lui, il était gentil et très attentionné. Il nous rapportait souvent de quoi manger pour remercier maman, et restait dîner le soir avant de repartir.
Une fois notre récolte faite, nous décidions de rejoindre notre village sans plus tarder. En montant l'échelle faite de liane, je remarquai les arbres qui commençaient à briller. La nuit tombait, et lorsque c'était le cas, des milliers de lucioles blanches, bleues, jaunes et vertes se posèrent sur nos troncs et illuminaient ainsi notre village. Les villages Elfiah étaient pour la plupart perchés dans les canopées des arbres, ou nous construisions nos propres cabanes et nos ponts pour rejoindre nos voisins. Ainsi, nous évitions le danger qui trainait parfois à même le sol, qui pouvait n'être qu'une pluie torrentielle, ou bien des prédateurs qui ne savaient pas grimper aux arbres.
Une fois arrivée en haut, une vague de chaleur et des effluves plus distrayantes les unes que les autres me prirent d'assaut. Les villageois Elfiah était des êtres si animés, il était rare de voir notre peuple sombrer dans la dépression ou autre forme de tristesse. La forêt renfermait ses joies, et nous les partagions ensemble, sans jamais les gaspiller.
— Lylbiah, me salua une femme qui portait dans ses bras un enfant.
— Lylbiah ko, la saluais-je en retour, posant ma main contre ma paume et effectuant un unique frottement.
Les Elfiah avait leur propre langue, tout comme les Myst avaient la leur. De siècle en siècle, il devenait rare que l'on communique dans le langage de notre peuple, mais dans notre village, on aimait faire perdurer les traditions, dont notre langue mère.
— Enok, arrête de courir ! s'égosilla Thenaë tandis que notre frère se frayait un chemin sur les lianes qui nous servaient de pont.
Voyant la colère qui commençait à faire bouillir les membres de ma sœur, je lançai un clin d'œil à Zemya, puis lança tout bonnement :
— Le dernier arrivé à la cabane devra décortiquer tous les champignons !
Zemya se faufila entre nous pour prendre de l'avance, mais peine perdue, il m'avait suffi de quelque seconde pour la rattraper.
— Anezka ! hurla ma sœur dans mon dos.
Laquelle d'entre elle m'avait appelé ? Ça, je n'en avais aucune idée.
Et c'était repartie pour une nouvelle course poursuite au beau milieu du village. Sur le chemin, on nous salua en nous demandant de faire attention. Je ne prêtais pas attention à ce chariot de nourriture et sauta par-dessus. Je riais lorsque Enok s'était pris les pieds dans la robe d'une femme et qui avait causé sa chute. En tête de la course, rien ne pouvait me ralentir. Je continuais d'accélérer en esquivant chaque personne qui me barrait le chemin. Je traversais des coins de restauration, ou des Elfiah s'y était installé pour se nourrir.
— Lylbiah Anezka ! chantonna Jyok, ce vieux monsieur à la longue barbe décoré d'écorce de chêne et qui s'occupait de servir les plats.
— Oh ! Lylbiah ko ! répondis-je en le saluant.
Je ne devais surtout pas ralentir.
Une panoplie de papillon de nuit virevoltèrent tout autour de moi lorsque j'avais emprunté le raccourci, celui du tronc creux. Ma couronne de fleur fut emportée par l'un des volatiles, je sautillai pour la récupérer mais c'était trop tard. Il ne me restait plus qu'à m'en fabriquer une nouvelle.
J'étais désormais si proche de la cabane. Les couleurs fluorescentes de la nature m'aidèrent à retrouver mon chemin, et enfin, je reconnu cette maisonnette rectangulaire. Je piétinai les derniers mètres en bousculant au passage une épaule.
— Anezka fait a--
— Désolé papa !
Je ne pris pas le temps de me retourner et flanqua mes mains dans la porte pour l'ouvrir. Je jetai mon torchon de champignon sur la table en bois et leva les bras en l'air.
— J'ai gagné ! m'exclamai-je au moment où Thenaë entra à son tour dans la cabane, aussi essoufflée qu'un jour de combat.
Ma petite sœur Zemya et mon frère Enok la suivirent de près, le visage luisant de transpiration. Maman sortait de sa chambre, les mains enfoncées dans ses hanches et le dos légèrement penché vers l'arrière sous le poids de son ventre rondelet.
— Je vous ai demandé de rentrer avant la tombée de la nuit, qu'est-ce qui vous a pris autant de temps ?
Nous restions tous les quatre silencieux, à nous jeter des regards timides et à la fois rageur.
— Anezka nous a retardé, osa dire Thenaë, le menton bien haut.
J'ouvris la bouche pour parler mais rien ne sortait. De quoi m'accusait-elle, au juste ?
— Anezka, occupe-toi des champignons, ordonna notre mère en posant sa main contre son ventre.
— Mais, maman !
— Ne traine pas, ton père devient très irritable lorsqu'il a faim, ajouta-t-elle alors que papa venait de rentrer dans la cabane.
Il imita le son d'un ogre enragé, posant tout son poids dans ses pieds à chaque pas qu'il faisait.
— Je meurs de faim, rugissait-il en attrapant Enok et en le soulevant du sol.
Mon petit frère ria aux éclats. Avec ses petits pieds, il tenta de se débattre, sans jamais réussir à s'échapper des bras de mon père.
— J'ai bien envie de dévorer un petit garçon !
Il plongea sa tête dans le cou de mon frère et mima le bruit d'un... J'ignorais quel était ce bruit, mais nous rions tous de bon cœur.
— Darios, laisse ton fils respirer, s'agaça maman.
Mon père laissa son fils s'enfuir et s'approcha de sa femme.
— Qui a osé me couper pendant mon festin ?
Maman leva les yeux au plafond en se mordillant les lèvres pour ne pas rigoler face au nouveau personnage ridicule qu'il avait inventé.
— Est-ce vous ?
Papa attrapa maman par le bras et passa le siens derrière son dos en faisant attention à son ventre.
— Madame Rivee, je vous écoute, ébruita-t-il après avoir passé ses mains dans les cheveux roux de maman.
— Continu de jouer au mauvais prince et tu mangeras tout seul dehors, Darios.
Papa embrassa vivement maman sur la bouche et leva les mains en l'air en soulignant son innocence avant de repartir à ses occupations. Avant qu'elle ne me demande une seconde fois de m'occuper des champignons, j'attrapai mon torchon ainsi que le reste de notre récolte et alla sur le toit de la cabane.
D'ici, je pouvais parfaitement bien visualiser le village, qui était tout simplement la plus belle chose que l'on pouvait offrir à des yeux. Toutes ses maisons taillées dans les arbres, ses fleurs géantes poussants du sol et qui émettaient une lueur presque mauve. Tous ces petits être dotés d'ails et de jambes. Nos chemins illuminés par ces lucioles de couleurs différentes, et les Elfiah qui s'y peignaient si naturellement, nous et nos oreilles pointues, nos yeux très clairs, nos tâches de naissance sur nos corps qui dessinait l'art de la nature, et nos vêtements crée à partir de ce qui nous entourait. Nous étions des créatures de la nature, vivant dans un monde presque utopique.
Nous vivions en harmonie avec elle, considérant nos rivières et nos forêts comme des éléments sacrés. Et en ce qui concernait notre commerce, tout tournait autour des ressources naturelles, tels que les herbes magiques, les gemmes étincelantes et les bois rares. Nous étions des artisans experts, créant des bijoux qui renfermaient de puissantes énergies, que l'on revendait aux autres peuples Elfiah, ceux qui était caché sous des chutes d'eau, ou même ceux qui vivait sous les terres.
Nos sociétés était faites de manière équilibrée, favorisant la coopération et la prise de décision collective. Il existait un conseil des Sages, composé des différents représentant de nos peuples Elfiah, dont papa en faisait d'ailleurs parti.
— Anezka ?
Une voix me sortit de mes rêveries, je levai la tête et remarqua un jeune homme descendre d'un arbre.
— Lylbiah, Ze'ev, dis-je en posant mes deux paumes de mains l'une contre l'autre.
Ze'ev fit de même lorsqu'il me salua. Il s'approcha de moi et s'installa à mes côtés. Ses cheveux blonds comme de l'or et bouclés formaient une sorte de boule sur sa tête. Ses yeux bleus et jaunes me fixèrent tendrement.
— Je peux t'aider, me demanda Ze'ev en remarquant ce que j'avais à mes pieds nus.
Je n'avais pas encore commencé à m'occuper des champignons, j'avais été trop distraite par les passants qui sautillaient de pont en pont. Ce fut avec plaisir qu'il m'aida tout en discutant de chose insignifiante.
— Mais si tu deviens une Gaerilah, on ne se verra presque plus.
Ze'ev semblait vraiment affecté par mon choix d'avenir, il ne voulait pas que je devienne une grande guerrière, il avait peur pour moi. J'analysai son visage rond, ses tâches de rousseurs bien visibles, et ses lèvres charnues. Pourquoi il s'inquiétait autant pour moi ?
— Je ne partirais pas pour toujours, Ze'ev, uniquement lorsqu'on aura besoin des Gaerilah pour protéger nos forêts.
— Je n'aime pas cette idée, déclara le garçon aux cheveux blonds.
Ses oreilles s'abaissèrent lorsqu'il plissa ses yeux de colère.
— Pourquoi tu es comme ça avec moi, Ze'ev ?
Il écarquilla ses yeux en échappant à mon regard. Nous avions terminé de décortiquer les champignons, et son silence me rendait perplexe. S'il ne comptait pas me répondre, alors nous avions terminé de discuter. Je me levai rapidement, sauf qu'une main saisissait mon poignet.
— Je dois te dire quelque chose, Anezka...
Il paraissait effrayé de me parler et de me partager le fond de sa pensée. Nous étions ami depuis tant d'année, je le connaissais si bien, et pourtant, plus le temps passait, moins j'arrivais à percer la vérité dans ses yeux azurs.
Ze'ev hésita un instant, puis il retint sa respiration et s'approcha de moi. Tout ce que je voyais était ses paupières qui se fermèrent et sa bouche prête à m'offrir mille faveurs, ainsi qu'une brulure si amère et cruelle que je fus obligée de bondir sur mes pieds.
Au loin, un feu consumait nos bois, et une panique générale venait de pousser tout le monde à courir dans tous les sens. Je ne comprenais pas ce qu'il était en train de se passer, et pourtant, nos ponts s'effondraient les uns après les autres, certain Elfiah tombèrent dans le vide jusqu'à s'écraser au sol, ne leur laissant aucune chance de survie. Toutes nos lucioles avaient quitté nos troncs, tout du moins, elles s'étaient éteintes, et probablement pour toujours. Un vent salé venait de se lever contre les feuilles, faisait mouvoir mes cheveux longs contre mon visage, semblable à la couleur de ce feu qui ne cessait de gagner du terrain.
— Nom d'un Elfiah sans oreille, qu'est-ce qu'il se passe... souffla Ze'ev dont les larmes perlaient sur ses joues roses.
C'était un cauchemar. D'un seul coup, comme un crie provoqué par les entrailles de la nature même, j'hurlai en tombant sur mes genoux. J'hurlai à m'en déchirer les cordes vocales. J'hurlai si fort, jusqu'au moment où je vis une silhouette traverser la fumée noire, quelque chose qui ne ressemblait pas à une créature de la forêt. Elle avait la peau bleue et brillante, une queue longue et tranchante, et des dents affinées.
Je devins aphone, comme si on venait de me trancher soudainement la gorge.
Okto était ici. Le peuple de la mer avait quitté leurs navires et leurs algues et avait gravi nos arbres. Hoak, le gardien des eaux, avait une hache dans ses mains, et un sourire lugubre contre ses babines. J'affinai mon ouï afin d'entendre l'ordre qu'il venait de donner à ses hommes.
— Trouvez-moi le dénommé Darios Rivee, et tuez-moi tout le reste.
Un mauvais frisson traversa tout mon corps, et l'unique action que je trouvais à faire en réponse fu de sortir ma dague coincée entre ma robe et mon corset de branche.
S'il voulait mon père, il allait d'abord devoir faire affaire à moi.
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