Chapitre 19
Aïko_nsr
───※ ·❆CHAPITRE 19❆· ※───
M O R T E N
Quelques heures plus tôt...
J'étais assigné à faire le ménage et les corvées jusqu'à nouvel ordre. Le balai. La vaisselle. Les draps. Vider les déchets nutritifs. Planter des graines. Couper le blé. Et écouter ces êtres aux oreilles pointues se demander quelle couleur leur irait le mieux pour les fêtes de ce soir.
C'était ça, où retourner dans la cellule pleine de boue. Et loin de moi l'idée de rester confiner dans un si petit trou, contraint à me parler avec moi-même et finir par exploser de rage. Alors j'ai accepté de faire tout le sale boulot jusqu'à trouver un plan pour sortir d'ici, trouver la reine, et la tuer.
Et le plan était Cynestra.
Elle était la seule ici qui puisse me guider jusqu'à elle.
Sauf que j'ignorai où ils avaient enfermé Cynestra. Depuis la veille, on avait accepté que je sois en pleine liberté dans le village, tant que j'avais un chiffon en main. En revanche, ma camarade, personne n'avait cherché à la défendre. Peut-être qu'ils l'avaient déjà emmené dans les Limbes. Si c'était le cas, il me fallait trouver un nouveau guide.
— Mais non, il n'est même pas capable de parler !
Parmi toutes ces voix qui bourdonnaient autour de moi, celui d'un enfant me parvint plus nettement que les autres. Cela s'expliquait sans doute par le simple fait qu'un mince mur de bambou nous séparait. Depuis plus d'une heure, j'étais assigné à cueillir des tomates et des pommes de terre avec Jyok. Le soir même, on allait m'enfiler un tablier pour aider à nourrir toutes les bouches des invités.
— Les Okto ont dû lui couper la langue, dit un autre en riant.
— Ouvre lui la bouche pour qu'on voit s'il a une langue !
J'arrachai brutalement la pomme de terre du sol et la balança dans mon sac en tissu. Jyok était parti déposer l'autre sac dans les cuisines.
— Tient lui la tête !
— C'est ce que j'essaie de faire Tynan !
Les bruits de semelle râpant la terre se cognèrent à mes oreilles. J'entendis quelqu'un se débattre et grogner, tandis que les deux autres se lancèrent des ordres à tue-tête.
Un soupire battit contre la terre, et ma mâchoire se serra. L'un d'entre eux se mit à pleurer.
Je ne pouvais pas avoir une unique heure de tranquillité ? Que ces mômes aillent jouer ailleurs...
Je poussai sur mes jambes pour me redresser et attraper le sac de patates dans ma main droite. D'un pas décidé et agacé, je contournai le mur de bambou et me trouva face à trois gosses. Deux d'entre eux tenait un gamin haut comme trois pommes, le forçant à ouvrir la gueule. Mes sourcils se froncèrent dès lors où les yeux larmoyants du rouquin tombèrent sur moi.
— Putain, sérieusement... ai-je soupiré pour moi-même en fixant Enok, ce petit bonhomme dont les pieds ne touchaient même plus le sol.
Les deux têtes à claque lâchèrent le gringalet et s'écartèrent de lui. Droit comme des piquets, ils attendirent un mauvais vent pour fuir. Et pourtant, pas même une tornade n'aurait réussi à les faire déguerpir. Tant que j'avais décidé qu'ils restent, ils resteraient tous les deux. Je sentis en moi leur désir profond de retirer les liens solides entre moi et leurs cerveaux, je sentis leurs peurs et même les boules qui s'installaient dans leurs gorges.
Je m'approchai du groupe sans les lâcher du regard, et sans lâcher mon contrôle sur leurs esprits. Ils étaient mes marionnettes. Je pouvais faire absolument n'importe quoi, quémander leurs cœurs d'arrêter de battre, qu'ils le feraient.
C'était bien la première fois depuis mon arrivée dans ce monde, que j'avais réussi à faire appel à cette bête démoniaque, sans qu'elle ne décide pour moi.
C'était une erreur, car une fois appelé aux commandes, il était impossible de la faire disparaître. Voir Enok entre les mains de ces morveux me rappelait les horreurs que j'avais moi-même vécu. Sauf que Enok n'était pas maudit, pas comme moi je l'étais.
Je jetai le sac de patates à leurs pieds. Il s'ouvrit en laissant les légumes dévaler le sol.
— Ramassez, ordonnai-je.
Je sentis le corps du plus costaud trembler. Il luttait pour bouger. Chaque muscle de son corps se battait contre la force qui le tenait pétrifié. L'autre me fixait avec de grands yeux ronds, le corps aussi tremblant, mais de peur.
Je fis un nouveau pas vers eux, dépassant Enok, qui reniflait bruyamment sans perdre une miette de ce que je leur infligeais.
— Quoi ? C'est trop compliqué à comprendre ? Je vous ai demander de ramasser ce putain de sac et ces putain de patates !
Encore une fois, le plus costaud tentait de fléchir ses jambes, mais ce n'était qu'une tentative. Il ne bougea pas d'un poil. Le second commençait à paniquer. Un trop plein de bave dévalait de ses lèvres, qu'il ne pouvait même pas essuyer.
— Si dans dix secondes, mon sac se trouve encore vide de patate, je n'hésiterai pas à faire exploser votre tas de merde qui vous sert de cerveau. Dix, neuf, huit...
Le peureux avait des larmes qui lui dégoulinaient des joues. Son visage était aussi rouge que celui de son ami.
— Sept. Six. Cinq. Quatre...
Je fis une pause en voyant le pantalon du plus costaud s'humidifier au niveau de son phallus. Il était en train de se pisser dessus. Ma tête se pencha, un sourire ignoble posa son empreinte sur mes lèvres, et un rire s'échappa de celles-ci.
— Trois. Deux.
À les regarder, on pourrait penser que l'hiver frappait uniquement sur eux. Leurs tremblements s'accentuaient de plus en plus. Je profitai de cette vue un instant, tournant la tête vers le rouquin, je m'assurai qu'il observait correctement la scène.
Au lieu de le trouver à mes côtés, je le vis accroupi au sol, se dépêchant de ramasser toutes les pommes de terre. J'arrachai violement le sac de ses mains et le renversa de nouveau. La seconde d'après, je laissai les deux merdeux reprendre possession de leurs corps. Ils s'empressèrent de tout rassembler avec hâte. Le sac de patate fut rempli en moins de cinq secondes. Ils le posèrent au sol et coururent le plus vite possible pour s'éloigner de moi.
Un rire de satisfaction empli ma gorge, et s'arrêta net lorsque je perçu les pas d'Enok s'éloigner aussi. Rapidement, je l'attrapai avec ma poigne et posa un genou à terre pour me mettre à sa hauteur.
— C'est comme ça que tu me remercie ? dis-je d'une voix sèche. T'es pas le frère de ta grande sœur pour rien toi... Il se calma, mais sa respiration restait toujours autant frénétique.
— Première leçon, petit. Si d'autres têtes de cons comme eux t'approche, met ton poing comme ça.
De ma main, je formai un coup de poing comme Elijah m'avait appris avant d'entrer sur le ring. Un poing parfait, qui protégeait les doigts, le poignet, mais certainement pas le visage de ton ennemi. Le petit rouquin hésitait à reproduire mon mouvement, mais finit par le faire, prit d'une certaine curiosité.
— Parfait, et avec ça, vise le nez, ou la mâchoire, continuai-je d'expliquer. Et il faut voir le visage de ces petits cons comme des murs en carton. Ton poing doit traverser le mur, alors n'hésite pas à y mettre toute ta force, ça vient principalement de l'omoplate, transmet cette force jusqu'au bout de tes phalanges, et travers le mur. OK ?
Il acquiesça difficilement, comme si ce que je venais de dire n'avait aucun sens. Ici, ils se battaient avec des épées et des arcs en bois, bien sûr que le corps à corps ne leur était pas enseigné.
L'art du combat... Mes couilles ouais !
Même sa sœur n'avait pas réussi à se battre dans cette arène la nuit dernière. Parfois il fallait mettre de côté leurs belles armes, et se battre comme nos ancêtres le faisaient. Avec agressivité, et à mains nus.
— Tient, essaie. Frappe-moi.
Le petit écarquilla les yeux en faisant un pas en arrière. Il secoua la tête rapidement, me donnant presque l'impression qu'il pouvait pleurer d'une seconde à l'autre.
— Dans ma main alors, rectifiai-je en la lui présentant. Allez, défonce-moi ce mur en carton.
Enok zieuta mon visage, puis ma main ouverte, prête à recevoir son coup. Il ravala sa salive, et comme je lui avais appris, serra son poing de manière à protéger ses os. Il leva son coude et frappa une première fois. Ma main n'avait presque pas bougé.
— Ma main ne va pas casser. Plus fort.
Il recommença, un peu plus fort cette fois-ci, mais on était encore loin du résultat recherché.
— Tu veux assommer quelqu'un ou lui caresser la joue ? Parce qu'on est loin du coma là.
Un sourire timide surgit sur son visage. La peur qui peinturait ses traits avait totalement disparus. Désormais, ça l'amusait. Il frappait plusieurs fois de suite jusqu'à éclater de rire.
Je baissai mon bras en le secouant lorsqu'il me donna un coup assez puissance pour me donner une décharge électrique dans tout le bras ainsi que dans l'épaule.
— Parfait, terminai-je la leçon en secouant cette fois ma tête. N'oublie pas la force que tu dois y mettre, et la prochaine fois qu'un de ces couillons t'embête, frappe avant qu'ils aient le temps de te toucher, c'est compris ?
Enok opina du chef. Tant pis si je n'allai pas recevoir un remerciement oral de sa part, je me fichai pas mal de ça. Je voulais juste m'assurer que plus aucun morveux vienne s'attaquer à lui.
À peine ai-je eu l'idée de me relever qu'une main se posa sur mon visage, plus précisément devant mes paupières. Soudain, je me retrouvai dans le noir total, et la sensation était similaire à celle de sauter du haut d'un immeuble de dix étages. Mais plus je m'enfonçai dans le vide, plus les voix et les couleurs commençaient à se faire une place.
D'abord des cris. Non. Des pleurs. Cela ressemblait aux pleurs que donnait un nourrisson à la naissance. J'entendis la voix d'une femme, qui répétait sans arrêt la même phrase : Ils sont deux. Ils sont deux. Ils sont deux.
Puis, comme un saut dans le temps, je me revis, enfant, assit à même le sol dans l'orphelinat. Mes mains grattaient la chair sous mon tee-shirt, cherchant à m'arracher cette visqueuse bête qui me faisait agir avec violence. Mes ongles regorgeaient de peaux, et de sang.
J'avais l'impression que l'on broyait mon crâne, cherchant à en sortir des choses impossibles à trouver. C'était insupportable. On comprimait mon cerveau, on le mâchait et le broyait, en me forçant tout même à me souvenir, d'absolument tout et n'importe quoi.
La voix de la femme cria de nouveau, et cette fois elle hurla mon prénom. Tout autour de moi, un tremblement de terre fissurait des murs invisibles, me retourna l'estomac. J'avais à mon tour envie d'hurler, d'exploser, de faire taire tout le reste.
La seule chose qui me parvint fut une nouvelle image. Moi, sur un trône, portant des vêtements noirs. C'était un costume, mais pas comme ceux que l'on trouve dans le monde des humains. Il était différent. Il était beau. Il était royal. Il y avait une foule à perte de vue face au trône. Mon nom était acclamé. Mais, aucun visage ne m'idolâtrait. Tous portaient la même expression sur leurs visages, celle d'une terreur commune.
Des mains s'approchèrent, et vinrent poser des branches sur mon crâne. Ce n'était pas des branches. C'était une couronne, noire et biscornue. Une fois posé sur ma tête, elle laissa couler de longues trainées de sang, colorant mon visage de cette matière rouge. Et, des cris, encore.
— MORTEN !
— ILS SONT DEUX !
À répétition. Cela ne s'arrêta jamais.
Enfin, tout du moins, jusqu'au moment où je me levai du trône pour me présenter à cette foule. On m'applaudit avec des visages fermés, et l'instant d'après, je ne vis que du feu. Je n'entendis que des hurlements. Je ne sentis que la mort.
Je me relevai avec force et recula de plusieurs pas. Enok avait encore son bras levé dans ma direction. Ses yeux allaient presque sortir de leurs orbites.
— Bordel... Qu'est-ce que tu viens de faire-
— Roi, dit-il tout simplement, le visage blême et les narines dilatés.
Le rouquin se dépêcha de mettre lui aussi un genou au sol, et de pencher son buste vers l'avant, dans le but de m'offrir une ignoble révérence. J'accouru vers lui et choppa sa veste trop grande pour le remettre sur ses deux pieds.
— Plus jamais tu fais ça, lui crai-je presque, près de son visage, je te parle sérieusement gamin, plus jamais tu fais ce signe ridicule ! Tu n'as absolument rien vu, oubli tout ça ! Est-ce que c'est compris ?
Il hocha la tête mais ne me répondit pas.
— Non je veux t'entendre parler ! Est-ce que tu m'as compris, OUI OU NON !?
— Oui... bredouilla l'enfant. Oui ! Oui !
Il ne s'arrêtait pas de répéter le même mot. J'avais réussi à le terroriser, génial.
Je lâchai sa veste, et son visage faisait penser à ce que j'avais vu dans cette sorte de... vision. La peur dans ses yeux, c'était la même. La seule cause, c'était moi. J'étais celui qu'ils craignaient tous. Dans cette vision, je n'étais pas un roi. J'étais un monstre.
Enok s'enfuit à son tour. Je pris quelque seconde pour faire le tri de mes émotions, et calmer les pulsions qui commençaient doucement à cogner contre ma cage thoracique. J'avais fait une grave erreur en utilisant mes pouvoirs sur ces enfants. Maintenant que j'avais accepté cette part de moi à prendre le contrôle, la souris n'allait pas tarder à faire ses griffes contre ma chair. Je le savais, car je la sentais déjà fusionner avec mon corps.
Si je ne me contrôlais pas, je pouvais alors devenir un réel danger pour ce village.
Il fallait que je m'occupe l'esprit. Je devais à tout prix penser à autre chose, et trouver une autre échappatoire que le ring.
— Où tu vas comme ça ?
Je venais de croiser Jyok sur le chemin. Son sac de patate était prêt pour une nouvelle récolte.
Sans m'arrêter de marcher, je lui soufflai :
— En cuisine, je commence à préparer le repas.
— Pas la peine, s'empressa le cuistot de dire. Je te congédie pour ce soir. Tu as de la chance, les habitants ont peur que tu empoissonnes leurs assiettes, alors profite des festivités de ce soir.
La panique me submergea. Non... Je devais absolument m'éloigner de la fête, ou quelqu'un allait mourir bruler dans les flammes. Mes flammes.
— Tu parles d'une chance... Enfoirés d'Elfes...
Je jetai ce pauvre sac de patates à ses pieds et quitta le potager.
Comment j'étais censé m'éloigner de cette fête si la ville était protégée par des blocks de murs et des gorilles de pierre vivantes ?
Cynestra, trouve-moi rapidement un moyen pour sortir de là ce soir, ou une catastrophe arrivera.
...
Je m'étais retranché ici, dans ce foutu atelier en bois et verre, pensant échapper à leur maudite fête. Comme si ça avait une chance de marcher. L'atelier était perché, surplombant le reste du village, coincé entre deux immenses racines d'un arbre millénaire, dont le tronc se dressait comme un colosse. Les murs étaient faits d'un bois clair, lisses et polis, avec des verrières qui laissaient entrer la lumière lunaire. Je m'occupais comme je pouvais, arrosant des plantes que je ne connaissais même pas, rangeant des graines dans des pots d'argile gravés. Il fallait que j'aie les mains occupées, que je fasse quelque chose pour ne pas exploser. Chaque minute passée à rien faire me rapprochait de ce moment où je perdrais le contrôle.
Et depuis qu'Enok m'avait montré cette vision, il m'était juste impossible de faire table rase. Y penser allait me rendre fou. Alors, lorsque tous s'étaient rejoint dehors, je m'étais éloigné et avais trouvé le chemin de cet atelier.
Dehors, ça riait, ça chantait, ça dansait autour du feu, comme si le monde entier était fait de lumière et de joie. Moi, j'étais à l'écart, comme d'habitude. Je ne supportais pas cette légèreté. Je savais trop bien ce qui se passait quand on laissait tout aller.
L'atelier me paraissait l'endroit idéal pour m'isoler. Mais j'avais eu tort. Bien sûr, ils avaient fini par me trouver. Le bruit des pas trébuchants se rapprochait, le bois craquait sous leurs pieds. Je serrai les dents.
Ne cherche pas les emmerdes, et les emmerdes ne viendront pas te chercher.
La porte s'ouvrit brusquement dans un grincement désagréable, laissant entrer un groupe de jeunes Elfiah. Ils étaient cinq ou six, difficiles à compter tant ils bougeaient, riant à gorge déployée, se bousculant dans des gestes maladroits. Leurs vêtements, faits de tissages naturels, semblaient épouser chaque mouvement, flottant autour de leurs corps minces et élancés. Des parures de feuilles et de pierres ornaient leurs cous et leurs poignets, des boucles en argent et en or pendaient à leurs longues oreilles pointues, captaient la lumière du feu extérieur. Ils étaient beaux, mais pas de cette manière à faire battre des cœurs, plutôt d'une beauté arrogante.
L'un d'eux, un grand aux cheveux bruns emmêlés, semblait mener la danse. Il riait bruyamment, tenant une fille par le bras, une blonde avec des boucles sauvages et un rire perçant, totalement absorbée dans une euphorie débile. Elle portait une robe en lin fin, qui lui collait à la peau comme une seconde peau. Son regard, un peu perdu, passa à peine sur moi. Les autres Elfiah, eux, n'avaient même pas encore réalisé que j'étais là. Ils se déplaçaient avec une insouciance exaspérante, piétinant les pots et renversant des objets sur leur passage.
Les pots que j'avais rangé. Les graines que j'avais entassé.
— Bordel..., murmurai-je entre mes dents, à peine audible.
Ne cherche pas les emmerdes, et les emmerdes ne viendront pas te chercher...
J'observai la scène sans bouger, résistant à l'envie de tous les foutre dehors à coups de pied. Ils dansaient, ils se bousculaient, certains s'embrassaient sans vergogne, trop occupés à se vautrer dans leur propre bonheur pour remarquer qu'ils foulaient mon espace.
Le plus jeune du groupe — ou peut-être le plus bourré, vu son état — fouilla maladroitement entre les feuilles colorées des différentes plantes face à lui.
— Putain... Où est-ce qu'elle est !
Des pots tombèrent au sol et se brisèrent. Personne ne ramassait, bien trop occupé à rire de la situation. Je soupirai, et une paire d'yeux fixa dans ma direction. L'une d'entre eux venait tout juste de remarquer ma présence.
— Hé, on n'est pas seul je crois... dit-elle à voix basse, comme si je n'allais pas entendre, alors que nous étions à moins de cinq mètres.
Le type vacillait sur ses jambes en levant son menton. Il tenait toujours par le bras une fille qui n'arrêtait pas de rire. Un rire stupide, agaçant, qui me vrillait les tympans. Je les fixai tous un à un, impassible, mon irritation prête à exploser.
— T'es qui toi ? demanda-t-il avec un sourire ivre.
Je ne répondis pas tout de suite, laissant le silence s'installer. Mon regard se posa sur lui comme une lame, mais il ne broncha pas. Il était trop con pour comprendre. J'hésitai à lui balancer le pot que j'avais dans la main, mais je me ravisai. Pourquoi perdre mon temps à me battre avec des gamins pareils ?
Pour pleins de raisons Morten...
— T'es seul ici ? reprit-il, tournant presque sur lui-même pour répondre à sa propre question.
— Viens avec nous, dit une autre, celle qui m'avais vu en première.
Elle était plus grande que les autres filles, avec des cheveux noirs comme la nuit. Elle m'observait avec instance et captura mon regard entre ses cils noirs. Ses yeux d'un vert intense ne me quittaient pas.
Elle avançait lentement vers moi, un sourire en coin qui trahissait ses intentions. Son regard glissa sur moi comme si elle me déshabillait du regard. Au lieu de ressentir un quelconque désir, je ne sentis que de la colère. Ce n'était pas pour ces yeux verts là que j'allais succomber. Ils n'avaient rien à voir avec ceux de cette Elfiah. Je ne devais pas penser à ses yeux. Je ne devais pas...
Pourtant, aucun autre vert ne brillait autant que celui de la Grande Naïade, rien ne surpassait sa beauté.
— On cherche de l'Amolikk, tu sais c'que c'est ?
Elle haussa ses sourcils en m'offrant un sourire timide.
— C'est une plante qu'ils gardent ici, ses pétales sont bleus et...
Elle s'approcha si proche de mon visage qu'il m'était désormais si simple d'inhaler son odeur. Elle ne puait pas la transpiration, ni l'alcool. Elle sentait le coton, et la terre.
— ...ils sont presque aussi beaux que toi.
Elle ria face mon refus d'exprimer ne serait-ce qu'un rictus. Sa proximité était dangereuse, pour elle. Je détournai les yeux de la fille, sentant monter une frustration sourde. Mon regard se dirigea sur le côté, là où une rangé d'Amolikk était caché par d'autre plante bien plus grosse qu'elles. La noiraude suivit mon regard, et surjoua son excitation en frappant des mains et criant de joie.
Un type se chargea d'entre cueillir quatre ou cinq, et de les lui passer. Le groupe s'échangeait des regards complices, sans cacher leur exaltation. Et, au lieu de s'en aller, elle me tendit la plante, comme si c'était une invitation à une putain de garden-party.
— Tu n'as pas répondu à ma proposition, bel-homme, me susurra-t-elle avec de doux yeux. Viens avec nous, te détendre. Me détendre...
L'Amolikk est un poison, il permet de calmer nos pouvoirs lorsque l'on ignore comment les contrôler, mais certain en abuse et l'utilise comme drogue, étaient les mots du docteur après m'en avoir inséré dans l'organisme.
Leur Amolikk n'était pas juste une plante. À petite dose, elle pouvait calmer, apaiser l'esprit, relaxer les muscles, comme j'avais pu le ressentir. Mais en grande quantité, elle devenait un poison doux, une évasion instantanée.
— Montre lui comment on fait, May.
Mes yeux atterrirent sur celui qui venait d'ouvrir sa bouche. Il tenait encore sa bécasse de copine, dont les yeux papillonnaient comme ceux d'une Barbie cassée. May sorti de son petit sac en lin une fiole et des sortes de feuille.
— On broie les pétales, débuta la noiraude en rendant l'Amolikk aussi dense qu'un petit poids. On le mélange avec de la Néophée, puis on l'enroule avec une feuille de Teryss.
J'observai ses mouvements, presque curieux d'apprendre comme les Elfiah de ce monde fumaient. Il utilisait une espèce de résine noire, ainsi qu'une fine feuille en écorce souple. Puis, elle enflamma le tout, devenant qu'une boule de feu. Elle explosa de rire lorsque le bout de ses doigts portant la drogue la brulait.
— J'ai oublié le plus important ! s'égosilla la femme, hilare.
Elle sortit un nouvel objet de son sac, quelque chose de plus large et courbé.
Une pipe.
Ils fumaient des putains de pipes ici !
La femme encra la boule de feu dans le bout de la pipe et s'empressa d'inspirer une première bouffée, fermant même ses paupières. Lorsqu'elle retira sa bouche du bec, elle serra ses dents quelque seconde avant de relâcher un nuage de fumé qui n'était pas gris, mais bleu, identique à la couleur des pétales de la plante.
Ils se passèrent le bâton de main en main, chacun prenant une longue bouffée avant de le faire tourner. Je les observai, immobile. À chaque inhalation, leurs traits se détendaient, leurs sourires s'agrandissaient, et les rires se faisaient plus doux, comme si le monde entier était devenu flou.
L'Elfiah me tendit la plante tandis que les autres me balançait des mots réconfortants, comme s'ils parlaient à un novice. Ils ignoraient tout de moi. Ils n'avaient pas la moindre idée de toutes les conneries que j'avais fumé pour oublier la douleur.
— Ça te fera du bien, je te jure, reprit la noiraude.
Et parmi toutes ces merdes, rien n'avait fonctionné, mise à part l'Amolikk, cette plante sortie tout droit d'un monde magique. C'était la seule chose qui avait réussi à me faire oublier la sensation de n'être qu'un monstre contrôlé par bien plus grand que lui.
Mon silence interloqua le groupe, devenu silencieux. Ce serait si simple de céder, de laisser cette fumée effacer la douleur, la démangeaison qui rongeait mes entrailles. Mais à quoi bon ? Ce n'était qu'une illusion. Rien ne changerait vraiment. Pourtant, ma main bougea d'elle-même, presque malgré moi. Je pris le bâton, et dans un silence pesant, je l'approchai de mes lèvres.
Cette odeur, ce parfum...
La première bouffée fut brutale. La fumée me brûla la gorge et envahit mes poumons d'un coup. J'étais pourtant habitué, mais cette chose était différente. C'était sacrément puissant. Je retins ma respiration un instant, le temps que la chaleur se diffuse dans mon corps. Puis je soufflai lentement, relâchant un long filet de fumée bleue. La sensation n'était pas désagréable. Ce n'était pas agréable non plus. C'était juste... moins. Moins intense. Moins douloureux.
La fille face à moi avait un sourire qui touchait ses oreilles, l'autre bécasse s'était remise à rire tandis que l'homme qui la collait se pinçait les lèvres pour ne pas rire à son tour. Les autres ne se retenaient pas.
Je lui rendis sa pipe sans un mot, m'appuyant contre une étagère derrière moi. Mes pensées commencèrent à se brouiller, mes nerfs à se détendre légèrement. Sans trop s'avoir comment, je me retrouvai les fesses par terre. Les Elfiah riaient de plus belle. La noiraude s'approcha de nouveau et s'accroupit juste devant moi, les bras posés sur ses genoux, sa tête légèrement penchée sur le côté, comme un prédateur curieux face à une proie inattendue.
— Alors, t'as aimé, souffla-t-elle, ses lèvres étirées en un sourire malicieux.
Ses yeux brillaient d'une lueur étrange, amplifiée par l'effet de l'Amolikk. Elle se rapprocha encore, assez pour que je sente de nouveau la chaleur de son souffle sur ma peau.
Je ne répondis pas. Je ne savais même pas si j'en étais capable à cet instant. La fumée de l'Amolikk faisait encore son chemin dans mes veines, rendant mes pensées plus floues, plus lentes.
Et c'est à contre cœur que je fixai ses yeux verts, ceux que je détestai le plus au monde en cet instant présent. Cette fille qui me dévorait des yeux n'était qu'une pale imitation, une distraction vide de sens. Anezka avait le don de résonner dans mes tripes, si bien que j'en avait mal.
— Dégage.
Le mot était sorti brusquement, sans filtre. Je n'aimai pas la proximité de son corps avec le miens. Je n'aimais pas ses yeux verts. Je n'aimais pas que ce soit elle qui se trouve face à moi.
Elle rit à quelque centimètre de mes lèvres.
— On va tous dégager d'ici, toi y compris mon beau.
Je n'avais pas compris le sens de sa phrase jusqu'au moment où elle me traina du sol pour me mettre debout. Je n'avais pas les idées très claires, je ne m'étais même pas rendu compte que nous nous trouvions désormais à l'extérieur.
Dehors, plus rien ne ressemblait à ce que j'avais pu voir. Ils étaient des centaines dans les ruelles de terre, il y avait des musiciens à chaque coin de rue, les maisonnettes étaient décorées de ruban de soi qui volait sous le vent nocturne. Puis, plus loin, sur la place centrale, je vis un regroupement d'Elfiah. Le mélange de couleur accentuait les effets de la drogue, me donnant même l'impression que j'inventais de nouvelles lueurs. Le groupe qui m'avait sorti de ma cachette accourait déjà vers la ronde pour y prendre part, et danser avec tout ce monde. Je piétinai difficilement jusqu'à eux, de la sueur coulait le long de ma nuque, et ma respiration était irrégulière.
Je n'ai jamais autant eu l'impression d'être un humain qu'en cet instant précis. Je ne voulais pas gâcher ce moment, il devait durer pour l'éternité.
Alors, assis sur une chaise en bois, j'observai la fête, l'esprit vide, le cœur léger, et sans aucune trace de ce maudit démon. L'Amolikk fonctionnait à merveille.
On était venu vers moi au moins une dizaine de fois, pour me proposer une danse, mais je ne leur accordais pas un seul regard, pas un mot, ni même un quelconque signe de ma part. J'appréciais ce silence intérieur. C'était nouveau. Agréable. Tout ce que j'ai toujours voulu ressentir. Le calme.
Quelque chose d'aussi léger qu'un cœur pur se mit à battre au milieu de ses corps joyeux. Elle portait une robe de la même couleur que de la vanille et s'atténuait en vert sur certaines zones. Les rubans dans ses cheveux volaient à chaque tour qu'elle faisait. Ses pieds nus savaient comment se déplacer, et former des beaux cercles sur la terre. Son sourire était la définition même de la sensation que je ressentais. La liberté. L'insouciance.
Ses bras dessinaient eux aussi une belle fresque, mais celle-ci était gravé dans l'air, autour d'elle, et captivait mes yeux tel un enfant découvrant l'art pour la première fois de sa vie.
J'ignorai pourquoi elle me donnait la sensation d'être une étoile parmi tant d'autre, et pourtant, elle était la première que mes yeux eurent trouvée, la seule qui brillait d'une manière différente. Même en tant que papillon, je n'avais su me résoudre à lui trouver un défaut.
Ses yeux trouvèrent brusquement les miens, et son expression se figea. Pour la première fois, je ne ressentis pas le besoin de l'éloigner de moi. Je n'étais pas dangereux, je n'étais plus nocif. Tant que l'Amolikk faisait taire cette souris, alors je n'étais une menace pour personne.
Lorsqu'elle se tourna et me présenta son dos, mes yeux suivirent les courbes de son corps. Ses mouvements devinrent plus amples, plus gracieux, moins précis. Je sentis quelque chose vibrer en moi, me hurlant de porter mes yeux ailleurs et de l'ignorer. Sauf que je n'étais pas un danger. Je pouvais, l'espace d'un instant, agir comme je le souhaitais.
Alors je le fis. Je fis ce que j'avais toujours rêver de faire. Je me levai de cette chaise et marcha en direction de la danseuse.
Je ne m'étais jamais autorisé à suivre la Naïade dans un but purement tangible. J'ai essayé de la faire disparaître, de l'éloigner des flammes qui allaient lui bruler les ailes, mais jamais la tendresse de m'avait accompagné.
Mais, en cet instant précis, si je m'approchais d'elle, ce n'était en aucun cas pour lui arracher sa beauté et éloigner sa fiévreuse envie de toucher tout ce qui pourrissait sous mes mains.
Cette fois-ci, et unique fois, je voulais m'autoriser autre chose. Je voulais accepter son regard, accepter ses gestes, l'accepter près de moi. Je voulais danser avec elle. La laisser me regarder sans aucune peur. La regarder sans aucune honte. La toucher sans avoir la crainte de l'abimer, et la laisser poser ses doigts sur mon épiderme, sans me sentir dans l'obligation de tenir mon défaut en cage. Je voulais tester, voir, sentir, ressentir, le vivre.
Découvrir.
Je marchai donc vers elle, le cœur lourd d'appréhension.
Je m'en foutais. Je voulais accomplir au moins une chose que je désirais profondément.
Une silhouette légèrement plus petite me barra soudainement le chemin.
— Tu n'as pas le doit d'être là, brailla Endrik.
Ce type osait encore se tenir droit, la tête haute, après s'être fait botter les fesses par Anezka ?
— Bouge de là, crachai-je.
Je n'avais pas de temps à perdre avec ce crétin.
— Fais demi-tour maintenant, où je m'occupe personnellement de toi, l'humain.
Il posa ses doigts sur le manche de son épée, prêt à la dégainer. Mes yeux suivirent ses mouvements, et remontèrent pour le regard avec impatience.
— Vraiment, repris-je, levant mes sourcils et faisant craquer mes doigts. Tu veux te donner en spectacle une seconde fois ?
Sa main se contracta contre son manche.
— Je n'hésiterais pas à trancher ta gorge devant tout le monde, sache-le.
— Dois-je te rappeler que Vidaar m'a accepté parmi vous ?
— Peu importe la décision de Vidaar. Mon peuple ne mérite pas d'être tué à cause de ta présence, dit-il avec hargne dans sa voix. Alors écarte toi. Tu ne mérites pas de participer à cette fête.
Je soupirai du nez, et mon regard se posa sur la rouquine qui n'avait pas cessé de danser. Elle riait lorsque l'homme à ses côtés se marchait dessus. Je ne l'avais jamais vu aussi souriante, et heureuse. Pour une fois que je ne pourrissais pas sa vie. Ma propre existence avait causé la mort de sa famille, et celle de bien d'autre de ses confrères.
Je ne méritai pas son regard, ni son touché, ni quoi que ce soit d'autre de sa part. Ce n'était pas parce que mon pouvoir mortel s'était dissipé quelque heure que je me devais de faire n'importe quoi. Je ne devais pas laisser mon empreinte dans son esprit.
— Je ne faisais que passer, de toute façon.
Je fis quelque pas en arrière, la fixa une dernière fois tandis qu'elle pivotait sur elle-même tel un ange qui utilisait ses ails pour tournoyer dans le vide. Haniel. L'ange de la beauté, celui qui représentait l'émeraude. Sa couleur. Elle lui ressemblait en tout point.
Je détournai mes yeux d'elle et parti loin, le plus loin possible. J'avais honte d'avoir pensé que je méritai un instant à ses côtés.
C'est avec des pas rapides que je m'élançai dans la forêt, entres les arbres et l'obscurité.
Je devais sortir d'ici.
Je devais retrouver la reine.
Je devais la tuer.
Me venger.
Pour vivre, enfin.
Bordel, Cynestra, où es-tu ?
Le bruit de branche et de feuille craquant sous un pas lourd me força à porter mon attention sur mes propres mouvements. Le bruit était en décalé avec mes pas. Je n'étais la cause de ce son. Quelqu'un me suivait, et ne voulait décidément pas cacher sa présence.
— Je pensais que les Gaerilah savait un minimum être discret, Endrik...
Je venais de me retourner, et un sourire suivis d'un rire moqueur venant de moi s'éleva dans l'air. Ce n'était pas Endrik, mais quelqu'un de bien moins impressionnant.
— Qu'est-ce que tu fous ici, Ze'ev ? Faire la ronde et se tenir par la main t'ennuyais ?
Le garçon s'avançait lentement, son visage encore dans la pénombre, mais le reste de son corps m'était bien apparent. Son costume blanc aux manches trop grandes cachait ses mains.
— Je ne suis pas contre une balade nocturne à deux, mais sincèrement, ce n'est pas avec toi que j'aurai pensé finir la soirée.
Et enfin, lorsqu'un faisceau lumineux diffusé par la lune éclaira son visage, je le vis sous un nouveau jour. Ses yeux étaient rouges. Il était en colère, très, très en colère.
— Je veux que tu la laisses tranquille, surgit sa voix tremblante. Sa respiration devint plus lourde, trahissant son faux sang-froid.
Je ne comprenais pas de quoi il parlait.
— Éloigne-toi d'elle, ou je vais devoir m'occuper de le faire pour toi.
Il leva son coude et la manche de sa chemise bouffante glissa sur son avant-bras, dévoilant un couteau de cuisine parfaitement bien aiguisé. Il brillait sous la lumière de la lune.
Je fixai le couteau, puis Ze'ev.
Pourquoi tout le monde voulait me tuer, ce soir spécialement ? Ils avaient eu deux semaines pour le faire, et c'est que maintenant qu'ils en avaient les couilles ? Pathétique...
— Écoute bonhomme, je suis pas certain de bien de te suivre, mais va déchainez ta colère ailleurs si-
— JE TE PARLE D'ANEZKA ! hurla-t-il comme un cri de détresse.
Cela lui avait valu un instant de silence pour reprendre sa respiration. Des larmes dévalèrent de ses joues.
— Elle... Elle ne mérite pas de mourir par ta faute !
Encore la même phrase...
Bien sûr, personne ne mérite de mourir de mes mains.
— Je pense l'avoir compris, merci.
Je lui tournai le dos et repris ma randonné.
— Je t'interdis de t'approcher encore une seule fois d'elle ! Anezka est tout ce que j'ai, et je t'interdis de me la retirer !
Il avait réussi à me faire changer d'avis. Finalement, j'allais passer un peu plus longtemps en sa compagnie.
— Arrête de vouloir la surprotéger, dis-je en lui faisant face, ce n'est pas une gamine, elle sait ce qu'elle fait, merde ! Tu n'as un putain de mot à lui dire sur le chemin qu'elle doit prendre, et avec qui elle doit le parcourir !
Pour qui se prenait-il, cet enfoiré ?
— Avant que tu n'arrives elle ne craignait pas de perdre sa vie à chaque instant ! hurla-t-il en retour, son couteau de cuisine toujours en main.
— Si elle meurt, ce ne sera pas de ma faute, réprimai-je avec dédain. Je suis peut-être un monstre, je suis peut-être le créateur de tous vos putains de cauchemars, mais jamais elle ne mourra de mes mains.
Il renifla et essuya son nez humide avec sa manche. Il ressemblait plus un bête sauvage qu'à un elfe angélique. Des cernes violettes creusaient le dessous de ses yeux, ses joues étaient peintes de rouge, comme l'étaient ses lèvres à force de ce les mordre.
— Je ne te crois pas. Tu mens.
— Parfait, alors je suis un menteur maintenant ! m'égosillai-je en levant les bras au ciel. Qu'est-ce que tu vas faire maintenant ? Me tuer ?
Il serra sa mâchoire. Une rage dévastatrice occupa l'entièreté de son visage. Oui, il voulait clairement me tuer. Il n'avait pas besoin de le dire pour me le faire comprendre. Et ses mouvements rapides me le confirmèrent. Il venait de s'élancer sur moi, et ne sachant pourquoi, je le laissais m'atteindre.
Un coup de couteau dans le ventre, et un autre dans les côtes.
J'aurai pu riposter. J'aurai pu me relever, prendre le manche de l'arme, et l'insérer dans son cœur. Ou mieux, j'aurai pu m'introduire dans son esprit, et lui demander de s'enfoncer la lame lui-même dans son propre cœur.
Mais je ne pouvais pas.
L'Amolikk avait totalement fait disparaitre mes pouvoir, temporairement. J'étais aussi faible qu'un humain. Je ne ressentis aucune rage de me battre en retour. Aucune envie de tuer. La souris n'était pas là pour me chuchoter des ordres à l'oreille.
Je compris rapidement quelque chose que jamais, jamais je n'aurai cru le penser. Mais sans elle, je mourrai. Je n'étais rien sans cette malédiction.
La preuve.
Je vis double tandis qu'il me balança son huitième poing dans le visage. J'entendis, et sentis mes os craquer.
Pensant mourir, je fis quelque chose que je m'étais toujours interdit de faire : prier.
Je priai pour qu'il arrête. Je priai pour que les effets de l'Amolikk s'estompent. Je priai pour qu'une unique fois, ma vraie nature prenne le contrôle de mon corps, et me rende aussi fort qu'auparavant.
Au lieu de ça, au lieu de ressentir ce feu crépiter dans mes veines, Ze'ev venait de s'arrêter. Je perçu sa voix, mais je n'arrivais pas à comprendre sa phrase.
Lentement, un gouffre m'emporta loin de ce monde, et comme une massue frappant mon cerveau, je perdis connaissance.
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