Chapitre 18

Aïko_nsr

───※ ·❆CHAPITRE 18❆· ※───
A N E Z K A

Le feu dans la cheminée était éteint pour la première fois depuis deux semaines. Depuis que la tempête avait cessé, à vrai dire.

Dans ma main reposait ma dague, que je n'avais pas quitté des yeux depuis plus de dix minutes. Au sol, en tailleur, une larme glissa de ma joue et atterri sur la dent tranchante. Je ne l'avais pas sentie couler, et l'instant d'après, j'essuyai mes joues humides avec ma manche.

Est-ce que Thenaë aurait été fière de moi ? Elle qui avait dédié ses journées aux entraînements pour devenir Gaerilah, et moi qui n'en avait jamais reçu. M'aurait-elle facilité d'y avoir réussi sans subir cette fatigue qu'elle avait elle subit ? Ma sœur avait probablement ressenti de la jalousie envers moi, elle m'avait probablement détesté pour marcher sur ses pas, et réussir mieux qu'elle, mais elle s'était aussi sacrifiée pour moi.

J'aurai aimé lui dire que si j'avais tant souhaité devenir moi aussi Gaerilah, c'était grâce à elle. J'avais toujours admiré la personne qu'elle était. Courageuse. Téméraire. Vaillante. Belle. Forte. Thenaë contenait tant de qualité que la jalouse dans l'histoire était moi. J'avais toujours souhaité grandir comme elle, car pour moi, elle était mon modèle. Et ça, malheureusement, Thenaë l'avait vu comme de la concurrence. Alors, en grandissant, nous étions devenues deux rivales, se répétant chaque jour : « que la meilleure gagne ». Nous compétitions dans tous les domaines possibles, même ceux les plus insignifiants, comme celle qui laçait ses chaussons de combat en première, ou celle que Enok et Zemya allait préférer.

Puis, elle avait décidé de laisser nos querelles de côté l'instant d'une seconde. Une unique seconde qui avait décidé pour elle.

Je m'en voulais tant.

Une seconde larme claqua contre la lame blanche, éclaboussant même mes doigts sur le passage. Dans un sursaut presque mortel, je bondis en avant lorsqu'une main s'était posée chaleureusement sur mon épaule.

Ze'ev se tenait derrière moi, l'air désolé de m'avoir fait peur.

— Pardon, je ne voulais pas te causer une frayeur.

Je frottai une nouvelle fois mes yeux humides pour effacer toutes traces de tristesse. Je reniflai en me relevant, légèrement honteuse à l'idée qu'il ait pu me voir dans cet état. Depuis combien de temps se tenait-il derrière moi ? Je ne l'avais pas entendu entrer dans le salon.

— Non, ça va, dis-je en me raclant la gorge. Je voulais juste me retrouver un peu seule avant les fêtes de ce soir.

Ze'ev ne trouva rien à dire, probablement déçu de savoir que si j'étais là, seule, c'était parce que j'en avais décidé ainsi. Il se sentait probablement forcé de quitter la pièce, sachant maintenant que je souhaitais un moment pour moi, mais il ne bougea pas.

— Tu... Tu voulais me dire quelque chose ? ajoutai-je, voyant qu'il n'était pas décidé à me laisser.

— Oui, admit-il. En fait, j'aimerais qu'on ait une petite conversation, toi, et moi.

J'avalai ma salive de travers, et me frotta encore la gorge. Ze'ev évitait mes yeux depuis qu'il m'eut fait part de sa demande. Il n'était pas à l'aise, ses mains trifurquèrent les tissus qui pendaient de ses manches.

— Je t'écoute, ai-je ajouté.

Mon ami leva les yeux pour regarder dans les allants tours, et bafouilla en disant :

— On peut... On peut aller autre part ?

Je hochai la tête et le suivis dehors, là où les préparatifs de la fête s'étendaient dans tout le village. Ils étaient tous dehors, à s'entraider pour faire en sorte que l'Astris de cette année soit l'une des meilleures jamais réalisées. Les autres clans Elfiah arrivaient dans quelques heures, on ressentait la pression du temps qui s'écoulait et qui manquait, et pourtant, tous avaient le sourire. Ils chantonnèrent même les notes de musique qui accompagnaient nos danses traditionnelles, je pouvais presque m'imaginer les pas, les mouvements de bras, et les traces au sol.

L'Astris était ma fête préférée. Malgré le chagrin qui me plongeait constamment dans de mauvais souvenirs, je me promettais que ce soir, j'allais danser jusqu'à saigner des pieds, comme me l'avait appris ma mère.

Ze'ev nous entraîna sur un chemin qui nous mena à gravir des rochers ardents et glissants, je ne me laissai pas impressionner par la hauteur et le suivis jusqu'en haut. Nous avions grimpé jusqu'au sommet du mur qui protégeait la cité. À cette hauteur, on pouvait parfaitement bien visualiser l'étendue de la forêt. On dirait un tapis de mousse verte qui se déroulait jusqu'à un horizon sans fin. Il y avait, en revanche, un endroit sur notre droite qui n'était pas couvert de mousse.

— Le chemin des Elyss, soufflai-je en me penchant légèrement en avant, comme si ce simple geste m'aiderait à mieux voir les grottes.

C'est dans cet unique endroit que l'on pouvait apercevoir les Aakrius, au milieu des roches et de la rivière qui menait à Hojvik ainsi qu'aux Limbes. Les Limbes étaient d'ailleurs eux aussi visibles derrière les grottes. Un mur de poussière opaque, s'étendant jusqu'au ciel. Une unique entrée, sans aucune sortie possible. Les Limbes s'étendait jusqu'au lac d'Hojvik, passant par les côtes au Nord, là où se trouvait les plus hauts montages habités par les Tuzak, pour descendre jusqu'au point le plus bas, sous terre, là où les Mist résidaient.

— C'est là qu'ils les ont tous amenés, interagit Ze'ev, se tenant près de mon corps. Il s'était assis par terre, et avait posé ses mains sur ses cuisses.

— Qui ça ?

Je venai de m'assoir à ses côtés. Le paysage restait tout aussi beau.

— Les corps. Après que tu sois partie, certains Okto sont restés pour prendre les corps et les jeter dans les Limbes. Il ne devait y avoir aucun indice du massacre, alors ils se sont débarrasser des morts. Nous n'avons pu rien faire, mise à part capturer l'Okto qu'ils avaient abandonné chez nous, bloqué dans un piège.

Ze'ev fronça ses sourcils.

— J'ignore pourquoi ils l'on laissé là, elle était bien vivante et hurlait, mais aucun d'entre eux n'a voulu la libérer.

— La femme qui s'est attaquée à nous ce matin ? demandai-je, me souvenant de cette Okto qui été apparue auprès de Morten.

— Oui, affirma-t-il. Je voulais la jeter dans les Limbes comme ils l'ont fait avec... Esmée et Thenaë.

À l'entente des noms de ma mère et ma sœur, une panique me secoua violement et ma bouche devint soudainement sèche. Ma mère et ma sœur avaient été jeté dans les Limbes. La colère pris rapidement la place de la panique, et j'en oubliais que je n'avais plus aucune salive entre ma langue et mon palais.

— Pourquoi ne l'as-tu pas fait ?

— Pour toi, Anezka, trancha sa voix qui s'était alourdie. Je me suis dit que, grâce à elle, je pouvais obtenir des informations sur Hoak, et sur l'endroit où tu étais. Mais cette vermine n'a pas dit un seul mot, même pas un foutu son.

Je me sentis stupide de ne pas avoir pensé à lui une seule fois depuis le moment où on s'était quitté. J'avais même été surprise de le voir ici à mon arrivée. Alors que lui avait fait de son mieux pour savoir où je me trouvais, et s'il y avait un moyen de me sauver.

— Je suis désolée, Ze'ev, me défendis-je en tournant ma tête dans sa direction.

Ses paupières se fermèrent et son menton se leva de quelques centimètres. On dirait qu'il appréciait la fine brise de vent qui caressait son visage, qui faisait aussi vibrer ses bouclettes bondes si parfaitement définies. Ses tâches de rousseurs sur le bout de son nez attirèrent mon regard à se poser sur eux. Je me souvenais de son visage lorsqu'il était enfant. À l'époque, il n'en avait aucune. Je me souvenais aussi que lorsqu'il eut onze ans, et qu'il avait décidé de passer son anniversaire uniquement avec moi, j'avais pour la première fois observer ses traits du visage changer lorsque nous nous étions retrouvés tous les deux à cueillir des fleurs. Avec notre récolte, il en avait fait une couronne, mélangeant les Jacinthes sauvages avec du muguet et deux dahlias blanches qui reposaient au niveau de mes temps lorsque je portais la couronne. Je me souvenais qu'en rentrant chez moi, Thenaë s'était moqué de moi car maman avait dit que le dahlia blanc signifiait un amour pur. Ma sœur avait ri en disant que Ze'ev était fou amoureux de moi, mais je ne l'avais pas cru.

Je ne voulais jamais la croire, car j'avais peur qu'elle ait raison.

Malgré ses tâches de rousseurs qui naissaient sur ses pommettes devenant de plus en plus prononcées. Malgré sa taille qui avait dépassé la mienne. Malgré son corps qui s'était endurci. Malgré son sourire qui se faisait plus sincère à mesure qu'il passait du temps avec moi. Malgré son regard qui avait changé en ma présence. Malgré qu'il soit devenu un homme charmant, aimable, et généreux, je n'avais pas su y trouver quoi que ce soit qui puisse me faire comprendre les dires de ma sœur.

— Je suis désolée pour tout, Ze'ev, ai-je répété, voyant qu'il n'avait pas réouvert ses yeux. Je n'ai jamais su te redonner tout l'amour que tu me portes-

— Ne t'excuse pas Anezka, je l'ai compris depuis longtemps que tu ne m'aimais pas comme moi je t'aimais, répondit mon ami en ouvrant enfin ses paupières.

Ses yeux fixèrent uniquement le ciel dégagé. Il semblait bien plus à l'aise maintenant que nous étions en hauteur, dehors, et qu'il pouvait observer le ciel.

Ze'ev avait toujours aimer observer le ciel, plus que n'importe qui.

— Mais j'étais têtu. Je me tenais désespérément à l'idée que tu puisses un jour ressentir la même chose que moi.

Mon cœur se serra. En avait-il souffert ? M'attendre l'avait-il rendu triste ?

— Et si tu veux tout savoir, cette année je voulais consommer mon Astris avec toi.

Les mots que manquèrent suite à sa révélation.

Ze'ev... avait voulu consommer son Astris avec moi ? Il avait voulu qu'on se fiance ce soir, qu'on se promettre de s'aimer devant les étoiles, et qu'on s'accouple ? Nom d'un Elfiah sans oreilles... Il continuait de regarder le ciel et ses étoiles les plus visibles qui scintillèrent même en journée. Un faible sourire creusait ses joues.

— J'ai toujours cru que j'allais finir ma vie avec toi, Anezka, du plus loin que je m'en souvienne. Je n'ai jamais cessé d'y croire, jusqu'au jour où ton chemin a commencé à dévier du miens. À partir du jour où tu m'as dit que tu voulais explorer le monde, devenir une Gaerilah, et que rien ni personne ne pourrait t'en empêcher, c'est là que j'ai su que je ne serais jamais une priorité à tes yeux.

Une boule au fond de mes entailles explosa, me remplissant de culpabilité. Encore, une vague de larme déroula de mes joues.

— Mais j'ai continué à forcer le destin, parce que je suis stupidement têtu. Je me suis dit qu'avec un peu d'aide, tu finirais par voir qu'aucune autre personne ne réussirait à t'aimer autant que je le fais. Et j'ai aussi fini par comprendre que ça ne suffirait pas. Mon amour pour toi ne réussirait jamais à te rendre heureuse. Et je me sens maintenant encore plus stupide de m'être autant attaché à toi, car pendant ce temps, je ne me suis intéressé à personne d'autre contrairement à toi, dit-il cette fois plus amèrement. Ce Morten, comment a-t-il réussi à obtenir toute ton attention ? Je ne t'ai jamais vu aussi déterminé à protéger quelqu'un, où tu serais prête à déplacer des montagnes pour l'aider.

Je clignai plusieurs fois des yeux pour éliminer au mieux le voile de brume qui me gênait.

— C'est différent Ze'ev. Morten... Si je suis prête à tout pour le sauver d'Hoak, c'est pour mon père, pour ma vengeance, pour Thenaë, pour ma mère et l'enfant qu'elle portait.

Un rire sec s'échappa de ses lèvres. Ce son m'irrita, comme s'il venait à l'instant de se moquer de moi.

— Quoi ? m'empressai-je de dire en reniflant.

— C'est ça le plus blessant Anezka. Je ne te blâme même pas de ne pas m'aimer, je l'accepte, on ne peut pas aimer tout le monde. Ce qui me blesse, c'est ce regard que tu lui portes, celui que j'ai toujours rêvé qu'il me soit destiné, lâcha mon ami en laissant son visage tomber sur le côté. Ses yeux percutèrent violement les miens. Lui aussi pleurait.

— Il est tout ce qui est de plus mauvais à Oxstrea. Il est abominable. Il n'y a rien de bon pour toi chez lui, et je te connais par cœur Anezka. Je sais que tu penses qu'il peut être sauvé, et qu'il peut vivre comme n'importe qui ici. Et tu lui offres toute la foutue attention que j'ai souhaité. À lui. À ce...

Il ne réussi pas à finir sa phrase. Il savait que ces mots allaient être crus, et jamais Ze'ev ne s'était autorisé à insulter quelqu'un.

— La différence, c'est que lui ne t'apporteras qu'un second cœur brisé.

— Non, tu te trompes sur son compte, me surpris-je à dire.

Un nouveau sourire força ses lèvres à se courber. Ce sourire était plus triste que celui qu'il ornait quelques secondes plus tôt.

— Tu viens tout juste de me le prouver. Tu serais prête à me tenir tête uniquement pour le défendre. J'aimerais simplement ajouter que, si tu as décidé de te faire passer avant moi, c'était pour ton propre bonheur. Alors ne le fais pas passer lui, ne lui donne pas la chance que je n'ai pas eu, car tu le regretteras.

Je n'eus pas le temps d'ajouter quelque chose qu'il se leva et emprunta le chemin qu'on avait utilisé pour monter. Il me laissa seule en me léguant uniquement une terrible douleur au creux de mon cœur et de mes mains. J'avais cette horrible impression d'avoir souillé son honneur, et son bonheur. Je fixai mes mains tremblantes, et les plaquaient contre mes épaules en forme de croix.

Ze'ev avait raison. Je m'étais toujours faite passer au premier plan. J'avais favorisé mon souhait de liberté plutôt que notre amitié, et aujourd'hui, la seule promesse que je m'étais faites hormis celle de ma vengeance, était de sauver Morten de ses démons. Je l'avais fait passer au premier plan, mais pourquoi ? Pourquoi compatissais-je autant lorsqu'il s'agissait de lui ? Pourquoi avais-je l'impression que si j'échouais à l'aider, je ne réussirais pas à me sentir comblée ? Je devais me reprendre en main, et agir avec Morten comme je l'avais toujours fait avec Ze'ev. Peut-être que de cette manière, mon ami me pardonnera.

Je séchai alors mes larmes et descendis à mon tour.

...

J'approchai mes narines de ce parfum et l'écarta aussitôt. Trop fort. Je n'avais pas besoin de sentir la rose. J'optai alors pour mon premier choix et me parfuma de cette odeur d'Amyris et de Lys, qui me remplis de cette senteur fruité et citronné. Je laissai les fines particules du parfum m'envahir, se posant sur mes cheveux que j'avais rassemblé pour une partie en deux nattes distinctes, pour y coincer ensuite des branches d'arbres fleuris ainsi que des rubans verts et jaunes. Ma nouvelle robe était de ces mêmes couleurs. Une robe lourde et longue. Le bustier ne contenait pas de manche, uniquement de fine bretelle en dentelle, de la couleur de ma peau, laissant même penser qu'il n'y avait pas de brettelle et que la robe se tenait uniquement grâce à ce bustier en forme de corne aux extrémités. En revanche, une traîne était fixée au dos du bustier, glissant jusqu'à mes chevilles sans dépasser le bout de la robe. Tout comme la robe, elle était de couleur verte et jaune, et le blanc n'allait se faire voir uniquement lorsque la nuit allait tomber. Cette robe contenait des cristaux de pyrites et de galènes qui étaient cousu dans le tissu en suivant des lignes toutes tracés, celles de mon corps et de mes formes.

Un peu plus tôt dans l'après-midi, j'avais trouvé un atelier de couture, ou trois femmes et un homme fabriquaient des robes et des costumes à la chaîne, confectionné à la perfection pour les clients. Je leur avais donné dix pièces d'or pour cette robe, et pour me remercier, ils m'avaient même offert une paire de souliers très confortables.

Cet Astris allait probablement être mon dernier. Je ne voulais pas penser au pire des scénarios, à la mort qui pouvait s'abattre sur moi à tout instant. Je n'oubliais pas que ma vengeance allait être mortelle, et pas seulement pour Hoak. J'allais m'attirer la foudre de tout un peuple si je tuais leur Gardien, mais au moins, j'aurais accompli ma seule mission.

Quelqu'un toqua à ma porte et le miroir ovale sur le bureau me permis de voir la figure d'un petit être.

— Mademoiselle Rivee, vous permettez que j'entre ?

Je me levai du tabouret et lui fis face.

— Oui, bien sûr ! Il y a quelque chose que je peux faire pour vous, Vidaar ?

— Po, s'il te plaît, me corrigea-t-il en secouant sa tête. Dans cette forme-là, je ne suis plus le Gardien des forêts, mais simplement le docteur du village.

Embarrassée, je m'excusai en baissant le menton.

— Tout de même, il y a quelque chose que je puisse faire pour vous... Po ?

— Pour moi, non, mais pour ton père et toi, oui.

Po chercha quelque chose dans la poche de sa veste marron faite de peau. Il en sortit une lettre scellée par de la cire. Il me la tendit. Du bout des doigts, je l'effleurai.

— Tout est dit dans cette lettre, reprit Po lorsqu'elle fut entre mes mains. Tu partiras au lever du soleil, alors prends le temps de dire au revoir à ceux que tu aimes.

Son sourire maladroit m'ôta la crainte de mes épaules. Moi qui avais eu peur d'avoir fait mauvaise impression devant notre Gardien, je m'étais probablement trompée. Vidaar, ou Po, me voyaient tous deux comme une femme accomplie. Une Gaerilah. Il m'avait donné de sa confiance, que je n'avais pas souillé.

— C'est votre don ? ai-je demandé soudainement, avec entrain et curiosité. De... pouvoir vous changer en Po ?

Le docteur balaya mes mots de la main, une moue contrariante accompagna son geste.

— Pas qu'en Po ! Je peux me changer en absolument tout ce que ton imagination puisse t'offrir, ajouta le médecin en me regardant sérieusement, n'oublie jamais ça.

Il n'ajouta rien. Par ailleurs, je ne trouvais rien à ajouter non plus. Sincèrement, j'avais des tas de question à lui poser, au sujet d'absolument tout, qui aille d'un sujet précis comme le nombre de garde présent auprès de la Reine, ou bien d'un sujet bien moins aguicheur, comme s'il l'avait ou pas la même manière de penser lorsqu'il changeait de corps.

Je m'interdis de lui poser ce genre de question stupides. Même s'il s'agissait de Po, quelque part en lui, Vidaar voyait à travers ces mêmes yeux, et entendait par ces mêmes oreilles. Je ne pouvais pas dire ou faire n'importe quoi sous prétexte qu'il était Po.

Alors rapidement, Po s'éloigna et exprima avant de quitter la chambre :

— Je vous souhaite bon voyage, soldat.

...

Mlle. Rivee, Si vous souhaitez vous rendre au Cœur d'Oxstrea et dénoncer les actes intrépides d'Hoak, seul votre témoignage, et ceux des Elfiah ne suffiront pas. C'est pour cela que je vous demande de vous rendre en premier lieu dans les hautes montagnes, à la rencontre des Tuzak. Puis, demandez Silion Orka. Elle sera votre preuve contre le Gardien des mers. Donnez-lui cette pierre contre son savoir. Ce sera votre monnaie d'échange, alors ne la perdez pas. Bon courage, Vidaar.

Mes yeux suivirent les courbes de l'écriture soignée, jusqu'à la dernière lettre. C'était la troisième fois que je relisais cette lettre, mais mon inquiétude ne s'éclipsait pas. Après plusieurs minutes à me questionner sur mes réelles capacités de combats et ma force mental, je finis par faire de cette feuille une boule et la planqua dans un tiroir. J'avais gardé la pierre qui m'avait été donné avec la lettre, et la fourra à l'intérieur du corset, proche de ma dague. Avant de sortir de la chambre, j'empoignai mon sac de pièce d'or et enroula la ficelle autour de mon poignet. Avant de passer par la cuisine et donner le reste de mon argent à Jyok pour lui rembourser la robe, je souhaitais tout d'abord parler avec Zemya et Enok.

Je trouvai les deux dans le salon principal. Une fille de l'âge de Zemya se tenait derrière elle et s'occupait de ses cheveux. Je n'avais jamais vu ma petite sœur entourée de personne de son âge, et encore moins à rire ensemble. Pourtant, c'était bien ce qu'il était en train de se passer. Zemya et cette fille se racontait des histoires et riaient ensemble tandis que Enok jouait avec les pétales qui glissaient des cheveux de Zemya.

Mes doigts se contractèrent contre la pochette que je tenais, refusant de couper court à cette joie sur le visage de ma sœur, je préférais ne pas les interrompre et les laisser ensemble. Probablement que je n'aurais pas d'autre occasion de leur parler, de leur dire au revoir, et leur expliquer que je ne reviendrais pas avant longtemps. D'un autre côté, je ne voulais pas non plus briser leur cœur déjà en miette. Je ne pouvais pas leur promette de revenir en vie, je ne pouvais absolument rien leur promette du tout. Ils m'en voudront probablement jusqu'au restant de leurs vies, et j'aimerai au moins qu'ils sachent que ce que je m'apprête à faire, je le fais pour eux, pour notre famille.

Je peignai une dernière fois le sourire de Zemya dans un coin de ma tête, ainsi que les yeux curieux de mon frère, puis partie en retrait.

Jyok ne se trouvait ni dans la cuisine, ni dans sa chambre, alors je me contentai simplement de lui poser le sac sur son oreiller, sans rien de plus. J'avais hésité à lui laisser un mot, pour lui demander de veiller sur ma famille, mais je ne me voyais pas faire cette demande par écrit. Je me devais de le faire de vive voix.

Pendant ce temps, les fêtes approchèrent, et dans moins de quelques heures, le soleil aura fait place à la lune. Ma dernière nuit de tranquillité avant un long combat.

...

Mes battements de cœur se reflétaient dans le rythme qu'avaient mes pieds de frapper le sol l'un après l'autre. Nous dansions désormais la Maut Denvis, une danse très rapide que maman avait eu beaucoup de mal à m'apprendre. La Maut Denvis se dansait généralement à trois, mais il y avait si peu de personne qui arrivait à suivre le tempo de la basse que nous étions à peine une vingtaine à danser, et je me trouvais dans l'unique duo parmi tous ces trios. La femme qui m'accompagnait avait elle aussi un sourire qui touchait ses oreilles, ses yeux étaient verts, comme les miens, sauf qu'ils étaient d'une teinte plus foncée, et tiraient presque sur un vert mélangé avec du marron, comme l'était l'anneau qui encerclait sa pupille. Ses cheveux blonds étaient enfermés dans un foulard bleu clair brodé à la main, et sa robe tout aussi bleu volait autour d'elle dès qu'elle se mettait à tourner.

J'ignorai son prénom, ni même de quelle province elle appartenait. Je dansais tout simplement avec cette femme depuis une bonne heure, et aucune de nous deux ne voulaient s'arracher à un autre cavalier.

Mes pieds me picotaient à force de sauter sur ce sol dur de terre sèche. Mon corps était empli d'une fine couche de sueur, me rendant frileuse lorsque je m'arrêtais de danser et qu'un vent me caressait les membres nus de tissu. Mes cheveux tressés virevoltaient dans tous les sens, et laissait parfois tomber des pétales de fleur lorsque mes mouvements de tête étaient trop vifs.

Pourtant, je ne m'arrêtai pas. Je continuai de danser sans penser au souffle qui me manquait, sans penser à tout ce qui me grignotait de l'intérieur, consumant ma seule joie affectueuse. C'est en dansant que je laissais tout cet énergie négative partir, sans jamais laisser un faux pas me trahir. Je voulais honorer ma mère, me dire que j'avais participé à l'Astris et danser toutes ces danses qu'elle m'avait enseigné lorsque je me plaignais d'être nul dans tous les domaines.

Elle m'avait promis de m'apprendre la Maut Denvis, pour avoir la fierté d'être la seule jeune femme de mon âge à connaître par cœur les pas.

Et je l'étais. Même la femme avec qui je dansais devait bien avoir dix ans de plus que moi. Je ne voyais aucune autre personne de vingt ans s'initier dans la ronde de trio.

Maman, tu peux être fière de toi.

Lorsque la musique arriva sur ses dernières notes graves et qu'elle s'arrêta dans un élan inattendu, un silence plaisant surplomba le ciel obscurcit. La chaleur à l'extérieur n'était provoquée que de nos corps dansants, et des souches de feu qui crépitait de part et d'autre du village.

Autour, des cercles géants avaient été formé de nos pieds pendant l'exécution de la Maut Denvis. Des cercles, qui, si l'on regardait avec précision, formait le symbole d'Oxstrea. Les Elfiah s'émerveillait devant la fresque de terre, pointant parfois du doigt certain endroit, venant applaudir les artistes. Puis, la seconde d'après, de nouvelles notes débutèrent.

La Pinath. Cette danse-là, en revanche, était bien plus simple à réaliser. Pour cause, beaucoup de personne vinrent nous rejoindre pour former des lignes parfaites. De là, nous nous mirent à avancer en chœur, et reculer, tourner, et avancer, sans jamais quitter nos lignes.

Chaque danse provenait d'un peuple Elfiah. Il y en avait vingt-huit en tout. Vingt-huit danses à connaitre sur le bout des doigts, pour nos vingt-huit villages. Je ris lorsque la personne à mes côtés bafouillait des pieds, c'était un homme qui s'amusait tout simplement à sauter lorsque je le faisais, et tournait lorsque je tournais. Au moment même ou mon corps tourna, et que mon menton se leva vers l'horizon, une paire d'yeux captura les miens. Deux cercles dorés, plus précisément.

Mon sourire se figea sur mes lèvres, et mes paupières refusèrent de se fermer l'espace d'une demie seconde. Au lieu de ça, je fixai cet être qui, parmi toute cette foule, tous ces corps qui dansaient, les personnes qui l'entouraient et qui semblaient lui parler, n'avait son intention ancrée que dans la direction même où je me trouvais. Une sensation étrange me pris le ventre, comme si... son regard m'importais.

Suivant les pas de la Pinath, nous nous retournions dans un seul et même saut, et lorsque je fus dos à lui, mon sourire disparu en un coup de vent. Je ne pouvais pas m'empêcher de me questionner.

Ses yeux étaient-ils toujours rivés sur moi ? Aimerais-tu que ce soit le cas ? Préférais-tu qu'il en regarde une autre ? Cela te gênerait-il ?

Non... Enfin, peut-être, je ne sais pas...

Cette sensation qu'il était désormais partout, qu'il scrutait mes mouvements de bras, de tête, de hanche. Cette sensation de vouloir en faire d'avantage, de sauter plus haut, de tourner la tête avec plus de lenteur et d'envoutement, de faire attention à mes ports de bras. Tout ça dans la seule idée qu'il en soit le seul témoin.

Tu lui offres toute la foutue attention que j'ai souhaité. Les mots de Ze'ev firent échos dans mon esprit.

Je compris enfin. J'avais, depuis ces trois dernières semaines, pensé que je devais attirer son intention dans l'espoir de lui prouver qu'il n'était pas un cas à part, qu'il pouvait découvrir son don et l'apprivoiser. Pourtant, l'attention que je lui tendais du bout des doigts l'avait toujours dégouté. Il ne voulait pas de mon aide, néanmoins, je restais curieuse. Je n'avais jamais été autant curieuse de connaître quelqu'un. Et Morten, je voulais le connaître. Mais comment connaître quelqu'un si lui-même à peur de découvrir qui il est ?

Morten avait peur de lui-même. Il se craignait. Il refusait d'accepter une part de son identité. Le seul moyen pour moi de l'aider est de lui apprendre. Po, ou Vidaar le fera. J'avais assez confiance au Gardien des forêts pour qu'à mon retour, Morten se sente comme un enfant d'Oxstrea. En parlant de lui, il n'était plus assis à sa chaise. Morten avait disparu, laissant derrière lui un vide que je devais probablement être la seule à ressentir.

Alors, je continuai de danser, avec beaucoup moins de fierté et une pointe de déception en plus.

Plus les minutes passaient, moins l'envie de danser se faisait ressentir. J'étais arrivée à un point où je ne ressentais ni mes pieds, ni mes jambes, ni mes hanches, ni mon dos. Je souhaitais juste m'assoir, boire, et observer la fête. Et, au lieu de faire exactement ce dont j'avais envie, mes yeux se portèrent vers le chemin qui menait à la dense forêt, celle qui était coupé en deux par un cercle de mur protégées par de géantes créatures. Le chemin était plongé dans l'obscurité presque total, et n'était utilisé ce soir seulement pour les adeptes de promenade. En autre cas, il menait aux portes de du villages, fermées pendant la nuit, même en cas de festivité. Les retardataires n'avaient alors aucun moyen d'entrer, comme ceux qui voulaient à tout prix fuir la fête.

Malgré ma fatigue, mon esprit embrouillé avait besoin de prendre l'air.

Alors je marchai le long de la forêt, sentant le froid vite m'envahir, j'utilisai ma trainée fluorescente comme manteau. Plus je m'éloignai, plus la musique se fondait dans un murmure lointain.

Au petit matin, je ne serai plus là.

Je n'avais pas dit au revoir à ma famille, car je savais pertinemment que Zemya n'allait pas accepter mes choix. Enok allait probablement se retrouver seul, car Zemya n'était pas du genre à vouloir s'occuper de lui. Je ne voulais juste pas les effrayer, leur dire adieu, et leur promettre des mots qui allaient me bruler la gorge car nous étions incapables de mentir. Tout du moins, on le pouvait, mais la douleur du mensonge n'était pas quelque chose de souhaitable.

Le silence n'avait été que de courte durée. Plus loin dans la forêt, au milieu des arbres, braillait des voix altérées. Était-ce des cris de douleur ? Ou bien des personnes qui se prenait la tête ?

Au lieu de continuer ma route et ignorer ces cris de détresse et de rage, je décidai de m'enfoncer dans la forêt, là où les ombres prenaient toute l'espace libre. Il ne m'avait pas fallu marcher bien loin pour voir deux personnes entre quatre troncs dix fois plus gros qu'eux, l'un était au sol, l'autre le frappait au visage.

J'accourrai rapidement vers eux, puis m'arrêta dès lors que je fus assez proche pour reconnaitre leurs visages.

C'était Morten. C'était lui qui était au sol, le visage dégoulinant de file de sang, les vêtements arrachés, maintenu dans la poigne de Ze'ev, au-dessus de lui.

Morten semblait être inconscient, tandis que Ze'ev, pris d'une rage qui ne lui ressemblait pas, le ruait de coup. Il s'arrêta uniquement lorsque qu'il prit une respiration et leva son menton dans ma direction. Ses yeux s'écarquillèrent, et il blêmit.

— Je n'ai pas eu le choix, s'empressa-t-il de dire, il allait me tuer Anezka !

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