Chapitre 16

Aïko_nsr

───※ ·❆CHAPITRE 16❆· ※───
M O R T E N

— Je peux entrer ?
             
Un visage barbu apparut entre ma porte et le mur. Il attendit mon accord avant de finalement entrer à pas léger.  
             
— Morten, c'est ça ? articula le vieil homme dont l'âge devait avoisiner celui du docteur. Moi c'est Jyok, on s'est rencontré il y a quelques jours, lorsque vous êtes arrivé.
             
— Oui, je me souviens de vous.
             
Et encore mieux de son fils.
             
Je n'arrivais pas à voir s'il me souriait, ou s'il ruminait des mots inaudibles dû à sa très longue barbe blanche qui frottait son ventre. Des tresses la décorait, y enfermant à certain endroit des écosses d'arbres, ainsi que des files d'or. Il n'était pas bien mieux garni au niveau du crâne, et contrairement au doc, aucun tatouage ne ruisselait sur sa tête. En revanche, son estomac était rond et gonflé comme un ballon.
             
— Si vous êtes venu pour me proposer vous aussi de participer à vos tâches, je vais vous dire la même chose qu'à votre semblable. Je ne veux pas faire partie des votre, alors vous pouvez sortir.
             
Je quittai la fenêtre pour m'installer sur mon lit, laissant ma tête reposer contre mes avant-bras placés derrière mon crâne.
             
— Je veux juste profiter de mes vacances en camping, ajoutai-je d'un ton ironique.
             
Ma réponse lui créa un rire rapide, faisant mouvoir les poils qui entouraient sa bouche.
             
— Justement, j'ai une annonce à faire à ce sujet, annonça l'Elfiah. Le peuple a procédé à un vote ce matin, et la décision a été considéré à l'unanimité. Tu ne fais pas parti du peuple, effectivement, mais on ne peut pas non plus te laisser partir, car Hoak représenterai un réel danger s'il te trouverait.
             
Alors Anezka leur avait tout dit.
             
— Je vais devoir te demander de me suivre, Morten.
             
— Où ?
             
— Dans la prison.
             
Mes yeux divaguèrent à travers la pièce, puis se posèrent enfin sur la fenêtre que j'avais fixé depuis ces quatre derniers jours. Il n'avait pas cessé de pleuvoir.
             
— Qu'ai-je fais pour mériter d'être enfermé, dites-le-moi, je suis curieux.
             
Je ne le voyais plus. Tout ce que je voulais observer était la pluie.
             
— Malheureusement, rien. Mais, les gens ont peur de toi. Nous nous demandons pourquoi Hoak cherche tant à obtenir tes pouvoirs, nous imaginons bien qu'ils doivent être grandioses. De plus, la seule fois où tu as posé un pied dehors, tu as réussi à apeurer le village entier. Une femme a dit que tes yeux étaient noirs, entièrement noir. Et le sang qui avait coulé dans tes veines était de cette même nuance. Avant que tu ne t'écroule à terre, et que le docteur te donne une dose d'Amolikk, le temps n'avait jamais été aussi prometteur. Nos récoltes étaient bonnes. Et depuis... Depuis tu es arrivé ici, la tempête fait rage. Nous n'avons pas eu un seul beau jour en une semaine, et il nous est impossible de pouvoir prédire les prochains beaux jours, même avec l'aide d'un peu de magie.
             
La pluie fouettait les vitres, bruyamment.
             
— Les gens d'ici commencent à se demander si tu ne serais pas porteur d'une... enfin...
             
— D'une malédiction ? intervins-je d'une voix lourde.
             
Le cuistot garda le silence.
             
— Est-ce qu'il existe des saisons à Oxstrea ? demandai-je sans lâcher du regard cette forte tempête qui, chaque minute, prenait en ampleur. 
             
L'automne était ma préférée. J'aimais particulièrement observer les arbres se délaisser de leurs feuilles, voir le vent les arracher pour finir par s'entasser les unes sur les autres. Les arbres dans leur nature la plus brute était l'unique moment où je les appréciais. Leurs branches biscornues, pointant dans n'importe quel sens tel des éclairs, ou des doigts qui ne savaient pas vraiment quoi montrer entre le paradis et les enfers. La nuit, lorsque le ciel n'était qu'illuminé par la lune, les branches des arbres formaient une toile de dentelle, qu'une araignée aurait tissé avec succès. C'est ce que j'aimais dans l'automne. Rien, absolument rien ne venait cacher la beauté des squelettes de la nature.

La nature.

Beaucoup voyait ça comme une peinture de couleur dont la palette s'entendait indéfiniment. Les fleurs, les fleurs et les fleurs... Pourtant, très souvent, les fleurs étaient ce qui cachait le réel talent de la nature.
             
L'automne n'est rien d'autre que de la nature morte, disaient-ils.
             
Je n'avais jamais été d'accord.
             
L'automne est ce qui donne vie au printemps.
             
Et tandis que le printemps se meurs, l'automne, lui, ne rendrait jamais son dernier souffle, pas même lorsque nu, on lui coupe la tête. 
             
Tout comme les couleurs perdaient de leurs éclats lorsqu'on les regardait trop longtemps, ou de trop près. Alors que les nuances plus simples, le noir, le gris, ne s'estompait jamais. Elles étaient éternelles.
             
Et ce sentiment insupportable au creux de mon abdomen lui-aussi était éternelle. Il ne me quittait jamais.
             
C'est pourquoi j'aimais imaginer la puissance que pourrait produire une tempête sur un tel lieu comme celui-ci. Et je l'avais imaginé, chaque fois que mon regard se posais sur la fenêtre. J'avais fixé ces arbres vêtus d'un bonnet vert, puis, l'instant d'après, une tempête s'était levée. Plus aucun arbre présent dans mon champ de vision ne portait de feuille.
            
— L'automne est une mutation constante, repris-je, qui, chaque année, il renaît de ses cendres.
             
— Je ne comprends pas où tu veux en venir.
             
— Nulle part, je souhaitais simplement dire que l'autonome ne connait pas l'art du trompe l'œil. Et vos forets en regorgent.
             
Le visage de Jyok se décomposa en plusieurs morceau d'émotion bien distinct les uns des autres. D'abord, l'incompréhension, puis l'émoi, la méfiance, enfin, la lucidité. Il avait enfin mis chacun de mes mots à la chaîne, et l'ampoule s'alluma.
             
— C'est... C'est toi... Alors c'est vrai, Hoak avait raison...
             
La porte s'ouvris en fracas. Deux types, dont le fils du cuistot débarqua dans la chambre. Je ne fis absolument rien pour les empêcher de me lever du lit, et me pousser hors de la pièce.
             
En passant proche du vieil homme, j'ébruitai d'une voix coupable :
             
— Il me suffit de penser, et on m'obéit. La nature n'en fait pas exception.
             
Il ne me lâcha pas du regard, pas même lorsqu'on me traîna hors des dortoirs, pour me tirer à l'intérieur de cette tempête qui rugissait. Je les laissais faire. Je les laissais m'accompagner dans ma prochaine résidence sans jamais me débattre. Un large sourire fendit mes lèvres en sentant cette pluie froide contre ma peau, elle qui humidifiait mes vêtements et rendait le sol boueux.
             
Nous étions arrivés devant des cages, l'un des costauds commença à ouvrir une des portes lorsque le salopard d'Endrik l'arrêta dans son action. 
             
— Non, pas celle-là. On va le mettre avec l'Okto, et on verra lequel des deux sera encore vivant demain.
             
Quelque chose de pointu et lourd venait de s'abattre contre ma tempe, il ne me fallut que trois papillonnements de cils avant de m'effondrer au sol.
             
— Et j'espère vraiment que sera ton corps qu'on retrouva inerte, sal enfoiré, exprima la voix d'Endrik avant de se fondre à travers l'orage qui grondait.

...

C'était dans cet endroit que j'allais lorsque je me sentais hors de contrôle.
             
Et plus je grandissais, moins j'avais de contrôle. Hier encore, la voiture de cette ordure avait pris feu par ma faute. Ce type me réclamait de l'argent depuis une bonne semaine, tout simplement parce que je devais lui payer les soins de sa main cassé. Il ne m'aurait pas insulté de monstre, je ne lui aurais que cassé la mâchoire. Sauf que cette chose au fond de moi avait horreur d'être nommé ainsi, alors elle avait répondu d'elle-même. Lorsqu'il s'était apprêté à descendre les escaliers, je l'avais imaginé se prendre les pieds dans ses lacets, et se briser le poignet en essayant de se rattraper contre un mur. 
             
La seconde d'après, Ronald venait de dévaler les marches, sa tête avait cogné contre le sol, et tentant d'amortir le choc contre le mur en face de lui, sa main venait de prendre tout le poids de son corps, qui s'était multiplier par la vitesse de sa chute. Sa main s'était retournée, ses doigts avaient touché son avant-bras et sa paume de main avait pris la place du dos de sa main. L'os de son poignet était visible, et ce même après que du sang ne finisse par le coloré de rouge et le rendre invisible.
             
Il n'avait pas cessé de me réclamer cinq mille dollars, somme que je n'avais pas, et que je ne pouvais pas demander à la directrice de l'orphelinat.
             
Madame Tate était beaucoup trop radine, et de toute manière, elle ne m'aimait pas. Elle ne m'avait jamais apprécié, et était la première à me dépeindre comme un angélique gamin dès qu'une famille venait visiter le site. Et j'étais le premier à cracher des gros-mots devant les familles en leur jetant de la cire chaude lorsqu'il passait le bat de ma porte de chambre. Si Madame Tate désirait tant me voir partir d'ici, alors moi, j'allais me montrer horrible avec les familles.
             
Car je n'en voulais pas.
             
J'étais un monstre, c'est pour ça que mes propres parents m'ont abandonné. Je n'étais pas destiné à être aimé comme tous ces enfants. Les monstres ne reçoivent pas d'amour, ça, je l'avais compris. Tout autant que je n'avais pas d'amour à offrir.
              
Après l'incendie de la voiture de Ronald, qui était apparu la seconde même ou j'avais imaginé des flammes le bruler, je m'étais dirigé dans ce sous-terrain. C'était la troisième fois cette semaine, et je gagnais constamment.
             
De nouveau sur le ring, on m'apporta cette fois quelqu'un de plus grand, et plus costaud. Au départ, on n'avait pas accepté que je combatte, car j'étais beaucoup trop jeune, alors j'avais passé un marché. Je leur avais dit que, si je gagnais un premier combat, l'argent leur serait donné.
             
L'argent, ça ne m'attirait pas. Je n'avais rien à payer, et ça, il l'avait bien compris. Un jeune collégien n'avait pas de frais, à quoi bon lui donner de l'argent.
             
J'avais remporté mon premier match, et comme promis, les mille dollars leur avait été donné. Puis, j'avais fait la rencontre d'un homme.
             
Elijah.
             
Lorsque j'étais descendu du ring, il m'avait demandé de le suivre.
             
— Comment tu t'appelles, gamin ?
             
Morten.
             
Quel âges as-tu ?
             
Treize ans.
             
Je me souvenais de cet air qu'il avait adopté. Il était intrigué.
             
Tu peux m'expliquer, comment un gamin de treize ans a pu mettre à terre un homme de trente ans, qui fait cinq fois plus ton poids et ta taille ?
             
J'ai imaginé ses muscles s'endormirent, je l'ai imaginé être dans le même état qu'après avoir passé trois jours sans dormir. C'est comme ça que j'ai fait.
             
Le visage d'Elijah s'était obscurci. Bien sûr, il ne comprenait pas ce que je disais. De toute façon, j'avais beau dire la vérité, personne ne me croyait jamais.
             
— Tu as... imaginé ses muscles s'endormirent... avait répété Elijah, en posant ses coudes sur la table puis en posant son menton contre ses doigts qui s'étaient rejoint entre eux. Et tu peux me dire, comment tu imagines cette chose ?
             
— Comme ça.
             
De la même manière que j'avais imaginé le corps de se combattant sombrer dans le sommeil, j'imaginais celui d'Elijah aussi. Peu à peu, son visage bascula vers l'avant, ses doigts, d'une lenteur qu'il tenta de comprendre, se détachèrent un à un sous le poids de sa tête, et ses coudes glissaient contre son bureau en bois.
             
— Comment-
             
La seconde d'après, ses bras s'étaient plaqués contre le bois, et sa tête, lourde de fatigue, sombra contre ses bras.
             
Puis, je m'arrêtais. La bête à l'intérieur de moi retourna dans son terrier, pour laisser Elijah reprendre possession de son corps. Il lui avait fallu quelques minutes pour comprendre qui il avait devant les yeux, et lorsqu'il comprit, il tenta d'y mettre des mots, du mieux que possible.
             
— C'est... Tu es...
             
— Un monstre ?
             
— Non, loin de là, repris Elijah, en se levant pour venir près de moi. J'allais dire que c'est fabuleux, et que tu es prodigieux.
             
Fabuleux. Prodigieux.
             
— D'où est-ce que tu viens, mon enfant ?
             
— Des enfers, je pense.
             
— Alors l'enfer me fait don d'un beau cadeau. T'es parents savent que tu es ici ?
             
Je pris un temps pour réfléchir. Que devais-je lui dire exactement ?
             
La vérité. Rien que la vérité.
             
— Je n'ai pas de parent.
             
L'homme se grandissait, puis, posa une main sur le haut de mon crâne. Il orna un sourire bien chaleureux, et dans ses yeux, je pouvais y voir une certaine flamme jaillir, la même qui brulait constamment dans mes entrailles. Sauf que la sienne m'était destiné.
             
— Je te souhaite la bienvenue parmi nous, Morten. Désormais, ici, ce sera ta maison.

                               ...
             
Une douleur aiguë me tira de mon sommeil. Un voile de brouillard s'étendait devant ma vue, et même lorsque je fermais mes paupières et les frottaient, rien ne permettait de voir exactement où je me trouvais. Tout ce que je pouvais dire, c'était que l'odeur de la boue m'envahissais, et pas seulement au niveau de mes narines. J'en étais recouvert, que ce soit dans mes bottes, dans mes cheveux, qu'en dessous de mes vêtements. Je la sentais présente partout sur moi, créant une sensation très déplaisante, comme si j'avais une deuxième peau qui craquelait, et que je muais tel un serpent. 
             
À l'aide de mes deux mains, je poussai dessus pour me mettre sur mes pieds. Une fois debout, je pus constater une source de lumière au-dessus de moi, ainsi qu'une grille. La lumière était froide et faible, et mes jambes vacillaient, encore engourdies par l'inconfort de ma position précédente.
             
Une prison. Me voilà encore enfermé ! Quelle chance !
             
— EH ! IL Y A QUELQU'UN !
             
Aucune réponse.
             
— Non sérieusement les gars ! Vous m'enfermez à cause de la tempête que j'ai invoquée ? hurlai-je en frottant mes mains contre mes cheveux.
             
La boue sèche y tombait comme de la peau morte. Une grimace naissait sur mon visage lorsque mes doigts touchèrent cet endroit douloureux. Ma tempe saignait.  Un grognement de désarroi empli la cage, frappant contre les murs en terre humide.
             
— Celui qui a osé me faire ça va le payer très cher.
             
— Ferme-là, tu veux bien ? tonnait une voix lourde mais féminine.
             
En me retournant, je vis au fond de la cage, assise par terre dans un coin, une femme qui avait les paupières fermées et un visage calme. Ses cheveux, noirs et tressés, encerclaient sauvagement sa tête et ses épaules.
             
— Tu m'empêches de dormir.
             
Je pris quelque seconde pour considérer sa demande, cherchant à savoir si je souhaitais sortir d'ici, ou bien attendre qu'on me sorte.
             
Puis, après mûre réflexion, j'ignorai la femme.
             
— EST-CE QU'IL Y A UN PUTAIN D'ENFOIRE QUI M'ENTEND !?
             
— Merde mais tu vas la fermer ! Personne ne va te laisser sortir, imbécile... À ton avis, pourquoi on t'a foutu en taule ? Ces Elfiah... Tous aussi timbrés les uns que les autres.
             
— Je ne suis pas un Elfiah, lui informai-je comme si cette nouvelle était capitale.
             
— Ah oui, tu es quoi alors ? Parce que, sincèrement, à part une nouvelle race de gros crétin, je vois pas ce que tu peux être d'autre.
             
— Ravie de savoir que cette race n'a pas été encore découverte.
             
Elle ouvrit les yeux, et je vis une lueur de défis y traverser.
             
— Tu es sûr ? demanda-t-elle, sceptique.
             
— Oui, j'en suis sûr, répondis-je avec nonchalance.
             
Elle me scruta un instant, puis referma ses paupières en lâchant un soupire.
             
— Tu es quoi, si tu n'es pas un Elfiah ?
             
Bonne question.
             
— Quelque chose...
             
— On est tous quelque chose, ne te sens pas différent.
             
Le besoin de la contredire était plus grand que moi.
             
— Je n'ai pas d'oreille pointues, ni de nageoire, et je ne suis pas humain, alors explique moi en quoi je suis un tes semblables.
             
— Tu ignores de quel peuple tu appartiens, c'est ça ? dit-elle, le visage tourné dans ma direction et les yeux entre-ouverts.
             
— J'ignore qui sont les miens, c'est différent, dis-je tout bas. Pourtant, j'ai ce présentiment qu'ils ne sont nulle part, et en même temps partout.
             
Elle laissa échapper un léger rire méprisant.
             
— Mmh... Ouais, finalement, t'es différent de nous. T'es vraiment timbré.
             
Je lui laissai un temps, un moment qu'elle utilisa pour rire. Après cette minute d'hilarité, le silence retomba dans la cage. Lentement, je vins déposer mon dos contre un des murs, et me laissa glisser jusqu'au sol, juste en face de cette femme à la peau marronné, portant sur elle un corset noir et une large jupe qui autrefois, devait être blanche. Ses vingtaines de tresses touchaient le sol, se baignant dans la boue, tout comme ses pieds nus l'étaient.
             
— Et toi, tu es l'Okto qu'ils ont capturé, je suppose ?
             
— En personne, murmura-t-elle, la tête contre le mur de terre et le menton légèrement relevé.
             
Ses bras, autrefois posé contre son ventre, vinrent encercler ses jambes pour les rapprocher d'elle.

— Je m'appelle Cynestra P, reprit cette femme en trouvant mes yeux.
             
P ?
             
Elle me lança un regard mesquin, comme pour me défier de demander de nouveau ce que ce P signifiait.
             
— Laisse. Tu n'arriverais pas à prononcer mon nom de famille. Aucun Elfiah n'y arrive, il est trop... Okto.
             
— Ça tombe bien, je ne suis pas un Elfiah.
             
Cynestra hésita, incertaine du jugement que je pourrai lui porter.
             
— Prithoscyra. Cynestra Prithoscyra. Mais appel moi Cy, ça évitera à mes oreilles de saigner.
             
Je souris malgré moi, hésitant entre vouloir tenter ma chance et le dire sans erreur, ou me taire. Au lieu de ça, mes lèvres exprimèrent un autre nom, qui n'était nul autre que le miens.
             
— Morten.
             
Le visage de Cynestra s'adoucissait. Ses yeux glissèrent contre les différentes parties de mon visage, finissant pas fixer un point au-dessus de mes sourcils.
             
— Ton nom de famille à toi aussi est imprononçable ?
             
— Non. Je n'en ai pas.
             
Enfin, je n'avais jamais accepté de porter celui qu'on m'avait attribué lorsqu'on avait enregistré mon existence dans ces ordinateurs, ou sur ces papiers.
             
— Je vois... Alors tu n'as pas de peuple, ni de parent. Sympas.
             
Il y eu un nouveau moment de sérénité, ou aucun de nous deux ne parla.
             
Je repensai à ces derniers évènements, sans jamais comprendre comment cela pouvait être réel. Depuis mon enfance, je n'avais fait que croire en une malédiction. J'avais grandi en croyant que j'avais été envoyé sur terre pour une certaine raison précise, que mes parents avaient décidé de me bannir des enfers pour accomplir plus grand ailleurs. Le problème était tel que, je n'avais pas réussi à atteindre ce plus grand. Je haïssais cette malédiction plus que tout au monde, elle m'empêchait de vivre, et m'avait condamné à devoir cohabiter avec cette affreuse bête en moi.
             
Et si ce Gardien avait émis une vérité. Et si... et si j'étais réellement destiné à plus grand, ici même, dans ce monde. Et si j'avais une famille, une mère. La reine.
             
Ma mère. Celle qui m'aurai donné la vie, puis abandonné.
             
Elle était la raison de tout mon malheur, et devait payer le prix fort. Je n'oubliais pas la proposition alléchante d'Hoak.
             
Une vie contre la mienne.
             
Celle de Reine, contre la mienne. Et enfin, je pourrai vivre sans avoir la peur de bruler tout ce qui m'entoure.
             
— Tu sais des choses sur la Reine ? resurgit ma voix, assoiffé de réponse.
             
— Pourquoi cette question ? Tout le monde connait Verena Ox, elle est notre Reine.
             
Ox.
             
Morten Ox.

Non. Ce nom de famille n'était pas le miens, il ne le sera jamais, car cette femme n'était pas ma mère. Son sang et le miens ne faisait pas de nous des personnes de la même famille, tout du moins, pas sur un plan affectif.

— Comment est-elle, cette... Verena Ox ?

— Tu ne l'as jamais vu ?

— Disons que je suis apparu comme par magie dans ce monde il y a peine deux semaines, alors je n'ai pas pu encore faire le tour du pays. Météo capricieuse.

Cy éclata de rire, un rire amer qui résonna dans notre cellule commune. Lentement, elle décolla son crâne du mur de terre, ainsi que son dos, dans l'optique de se rapprocher de moi. À peine cinquante centimètres nous séparaient l'un de l'autre.

— C'est vraiment toi, qui fait naître toutes ces tempêtes ? demanda-t-elle, visiblement curieuse.

— Ce n'est pas volontaire, je ne me contrôle pas très bien, ai-je répondu sans vouloir lui avouer que je n'arrivais absolument pas à me contrôler, même pas un petit peu. Alors, cette reine, parle-moi d'elle.

Elle haussa un sourcil, visiblement intrigué par mes questionnements sur sa reine. Elle s'éloigna, déçu ne pas obtenir plus de réponse au sujet de mes pouvoirs et ces tempêtes.

— C'est une femme, disons, solitaire, dit-elle d'une voix posée, presque sifflante. On l'a rarement vu, mise à part le jour de son mariage avec le Roi Azarus Ox, puis quelque autre fois. Peut-être que ses origines Moros y sont pour quelque chose, ils sont connus pour leur caractère sauvage. Mais, je suis ne suis pas une grande passionnée des Ox, j'évite de me retrouver dans la même pièce qu'eux.

Azarus Ox.

Alors Azarus serait, en principe, l'homme avec qui Verena eu partagé son lit. Mon géniteur.

— Bientôt, il y aura le couronnement du Prince Nakarin. Elle lui déléguera tous ses pouvoirs. Je n'ai jamais aimé ce foutu prince...

— Un prince ? La reine a eu... des enfants ?

L'idée d'avoir, en plus de ça, un frère, me retournait l'estomac.

Un prince. Lui était prince, tandis que moi, on m'avait envoyé dans un champ de blé.

— Seulement un, malheureusement. Mais tout le monde aime Nakarin Ox, il est si parfait et si prometteur !

Sa voix était imprégnée de sarcasme et de haine, elle reflétait très bien ce que je ressentais intérieurement. Un pur dégout pour cette famille. Elle m'écœurait.

— Pourquoi tu ne l'aimes pas ? demandai-je, sentant le besoin irrépressible de partager mon venin avec quelqu'un.

Cynestra leva les yeux au ciel tout en prenant un ton engourdi.  

— Cet enfoiré a jeté mon frère ainé dans les Limbes, lâcha l'Okto. Mon frère... Mon frère s'était introduit au Cœur d'Oxstrea, il pensait qu'il pouvait y voler deux, trois plantes curatives et sauver ma mère qui était mourante. Le prince l'a trouvé en train de se servir, et le jour d'après, il a été envoyé dans les Limbes.

— Les limbes, qu'est-ce que c'est ?

— Un endroit que tu n'aimerais pas connaître. C'est là qu'on envoie tous les traitres, et ceux qu'on banni de nos peuples. Et c'est là qu'on sera envoyé, toi et moi, finit-elle par dire, accompagné d'un léger sourire complice. Ne crois pas qu'on mourra dans cette cellule, ce serait trop gentil. Être envoyé dans les Limbes est la pire des sentences, car personne ne sait ce qu'il se trouve là-bas. Mise à part les Déserteurs, les bêtes qui mangent les corps qu'on leur offre, à moins que ceux sont eux qui deviennent les monstres. Les Limbes ne sont qu'un cimetière rouge sans vie.

Les Déserteurs...

Chaque nouvelle information était une pièce de puzzle face à mon ignorance. Était-ce réellement nécessaire d'en connaître plus sur ce monde et ses secrets ? Probablement pas, et pourtant, ces réponses arrosaient en moi un arbre qui n'avait jamais su comment émerger du sol. Ce même arbre qui allait être coupé une fois que je me débarrasserai de ma malédiction. 

— Ceux qui n'appartiennent plus à aucun peuple et qui sont envoyé dans les Limbes sont surnommé les Déserteurs. D'abord des êtres vivants, puis ensuite des monstres. On sera bientôt nous aussi des Déserteurs.

Pour mon cas, j'avais toujours été l'un d'entre eux. Si je me fiais à sa définition, les Déserteurs étaient ceux qui n'appartenaient à aucun peuple, ils étaient les rejetés. Les monstres. Il n'y avait pas meilleur exemple que moi, le monstre qui a été exilé d'Oxstrea.

J'étais un Déserteur.

— Et où se trouve ces Limbes ?

— Absolument partout.

— Ça ne répond pas à ma question.

— Si, ça y répond parfaitement. Maintenant, tu veux bien me laisser dormir ?

Elle se rallongea, cette fois-ci, elle plaça sa tête entre ses bras et utilisait ses cheveux pour rendre le sol moins rocheux et boueux.

J'avais encore une montagne de question, car plus on me nourrissait, plus je voulais en savoir. Cela faisait grandir ma haine, une rage présente depuis mon enfance, qui se battait chaque seconde contre cette souris. Et pour une fois, pour la seule et la putain de première fois, j'avais un désir ardent de laisser sortir cette bête démoniaque, la laisser prendre possession d'absolument tout, et tout arracher sur son passage. Je la détestais de vouloir arracher le bonheur des innocents. Mais cette famille-là était la parfaite proie de mon malheur.

Elle allait endurer les années de souffrance que j'avais subi. Toutes cette haine des autres qui ne comprenait pas comment un être comme moi pouvait exister. On me traitait de monstre, et j'avais fini par en devenir un lorsque j'avais compris que je n'étais pas comme eux. J'eu compris très vite, plus jeune, qu'il était important pour moi de me cacher, et que chaque yeux témoins de mes capacités hors normes devaient mourir. Pour me protéger.

Alors, me munissant de ma plus infecte volonté, j'élaborai un plan pour mettre fin à ces griffes déchirant ma peau, un point définitif à cette souffrance. Et peut-être que je pourrai, à mon tour, connaître une fin heureuse, loin de ce monde, loin de cette malédiction, loin de la personne que j'ai toujours été.

— Je t'entends ruminer d'ici, et c'est très chiant, la voix de Cynestra mis une fin à mes pensées obsessives.

Est-ce que je pensais réellement pouvoir m'éloigner de la personne que j'ai toujours été, et vivre autrement ? Ça me semblait impossible, mais ce qui me paraissait tangible, en revanche, était la tête coupée de cette reine, tombant à mes pieds, les yeux incrustés dans les miens, sans aucun mot sortir de sa bouche. Je n'ai jamais eu mon mot à dire, alors elle non plus n'aura pas le siens.

— Tu veux te venger de Nakarin, Cy ?

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