Chapitre 14
Aïko_nsr
───※ ·❆CHAPITRE 14❆· ※───
A N E Z K A
Désormais, la nuit était tombée, la fatigue ralentissait notre avancée et nos ventres vides furent les seuls à hurler dans cette jungle. Une fine pluie tombait doucement autour de nous, et je profitais de cette humidité pour retirer le sel qui me rongeait la peau.
Les yeux baissés, je jetais de temps en temps des regards inquiets à Enok, qui traînait les pieds à mes côtés, ses joues rougies par l'épuisement. Zemya marchait en tête, déterminée mais silencieuse, son visage fermé par la concentration et la fatigue. Morten, quelques pas derrière moi, semblait également accablé par la marche, ses sourcils froncés sous l'effort constant.
Si nous étions tous autant accablés par cette situation, c'était bien de ma faute. J'étais tout autant déterminée à résoudre ce problème qu'Hoak ne l'était pour obtenir Morten et ses pouvoirs. Il n'avait pas idée de la vengeance qui l'attendait.
Soudain, un bruit sourd se fit entendre, résonnant à travers la forêt. Je m'arrêtai brusquement et fixa les ombres figées devant nous. Les formes rocheuses que j'avais prises pour des amas de pierres inertes commencèrent à bouger, tout d'abord à trembler, puis les secousses se transformèrent en mouvement. Les rochers se dressèrent lentement, des morceaux de pierre se détachèrent par endroit pour venir s'effondrer à nos pieds. Nous fûmes obligés de reculer, le menton pointé vers le ciel à mesure que les formes gagnaient en hauteur.
Des trolls.
C'était rare d'en voir, très rare. Cela signifiait aussi que je ne m'étais pas trompée de chemin.
Les trolls se dressèrent au-dessus de nous, formant avec leurs mains des poings meurtriers. Ils étaient les gardes de Vidaar, alors bien sûr qu'entrer sur son terrain allait nous mener à une mort certaine. Tout du moins, elle l'aurait été, si Enok n'aurait pas su faire exactement ce qu'il avait à faire. Mon petit frère leva les yeux ainsi que sa paume de main vers cette créature qui souhaitait nous écrabouiller d'un coup de main. Enok savait communiquer avec la nature et ce qui y vivait dedans, il arrivait, à l'aide de son simple et jeune esprit, à faire percevoir une montagne de mot et de sensation. C'était sa manière de s'exprimer, la meilleure qu'il ait trouvé, car Enok ne parlait pas, mise à part pour crier nos noms lorsqu'il était en danger, où quand nous étions en famille, réunis. Aux autres, il ne leur avait jamais adressé aucun mot. Il touchait parfois leur visage pour leur faire paraitre une pensée, mais souvent, il avait peur de devoir s'approcher des personnes qu'il ne connaissait pas.
Enok était comme ça, à vouloir s'éloigner du danger et des regards écrasants.
Néanmoins, lorsqu'il décidait de se complaire face à la plus brut des battements d'œil, Enok savait se faire comprendre. De ce fait, le troll avait baissé son bras de pierre et s'agenouilla devant mon petit frère. Le souffle du géant fouetta le visage d'Enok, balayant ses cheveux en arrière, le faisant rire. Il posa sa petite main sur le tibia du troll, et lui offrit son plus beau sourire.
— Mais qu'est-ce que c'est que ce truc, siffla la voix ahurie de Morten.
— Un troll, alors n'essai surtout pas de bouger, et pour une fois, écoute ce que je te dis.
Morten se sentis offensé par mes paroles, sa bouche s'ouvris mais forma aucun son ni mot. N'ayant pas de temps à perdre, j'ignorai sa réaction et reposa mon attention sur le géant des forêts.
— Nous souhaitons rejoindre les grottes, j'ai... je dois parler à Vidaar.
Ma voix porta et fit réagir le troll, qui plissa ses yeux pas moins grands que la taille de mon visage. Lorsqu'il ouvrit sa bouche, des chutes de terre lui dégoulinaient des commissures.
— Vous, oui, rugissait sa voix qui fit trembler mes os. Lui, non.
Son regard de pierre se posa sur Morten.
— Elfiah uniquement, reprit-il. Lui, non.
Mon visage se déporta sur le côté, Morten avait un sourire narquois mais sa mâchoire était sur le point de se briser.
— Je crois pas que ton peuple d'Elfe et de rochers titanesques souhaitent me voir, je ferai mieux d'aller me trouver un petit endroit pour me fabriquer une cabane en bois et aller tuer des sangliers pour me nourrir un peu. Merci pour la visite guidée, termina le noiraud en reculant.
Où comptait-il aller comme ça ?
Ma main agrippa son poignet pour l'empêcher de faire un pas de trop. Ses yeux s'abaissèrent d'abord sur le contact que ma peau créa sur la sienne, son visage se crispa et se figea un instant, avant de venir me regarder droit dans les yeux, l'air de me demander ce qui avait bien pu me passer par la tête.
— Il est avec nous, ai-je annoncé haut et fort sans rompre notre lien visuel. Et je suis certaine que Vidaar saura quoi faire de lui.
Sur cette deuxième phrase, mon regard s'était égaré ailleurs. Je n'aimais pas forcément l'idée de faire de lui un objet, un jouet, que l'on trimballe un peu partout sans jamais lui demander où il souhaitait réellement aller. Je l'avais en parti libéré pour ça, pour cette liberté qu'il n'allait jamais connaître si Hoak le condamnait.
Il avait probablement fait des erreurs dans son monde, tué beaucoup de personnes, et trahi plus d'un. Etant donné que je ne connaissais pas les motivations des personnes qu'ils côtoyaient, et ce qu'il avait dû endurer dans un endroit où personne ne pouvait le comprendre, et où il ne pouvait s'identifier à aucun autre, je ne pouvais pas le juger. Il avait grandi seul, sans aucune chance de pouvoir apprendre à contrôler ses dons, et loin de sa réelle nature. Je m'étais trompée en disant qu'il ne fera jamais parti de ce monde, la colère m'avait poussé à voir la faute primaire nulle part autre qu'en lui. J'avais eu tort. Ici, il était chez lui, malgré le fait que je ne savais pas la raison de son exile, je savais pourquoi Hoak le voulait autant. Ses pouvoirs étaient sombrement puissants. C'est pour cette raison bien précise que je devais le cacher aux yeux des autres peuples.
— Alors nous feront le voyage ensemble, ou nous ne le feront pas.
Le géant posa une main ouverte au sol.
Rapidement, je remarquai que ce n'était pas moi qui avais convaincu le troll. Enok avait grimpé sur ses roches et se trouvait désormais sur son épaule large. Il nous fit signe de grimper à notre tour, et c'est ce qu'on fit, Morten me suivit sans broncher. J'ignorai ce qu'Enok avait bien pu montrer à ce troll pour lui faire changer d'avis, alors que je pensais moi-même finir ce voyage à pied, et mourir d'épuisement.
De là, notre voyage continua.
Enok s'endormi contre l'épaule du troll. Zemya s'était assise à côté de lui et tenait quelque chose dans ses mains. Quant à Morten, il s'était agrippé à des lianes et tentait de tenir le coup face à chaque secousse que produisait le troll lorsqu'il marchait dans les zones boueuses et rocheuses.
La forêt défilait rapidement sous mes yeux.
La fatigue me faisait papillonner des yeux, et commençait doucement à me faire tanguer de gauche à droite. J'étais assise dans le creux de la main de ce géant, mais je n'étais pas à l'abris de chavirer à tout moment, alors je me devais de rester éveillée.
J'avais réussi à l'être, jusqu'au moment où les mouvements répétitifs de basculement me bercèrent dans un sommeil profond. Tout ce dont je me souvins de cette nuit passé sur un troll fut un rêve que je n'aurai souhaité quitter sous aucun prétexte. J'y avais vu le tendre visage de ma mère, et celui plus rebelle de Thenaë.
Dans ce rêve, la lumière était douce, presque irréelle. Je me trouvais proche d'un lac baigné de soleil, les arbres autour de moi étaient en fleur, leurs branches lourdes de pétales roses et blanches qui flottaient doucement dans l'air. Ma mère était là, dans une belle robe en soie, elle marchait au bord du lac en laissant la trainée reposer dans l'eau. Son sourire chaleureux illuminait son visage. Elle tendit la main vers moi, et sans hésitations, je m'approchais. Ses bras m'enveloppèrent dans une étreinte rassurante, et je l'entendis me murmurer des mots qui s'envolèrent l'instant d'après sans jamais atteindre mes oreilles. Je n'avais aucun souvenir des mots qu'elle m'avait chuchoté.
Un peu plus loin, ma sœur, Thenaë, était adossée contre un arbre et formait à l'aide de ses doigts des nœuds avec des ficelles, qu'elle ira ensuite rejoindre sur un arc. Son visage se leva dans ma direction, et à son tour, elle me fit signe de la rejoindre.
Je marchais doucement vers elle, ses cheveux bruns étaient détachés, eux qui d'habitude ne l'étaient jamais. Je venais face à elle, et Thenaë eu l'un des plus beau sourire. Elle lâcha sa corde, et à son tour, ses bras vinrent m'encercler. Je sentis son visage se coller au miens, tandis que ses bras me serraient avec force. Je fis de même. J'avais peur qu'elle s'en aille, alors je voulais profiter de ce sentiment, et m'en souvenir pour toujours.
Soudain, je la sentis me parler au creux de mon oreille. Son souffle caressa mes cheveux et glissa contre mon cartilage, et encore une fois, je ne compris pas un seul mot. J'entendais sa voix, mais c'était comme comprendre un son venant des profondeurs des mers. On l'entend, mais on ignore ce que cela signifie.
La lumière commença à s'estomper, tout comme mon sourire devint si faible qu'il disparut lorsque ma sœur se détacha de moi. Je la vis s'éloigner, jusqu'à rejoindre ma mère dans ce lac. Un dernier regard dans ma direction réchauffa mon cœur, qui légèrement, se durcissait de douleur. Puis, peu à peu, l'eau commença à les submerger, jusqu'à les faire totalement disparaître.
La réalité me revint plus brutalement que je ne l'aurais souhaité. Je me réveillai en sursaut, sentant qu'on perdait en altitude, me donnant presque l'impression que nous tombions dans le vide. Les paupières grandement ouvertes, je vis tout d'abord le corps d'un homme vêtu d'une chemise en lin qui n'avait pas lacé le haut de son col, et dont les cheveux noirs et ébouriffés cachaient une bonne partie de son visage. Il était assis en tailleur à mes côtés, et mon visage se trouvait à quelque centimètre de sa cuisse.
M'étais-je endormie ainsi ? Sur Morten ? Pourquoi ne m'avait-il pas éloigné de lui, moi qu'il souhaitait tant tenir à l'écart ? Et pourquoi me regardait-il de cette manière ? Comme s'il était déçu que je m'étais réveillée, et que désormais, je l'avais mis en colère ?
Nous n'avions pas eu le temps de nous exprimer l'un et l'autre que le troll déposa lourdement sa main au sol. Le choc nous propulsa loin de lui, et nous roulions contre un amas de feuille morte et d'herbe. Au-dessus de moi pendaient des arbres d'une hauteur hallucinantes, ainsi qu'une porte sculptée dans un mur de végétation et de roche. Le géant n'eut qu'à incérer sa main dans ce qui ressemblait à une horloge de la taille d'un soleil, et de sa force brutale, il déclencha un système qui rapidement, ouvrit cette porte. La végétation s'ouvrit à nous avec délicatesse. Les branches serpentaient dans l'air sans jamais rester statique, et des fleurs rouges se mirent à pleuvoir du ciel.
Le troll n'alla pas plus loin, il laissa ma sœur et mon frère descendre, et patienta que je me relève afin d'entrer à mon tour dans cet endroit que j'avais vu uniquement dans mes songes.
Cette cité Elfiah était menée par un chemin de terre fluorescent, il faisait encore nuit, alors les couleurs brillantes des feuilles et des bestioles nous parurent si intenses que nous ne pouvions pas quitter nos yeux d'eux. Des lucioles dansaient dans l'air, illuminant les recoins les plus sombres de la forêt. Une d'entre elles virevoltait devant mes cils, sa couleur verte était l'une des plus transparente que je puisse connaitre. Elle était magnifique. La luciole s'envola ailleurs, mais mes yeux ne quittèrent pas l'endroit qu'elle avait convoité.
Morten se tenait juste là, lui qui avait aussi dû contempler la couleur de la luciole, me fixait désormais. Ses pupilles s'abaissèrent et il ravala sa salive avant de reprendre la marche, m'ignorant totalement lorsqu'il passa près de moi.
Je soupirai en zieutant son dos se dessiner face à moi, large et musclé, Morten marchait avec nonchalance sans jamais quitter cette chose métallique qu'il possédait dans sa main. Il ne le lâchait presque jamais, et avant qu'il ne prenne l'eau, une flamme avait l'habitude de naître, et disparaissait dès que le capuchon la recouvrait. Une sorte de flamme éternelle, enfin... plus maintenant.
Une ombre se mit à bouger dans les arbres, attirant mon visage vers le ciel étoilé. Puis, je compris rapidement qu'il s'agissait d'un Gaerilah. Leur manière de sauter de branche en branche sans jamais en casser une seul, sans faire trémousser les feuilles et faire passer leur ombre pour de simple oiseaux. Je connaissais chaque technique.
Il était très discret, si bien que Morten n'avait absolument pas repéré sa présence.
Puis, au bout du chemin, celui qui nous avait suivis depuis plusieurs minute tomba du ciel et atterri à un mètre de nous, nous contraignant de ne pas avancer davantage.
Le type se releva avec prudence. Le haut de son visage était camouflé par un masque sculpté dans du bois, représentant un crâne et ses os étrangement tranchants. Son accoutrement était typique des Gaerilah, de sorte à bien protéger leurs corps, des armures en fer le recouvrait. Il tenait une longue épée dans sa main droite, qui était parsemée de tache d'or.
Derrière lui, le peuple avait mis au pause leur sommeil, et s'était levé en jouant les curieux. Tout le monde avait dû entendre les lourds pas des trolls ainsi que la porte en béton s'ouvrir. Je savais pertinemment qu'ici, les portes s'ouvraient que très rarement. Alors bien sûr, tout le monde se demandait qui avait bien pu pénétrer dans leur forteresse, encerclée par de géantes bêtes en pierres et de murs impénétrables.
Le Gaerilah s'approcha de nous, et commença à nous tourner autour, comme pour s'assurer que nous n'étions pas une menace.
— Mettez toutes vos armes par terre, et votre nourriture aussi, brailla-t-il dans mon dos.
Je me mis rapidement en action. Je n'étais pas venue ici pour chercher les ennuies, au contraire, alors nous devions coopérer le plus sagement possible.
Ma main s'infiltra dans mon corset et attrapa ma dague. Je la jetai plus loin, et fis de même avec l'arme qui appartenait au monde des humain, et mis mes mains en évidence.
— Pas de nourriture ? me demanda le Gaerilah qui devait bien faire trois têtes de plus que moi.
— Non.
Il me dévisagea et passa derrière, pour cette fois se présenter à Morten.
— J'ai demandé quelque chose, tu es sourd ?
Morten pouffa sèchement en arquant ses sourcils.
— J'ai dit, toutes vos armes par terre, se répéta le type masqué qui ne perdait pas son sang-froid face au regard meurtrier de Morten.
— Je n'ai pas d'arme sur moi, alors recule avant que je te donne une bonne raison de camoufler ton visage de con.
— Morten, l'appelai-je discrètement, les yeux presque exorbités.
Il m'ignora totalement, préférant se nourrir de la colère qu'il créa chez l'Elfiah.
Le Gaerilah, lui, ne ria pas, ses lèvres se crispèrent et sa main craqua presque contre le manche de son épée.
— Je t'ai demandé quelque chose, reprit Morten d'une voix faussement joviale. À moins que tu sois sourd ?
Le soldat ne répondit pas immédiatement, son regard de verre se durcissait encore. Il analysa le visage du noiraud, lui et ses oreilles rondes, et souffla sa phrase comme si cela était une insulte :
— Tu n'es pas en mesure de me donner des ordres, humain, alors ferme ta putain de gueule et lâche ce que tu as dans la main.
La langue de Morten passa sur sa lippe inférieure, et son visage se pencha sur le côté. Un air malicieux camoufla son énervement, qu'il n'arrivait pas cacher à tout le monde, car je voyais très bien que s'il aurait eu la chance d'utiliser son don contre lui, il l'aurait fait. D'un côté, j'étais soulagée de savoir qu'ils ne les avaient pas utilisés depuis que l'on avait croisé les Okto. Pourquoi ? Ça, je n'en n'avais aucune idée.
— Mmmh... Pas en mesure de te donner des ordres... murmura-t-il, je crois surtout que t'as aucune foutre idée de qui je suis réellement, et le jour où tu le sauras, je te promets une chose, c'est de démolir ta vieille gueule de gnome.
— Pourquoi attendre ce jour-là, pourquoi pas me démolir la tronche maintenant, hein ? Vas-y, humain, montre-moi ta force...
Ni une ni deux, Morten répondit en balançant son visage en avant, cognant le masque du soldat qui se fissura en laissant apparaitre une partie de son nez.
J'attrapai Enok par l'épaule pour le forcer à reculer, Zemya, elle, avait le visage baigné dans une colère que je n'avais encore jamais vu sur son visage. On aurait presque dit qu'elle aurait souhaité intégrer cette bagarre et ouvrir le crâne de l'un d'entre eux.
Le soldat attrapa la chemise en lin de Morten, qui craqua sous cette force, et l'attira à lui. Le Gaerilah fit chuter Morten au sol et frappa une seule fois son visage. Cela suffit pour rendre le noiraud stoïque. Son nez saigna et ses paupières mirent de plus en plus de temps à s'ouvrirent.
— ENDRIK ! Lâche ce gamin !
Endrik ?
La seconde d'après, je me détournai et vis un visage familier accourir vers nous. Sa barbe n'avait pas changé, hormis le fait qu'à cette heure tardive, elle n'était pas décorée d'écosses de chênes. Il ne portait pas non plus son tablier de cuistot et n'ornait pas son fidèle sourire.
Jyok frappa une fois dans ses mains et les doigts de son fils contre le col de Morten se paralysèrent. Rapidement, son corps entier le serait, tout du moins, seulement si son père en décidait ainsi.
Endrik fut contraint de lâcher sa proie, et Morten le poussa violement en essayant du mieux que possible pour se relever rapidement.
— Qu'est-ce qui t'as pris de le frapper ? Tu sais très bien que Vidaar n'approuve pas ce genre de comportement, et moi non plus d'ailleurs.
— Il m'a insulté, papa.
— Et alors, il a peut-être eu raison ! Tu imagines le chemin qu'ils ont dû traverser pour venir jusqu'ici ? Ils sont épuisés et doivent avoir faim, alors moi aussi j'aurai insulté le premier qui m'aurait barré la route ! Crétin...
Il pesta encore un instant avant de tourner son visage dans notre direction, et enfin, son regard s'illumina.
— Non d'un Elfiah sans oreille... Anezka, c'est toi ?
Je ne lui laissai pas le temps de mieux m'observer que je me jetai dans ses bras en pleurant. Jyok posa ses deux mains sur mes épaules et je le sentis renifler.
— Lylbiah Anezka, souffla-t-il contre mon front. Je suis... Je suis sincèrement désolé pour Esmée et Thenaë. Nous avons beaucoup pleuré leur mort, ainsi que votre disparition. Nous ne pensions jamais vous revoir en vie.
Il frotta ses mains contre mon corps, puis après quelque seconde, je repris mon souffle et m'écarta de Jyok. Ses yeux larmoyants ne pouvaient pas m'être dissimulé.
— Je suis si heureux de te voir, exprima-t-il en caressant le haut de mon crâne, mais, où est ton père ?
— Il...
Je m'arrêtai avant même de commencer ma phrase. Jyok n'avait pas besoin de savoir où mon père se trouvait, lui comme les autres. Je n'étais pas dupe, je savais que mon père était l'une des raisons pour lesquelles mon peuple avait brulé. Si je venais à révéler l'endroit où il avait été emmené, ce serait le mettre en danger, car certain avait probablement soif de vengeance. Et la seule personne encore atteignable avant Hoak était bien mon père.
Je secouai la tête, et Hoak pensa que par-là, je voulais lui faire comprendre qu'il n'était plus, alors que je ne pouvais juste pas lui mentir de vive voix.
— Oh, Darios... renifla le cuistot, en posant une main devant sa bouche. Venez là mes enfants, je vais vous remplir un peu l'estomac et vous dénicher de bon matelas pour dormir !
Enok fut le premier à trottiner et rejoindre ce vieux monsieur. Jyok lui fit la révérence et frotta ses cheveux roux. Sans plus attendre, il se mit à lui poser une montagne de question, à laquelle mon frère ne répondit que par de grands sourire et des hochements de tête. Quant à Zemya, elle croisa les bras contre son torse et traina des pieds. Avant qu'elle ne me dépasse, je lui bloquai le chemin et força ses yeux à trouver les miens.
— Tu peux me dire ce que tu as ? Tu ne m'adresse plus la parole depuis que je vous ai sauvé, je pensais au moins que tu serais contente de-
— Contente d'avoir perdu la moitié de ma famille par ta faute ? gronda la voix de Zemya, et ce fut l'une des premières phrases qu'elle m'adressa directement, les yeux dans les yeux, depuis que je l'avais retrouvé.
Mon cœur s'arrêta de battre un instant, et les mots me manquèrent.
— Toi et papa, finalement, vous n'avez pas qu'un don en commun. Maman est morte à cause de lui et ce portail qu'il ne voulait pas ouvrir, et Thenaë s'est faite ouvrir le ventre par ta faute. Et toi, même après tous les morts qu'il y a eu, tu décides de ramener cet humain dans notre monde et de l'offrir à Hoak. Alors ne vient plus m'adresser la parole, je pense que tu en as faits assez pour notre peuple et notre famille.
Elle me lorgna avant de partir sans rien ajouter de plus.
De nouveau, je souhaitai fondre en larme, revenir dans le passé, ou ne plus exister.
Quelque part, elle avait raison. Papa aurait pu arrêter cette mutinerie par accepter d'ouvrir le portail. Maman n'aurait pas été assassiné, comme bon nombre de mes amis et voisins. Et moi, j'aurais su contrôler mes émotions, je ne serais pas descendu de cet arbre pour me venger d'Hoak. Thenaë n'aurait pas descendu du siens pour venir me sauver.
Papa n'était pas le seul fautif, mais moi au moins, j'avais su faire le choix qu'il n'a pas su faire. Je m'étais coltinée son sale boulot, et maintenant je devais porter le poids du chagrin de ceux qui restaient encore.
Je regardai ma sœur s'éloigner, sans me rendre compte que Morten se tenait à côté de moi. Son bras se leva et vint récolter le sang qui bavait de son nez, tachant la manche en soi de sa chemise.
— Avec respect et sagesse, n'est-ce pas, dit-il, reprenant mes propres mots. Ça m'a fait rêver un instant, puis j'me suis pris un coup dans la gueule. Comme quoi la courtoisie n'est qu'un mythe.
Ma langue ne fit qu'un tour dans ma bouche et mon regard ne tarda pas à s'implanter agressivement dans le siens.
— Pourquoi il faut toujours que tu sois aussi désagréable et brutal avec tout le monde ? Je t'ai laissé une chance de pouvoir prouver à des inconnues que tu peux être gentil, mais apparemment, tu ignores totalement ce que ce mot signifie.
Morten plissa les yeux et fronça les sourcils, ses lèvres se tordant en une moue de frustration.
— Moi, brutal ? Désagréable ? rétorqua-t-il, sa voix tremblant de colère contenue. Ce type m'a insulté le premier ! J'essayais simplement de maintenir un semblant de dignité !
Je sentis à mon tour la colère monter en moi, qui effaça peu à peu la tristesse qui m'avait rongé quelques minutes auparavant. Sans un mot de plus, je me détournai brusquement et commençai à m'éloigner. J'étais épuisée, et je ne voulais certainement pas avoir cette conversation maintenant avec lui.
— Eh, où tu vas ? cria Morten, me suivant de près. Depuis le départ j'ai fait l'effort de te suivre partout. Où se trouve la liberté que tu m'as promise, hein ? Car si elle est entre ces murs, je préfère largement être laissé pour mort ailleurs.
— Tu ne comprends vraiment rien, soufflai-je en accélérant le pas. Tu ne vois pas à quel point tu aggraves toujours les choses. À cause de ton existence, ma famille est morte, alors vas-y, part, je ne te retiendrais pas, pas maintenant que j'ai rempli ma part du marché.
Je savais que mes mots étaient crus, il n'avait pas été constamment attentionné envers moi, alors je ne comptais l'être non plus.
— Oui, c'est vrai, je m'excuse sincèrement d'avoir été retiré de ma famille à la naissance et d'avoir grandi avec des mercenaires qui m'ont appris à tuer de sang-froid à l'âge de treize ans. Désolé de n'avoir connu que ça, de ne pas être assez gentil pour te plaire.
Morten se trouvait encore dans mon dos, et piétinait vers le même endroit que moi. Au loin, les habitants ne s'étaient pas éparpillés, ils étaient tous autour d'Enok et Zemya, s'assurant qu'ils n'étaient pas blessés.
Puis, dans cette masse, un visage se leva, et s'illumina. Soudain, il se mit à courir vers moi d'une détermination qui me cloua sur place. Ses cheveux blonds étaient toujours autant bouclés, et sa peau pâle semblait briller dans la nuit.
— Anezka ! hurla-t-il à plein poumons.
— Alors déteste moi autant que tu le veux, car je n'en ai strictement rien à foutre de ne pas te plaire.
— Ze'ev, murmurai-je dans un souffle.
La voix de Morten se dissipa dans l'air lorsque mon corps se remis en mouvement pour courir à la rencontre de mon ami. À ce moment-là, je venais d'oublier tous mes problèmes, ils s'évaporèrent au moment même où le corps de Ze'ev se blottissait contre le miens et que ses mains tièdes et tremblantes prirent mon visage. Ses yeux bleus ne savaient pas où regarder, entre les gouttes qui dévalaient mes joues rosies par la fraicheur de la nuit, mes lèvres qui ne savaient plus formuler un unique mot, et ses propres mains sur mon visage.
— Anezka je... Je suis tellement désolé... Je n'aurai pas dû te laisser seul. Est-ce que tout va bien ?
Je hochai ma tête et reniflai. Son réconfort m'avait manqué. Ze'ev, lui-même, m'avait manqué.
Il eut un sourire qui en anima un sur mes lèvres, et ses yeux s'abaissèrent, comme pour s'assurer qu'il était bien réel, et qu'il ne l'avait pas imaginé. L'instant d'après, il fonça dessus, souhaitant goûter la saveur de ce sentiment qu'il avait peint sur mon visage.
Ze'ev m'embrassa tendrement, sans jamais lâcher mon visage. Ses lèvres bougeaient à peine sur les miennes, comme s'il craignait de briser quelque chose. Ses lèvres n'étaient pas aussi chaudes que je l'aurais cru, mais elles étaient d'une douceur incomparable.
Lorsqu'il recula, ses yeux bleus brillèrent d'une lueur nouvelle, et un sourire timide se dessina sur ses lippes humides.
— Je m'en suis tellement voulu de ne pas t'avoir montré ce que je ressens pour toi, et je croyais bien que l'opportunité n'allait jamais se reproduire, alors désolé si c'était soudain. Enfin non... Je ne m'excuse pas ! Je t'aime Anezka, de tout mon cœur, et ça depuis qu'on est petit. Je veux que tu le saches, car je ne pense pas avoir le courage de l'avouer une autre fois.
Mon cœur battait si vite qu'il concourait avec la vitesse de ses mots. Je ne savais pas quoi répondre, j'ignorais qu'il ressentait un tel sentiment depuis notre enfance. Pourquoi ne m'avait-il rien dit ?
Je fis un pas en arrière et marcha sur quelque de chose de moue. Ce n'était que le pied de Morten, qui avait dû observer cette scène de près. Un peu trop près.
Quand je m'écartai de Ze'ev et qu'il lâcha mon visage, ses yeux bleus trouvèrent ceux de Morten, qui n'hésita pas à lui offrir un regard glacial.
— Vraiment ? Des beaux yeux bleus et des boucles parfaites, Clochette ? J'aurai plutôt misé sur Endrik, au moins lui semble avoir plus de courage que ce... gringalet.
Ze'ev perdit toutes ses couleurs, son visage devint livide et ses yeux jonglaient entre moi, et l'homme qui se tenait à mes côtés.
— Qui est-ce ? me demanda mon ami.
Je comptais tout lui expliquer, dans les moindres détails, car Ze'ev était mon meilleur ami et qu'il méritait de connaitre l'histoire en entier. Alors j'ouvris la bouche, prête à lui présenter mon compagnon de voyage, mais il était trop tard. Morten avait dressé son dos pour gagner des centimètres. Malgré le sang qui lui coulait du nez, son visage ne reflétait que de l'ironie, de la moquerie et cet air constamment désintéressé qui lui allait tant, à croire qu'il avait été façonné par cette émotion.
— Morten, dit-il en forçant un sourire. Ta copine à traversa des mondes terrifiants pour venir me sauver, mignon n'est-ce pas ?
Ze'ev grimaça en le regardant, lui et ses manières de parler et de se tenir qui ne collait pas avec notre éducation.
— Et toi tu es ?
— Heu... Ze-
— Oh non pardon, le coupa-t-il finalement, inutile de me donner ton prénom en fin de compte, j'ai une mémoire très courte. Je ne retiens que ce qui est utile, Anezka pourra confirmer.
Morten avait employé mon prénom plutôt que cette autre appellation, et il l'avait fait exprès. Il jouait de cette situation, s'en amusant, seul.
— Eh ! Les jeunes ! Le repas est prêt ! cria soudainement Jyok.
Cette intervention réussie à calmer la tension, Ze'ev me jeta un regard d'interrogation, sans tarder, je lui pris la main et alla rejoindre les cabanes dans le village.
L'instant d'une seconde, ma curiosité prit le dessus et je jetai un regard par-dessus mon épaule. Le noiraud avait totalement perdu son sourire narquois, ses yeux ne brillaient plus d'animosité, où d'amusement, ni même d'aucune autre lueur. Ses yeux fixaient le sol, tandis que son ombre s'effaçait presque entre les arbres de la forêt, comme s'il n'était qu'une silhouette que mon esprit venait d'imaginer.
Mon ventre se serra et ma main se crispa contre celle de Ze'ev.
Je ne pouvais pas faire semblant, ni même me mentir. Je voulais aider Morten. Je voulais qu'il puisse s'épanouir enfin et vivre sous aucune contrainte. Malgré mon dégoût pour ses manières d'agir, j'avais aussi l'espoir qu'il change.
Il n'était pas vide, au contraire, il débordait, et ne savait pas comment classer ses émotions, entre celles qui le mèneront vers la gloire, et celles qui ne le mèneront nulle part.
C'est en tenant la main de Ze'ev que je promettais d'aider une âme qui pensait être perdue.
...
— Mais il n'y avait personne dans les grottes, donc on s'y est réfugié jusqu'au petit matin, et nous sommes retournés dans notre village, expliqua Ze'ev. On a récupéré tout ce qu'on a pu, et sauvé les blessés. On a même réussi à capturer un Okto qui s'était emmêlé les pattes dans nos pièges ! Puis on a décidé de quitter notre village, car nous n'étions plus à l'abris d'Hoak. C'est Vidaar qui nous a trouvé, il nous a amené ici, et depuis, on essaie de reprendre une vie normale. Du moins, on fait de notre mieux.
Le feu crépitait doucement à côté de nous. La cheminée n'était pas la seule source de chaleur, nos bols de soupe émettaient une condensation sur chacun de nos visages.
— Vous avez réussi à capturer un Okto ?!
Zemya s'était dressée sur ses coudes. La soupe qui résidait tantôt dans le creux de sa cuillère déborda et s'écrasa contre la table en bois.
Nous étions installés autour d'une longue table. Ze'ev et moi partagions deux chaises l'une à côté de l'autre, et parfois, sa main vint rejoindre la mienne sous la table. Un sourire réconfortant s'était figé sur son visage et n'avait jamais perdu en éclat. Je ne l'avais jamais vu autant heureux depuis bien longtemps, et cela grâce à mon retour.
Zemya était assise en face de lui, elle n'avait pas perdu une miette de ce que racontait mon ami. Enok en revanche se fichait pas mal de cette conversation, il s'était même détourné de la table afin de fixer Morten, assit près du feu. Le noiraud n'avait pas ouvert sa bouche depuis maintenant une bonne heure. Il n'avait pas bu sa soupe, ni mangé son bout de pain. Ses jambes étaient tirées contre son torse, que ses bras entouraient chaudement. Son menton reposait contre son épaule, et ses yeux réagissaient uniquement aux flammes et à rien d'autre. Je ne l'avais jamais vu aussi observateur. Il semblait aimer voir le bois se consumer et les différentes teintes que prenaient les flammes.
Parfois, je lui jetai un coup d'œil, mais son dos restait inlassablement courbé, et ses yeux obnubilés par le feu.
— On a essayé de lui poser des questions, pour la forcer à parler, mais elle reste muette, répondit Ze'ev, son ton se faisait plus grave.
— Elle est enfermée ici ? demanda Zemya, la curiosité teintait son visage.
— Oui, elle est-
— Ze'ev, cette petite est encore traumatisée par la mort de ses parents, cessons de parler de cette nuit-là, intervint Jyok d'une voix ferme.
Ze'ev baissa les yeux et s'excusa, tandis que Jyok apporta une assiette de gâteau à Zemya.
— Et toi, alors, que t'est-il arrivé ?
La main de mon ami se serra contre la mienne, mais mon regard ne se posa pas sur ce geste. J'étais trop occupée à deviner ce qui pouvait bien se passer dans la tête de Morten. Le silence ne lui allait pas, et je savais pertinemment que dans sa tête, il n'y avait pas une brise de silence.
— Je... Hum...
— Tu es allée dans cet autre monde ? reprit Ze'ev, plus enjoué qu'il ne l'avait jamais été. À quoi ressemble-il ?
— C'est... Différent d'Oxstrea, m'exprimai-je en essayant de me remémorer tout ce que j'avais pu voir en étant là-bas. Il utilise de drôle de bête pour se déplacer, mais ils sont rapides, bien plus rapide que des Aakrius.
— Plus rapide que des Aakrius ? répéta Jyok en levant un sourcil.
— J'ai du mal à imaginer qu'on puisse faire plus rapide qu'un Aakrius, ajouta Ze'ev.
— Et bien, détrompez-vous. Les humains sont des créatures qui vivent selon des volontés différentes, et j'aurai aimé connaitre les beautés de ce monde, car je suis certaine que ce qu'on m'a montré dans ce lieu n'est pas exactement ce qui définit ce monde, dis-je sans sentir mon regard se déporter une nouvelle fois vers le noiraud.
Morten eu une légère réaction après avoir entendu mon avis sur le monde dans lequel il avait grandi, je vis sa tête bouger légèrement, comme s'il souhaitait voir plus qu'entendre, mais jamais son regard n'eut atteint le miens.
Le pouce de Ze'ev caressa mes doigts, et soudain, l'envie de m'éloigner me força à prendre une grande inspiration en me libérant de son étreinte afin de récupérer mon bol vide.
— Il se fait tard, et on rentre d'un long voyage. Je pourrai restée ici à discuter, mais Enok mourra de fatigue avant qu'on ait fini.
Jyok hocha de la tête et demanda à Ze'ev de bien vouloir débarrasser la table tandis qu'il nous montrerait le dortoir. Avant de partir, mon ami me prit dans ses bras. Ses boucles blondes glissèrent sur mon front.
— Je suis soulagé que tu sois parmi nous Anezka. Ne part plus jamais, s'il te plait.
Sa voix s'était glissée contre ma joue et avait atteint délicatement mon oreille.
À ce moment-là, mon cœur n'était qu'une pierre lourde. Je ne pouvais pas lui promettre de rester, car ce n'était pas dans mes plans. J'étais venue ici pour mettre ma famille en sécurité, et trouver un lieu où Morten pouvait au minimum apprendre sur notre monde. Mais moi, mon rôle n'était pas entre ces murs. Mon père était enfermé quelque part au Cœur d'Oxstrea, et attendait que quelqu'un vienne le sauver de là. J'ignorais ce qu'on lui voulait, et pourquoi on l'avait acheté auprès d'Hoak. Il devait bien y avoir une raison, que je finirais par savoir.
Après une dernière accolade, nous suivions Jyok à travers le village. Les cabanes en bois étaient dispersées parmi les arbres, leurs toits recouverts de mousses et de feuilles, presque invisibles dans la pénombre. Les chemins qui les reliaient étaient éclairés par des lanternes suspendues aux branches, leurs flammes vacillantes sous le vent doux.
Le cuisinier nous laissa entrer dans une grande bâtisse qu'il nomma « le dortoir principal » et nous guida le long d'un couloir de porte et de rideaux de soi. Il nous informa que les chambres qui étaient destiné à notre peuple étaient généralement partagé entre famille, mais que les habitants de cette ville logeaient eux dans de vraies maisons. Ce n'est que temporaire, nous avait-il dit. Une fois que le danger sera éloigné, et qu'Hoak aura été dénoncé auprès de la couronne d'Oxstrea, alors mon peuple retourna dans notre village, et le rebâtira de toutes pièces.
Jyok avait déjà emmené Morten à sa chambre, qui ne comportait qu'un seul lit dans une pièce assez petite. Il ne voulait pas le mélanger avec les autres, et avait préféré lui donner une chambre assez éloignée du reste. Pour notre part, le cuisinier nous offrit une autre chambre avec un lit superposé, et un dernier matelas se trouvait par terre, déchiré et taché.
— C'est la dernière chambre qu'il nous reste, notre peuple occupe toutes les autres, se défendit-il. Mais si tu veux prendre ma chambre je peux m'arranger avec Endrik.
— Non, inutile de lui demander quoi que ce soit. Cette chambre est parfaite, merci Jyok.
— C'est n'est pas moi qu'il faut remercier. Je suis tout comme vous, un invité.
Il me souriait puis me souhaita une bonne nuit.
Je laissai le lit superposé pour Zemya et Enok, et pris celui qui n'avait pas de sommier, et ni de draps. Il n'y avait finalement pas grand-chose dans cette chambre, mise à part un point d'eau et un mini bureau vide.
Ce lieu allait pas mal nous changer de notre maison, j'ignorai comment Enok allait s'épanouir ici, et comment Zemya allait se faire de nouveaux amis, elle qui n'en avait jamais eu, mise à part Thenaë.
Les deux s'étaient déjà endormis, tandis que dans mon cas, le sommeil m'évitait comme un soleil en pleine nuit. De plus, je n'avais rien pour me réchauffer, et ici, les nuits étaient frileuses. J'avais tenté de me recrobiller sur moi-même, et de garder ma tête entre mes mains afin que mon souffle réchauffe mon visage, mais rien n'y faisait. Le froid était mordant et m'empêchait de me détendre.
Il devait bien y avoir une couverture quelque part, dans un placard, ou dans un salon. Rien qu'un drap, ou un vêtement délaissé qui pourrai me servir de seconde peau. Je me levai alors et sortis de la chambre.
L'endroit était calme, ce qui n'était pas étonnant vu l'heure. Mes mains frottaient contre mes bras et mes pieds nus glissaient contre le sol fait en peau d'animal. Je tirai sur chaque rideau, qui me dévoilèrent soit de nouvelle pièce, soit des étagères vides. Après une longue recherche, je finis par trouver une couverture assez fine mais douce. Je la pris et la roula en boule. En retournant sur mes pas, je vis au loin un rayon lumière qui traversait le couloir, il n'était pas bien grand, mais je savais de quelle chambre elle provenait.
À pas de mouche, je piétinai vers cette source de chaleur, serrant sur la couverture pour qu'elle ne fasse qu'un avec moi, souhaitant d'avantage qu'elle me donne du courage plutôt qu'elle ne me réchauffe.
Puis, une fois devant la porte presque fermée, et qui laissait un unique trait de lumière s'évader, ma main se posa contre le bois et la poussa sans y donner aucune force. La porte s'ouvrit sans émettre aucun grincement. Ma présence ne s'était pas faite entendre, car Morten n'avait pas relever la tête lorsque ma silhouette s'était dessinée dans l'embrasure.
Il était assis là, sur le bord de ce petit lit, les coudes sur les genoux et la tête qui pendait dans le vide. Ses grandes mains qui portaient encore la trace de nombreuses cicatrices passèrent contre son visage, du haut vers le bas, pour finalement terminer leur chemin dans ses cheveux noirs qu'il tira en arrière.
Subitement, un renâclement surgit d'entre ses lèvres.
Est-ce qu'il... était vraiment en train de pleurer ?
Je ne voyais pas son visage, caché par ses bras. Je ne savais pas exactement si la température l'avait rendu malade, ou si un autre sentiment le rendait malade.
Morten avait probablement besoin de temps pour assimiler tout ce qu'il avait vécu dernièrement, mais il n'était pas obligé de le faire seul. Moi aussi, je voulais pleurer ma famille, et ce futur utopique que je ne connaitrais jamais, et je savais que quelque part, Morten pensait pareil. Lui, en revanche, n'a jamais eu l'opportunité de pouvoir rêver.
Personne, doté d'un don tel que le sien, ne méritait d'être mis de côté sans jamais lui donner la possibilité de se découvrir et contrôler ses pouvoirs. Aucun être d'Oxstrea ne méritait une telle punition dès la naissance. Il avait vécu pire que nous tous réuni, car ne pas être maître de son corps et avoir libre court à ses dons est un crime pour un être de chez nous.
Morten a été condamné d'être née, ce sont ces chaînes invisibles qui l'ont guidé dans sa vie, qui ont fait de lui ce qu'il est aujourd'hui. Son comportement n'est que le résultat d'un choix dont il a été victime.
Je voulais qu'il le sache, et qu'il arrête de se sentir comme la pire horreur jamais construite sur n'importe quelle planète confondue. Je voulais lui offrir de l'espoir, lui prouver qu'il n'était pas une malédiction.
Mon pied dépassa le cadrant de la porte, et le parquet sous le tapis émis un léger son.
Morten releva aussitôt le menton, ses yeux noirs et jaunes étaient baignés d'eau, mais aucune larme ne dévalait de ses joues. Le noiraud se leva brutalement, mon corps se pétrifia après avoir reculé pour quitter sa chambre. Le visage de Morten était peint d'une noirceur si abrupte que le simple fait de l'observer me fit trembler. Mes ongles s'étaient enfoncés dans la couverture qui appuyait contre ma poitrine et qui servait d'unique bouclier contre cette bête débordante de rage.
Sa grandeur me dépassa rapidement, et avant que je ne puisse formuler une syllabe, il agrippa la porte et la claqua d'un coup violant.
Je me retrouvai seule dans ce couloir désormais sombre, munis uniquement d'une déception brutale.
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