Chapitre 11
Aïko_nsr
───※ ·❆CHAPITRE 11❆· ※───
M O R T E N
Un bruit sourd m'arracha soudainement de mon sommeil. Mon cœur s'emballa d'une vitesse qui me fit vite voir des étoiles. Mes yeux étaient comme des lasers, à flasher et analyser l'espace, sans jamais rien reconnaitre. Ce même bruit cogna à nouveau contre un des murs qui se trouvait près de moi.
Ce n'était pas des murs. C'était une coque de bateau, et ce bruit provenait des vagues qui claquaient dessus.
Un bateau ? Pourquoi Diable me trouverai-je dans un-
La putain de fée...
Elle m'avait vendu à une poissonnerie, ou plutôt, elle avait effectué un échange pour récupérer sa famille que je pensais avoir dépérit à cause de ce peuple dont les écailles parsemaient leurs corps.
Clochette m'avait bien eu. Au fait, depuis le départ ce n'était pas moi qui avais trouvé un spécimen rare, que j'avais tenté de dompter en cherchant les réponses d'une évidence qui perlait partout dans ses yeux verts. Non, au contraire. Elle m'avait trouvé. La Grande Naïade nous avait réuni, elle qui venait d'un autre monde, et qui avait fait tout ce chemin pour finalement me vendre à ces mendigots visqueux.
Je m'imaginai déjà son corps en boule au sol, et moi, muni d'aucune arme, lui broierai os par os par la simple pensé.
Ce n'était pas comme ça que j'avais imaginé le monde d'où j'étais censé venir. Je regrettai déjà d'avoir quitté le Golden Night, car là-bas au moins, le seul vrai danger présent était nul autre que moi. Ici... Je n'étais plus le seul à être différent. Dans ce monde, les gens avaient des oreilles pointues, des queues de poisson, et des bateaux qui naviguaient je ne sais trop comment avec tous ces trous dans la coque et ce bois moisie.
Quelque chose se mit à mouvoir sous mon tee-shirt, ça me chatouillait et en réaction, je tressaillis. Un insecte ? Un rat ? J'en avais aucune foutre idée, mais cela me suffit à me tirer de ma léthargie. J'ouvris brusquement mes yeux, qui cessèrent de s'agiter comme des fous pour enfin se concentrer sur une seule chose en particulier. Et cette chose-là divaguait contre ma peau, piétinait sur mes flancs, et semblait chercher un endroit bien particulier. Une panique incontrôlée fit battre mon corps entier, mais il ne me fallut pas plus d'une demi-seconde pour remarquer qu'il m'était juste impossible de produire ne serait-ce qu'un mouvement de bras. Mes mains étaient enchaînées et tirées vers le haut, forçant à me tenir sur la pointe des pieds pour soulager la pression sur mes poignets.
— J'te conseil de rester tranquille et de faire le poisson mort, ces bêtes-là adorent quand leurs proies sont vivantes et vif comme toi.
Mon regard chercha la source de la voix. Un homme se trouvait dans le même foutoir que moi, lui aussi était pendu par les bras. Son corps était tout frêle, on y voyait les os de ses côtes ressortir, créant un trou atroce au niveau de son estomac. Depuis quand n'avait-il pas été nourri ? Même son visage était atrocement maigre, et sa barbe non soignée contenait des nœuds ainsi que de la crasse. Un sourire venant de sa part me montra une dentition atroce, pour le peu de dent qui lui restait.
— Tu ne me crois pas, ajouta le type en voyant que je n'avais pas cessé de gigoter maladroitement. Tu n'as qu'à lui demander, lui aussi a voulu s'en débarrasser...
Il pointa du menton un coin de la pièce. Lentement, mes yeux divaguèrent vers le point central. Devant des barres cylindriques faites de fer, un autre homme se trouvait là aussi, le corps pendant dans le vide, lui qui n'était pas assez grand n'avait pas dû réussir à se soulager en posant son poids sur ses pieds. Mais ce n'était pas ça qui l'avait tué. Non, c'était quelque chose d'encore bien pire que tout ce que j'ai pu voir au cours de ma vie.
Moi qui étais habitué à voir des têtes explosées par des balles. Des membres découpés par des armes blanches. Des corps méconnaissables par explosion. Mes yeux avaient été témoin de la pire des horreurs qu'un homme puisse infliger à un autre, mais ça...
Ce n'était pas un crime commis par un humain.
Un ventre déchiqueté, laissant apercevoir sa ribambelle de boyau à moitié dévoré. Ses côtes fracturées qui démontrait le passage forcé vers son cœur. C'était d'ailleurs le seul organe qui n'était pas présent parmi ce tas de chair visqueuse à ses pieds.
— C'est comme ça qu'ils finissent tous, et c'est comme ça qu'on finira aussi, souffla le prisonnier d'une voix qui chantait presque.
L'odeur était ce que me vint en dernière, comme si mes sens n'avaient pas voulu se réveiller en même temps.
— Depuis combien de temps est-il là ?
Le ton de ma voix se voulait ardent. Cette situation ne m'amusait absolument pas. Pourquoi je n'avais pas réussi à lui couper le souffle au moment où j'en avait décidé ? Jamais je n'avais été confronté à ce blocage, ma malédiction n'a jamais failli. Jamais. Comment était-ce possible alors ? Même en ce moment précis, alors que j'attendais la réponse du prisonnier, je ressentais quelque chose de différent en moi.
Et cette chose de différent était que justement, je ne ressentais plus rien. La rage brulait encore dans mes veines, mais cette fois-ci, elle n'était pas agrémentée par les griffes de la souris. Cette fois, l'auteur de ma colère était cette jeune femme qui m'avait promis certaines vérités, et comme un guignol, je l'ai cru, et j'ai accepté de la suivre.
— Il manque à l'appel depuis... disons... une dizaine de jour...
— Et toi, depuis quand on t'a enfermé ?
— Six jours.
Une goutte d'eau me tomba sur le front et roula contre l'arrête de mon nez.
Cet homme, si on pouvait le nommer ainsi, sembla avoir perdu foi en la vie. La mort était proche, et il avait accepté cette idée. En revanche moi, je n'étais pas prêt à rendre les armes. Et je ne comptais pas non plus attendre ici dix jours à patienter que cette bête me dévore l'estomac.
— Comment on sort d'ici ?
L'homme squelettique ria. Un rire qui ne me parut pas sincère, du moins, pas le fruit d'un amusement. Son rire se mélangeait à un pleur de détresse.
— On ne peut pas, et même si tu y arriverais, où comptes-tu aller ? chuchota-t-il en reniflant du nez. Si tu es ici, c'est bien parce que quelque part, tu as été banni, mon cher ami. Sois heureux de ne pas avoir été envoyé dans les Limbes.
Les Limbes ?
— À quoi ressemble vos Limbes ?
Je connaissais les Limbes, je savais que chez nous, les humains, dans le monde où j'avais grandi, cet endroit était désigné comme étant l'entrée même des enfers. Ici, la signification de ce mot devait porter une autre connotation. Dans cet endroit qui m'était encore inconnu, l'enfer ne semblait pas avoir sa place dans leurs livres religieux. Avaient-ils des croyances ? Comment croire en quelque chose lorsqu'un peuple entier se trouve en possession des pouvoirs les plus abominables jamais pensés ?
— Seul un fastueux ignare pose ce genre de question.
Cela fut ma seule réponse.
— Je viens de loin, m'ai-je défendu, remarquant que peu à peu, ses paupières se fermèrent de fatigue. J'ignore beaucoup de chose sur ce monde.
— De loin... répéta la créature bien plus âgée que moi. Les Limbes sont proches de tout, mais loin d'un seul lieu. Le cœur d'Oxstrea. Je comprends mieux pourquoi Hoak a tenu à te laisser vivre dix jours de plus, au lieu de te tuer sur le champ.
À ça, je ne répondis rien. Je ne pouvais pas non plus faire confiance en eux autres, et dévoiler d'où je venais exactement. Peut-être que comme nous, ils ignoraient l'existence des humains. Me dévoiler au grand jour serait du suicide.
Ou peut-être que je me trompais totalement. Je n'en avais aucune idée, c'était bien mon problème. Hier encore, je n'avais pas la connaissance de ce lieu.
Rapidement, ma présence seule emplissait la prison du bateau, ou des enchevêtrements de poutres et de planches disjointes m'entouraient.
Plus les heures passaient, plus j'oubliais la douleur. Celle de mes bras. Mes jambes. Ma tête. Mon épaule perforée. Et surtout, la brulante douleur de la disparition de mes pouvoirs.
...
Mon réveil fut plus violent que les précédents connus.
Un jet d'eau glacial frappa mon visage, remplissant mes narines, ma bouche, en forçant mes paupières à s'ouvrirent. Pris de panique en réponse face à cette action, je luttai pour reprendre mon souffle. Je toussotai tandis que l'eau froide et salé coulait de mes cheveux, de mon visage en s'imprégnant dans mes vêtements et dans mes blessures ouvertes. Une vive douleur brula mon épaule à mesure que le sel grignotait ma chair et se faufilait dans l'espace vide.
Les yeux désormais écarquillés, je fixai la silhouette floue devant moi. Un Okto, si c'est ainsi qu'on devait le nommer, tenait un seau vide, les restes de l'eau froide encore en train de goutter du bord.
— Aller, on se réveil, tas de merde ! rugit-il, sa voix résonnant comme un coup de hache dans un tronc vide.
Je me redressai aussi vite que possible, mais mes chaînes me tiraient toujours vers le haut, me forçant à rester sur la pointe des pieds. Mon corps tout entier tremblait de froid et de douleur, la rage me donnait pourtant assez d'adrénaline pour me maintenant conscient encore quelque instant.
L'homme poisson se pencha vers moi, lorsqu'un sourire cruel me fit rugir d'agacement.
Son visage était une mosaïque de traits et de cicatrices. Ses pommettes presque coupantes et son menton anguleux accentuaient la témérité de son expression. De fines écailles vertes et marrons brodaient son front et ses tempes, se fondant dans sa peau rougeâtre, marqué par la puissance des rayons du soleil et le sel constant dans l'air qu'il respirait.
— Bienvenu à bord, le nouveau, grinça-t-il des dents.
Je grimaçai en effectuant un mouvement sec vers son visage, dans l'espoir de le faire reculer, voire de l'effrayer. Sauf que mon regard assassin n'était pas en mesure de faire quoi que ce soit, pas temps que j'étais ligoté comme une bête sauvage.
Il ria en me lorgnant de la tête au pied.
Sans me dégonfler, je fis de même. Ses cheveux noirs aux lueurs vertes étaient épais et d'un gras extrême. L'Okto portait une fine chemise en lin, autrefois blanche, était désormais grisâtre et usée, ses manches retroussées jusqu'aux coudes révélant des bras sales et tachetés d'écaille ternes. Ses pantalons, en toile épaisse, étaient maintenus par une large ceinture en cuir munie de plusieurs poches et d'un fourreau où reposait un couteau cranté. Ses bottes de cuir, lacées jusqu'aux genoux, étaient robustes et griffé par je ne sais quelle créature, témoignant de nombreux abordages de batailles.
Il avait l'allure d'un pirate, et ce genre de mythe, même chez les humains, avait le don de faire frissonner les moins adepte des histoires de fantaisie. Leur gout pour la torture, leur mode de vie, leur soif virulente de dépouiller et tuer, et j'en passe. Les Okto ne me paraissaient pas bien loin de ce genre de contes.
— Cesse donc d'apeurer notre invité, Lidreau, surgit une voix dans son dos.
L'Okto, ou plutôt, Lidreau, se détourna futilement en se cramponnant à son seau en bois. Lorsqu'il se décala sur sa droite, et qu'il abaissa son menton, l'unique silhouette que je vis dans cette cellule fut celle de ce requin aux cheveux longs et bleutés qui flottait dans le vide.
Il avait l'allure d'un cheval des mers, avec ses traits sévères et sa cape qui baignait derrière lui comme la crinière d'une de ces fortes bêtes.
Le Gardien des mers, tel était le titre qu'il m'avait présenté, marcha lentement dans ma direction. Le temps qu'il prît me laissa l'opportunité de le détaillé à son tour. Les faisceaux lumineux des rayons du soleil se faisaient une place entre les planches biscornues du bateau, laissant à mes yeux la possibilité d'apercevoir chacune des couleurs qui se dressaient sur sa peau gluante et humide. Ses pas lourds contre le sol faisaient trembler la coque, réveillant sans doute les crustacés qui s'y collaient, sans doute pour trouver un peu de répit.
Le requin, une fois posté devant moi, leva sa main large et calleuse, marqué par des veines saillantes. Ses doigts de poisson étaient longs et attrapa sans difficulté le médaillon qui pendait contre le haut de mon torse. Ses ongles durs et légèrement griffus passèrent contre la surface en or. Je fixai son geste avec amertume. Je n'aimai pas qu'on empoigne ce qui m'appartenait de cette manière, surtout lorsqu'il s'agissait de ce collier. Collier qui normalement n'attirait pas le regard, mais apparemment, ici, tout le monde connaissait ce symbole.
Trois cercles formant une ronde, et un quatrième plus petit, traversant les trois précèdent.
— Alors ce qu'on raconte est vrai, la Reine a eu deux fils.
Je plissai les yeux face à ses mots. Je n'avais pas la moindre idée de ce qu'il disait, je savais tout simplement que sa présence aussi proche m'était pénible.
— Recule avant que je te crache à la figure, sardine.
Il ignora ma menace et tourna le médaillon afin d'y lire l'unique mot gravé.
— Morten...
Je serrai les dents, n'aimant pas l'effet de ce son sorti tout droit de sa gueule puante.
— J'ose imaginer que tu ignores tout d'Oxstrea.
Mes yeux zieutèrent les siens, globuleux et revêche. Je restai silencieux, sans l'envie de lui répondre directement par une affirmation. Mon silence lui confirma mon ignorance. Le Gardien lâcha enfin mon collier et se mit à me contourner.
— Je pourrai me taire et te laisser aussi aveugle que tu ne l'étais durant ta misérable vie dans cet ailleurs, car pour toi, finalement, tout sera bientôt terminer.
— Ou tu pourrais aussi faire preuve de générosité et m'expliquer ce que je fou là, ai-je ruminé en le sentant passer dans mon dos.
— À quoi bon gaspiller de mon temps à instruire un mort ?
— Si je dois mourir dans ce fichu bateau entouré de poisson-homme, j'aimerai au moins savoir pourquoi on m'a échangé, et pourquoi le grand Gardien des mers attendait tant de me rencontrer, siffla ma voix en surjouant.
Hoak marqua une pause derrière moi, je l'entendis ruminer, sans jamais reprendre la parole.
— On m'a dit quand venu ici, je pourrai obtenir des réponses. Est-ce vrai ?
Des secondes s'envolèrent sans qu'aucun bruit, mise à part ceux des vagues cognant la coque, ne vint interrompt les grincements du plancher. Puis, un mouvement me fit détourner la tête. Hoak était de retour à sa position initial, mais au lieu de s'adresser à moi, il lança en direction de son matelot :
— Lidreau, va prévenir le Mist, qu'il se tienne prêt à mon retour.
L'homme-poisson hocha sa tête et déguerpit rapidement. Il s'arrêta lorsque son capitaine lui adressa une dernière faveur.
— Fais moi le plaisir de t'occuper de lui avant de partir.
Lidreau, comme un enfant qu'on venait de lever une punition, hocha à nouveau la tête. À l'aide de sa langue, il siffla si fort que mes oreilles crurent un instant en l'existence d'une Banshee. Soudainement, la bête sous mon teeshirt se mit à piétiner avec plus d'entrain. Elle courait contre ma peau, me créant des sueurs froides. Pas loin de moi, mon coéquipier de cellule s'agita en rouspétant. La peur se lisait sur ses traits fatigués et affamés.
Lidreau siffla une nouvelle fois, et la bestiole sur le ventre nu du prisonnier d'éploya d'immense pattes. Son petit ventre ronds et munis d'une coque tressaillis, jusqu'à finir par cracher une substance noire.
Le prisonnier hurla soudainement de douleur, ses pieds ne touchaient plus le sol. Il tentait de se recrobiller et par tous les moyens, de se débarrasser de cet insecte dont le cracha lui liquéfiait la peau. Des cloques énormes apparaissaient à certain endroit, rendant sa peau si fragile et souple qu'il suffit pour cette bête d'y poser les pates pour se frayer un chemin à l'intérieur de lui. Dès que l'insecte des mers entra et se faufila entre les boyaux désormais visibles, mes yeux se portèrent ailleurs.
Je n'entendis que les cris de douleurs de ce mourant, ainsi que la bête dévorant son corps, cassant ses os, et broyant tout ce qu'elle pouvait. L'odeur qui s'en suivit était nauséabonde. Le mélange de pisse et de sang me colla aux narines d'une manière que de la bile remonta le long de ma trachée.
Cinq secondes plus tard, le silence régnait.
Ma plus grande erreur fut de vouloir connaître la raison du silence s'y soudain, alors qu'au fond, je savais qu'il en était fini pour lui.
La vision d'horreur face à mes yeux me donna l'envie de vomir. Je n'étais pas facile à dégouter, pourtant.
De suite, Lidreau fila ailleurs, et je me retrouvai seul avec Hoak, et le mort
Il soupira. Sa lèvre supérieure se retroussa. Sa langue se mouva, il déglutit, puis me fixa hargneusement.
— Sylion Orka a des yeux partout, et sa magie est l'une des plus puissantes de ce monde, commença-t-il, d'une voix grave et résonnante.
Hoak se redressa, sa posture imposante créa une ombre gigantesque derrière lui.
— Elle te connaissait avant même ta naissance, elle savait tout de toi, si bien qu'elle a fini par traverser les mers pour venir me trouver, poursuivit-il en s'approchant lentement de moi dans des mouvements calculés et abrupts. Elle m'a parlé d'un enfant qui aurait été banni dans un autre monde, un enfant contenant des pouvoirs si inarrêtables qu'il pourrait rendre en cendres un peuple uniquement par la pensée.
Mon cœur battait plus fort à chaque mot. Hoak s'arrêta juste devant moi, son visage impassible et sévère.
— Au départ, je ne comprenais pas la raison de sa venue, avoua-t-il, ses yeux glacials perçant les miens. Savoir qu'un enfant possédait de tels pouvoirs ne semblait avoir aucun lien avec moi. Et c'est là qu'elle m'a dit cette phrase que je n'oublierais jamais.
Il leva une main, ses doigts palmés se déplaçant avec une disgrâce fétide, et effleura sa propre bouche.
— « C'est lui qu'Oxstrea a choisi, il est le roi », dit-il, sa voix tremblant légèrement en répétant les mots.
Je fronçai les sourcils, tentant de cacher mon incrédulité derrière une façade stoïque.
Il est le roi.
Non, cette sensation d'effroi ne pouvait pas parvenir de cette information. Rien de tout ça ne faisait sens. Dans aucun putain d'univers le mot « roi » ne pouvait m'être affilié ! C'était insensé, bien au-delà de ce que je pouvais croire.
— Je ne voulais pas accepter ces dires, continua Hoak en me contournant lentement, ses pas lourds faisant trembler la coque du bateau. Pourquoi Verena Ox aurait-elle décidé de mentir à son peuple ? Pourquoi trahir la couronne en laissant un faux roi gouverner ? Mais je me suis souvenu d'une chose : Sylion Orka a des yeux partout, même dans le futur.
Il se pencha vers moi, ses yeux globuleux et revêches capturant les miens, leurs éclats intenses me scrutèrent avec si peu d'admiration.
— Elle savait de quoi était capable cet enfant, ainsi que le mal qu'il instaurerait dans ce monde, murmura-t-il, sa voix empreinte d'une gravité froide. C'est alors que j'ai pris une décision, murmurée par Sylion même, celle de retrouver le roi banni et de lui ôter ses pouvoirs pour régner avec grandeur sur Oxstrea. Si lui n'était pas capable de le faire, moi j'en serais apte.
Je sentis une sueur froide courir le long de mon dos. Hoak se redressa de toute sa hauteur, dominant l'espace par sa présence imposante. Je pris une profonde inspiration, fermant lentement mes paupières avant de les ouvrir mi-closes. Puis, je levai le menton, une expression qui se voulait ironique marqua mon visage.
— Moi, roi ? ris-je en lui montrant toutes mes dents. Et puis quoi encore... Je suis censé brandir une baguette magique et te défier, grand Gardien des égouts ?
Mon humour lui déplaisait fortement. Sa palme rencontra rapidement ma mâchoire, qu'il serra entre ses doigts avec force.
— Rigole autant que tu veux, ce sont après tout tes dernières heures.
Il me maintenait dans cette position durant des secondes qui me parurent des minutes, avant de me relâcher vulgairement.
— Alors c'est comme ça, hein, déglutis-je en crachant un filet de sang à mes pieds.
Ça forte poigne m'avait ouvert la lèvre intérieure. Malgré ce sang qui coulait de ma bouche, je ne ressentis aucune douleur.
— On me balance dans un stupide monde ou vivent des fées et des crapauds, on m'enchaine comme un lièvre après lui avoir tranché la gorge, on me balance que je suis un...
Le mot brulait ma gorge sans jamais apparaitre à voix haute.
Je secouai la tête en fixant les rayons du soleil à travers les planches trouées.
— Tout ce que je souhaite, après tout, c'est de retourner dans ce trou à rats, le monde dans lequel j'ai grandi.
Jamais je ne me serais cru capable, un jour, de le dire, mais le Golden Night me manquait. Je préférais me battre sur un ring, qu'être attaché de cette manière face au Gardien des mers.
— Il existe un moyen pour toi d'y retourner.
Mes yeux quittèrent la lumière, interloqué par cette phrase. Hoak avait un sourire en coin. J'ignorai ses plans, et quelque chose me disait qu'en prenant consciences de ces derniers, j'allais encore moins les apprécier.
— Je peux faire en sorte d'extraire tes dons sans que ça te tue, cela te coutera cher, mais tu pourras vivre comme l'un des tiens, sans pouvoir, déclara sagement le requin. Disons que ta vie ne m'importait peu, mais, tu vois, Morten, je commence à me dire que tu pourrais m'être finalement utile, même sans don.
Ma bouche s'ouvrit. Ce fut ma seule réaction.
Vivre comme un banal humain, sans cette malédiction qui me pourrissait. Entrer au Golden Night, monter sur le ring, me battre sans ressentir cette pression me compresser le cœur, sans jamais éprouver la folie prendre le contrôle de mes mains, et faire le mal autour de moi. Ce pour quoi je me suis toujours battu contre, pourrait s'effacer en un claquement de doigt.
— Que veux-tu en échange ? me surpris-je à demander.
Hoak esquissa un sourire satisfait, avant de baisser ses yeux dans un air pensif.
— La Reine. Elle doit mourir.
Le poids des mots d'Hoak se fit lourd dans l'air salin de la cellule. Une lueur de triomphe dansait dans ses yeux, et son sourire révélait des dents acérées, presque inhumaines.
— La Reine ? répétai-je, incrédule. Tuer la reine ? Pourquoi je devrai me charger de ça ? Tes poissons ont l'air d'être bien plus assoiffé de vengeance que je le suis, demande-leur de faire ce sale boulot.
C'était bien la première fois que je m'apprêtais à refuser un prix, et qui cette fois, n'était pas des billets. Toute ma vie se résumait à accepter de tuer des hommes et des femmes dont les têtes étaient placardées sur des sites de vente. Pas n'importe quel site. Des sites de tueur à gage. On m'offrait des cibles, et je m'occupais d'eux. Je vivais de ça. Pourtant, la demande d'Hoak sonnait fausse. Il souhaitait obtenir mes pouvoirs, et si je voulais sortir vivant de cette opération, je devais en échange tuer la Reine.
Hoak eu un unique rire, qui ressemblait davantage à un hoquet.
— Aurais-tu peur de tuer ta propre mère ?
Une grimace déforma mon visage.
— Je ne connais pas cette femme. Je n'ai jamais eu aucun parent, et ça ne changera ni aujourd'hui, ni demain.
Ma voix soudainement bestiale lui arracha son sourire.
— Bien, alors tu n'auras aucun mal à la tuer.
Je ne devrais rien éprouver, comme pour chaque victime dont je me suis occupé. Je devrais n'avoir aucun mal à imaginer la reine de ce monde tomber sous mes mains.
Aurais-tu peur de tuer ta propre mère ?
Ma propre mère.
Elle n'a jamais existé. Elle a cessé de l'être le jour où elle m'a abandonné, car je n'étais qu'une malédiction à ses yeux, qu'un mal pour ce monde.
— Si je parviens à la tuer, tu me jure de me laisser vivre, et de ne laisser aucune trace de ma damnation ?
Le Gardien des mers leva son menton, lui qui se tenait proche de moi, à ma hauteur, venait de regagner son rictus de champion.
— Une vie contre une vie, Majesté.
Ce dernier mot fut formulé avec un sarcasme à peine voilé. Hoak semblait apprécier la tournure de la situation, comme s'il avait déjà anticipé ma réponse et savait exactement comment la manipuler à son avantage.
— Et qui de mieux que le véritable héritier pour accomplir cette tâche ?
Ma tête allait exploser. Ça me tuait de l'intérieur de ne plus ressentir la souris et ses griffes, de ne plus être animé par les flammes, et de ne plus ressentir l'envie viscérale de fumer et boire pour endormir la bête et ses pensées obsessives. Depuis que j'avais atterri ici, elle s'était cachée, ne voulant pas explorer la puissance mère qui résidait dans ce tumulte d'énergie à laquelle elle appartenait. C'est comme si elle était effrayée de sortir et d'être confrontée à pire, de vouloir plus qu'elle ne désirait avant. Et si c'était vrai, que mon intuition était bonne, et qu'une fois la souris ayant trouvé sa veste d'exploratrice, elle ne voudra plus jamais retourner dans sa cage ? Et si elle trouvait à s'épanouir ici ?
Cette maudite chose finira par me contrôler, tel était le sort qui m'était réservé.
Je ne pourrai supporter de vivre avec elle encore plus longtemps. Alors d'un ton tranchant et funeste, je lui répondis :
— Sa vie contre la mienne.
Un éclair de complaisance traversa ses pupilles noires où nageait une âme irascible.
— Ce soir, au coucher du soleil, je te guiderai à elle. En attendant, ne tente aucun mouvement brusque, ajouta-t-il en jetant un regard vers l'insecte des mers sous le tissu de mes vêtements.
Son ombre s'étendait comme une tache noire sur le sol humide de la cellule à mesure qu'il reculait. D'un pas assuré, il franchit le seuil de la porte faite de barreaux, sans oublier de fermer la cage à l'aide d'une clé rouillée. Sa cape en peau entraina une dernière vague invisible, engouffrant son corps dans les abysses de l'océan.
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