Chapitre 1

Aïko_nsr

───※ ·❆CHAPITRE 1❆· ※───
M O R T E N

Rouge comme le sang, et noir comme l'obscurité de la mort. C'est ce que les esprits fragiles voient en premier, n'est-ce pas ?

C'est ce que je devais à priori penser lorsque je voyais les couleurs de ce tableau. Au lieu de ça, le rouge me faisait penser à la renaissance, et le noir à l'avenir. La peinture, accrochée sur le mur de pierre usée, était l'œuvre d'un artiste anonyme, elle dégageait une aura d'âpreté et de transcendance. Les détails délicats des clous enfoncés dans les mains et les pieds du Christ semblaient presque réels, n'évoquant que la souffrance et le sacrifice.

— J'ignore quand ça a commencé, peut-être le soir de l'accident, ou plus tard. Ce n'est qu'une façade, m'avait dit le médecin, mais j'ai fini par comprendre que cette façade dont il parlait se logeait dans mon crâne, et non dans mon corps. Mon mal n'était que de passage, alors que mes jambes, jamais elles ne se rétabliront.

J'écoutai attentivement les confessions de foi murmurées par ces âmes perdues, souhaitant rien d'autre que de la rédemption, rien qu'une main chaude qui se pose sur leurs épaules. Je mentirais si je disais que je ne venais pas pour ressentir cette sensation de réconfort, car je venais ici spécialement pour me sentir un minimum normal. Avoir péché et vouloir le pardon d'une force supérieur n'était pas anodin. En revanche, j'ignorais si ma présence entre ces croix et ces voix soporifiques était liée à une suite logique. Avant, j'aurais dit que non, aujourd'hui, je dirais que la réponse ne m'intéressait pas.  

— J'ai bien trop longtemps laissé mes mauvaises émotions prendre le contrôle de ma vie, et je veux être capable de pouvoir voir autre chose que l'impossibilité de vivre. Je veux être de nouveau heureux, voilà ce que je souhaite par-dessus tout.

On l'applaudit, puis l'homme en fauteuil roulant revint à sa place initiale.

— Merci beaucoup Davin pour cette confession, on te souhaite que du bonheur. Et n'oublie pas que le Christ sera toujours là pour toi, il n'abandonne personne. Fais lui confiance et il te fera confiance.

A quoi me faisait penser ce tableau ? J'avais l'impression de l'avoir déjà vu quelque part. Le Christ crucifié sur une croix qui n'était pas en bois, mais sur une nappe de fleurs. L'arrière-plan démontrait un ciel bleu sans aucun nuage, et tout devant ruisselait des mains priantes. Il ne ressemblait en rien avec ces genres de représentation morbide du Dieu Sauveur, celle-ci était différente, beaucoup plus encré dans la nature, et moins dans la souffrance. Elle semblait dire : « Regarde comme la mort est belle ».

Ce n'était pas ce que cette figure était censée représenter, et pourtant, la nature autour de lui semblait le soigner de ses maux, et l'accompagner dans son long voyage.

— J'aimerais désormais donner la parole à quelqu'un qui ne s'est pas encore ouvert à nous. Morten ?

La peinture se présenta à moi, faisant naître au creux de mon torse une sensation bien... rugueuse. Voilà que je m'imaginais le sang dégouliner des bras en peignant ces fleurs de rouge. Ce sang pur je l'imaginais, je voulais qu'il brûle ces fleurs et moisisse ces mains. Je voulais modifier cette œuvre et la mettre à mon goût, la rendre belle, mais pas de cette manière suave. Je voulais qu'elle représente correctement la mort, en démontrant les pleurs, l'angoisse, la solitude, l'abandon.

Il y avait quelque chose dans ce tableau qui me dérangeait.

Morten ?

Mon attention fut attirée par cette femme aux cheveux épais, bruns et bouclés.

— Tu veux bien venir te présenter ? Nous serions ravis d'entendre ton histoire, et soit rassuré, il n'y aura aucun jugement. Libère-toi, annonça-t-elle avec ce sourire qui aurait pu rassurer bon nombre d'entre nous.

C'est en soupirant que je fis l'effort de me lever. Les mains dans les poches de ma large veste en cuir, je m'avançai doucement entre ces rangs de bancs en bois. À mesure que je m'approchais de l'autel, les visages se tournaient dans ma direction et leurs yeux me lorgnaient avec crainte et curiosité.

N'avait-il jamais vu un ange noir perdu dans une église ?

Au lieu de m'engager à monter sur l'autel, je me rapprochai de cette peinture du Christ accroché au mur. Un silence pesant suivait chacun de mes mouvements. Personne n'osait respirer trop fort, ou même croiser mon regard.

— Vous savez pourquoi j'aime autant cette peinture ? fondit ma voix à travers le couloir vide.

Quelque chose en elle me faisait penser à moi. Cette tache de désillusion au milieu d'un authentique champ de roses.

Normalement, on levait le menton en guise de sympathie, pour moi, les yeux fixaient le sol.

— Je me suis toujours vu ainsi, comme une tache d'encre sur de la soie. Une rature dans une lettre d'amour. Une poussière dans un œil rempli de galaxies.

Je penchai légèrement le visage sur le côté. Un détail nouveau attira mon regard. Parmi toutes ces fleurs vivait un papillon aux ailes vertes.

La Grande Naïade.

Je connaissais ce papillon car je l'avais vu dans la plupart de mes rêves depuis que j'étais capable même de rêver. Il était constamment là, à battre des ailes, se posant sur mon visage, mes mains, mon torse, partout où il avait accès. Je me souvenais, une fois, d'avoir tenté de l'attraper pour lui arracher ses ails. Je voulais voir s'il allait continuer de voler sans ails dans mes prochains rêves. Alors je l'avais fait. J'avais arraché ses ails. Puis, il avait disparu quelque temps, et lorsqu'une nuit battait à son plein, un soir d'orage, une lueur verte s'était frayée un chemin dans un de mes cauchemars. La Grande Naïade verte était de retour.

J'ignorai pourquoi elle me suivait, et pourquoi elle voulait perpétuellement se poser sur ma peau.

Même dans ce tableau, elle s'était dirigée vers l'unique tache de sang sur l'un des pétales d'une rose. Elle semblait siroter cette saveur, se nourrissait de ça.

Elle continuait de battre des ailes, insensible à la peur de se bruler les ailes, alors je sortis de ma poche mon briquet, et enclenchai la flamme. Personne ne m'arrêta lorsque que je l'approchai du tableau, qui très rapidement, brula. Seul le papillon partis en fumée, le reste de la toile resta parfaitement intact.

Il n'était réel, il n'était qu'un pur fruit de mon imagination, et pourtant, je ressentais ce besoin de l'éloigner de moi, afin de préserver son fastueux éclat de l'affres maudit. Moi.

— Vous voulez connaître mon histoire, c'est ça ?

Personne ne me répondit, alors je pris ce mutisme pour un oui.

— Il y a vingt-trois ans de ça, on a découvert un berceau de branche faites d'or au milieu d'un champ de maïs, commençai-je en grimaçant. Des paysans l'ont trouvé un matin en récoltant leurs blés, ils ignoraient depuis combien de temps ils avaient été abandonnés, mais les pleurs de l'enfant et sa peau sèche leurs avaient donné un ordre d'idée. Probablement une journée, ou trois. 

Je passai mon pouce contre la toile, là où de l'herbe avait été peinte au milieu des mains priantes.

— Il avait du sang séché et noir partout sur lui, ainsi qu'un médaillon avec un prénom et un symbole au dos, et c'est tout. Finalement, ils ont pris la décision de le garder, c'était un couple de jeunes retraités, ce fut une action de bonté, rien d'autre.

Mon pouce glissa de la toile et retrouva sa place dans la poche chaude de mon blouson.
             
— Jusqu'à ses deux ans, l'enfant semblait grandir comme tout autre garçon de son âge. Et vint un soir de printemps, les oiseaux étaient de sortis, la chaleur glissait son souffle chaud dans chaque recoin de la maison, mais rien ne brûla plus que le regard qu'ils avaient vu ce soir-là. Pour la première fois, l'enfant savait imaginer des formes, des voix, des mots, des sensations, rien qui lui était offert par l'aspect sensoriel, mais uniquement par l'imagination. Et vous savez ce qu'il a imaginé pour la première fois ?

Aucune réponse. J'avais face à moi uniquement des visages livides, eux aussi coincés entre des souvenirs désagréables. Pouvais-je qualifier le mien de désagréable ? Non. Il était tout simplement... la prémisse d'une construction.

— Des flammes, siffla ma voix d'une tendresse lénitive. Il n'avait su qu'imaginer le chaos.

Un sourire de triomphe se dessina sur mes fines lèvres. C'était aussi mon premier souvenir, ces hautes flammes qui avaient emporté la maison, ainsi que la vie de ce couple.

— Qu'importe où il était envoyé, que ce soit dans des familles d'accueils que dans des orphelinats, cet enfant grandi en prenant conscience de ce qu'il était capable de faire. Au commencement, il s'en amusait, ce fut un pur divertissement. Imaginer les ténèbres peu à peu recouvrir ce monde, c'était sa manière de peindre la vie avec ses propres couleurs. Puis, plus il grandissait, plus cela devint une drogue. Cette soif de divertissement se transforma en besoin essentiel, voir vital.

Lentement, mon sourire se figea pour ensuite se retourner. Les poils qui longeaient ma colonne vertébrale se dressèrent.

— Alors il en devint addict, ai-je révélé comme un coup de tonnerre. Une souris s'était formée dans le creux de son torse, si petite qu'elle ne pouvait pas être pointée du doigt, et qui grattait et grattait en déchirant sa peau. Tant qu'elle ne recevait pas sa dose d'adrénaline, elle continuait de perforer poumons, foie, os, cœur. La seule manière de la faire taire est de lui donner son dû.

Un courant d'air emporta mes paroles, qui s'enfuyaient dans les oreilles de ces inconnus.

— Alors je l'ai fait, j'ai offert à ce satané rat ce dont il avait besoin, et je l'ai fait bien trop longtemps.

Si longtemps que j'avais fini par prendre plaisir à voir ces nuances sombres colorer mes mains, ce sang, ces yeux vides de vie, ces cris se noyant dans la mort.

— Puis, on m'a offert une liberté. Désormais, ça fait deux ans que j'ai enformé cette souris dans une cage. Mon souhait est de pouvoir la bruler une bonne fois pour toute.

J'avais cessé de parler. Au bout d'une dizaine de seconde, on m'applaudit discrètement. Un claquement par-ci, un autre par-là, mais il n'était pas général. Mon histoire n'avait pas réussi à plaire à tout le monde. 

— Merci.... Morten... pour cette confession, surgit la voix intimidée de la brune. On sait que les addictions à la drogue ou à l'alcool sont un vrai cercle vicieux. T'être tourné vers Dieu a été l'une des meilleures options, je t'en remercie.

Elle n'ajouta rien d'autre, et moi non plus. Alors, je partis retrouver ma place initiale entre les rangs de ces bancs. Une dame vêtue d'une longue robe bleu clair venait de rejoindre l'autel. Elle avait des yeux rouges et une peau très pâle.

— Ma fille est décédée il y a quatre mois, elle avait cinq ans lorsque...

— Psss !

La voix de la dame en deuil continuait de flotter dans l'air.

— Eh, Morten ! chuchotait une voix dans mon dos.

Uniquement mon visage se détourna, pour découvrir l'homme au fauteuil roulant qui tentait d'attirer mon attention.

— Ça te dirais de rejoindre mon groupe de pote et moi ce soir ? me demanda-t-il accompagné d'un accent britannique très prononcé. Ce n'est pas la première fois que tu viens participer à ce genre de confession, ça pourrait peut-être te faire du bien de sortir aussi.

Un rire très discret sortis de mon nez.

— Je ne suis pas du genre amical.

— Je m'en suis douté bloke, je proposais juste...

Je soupirai en croisant mes bras contre mon torse. Je n'avais pas mis un pied dehors depuis presque deux ans. J'avais choisi de m'extraire à Londres pour m'éloigner du danger que je représentais. J'avais pensé qu'en changeant de pays, j'allais changer complétement. Quelque chose en moi souhaitait être normal, et ne plus ressentir ce désir épuisant de destruction. Depuis que j'étais à Londres, j'étais clean.

Alors, trainer le soir était ce que les jeunes de mon âge faisaient, n'est-ce pas ?

— Où est-ce que je dois vous rejoindre ? demandais-je sans le regarder.

— A mon yard, il se trouve pas loin d'une échoppe de cireur de pompe, celui qui fait l'angle d'Eldon Groove street. Tu es le bienvenu, et ne viens pas avant vingt heures.

Mon visage retrouva son angle naturel, là où mes yeux se mirent à fixer de nouveau cette peinture qui comportait désormais un trou pas plus gros qu'une bille. Ce papillon reviendra, je le savais pertinemment. Il était cette plume parmi une pluie de météorite qui s'abattait sur moi, il créait cette balance entre les ténèbres, et la vie. Il ne cessait d'être en guerre contre cette souris, elle qui voulait constamment le chaos, tandis que la Grande Naïade posait sur moi de tendre baiser qui avait le pouvoir de m'apaiser.

Tout comme la souris, elle avait disparu de mes songes depuis deux ans, tout du moins, je les tenais en otage depuis deux années.

Il était peut-être temps d'ôter mes yeux d'eux, et de ne plus y penser l'espace d'une unique soirée. Et c'est ce que je fis. Le soir même, je m'étais dirigé vers cet endroit. La nuit était tombée, elle enveloppait les rues d'un voile sombre de mélancolie. J'avais quitté l'église et ses croix pointant vers le ciel depuis un bon bout de temps. Désormais, il n'y avait que des arbres nus et des pavés qui se dressaient devant moi. Le sol était jonché de feuilles mortes, créant un tapis craquant sous mes pas. Rapidement, je me pointai chez ce britannique, qui avait laissé son portail ouvert. La plupart d'entre eux se trouvait dehors, dans le jardin, devant un feu de bois qui m'accueillit de sa lueur vacillante dans l'obscurité. D'autres se tenaient debout, verre en main, à discuter ou danser.

J'entrai, n'ayant pas forcément l'envie de crier mon arrivé.

Des voix joyeuses flottaient dans l'air, mêlée au crépitement du feu et au doux murmure de la nuit, ravagé par cette musique puissante qui pulsait des enceintes. Ça me changeait pas mal de l'église, et de ces voix tremblantes, de ces yeux larmoyants. Des silhouettes se tenaient un peu partout, partageant des rires et des histoires dans une ambiance festive. J'ignorai si j'avais fait le bon choix d'accepter de venir. Ce genre de foule n'était pas bon pour moi, car je savais que je pouvais m'en enivrer rapidement. 

Doven, assis dans son fauteuil roulant, leva une main pour me saluer.

— Hey, mate ! Content que tu sois venu, dit-il avec un sourire chaleureux.

Je m'approchai lentement, contournant ses corps de femmes et d'hommes qui discutaient en petits groupe éclatés. J'avais espéré trouver de la tranquillité en venant ici, mais quelque chose en moi me raidissait. Était-ce de la fatigue, ou le feu qui léchait la nuit de ses flammes jaune et orange ?

Les autres invités me regardaient avec curiosité, certains avec méfiance. Je pouvais sentir leurs regards peser sur moi, et ce n'était pas très agréable. Pourquoi me lorgnaient-ils de cette manière ? Pourquoi tout le monde me fixait toujours comme si j'étais monstre ?

Parce que tu en es un.

— Alors, tu es prêt à te détendre un peu ? demanda Doven en me tendant une bière.

Je n'étais pas certain d'y arriver.

— Je ne bois pas, dis-je en refuser la bière d'un geste de la main.

Les minutes passèrent sans que je ne n'intervienne dans leurs conversations. Des sujets divers étaient délivrés, des sujets qui parfois ne m'incluaient pas. Je zieutai les environs, observant par exemple cette femme se disputer avec son mec, qui cinq minutes plus tôt, recherchait un trésor perdu dans la cavité buccale d'une autre. Il y avait aussi eu ce type qui avait couru dans jardin pour pisser, pour ensuite vomir toute la quantité d'alcool qu'il avait ingurgité. Et ce groupe de fille, qui ne cessait de changer de musique sans les laisser se terminer, tout en se prenant en photo dans leurs robes courtes.

Je fixai tout ce petit monde en gardant le silence.

Les rires et les conversations légères semblaient dissiper les nuages sombres qui obscurcissaient mon esprit, pendant un instant, je pensais me sentir bien. Jusqu'au moment où un des gars, un peu torché, trouva le geste amusement de renverser le restant de sa bière dans le feu de bois.

Soudain, les flammes gagnèrent en hauteur, elles vinrent même embrasser une demie seconde nos peaux, tel un courant d'air. Tous se reculèrent en riant, moi, je n'avais pas bougé. J'avais laissé les flammes gicler sur mon corps, pénétrer mon épiderme et bruler ce sentiment d'apaisement. Je fermai un instant les yeux, aimant la sensation de brulure sur mes joues. Je ressentis le besoin de me fondre dans la braise lorsqu'une main s'abattit contre mon épaule.

Doven me tira légèrement en arrière.
             
— J'ai pas envie d'appeler les bobbies, alors recule du feu.

Lui et sa danse hypnotique, sa chaleur, tout éveillait en moi des instincts primordiaux. Les flammes semblaient danser à l'unisson avec les pulsations de mon cœur, attisant le feu intérieur qui brûlait en moi à se répandre jusqu'au bout de mes doigts.

Il me fallut une force surhumaine pour quitter mes yeux des flammes. La seconde d'après, un frisson d'excitation et de fureur parcourut mon échine. Doven avait dû le constater, car il fit battre en retrait son fauteuil roulant, sa bouche était légèrement ouverte et ses paupières étaient écarquillés d'une manière si grande.

— Qu'est-ce que... Tes yeux... bredouilla-t-il.

Son visage devint livide.

Je luttai contre l'impulsion irrépressible qui grandissait en moi, la soif et la colère se mêlaient en moi dans un tourbillon de confusion.

Puis, elle se mit à gratter. La souris venait de trouver une porte de sortie. Elle était à nouveau libre, à cause de ces flammes, elle avait su trouver la source primaire qui la nourrissait. Après deux ans, voilà qu'elle se mit à piétiner sur mes anciennes cicatrices.

Tout autour de moi, des petits détails me narguait. Je lorgnai chaque invité, qui me provoquait sans le vouloir. Eux et leurs cigarettes qui s'allumait, ces flammes qui jaillissais de leurs briquets et qui alimentait le feu dans mes entrailles. Chaque petite flamme semblait être une invitation à succomber face à elle.

Je passai mes paumes de mains contre mes paupières et me leva de mon siège avec violence. Il était temps pour moi de m'en aller, et vite. Je luttai pour garder ma lucidité face à cette tentation sucrée qui me consumait de l'intérieur. Cette putain de drogue, j'en avais oublié les effets.

Alors, je bousculai les corps, gagnant des insultes sur mon passage, et renversa les chaises sans même y faire attention, uniquement dans le but de me barrer de là le plus rapidement possible.

— Morten ! Hey ! Tu vas où !

Ma main pressa contre le portail pour qu'il s'ouvre à moi. Mes enjambées rapides me menèrent dans la ruelle, là où le calme planait, sauf que ce n'était qu'en surface, car de l'intérieur, c'était horrible. C'était comme avoir une épine dans le talon et de devoir marcher dessus des jours durant. On n'a qu'une seule envie, c'est de la retirer. Tout comme cette épine, j'avais l'envie urgente de relâcher cette maudite souris. Plus elle grattait, et plus je m'efforçais de contracter mes muscles pour ne lui laisser aucune chance de sortir et rugir à l'extérieur. Mais, il arrive toujours un moment où je ne supporte plus l'épine. Alors je me retire, et la laisse prendre possession de moi.

— Qu'est-ce qui t'arrives mate ? Tu te sens pas bien ? murmura une voix dans mon dos.

— Retourna là-bas Doven, lui ai-je répondu avec difficulté.

Mon crâne m'envoyait des centaines d'électrochoc par seconde.

— Je sais que j'ai pas mal consommé ce soir, mais... Blimey ! Jamais j'ai vu des yeux aussi noirs de toute ma vie !

J'avais la tête qui tournait. Marcher m'aidait à me libérer l'esprit, mais il continuait de me suivre, lui qui ignorait le danger que je pouvais représenter dans ce genre de moment.

— C'était cool en tout cas que tu aies pu venir, tu es le bienvenu dans le groupe désormais.

Ferma-là.

— Tu mérites de pouvoir t'en sortir, t'es un bon type, tu parais dangereux mais je suis sûr que ce n'est qu'un physique.

Tu mérites de pouvoir t'en sortir.

La vision des flammes se frayèrent un chemin dans mon esprit, ainsi que les hurlements de toutes les personnes qui ont croisé mon chemin au mauvais moment. Il ne pouvait pas dire ça, je ne pouvais pas le laisser penser que j'étais un bon type, j'étais tout l'inverse, et aucun pardon ne m'était mérité.

— Avec un peu de temps, je suis certain que tu réussiras à t'accepter-

Je me retournai face à lui si brusquement qu'il eut un hoquet de stupeur.

— Je ne suis pas la personne que tu as vu à l'église ces deux dernières années, dis-je dans un chuchotement contrôlé. Tout ça, c'est faux. Je n'ai fait que jouer un rôle pour me convaincre que je pouvais tenir encore un peu plus longtemps.

Je bouillonnai. Mon temps s'était écoulé, la souris allait bientôt arriver.

— Alors maintenant, tu vas bien m'écouter attentivement, d'accord ?

Ses pupilles s'élargissaient à mesure que je m'enfonçai dans son esprit.

— Tu vas gentiment rejoindre tes amis et oublier mon existence. Tu ne m'as jamais rencontré, c'est compris ?

Il acquiesça silencieusement, puis fit demi-tour sur ce fauteuil roulant. Je soupirai en passant une main dans mes cheveux.

Il était trop tard. J'avais réussi à l'enfermer dans une cage bien trop longtemps, désormais elle était enragée, elle voulait rattraper le temps qu'elle avait raté, et je savais pertinemment que je ne pouvais pas l'arrêter, pas maintenant, pas alors que j'aimais les effets de ses griffes déchirer ma peau. 
             
Je devais rentrer chez moi, revenir au Golden Night.
             
Mes vacances étaient terminées, cette vie de bon humain ne m'était pas destinée.

En revanche, le chaos l'était.

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