19. Noces sanglantes
Le soleil brillait et réchauffait l'atmosphère de ce jour de février. Je descendis de ma voiture et me dirigeai à grandes enjambées jusqu'à l'agence immobilière.
Un quart d'heure plus tard, j'étais ressorti et j'avais obtenu un rendez-vous le lendemain. J'avais assuré à mon interlocuteur que nous devions vendre en urgence et j'avais alors bénéficié d'une priorité.
En remontant dans la voiture, j'augmentai le volume de l'autoradio et me mis à chantonner. Je ne me pressai pas pour rentrer chez moi. Je n'avais rien à y faire. Je décidai alors d'aller acheter un cadeau à chacun de mes enfants dans le centre commercial du coin. Ils s'étaient montrés si courageux malgré tout ce qui était arrivé. Sans hésitation, je pris des Lego pour Maël et le dernier tome de la saga de romans préférée de Lyna.
Je repris ensuite le chemin de la maison. Il fallait bien que je rentre à un moment ou à un autre. Je regardai l'heure. Il était neuf heures. À cette heure-là, Laura devait être arrivée à son cabinet. Elle avait choisi de travailler la journée et de remettre sa démission le soir. Je lui envoyai un SMS pour lui souhaiter une nouvelle fois bon courage.
En arrivant devant la maison, je remarquai immédiatement la voiture de Laura. Comment se faisait-il que sa voiture soit toujours là ? Y avait-il eu un problème ? Cela me parut étrange. Si il s'était passé quoi que ce soit avec l'un des enfants, Laura m'aurait appelé pour que vienne les garder et qu'elle puisse aller travailler. Mon cœur se mit à battre plus vite. Et si il s'était passé quelque chose de grave ? Laura était peut-être tombée ou avait fait un malaise. Lyna aurait cependant appelé les pompiers. C'était ce qu'on lui avait toujours appris. Mais pourquoi n'avais-je pas été prévenu dans ce cas ?
J'inspirai profondément et me garai à côté de la voiture de ma femme. Je descendis à la hâte et me dirigeai vers la porte d'entrée. Je l'ouvris lentement, le cœur battant. Je ne pouvais m'empêcher d'imaginer le pire. Et si Laura s'était grièvement blessée et que les enfants n'avaient pas su quoi faire ?
Je pénétrai dans la maison. Tout était silencieux. Cela ne fit qu'accroître mon inquiétude. Si Lyna et Maël étaient toujours ici, il n'était pas normal que le silence règne. Je fus alors pétrifié. Je restai bouche bée devant ce qui me semblait être une apparition. Mon sac à dos m'échappa des mains et s'écrasa sur le sol. L'impensable se tenait face à moi, belle et bien réelle. Cassandre, du moins ce qui y ressemblait, se tenait raide et immobile dans la salle à manger. Je tentai de me ressaisir et lui demandai le plus sèchement possible :
"Que fais-tu là ?"
Comment savait-elle où j'habitais ? Je ne lui en avais jamais parlé. L'intruse restait mutique. Ses yeux étaient figés sur moi et elle semblait profondément choquée. Je remarquai alors qu'il lui manquait des doigts à une main. Mon Dieu, que lui était-il arrivé ? Je me corrigeai alors, cela n'avait aucune importance, je n'étais nullement concerné. Autre chose me frappa. Les vêtements qu'elle portait n'étaient pas les siens mais ceux de Laura. Un frisson me parcourut. Je n'allais pas faire la même erreur deux fois. Je lui ordonnai :
"Très bien, tu restes là, j'appelle les flics."
Cassandre ne bougea pas. Cela me rassura quelque peu. J'avais peur qu'elle ne s'enfuit. Dans ce cas-là, je n'aurais rien pu faire. Je m'approchai de la petite table où se trouvait le téléphone. Je remarquai alors que le presse-papier se trouvait au milieu du hall. Je fronçai les sourcils et réalisai. Cassandre était chez moi. Cette même Cassandre qui avait tué de sang froid parce qu'elle m'aimait. Tout prenait son sens. Cassandre, ici, avec Laura. Je relevai les yeux vers elle et vis un tâche rouge sur le jean qu'elle avait pris à ma femme. Je fis encore un pas. Une flaque carmin se dessinait derrière mon ancienne élève. Mon cœur cessa de battre. C'est tout du moins la sensation que j'eus. Je ne pouvais plus bouger. Je priais intérieurement un nombre de fois incalculable pour que ce liquide ne soit pas celui auquel je pensais. Je tentai de poser une question mais ma voix resta à moitié étranglée dans ma gorge :
"Qu'est ce que c'est que ça...?"
Celle qui fut autrefois Cassandre ne répondit pas. Ses yeux ne pouvaient pas rester fixes. Sa respiration était haletante. Je répétai, la suppliai :
"Cassandre...je t'en supplie, qu'est ce qu'il y a sur le sol...?"
Mais elle restait muette, sa poitrine se soulevant à un rythme de plus en plus rapide. Je continuai de prier. C'était impossible. Elle ne pouvait pas avoir...non c'était impossible. Je fis quelques pas. La tâche rouge s'élargit dans mon champ vision. Ce ne pouvait pas être du sang. Pourtant, une voix me criait intérieurement :
"Bien sûr que si c'est du sang ! Que voudrais-tu que ce soit d'autre ?"
Je criai alors, ma voix trahissant ma colère et mon angoisse :
"Mais putain Cassandre, dis-moi ce qu'il se passe !!!"
Une larme roula sur la joue de Cassandre, puis elle explosa en sanglots et balbutia :
"Je suis désolée...je t'aime Erwan...je t'aime tellement...tu étais à moi, tu étais mien...pardon..."
Ses mots me glacèrent le sang. Je me précipitai vers la salle à manger en poussant Cassandre pour qu'elle dégage le passage.
Mon cœur se décrocha. Tout simplement. Je fus réduit à néant à l'intérieur. C'était indescriptible. Je me laissai tomber à genoux devant l'horreur qui se tenait devant mes yeux. Laura, ma femme, l'amour de ma vie, mutilée de façon barbare. Ses beaux yeux étaient éteints, sa tête tombait sur le côté. Je posai ma main sur sa joue. Sa peau était gelée.
"Mon cœur, ouvre les yeux...je t'en prie...Laura, regarde moi..."
Elle ne pouvait pas me laisser. Nous avions de si beaux projets, un si bel avenir. Je ne pouvais pas vivre sans elle. Je saisis son visage de mes deux mains et m'écriai :
"Laura ! Ouvre les yeux putain !"
Je serrai les dents de toutes mes forces. Je ne m'étais pas rendu compte, mais les larmes coulaient abondamment sur mon visage. J'avais tellement mal. On m'avait arraché l'être qui comptait le plus dans ma vie. Celle que j'aimais plus que tout au monde.
Je me retournai vers Cassandre. Cette dernière me regardait et pleurait. Je voulus me relever. Mon genou toucha quelque chose de souple. Je baissai les yeux et découvris la main de Laura, baignant dans son sang.
La colère s'empara de moi. Une colère indescriptible.
Je fis volte-face et avançai rapidement jusqu'à Cassandre. Je voulais la tuer mais même la mort était trop douce pour quelqu'un comme elle. Je la saisis par les épaules et la plaquai contre le mur de la cuisine. J'aurais aimé avoir la force de l'y encastrer. J'approchai mon visage du sien et lui dis entre mes dents :
"Tu sais qu'il te manque une case, tu as un problème...à...à tuer tout ce qui bouge..."
Les mots ne me venaient pas, je ne parvenais pas à les trouver. J'aurais voulu lui crier toutes les insultes qui existaient mais je n'y arrivais pas. Je serrai toujours plus ses épaules, tentant de lui faire le plus de mal possible. J'avais l'impression de devenir fou et en même temps je n'arrivais pas à me dire que tout cela était vrai. Comment cela aurait-il pu l'être ?
Cassandre ne bougeait plus, elle gardait simplement son regard plongé dans le mien. Elle n'avait pas le droit, elle ne pouvait pas me regarder après ça. Je lui crachai au visage :
"Tu as tué ma femme ! C'était ma femme ! Tu l'as tuée ! Tu es folle, complètement folle ! T'es une psychopathe, tu m'entends ?"
Elle ne répondit pas bien sûr. Son silence me mit dans une rage sans précédent. Mon esprit désordonné se reporta sur mes enfants. Sans desserrer mon emprise, j'invectivai Cassandre :
"Et mes enfants ?! Ils sont où mes enfants ?! Mais réponds !!!"
Les pleurs de Cassandre s'intensifièrent. Ce n'était pas à elle de pleurer. C'était une ultime provocation.
Je répétai ma question et secouai Cassandre pour qu'elle daigne répondre. Je voulais la faire souffrir mais rien de ce qui me passait par la tête ne me semblait assez cruel. Elle finit par articuler entre deux sanglots :
"Ils sont dans leur chambre...ils vont bien...Maël te ressemble tellement. Ça aurait dû être mon fils !"
Comment osait-elle ? Son fils ? C'était l'enfant de Laura. Celle qu'elle avait massacrée par pur sadisme. Je frappai Cassandre contre le mur de toutes mes forces et criai :
"Ferme-la ! Ferme-la ! Tu es folle !"
Elle pleurait toujours plus. Je la frappai, encore et encore pour faire taire ses gémissements. Sa tête heurta violemment le mur. Mais ce n'était pas assez fort. Pourtant, son corps se ramollit et ses yeux se fermèrent. Je la frappai une dernière fois et la lâchai. Elle tomba lourdement sur le sol, dans le sang.
J'avais des vertiges. Le sang pulsait dans mes tempes et j'avais des acouphènes. Je m'agenouillai près de Laura et lui pris la main droite. Je voulais que sa peau se réchauffe. Je voulais que ses yeux s'animent à nouveau, que tout ce sang disparaisse et que ses blessures se résorbent. Mais rien de tout cela n'arriva. Je pleurai, la tête posée sur ses cuisses, priant que quelque force ne me la ramène. Laura et moi avions toujours tout affronté ensemble. Si seulement je lui avais rendu la vie plus facile, si seulement je l'avais fait moins souffrir.
Alors, j'entendis des coups. Cela semblait venir de l'étage. Mes enfants. Je me remis difficilement sur mes jambes et gravis l'escalier le plus rapidement possible. Je marchai dans le couloir, ma main longeant le mur pour garder l'équilibre laissant une traînée rouge sur la peinture blanche. Mon jean était imbibé du liquide vital dont avait été privé ma femme.
J'arrivai devant la porte de la chambre des enfants. La clé était dans la serrure. De l'autre côté, mon fils criait à pleins poumons :
"Papa ! Papa ! Papa !"
Je m'y repris à plusieurs fois pour tourner la clé, tant ma main tremblait.
Je finis par réussir à ouvrir la porte. Maël s'accrocha à ma jambe brutalement. Je me baissai à sa hauteur et le serrai dans mes bras. Des larmes coulèrent malgré moi. Mon petit garçon se dégagea alors de façon virulente. Il me regarda de haut en bas et demanda d'une voix tremblante :
"C'est...c'est du sang ?"
J'étouffai un sanglot et fermai les yeux. Je ne parvenais pas à fournir la terrible réponse à mon fils de cinq ans. Je le poussai doucement et pénétrai dans la chambre. Lyna tourna la tête vers moi. Elle avait entouré ses jambes de ses bras et les tenait serrées contre sa poitrine. Elle détourna le regard en voyant l'état mes vêtements. Je m'approchai d'elle et m'assis à ses côtés. Elle gardait le regard fixé sur le mur. Je la pris dans mes bras et la berçai. Elle me chuchota des mots qui ne semblaient pas pouvoir provenir d'une enfant de son âge :
"Tout est de ta faute. Je sais ce qu'il s'est passé. C'est de ta faute si Maman est morte. C'est comme si tu l'avais tuée."
Mon corps parut se figer dans la pierre. Ma fille, ma propre fille m'accusait. Je reposai Lyna qui se tourna de nouveau vers son mur. Je chancelai jusqu'aux escaliers et les descendis comme je pus. J'attrapai le téléphone et composai le 17. Je donnai notre adresse, dis que j'avais Cassandre et raccrochai.
Je me traînai alors jusqu'au corps de ma femme. Je retirai le scotch qui l'entravait. Je relevai ses cheveux et contemplai son visage. C'était vraiment une femme magnifique. Un cadeau que l'on m'avait accordé puis qu'une folle à lier m'avait arrachée. Je m'approchai du monstre inanimé et lui assénai un coup de pied dans les côtes. Son corps tressauta mais rien ne vînt ensuite.
Je me retournai et donnai un coup dans le mur. Je répétai ce geste un grand nombre de fois.
"Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?" Ne cessais-je de répéter.
Je tombai alors sur le sol, d'épuisement. Je frappai le mur auquel j'étais adossé avec l'arrière de ma tête. Je n'arrivais pas à me dire que Laura n'était plus là. Qu'elle ne serait pas dans le lit quand je me réveillerai. Je posai ma tête sur mes genoux et me mis à pleurer.
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