18. Avenir

Le réveil sonna. Il devait être six heures et demi. Une main passa dans mes cheveux puis j'entendis des bruits de pas sur le parquet. Laura s'était levée. Il ne fallait pas que je tarde moi non plus. Autrement je serais en retard au lycée. Je sortis à la hâte du lit et m'approchai du dressing, où se tenait Laura. Quand je commençais à fouiller le contenu des étagères pour m'habiller, ma femme me fixa étrangement. Je m'arrêtai et la regardai, me demandant la raison de cette expression. Elle plissa les yeux et s'enquit :

"Tu vas quelque part, ce matin ?"

J'ouvris la bouche pour répondre que j'allais travailler comme tous les jours puis je me rappelais que non, je n'avais plus de travail. J'abandonnai mes affaires dans le dressing et m'assis sur le lit. Je détestais ce genre de sensation. Ce moment où, en se réveillant, on avait oublié que sa vie avait complètement changée.
Laura se laissa tomber sur le matelas à côté de moi et posa sa main dans mon cou.

"Je sais, je sais..." Murmura t'elle les yeux dans le vague.

Puis, elle descendit s'occuper des enfants. Je devais prendre sur moi. Nous partirions dès que le père de Laura serait inhumé. Il était normal qu'elle reste, j'en aurais fait autant. J'avais l'impression d'étouffer ici, je voulais partir le plus loin possible de tout cela mais il fallait que je prenne mon mal en patience.

La journée passa comme toutes les autres, longue et sans grand intérêt. Je n'avais aucune nouvelle de mes anciens collègues, pas même de Cécile. Je ne pouvais pas totalement leur en vouloir. Parler avec un collègue mis à pied pour détournement de mineure ne serait pas bien vu.

Aux alentours de seize heures, je décidais d'aller récupérer Ugo au collège où il travaillait. Je montais en voiture. Cette dernière m'avait été rendue il y a quelques jours. Cependant, je n'aimais pas l'utiliser. Dès que je m'y installais, il m'était impossible de ne pas voir Cassandre sur le siège passager, les cheveux ruisselants et les vêtements trempés, un sourire radieux sur la figure. Je ne voulais plus voir son visage ni même entendre son prénom, plus jamais. J'aurais aimé nier jusqu'à son existence.

J'arrivai devant l'établissement. C'était un nouveau bâtiment, le nom du collège était inscrit sur la façade en lettres argentés reluisantes et les drapeaux de la France et du département y étaient fièrement accrochés.
Après dix minutes, Ugo sortit rapidement du parking, dans sa voiture et me suivit jusqu'au Bosphore. Nous entrâmes ensuite et nous installâmes à notre table habituelle.

Passer du temps avec Ugo me rendait un peu nostalgique. Je resongeais à nos années à la Fac. Ce que les gens d'un certain âge appelleraient «le bon vieux temps». Mais je gardais le cap. Je n'avais qu'un et un seul objectif : notre départ.
Au bout d'un certain temps, un petit groupe d'étudiants entra dans le bar. Une petite blonde très mince était parmi eux. Je la reconnus immédiatement. Il s'agissait de Mathilde. Je fis la moue et jetai un regard à Ugo qui faisait dos à la porte.
Il remarqua instantanément mon changement d'expression et fit volte-face. Mon meilleur ami se retourna de nouveau vers moi et s'agaça à voix basse :

"Nan mais c'est pas vrai...elle le fait vraiment exprès..."

Je soupirai. Avec le déménagement et tout le reste, Ugo n'avait pas eu l'occasion de me parler de ses soucis depuis un moment. Je m'enquis :

"Il y a eu du nouveau avec Mathilde ?"

Ugo haussa les sourcils et eut un petit rire ironique.

"Du nouveau, je ne sais pas si on peut dire que tout cela soit nouveau. Disons que je pensais qu'elle s'était calmée et qu'elle avait compris qu'il n'y aurait rien de réel entre nous. Visiblement je m'étais trompé. Depuis un ou deux jours, elle me suit comme une ombre. Elle est revenue me voir en me disant qu'elle avait bien réfléchi et qu'elle était prête à quitter sa famille et sa vie d'adolescente pour être avec moi. Elle me fout presque les jetons, je te jure..."
M'expliqua Ugo, à demi-voix.

Je me passai une main dans la nuque. Le cas de Mathilde m'en rappelait un autre, si ce n'était qu'Ugo lui était complètement indifférent. Mais je voyais mal Mathilde être aussi extrême que celle que je connaissais autrefois. Je me contredis alors. Je n'avais rien soupçonné. L'apparence de quelqu'un n'a aucun rapport avec ce qu'elle est à l'intérieur.

"Je ne sais pas trop quoi te dire...je ne pense pas être en mesure de donner des conseils." Avouai-je.

Je jetai des coups d'œil furtifs vers les collégiens. Mathilde ne cessait de fixer Ugo. Après un bref moment de silence, mon meilleur ami déclara, avec l'élégance qui le caractérisait :

"Bon, je reviens, je vais pisser."

Il me planta là. Mathilde le suivit des yeux tandis qu'il s'éloignait. Puis, elle sembla hésiter mais finit par se diriger vers moi. Je fronçai les sourcils. Pourquoi m'approchait-elle ? J'eus rapidement ma réponse quand elle demanda de sa voix fluette :

"Excusez-moi, je peux m'asseoir ?"

Avant que j'ai eu le temps de répondre, la petite blonde s'était installée sur la chaise qu'occupait Ugo. Elle garda les yeux fixés sur ses chaussures pendant un court instant puis se risqua à demander :

"Vous êtes bien M. Legrand ?"

Je fus surpris qu'elle connaisse mon nom. Elle avait sûrement entendu parler de moi à la télévision ou à la radio.

"Oui c'est bien moi. Qu'y a t'il Mathilde ?"

Elle aussi, parut étonnée que je me souvienne de son prénom. Elle répondit cependant :

"Je voulais juste vous dire que je vous crois totalement innocent de ce dont on vous accuse et que pas un instant je ne vous ai pensé coupable."

Je restai figé face à elle. Je m'attendais à beaucoup de choses mais certainement pas à celle-là. Elle s'empressa d'ajouter, comme pour se justifier :

"M. Mercier nous a dit de ne pas écouter ce que l'on pouvait entendre dans les médias. Que les choses étaient bien plus compliquées que la façon dont on nous les exposait."

Je lui souris, pour la remercier. J'étais vraiment heureux et surpris du discours de mon meilleur ami. Il avait prêché auprès de ses élèves en ma faveur en quelque sorte.
Mathilde, me voyant sourire, s'autorisa à me glisser :

"Et puis entre nous, le détournement de mineur n'est qu'une vaste blague. L'amour ne devrait pas être interdit. Et je vous admire pour votre manière de franchir les barrières."

Je grinçai des dents. C'était donc cela. Ses yeux brillèrent tandis qu'elle prononçait ces mots. Elle défendait ses convictions, le sujet qui, potentiellement, lui tenait le plus à cœur. Mais autant de détermination dans ce genre de causes ne pouvait entraîner que de la souffrance. Il valait mieux pour elle qu'elle le comprenne le plus rapidement possible.
J'inspirai profondément et commençai :

"À ce sujet, Mathilde, il faudrait que tu ouvres les yeux. Je sais que c'est vraiment compliqué mais tu dois passer à autre chose. Ugo, enfin M. Mercier, ne peut pas être avec toi. Tu le sais, au fond. Il risquerait son poste et..."

Mathilde m'interrompit :

"Non, non, vous ne comprenez pas. Nous avons été ensemble. C'était merveilleux. Nous traversons juste une mauvaise passe !"

La respiration de la jeune fille était devenue irrégulière. Elle ajouta :

"Il est le seul homme que j'ai jamais aimé, je ferais tout pour lui."

Je soupirai et posai ma main sur celle de Mathilde.

"Stop. Il faut que tu arrêtes, tu m'entends ? M. Mercier est certainement un très bon professeur mais comme tout le monde, il n'est pas parfait. Quoi qu'il y ait eu entre vous, c'était une erreur. Et ne te trompe pas, je ne suis pas un héros. Je n'ai pas eu de relation avec une élève. Je vais te dire pourquoi : parce que ce genre d'histoires ne peut pas bien se terminer. Regarde où cela m'a mené. Et vois surtout où ses sentiments l'ont menée, elle. Ne fais pas cette même erreur s'il te plaît, prends sur toi, fais des efforts et tout cela sera passé dans quelques temps."

Mathilde déglutit avec difficulté et ravala les larmes qui commençaient à perler dans ses yeux. Elle hocha explicitement la tête.

"Eh au faite Erwan, je pensais..."

Ugo, de retour, se stoppa net devant notre table et dévisagea Mathilde. Il fronça les sourcils d'un air profondément agacé et me demanda :

"Qu'est-ce qu'elle fait là ?"

Le regard de Mathilde plongea vers le sol. Je levai la tête vers mon meilleur ami et lui dis sur le même ton, exaspéré qu'il la traite comme cela :

"Mais rien du tout M. Mercier. Nous discutions simplement. Mais il n'y a aucun soucis, Mathilde peut s'en aller sans que vous ne lui fassiez de remarque."

La jeune fille se leva rapidement, esquissa un pâle sourire à mon attention, que je lui rendis et regagna la table de ses amis. Elle ne jeta pas un regard à Ugo. Ce dernier reprit sa place. Il semblait renfrogné. Il boudait, comme un enfant. Je lui donnai une tape dans l'épaule et m'exclamai :

"Eh détends-toi ! Il n'y aura plus de problème avec Mathilde, si tu te montres ferme mais compréhensif. C'est une fille bien plus intelligente que tu ne le penses, elle est juste un peu naïve, mais à son âge on ne peut pas lui reprocher."

Ugo haussa les épaules et changea de sujet de conversation.

Le soir, une agitation inhabituelle régnait à la maison. Maël, fou de joie à l'idée de déménager à la mer, avait mis tous ses jouets préférés dans des sacs. Laura et moi avions passé une bonne demi-heure à tout ranger. Lyna, se faisait discrète depuis la mort de son grand-père. On sentait pourtant une envie de renouveau dans ses propos. Ma femme, quant à elle, était angoissée à l'idée de remettre sa lettre de démission le lendemain. Elle avait décidé d'arrêter de travailler juste avant l'enterrement de son père. Pour qu'il n'y ait plus de problème de papiers après ce moment difficile.
Pour ma part, j'avais réussi à contacter l'agence immobilière. Je devais y passer tôt le matin, mais c'était parfait. Notre projet finissait par réellement se concrétiser.

Laura et moi nous endormîmes, main dans la main, convaincus que le lendemain nous achèverions de quitter notre vie actuelle.

Le réveil sonna à l'heure habituelle. Laura et moi, nous levâmes en même temps. Je me dépêchai de m'habiller et de me préparer. Laura mit un certain temps avant d'enfiler ses vêtements. Je la sentais vraiment anxieuse à l'idée de donner sa démission.
Je descendis mettre la table pour le petit-déjeuner des enfants et remontai ensuite les réveiller. C'était rarement moi qui allait les lever. J'entrai dans la chambre. Lyna gémit et se retourna quand la porte grinça. Je m'approchai de leur fenêtre. Je l'ouvris et fis de même avec les volets. J'observai un instant le jardin. Le jour commençait à peine à se lever. Le bosquet au fond du jardin bruissa. À ce même moment, Maël grogna. Je souris et lui dis doucement :

"Allez mon cœur, il faut que tu te réveilles..."

Je refermai la fenêtre, afin que l'air ne se rafraîchisse pas trop. Je m'assis sur le lit de Maël et le redressai. Il tenta de lutter pour se recoucher. Je lui chuchotai :

"Nan, nan mon bonhomme, il faut que tu te lèves. Maman est un peu pressée ce matin, il ne faut pas que vous la mettiez en retard."

Mon fils se résigna à se lever. Lyna était déjà debout et enfilait les vêtements qu'elle avait soigneusement préparé la veille. Dès qu'ils furent habillés, nous descendîmes et je les fis manger. J' admettais que j'avais vraiment hâte de me rendre à l'agence ce matin. En réalité, je devais juste déposer un dossier que les agents allaient étudier, puis nous devions nous revoir le lendemain ou le surlendemain.

Une fois leur petit-déjeuner achevé, j'autorisai Lyna et Maël à aller jouer dans leur chambre en attendant Laura.
Je récupérai alors le dossier que j'avais laissé sur mon bureau et enfilai ma veste. Alors que je me dirigeais vers la porte d'entrée, je croisai Laura qui descendait les escaliers, enfin prête.
Elle était vraiment jolie, elle avait mis ses escarpins et la veste de tailleur qui lui allait si bien.
Je m'approchai d'elle, la pris par la taille et l'embrassai. Un sourire se dessina sur son visage et je lui susurrai :

"Courage, tout va bien se passer. Pense à notre nouvelle vie. Tout sera parfait à présent."

Laura posa ses lèvres sur les miennes à nouveau. Je jetai un coup d'œil à ma montre et quittai la maison avec empressement. Je voulais que le dossier soit remis le plus tôt possible.
Je montai en voiture et démarrai. Nous aurions dû partir ce jour-là si le père de Laura n'était pas décédé. Mais cela m'importait peu à présent. Tout allait mieux à la maison. Nous étions redevenus une vraie famille, soudée. Nous allions habiter au bord de la mer, dans ma terre natale, si je pouvais dire. La vie me donnait une seconde chance.
L'avenir ne m'était jamais apparu aussi lumineux.

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