17. Nouveau départ

"Erwan, regarde-moi, je te parle !"

Je dirigeai mon regard vers Ugo, ses sourcils étaient froncés et il semblait partagé entre l'inquiétude et l'exaspération. Ugo reprit le discours qu'il me tenait depuis maintenant plus d'une demi heure :

"Tu aurais dû prévenir la police ! Maintenant tu peux être inculpé pour complicité ! Comme si tu n'avais pas assez de problèmes...J'ai parfois l'impression que tu cherches vraiment à t'attirer le plus d'ennuis possibles."

Je tournai vivement la tête vers mon meilleur ami, à bout.

"C'est bon Ugo, j'ai compris maintenant. Tu penses ce que tu veux d'accord, concrètement je m'en fous. Cassandre se fera attraper de toute façon et personne n'a rien vu alors arrête."

Ugo soupira bruyamment. Puis il posa une main sur mon épaule.

"Je suis juste inquiet. Tout ce qu'il t'arrive est vraiment surréaliste et violent à encaisser. Heureusement que Laura est restée hors de cela."

Je haussai les sourcils et souris ironiquement :

"C'est là où tu te trompes. Laura s'est imaginé des dizaines de scénarii différents sur Cassandre et moi. Aucun d'eux n'est vrai. Je n'avais pas de relation avec elle."

Ugo s'enfonça dans le canapé et croisa les bras.

"Ce n'est pas ce dont ça avait l'air Erwan. Même moi qui te connais mieux que personne, j'étais et je reste plus ou moins persuadé qu'il s'est passé quelque chose.
-Non, je t'assure. Rien au sens physique du terme. C'était juste particulier. Ce n'est pas vraiment explicable...
-Ne t'enfonce pas, c'est ce que les mecs qui trompent leur femme disent tous."

Je fusillai Ugo du regard. Il arborait un sourire provocateur. Ugo ne saisissait pas la gravité de la situation. Mais comment aurait-il pu comprendre totalement ? Il n'avait jamais réellement grandi.

"De toute façon, nous allons partir. D'ici la fin de la semaine, il ne restera plus rien de nous dans cette ville. Je pense qu'on va s'installer un temps dans la résidence secondaire de mes parents à Quimper."

Ugo ouvrit de grands yeux et s'exclama :

"Qu'est ce que tu racontes ? Tu ne peux pas t'en aller comme ça ! Et l'école des enfants ? Et le cabinet de Laura ? Tu y as pensé ? Et tu partirais en me laissant d'un coup ?"

Ugo me fit de la peine. Ma réaction lui semblait plus qu'excessive, c'était certain. Mais je n'avais pas le choix. Je ne pouvais pas tolérer une telle humiliation, pour moi, pour mon nom, pour ma famille. On avait affirmé à Lyna que son père avait aidé la «méchante fille» à tuer Victoire et Julie. Certains de ses camarades de classe prétendaient avoir entendu cela à la télévision ou de la bouche de leurs parents. J'avais récupéré ma fille, sanglotante, le soir même. Il était hors de question que ce genre de choses se reproduisent par ma faute. Et si on retirait certaines affaires à Laura parce qu'elle portait le nom d'un homme au cœur d'une histoire de meurtres ? Et si on harcelait mes enfants parce que leur père était un «méchant» ? Ce n'était tout bonnement pas envisageable. Mieux valait tout recommencer ailleurs. Ce serait peut-être difficile au début mais tout irait mieux par la suite.
Alors oui, à Laura et aux enfants, j'y avais pensé. C'était même en partie pour eux que je faisais cela.

Ugo restait la bouche grande ouverte sur le canapé du salon, tandis que je songeais. Il me demanda, sur le même ton :

"Mais Laura est d'accord ? Elle n'a plus aucune objection à cela ?"

Mes projets d'avenir meilleur s'estompèrent quelque peu.

"Eh bien, je ne lui en ai pas encore parlé...je lui expliquerai dès qu'elle sera sortie du travail et qu'elle aura récupérer les enfants chez sa mère..."

Le visage d'Ugo reprit alors des couleurs. Il semblait soulagé que Laura n'ait pas encore donné son aval. Il devait être sûr qu'elle refuserait. À vrai dire, je n'étais pas persuadé de son approbation non plus. J'espérais juste qu'elle allait comprendre l'enjeu de notre départ.

Ugo se leva et se dirigea vers la cuisine. Je me rassis dans le canapé, étonné du départ soudain de mon meilleur ami. Il revint à grandes enjambées, deux bières à la main. Je haussai un sourcil. Il soupira d'un air désespéré :

"C'est tout ce que j'ai trouvé pour tenter de sauver ton cas improbable..."

Je ne pus retenir un éclat de rire, devant le visage décontenancé d'Ugo. Il s'installa à mes côtés, fier de m'avoir rendu le sourire et décapsula les bouteilles. Il avait vraiment tout d'un enfant.

Une heure plus tard, Laura rentra en compagnie des enfants. Ugo ne mit pas longtemps avant de décamper, pour nous laisser parler Laura et moi.
Les enfants traînèrent un certain temps avant d'aller se coucher, ils essayaient de gagner du temps et de rester avec nous. Lyna ne cessait de s'enquérir de mon état. Ses "ça va Papa ?" finissaient par être lassants, mais je sentais ma fille réellement inquiète. En plus de ce que ses camarades lui disaient à l'école, elle devait sentir que quelque chose n'allait pas à la maison.
Laura finit pourtant par les mettre au lit et redescendit dans le salon.
Je n'avais aucune idée de ce qu'elle allait me répondre. Dès que je pensais avoir une certitude, une autre réponse potentielle me venait en tête.
Laura se plaça devant moi et haussa un sourcil. Avais-je l'air si absorbé que cela ?
Je me mordis l'intérieur des joues. Il fallait que Laura accepte. Il fallait que nous partions. Je me lançai :

"Laura, chérie, il faut que je te parle de quelque chose..."

Les yeux de Laura s'agrandirent d'appréhension et j'eus l'impression qu'elle avait cessé de respirer. Elle s'inquiétait sûrement à propos de nous ou de Cassandre. Je lui pris la main et la rassurai :

"Ne t'inquiète pas, ce n'est rien de grave. Il faut juste que je te parle d'une chose qui est importante. Bon voilà, tu sais que j'ai été mis à pied et je ne sais pas pour combien de temps. Quand bien même je serais réhabilité, je n'ai plus d'honneur et je t'assure que je n'ai rien fait de ce que l'on me reproche, Laura. Mais je pense très honnêtement qu'il faut qu'on parte, tu ne crois pas ?"

Laura restait silencieuse. Je détaillai son visage. Je n'avais pas remarqué à quel point les cernes bleutés sous ses yeux contrastaient avec le teint cireux de son visage. L'anxiété s'était imprimée dans ses traits. Elle ne semblait pas dormir beaucoup. La dernière fois que je l'avais vu aussi fatiguée physiquement, c'était après le décès de Marine. Je chassai rapidement ce souvenir de mon esprit.
Les yeux de Laura scrutaient les miens, comme pour savoir si j'étais réellement sérieux. Elle finit par parler :

"Je ne sais pas trop quoi te dire, Erwan. Tu veux partir, mais avec quel argent ? Et puis moi j'ai mon travail et les enfants sont à l'école. Et où voudrais-tu aller ? En plus de ça, quel image de toi donnerais-tu en t'enfuyant comme tu en as l'habitude ? Tu parles d'honneur mais tu as pensé au mien ? À celui des enfants ? Nous payons les conséquences de tes actes. Parce que tu m'en vois navrée mais si tu te retrouves dans cette histoire c'est que tu y es bien pour quelque chose. Alors si nous partions, ce serait pour prendre un nouveau départ. Pas pour ce qui reste de ton honneur. Je me sens étouffée ici, mes journées ne sont que méfiance et colère, j'en ai assez."

Laura prononça ces derniers mots, les yeux brillants. Mon regard se dirigea automatiquement vers le sol. J'avais honte. Ses paroles étaient crues mais sensées et recevables. Je sentais bien que la confiance entre ma femme et moi était devenue presque inexistante. Elle avait eu le cœur brisé par la soit-disant histoire avec Cassandre. Laura était rancunière et elle n'allait pas oublier une telle trahison, une pareille humiliation. Je me sentais vraiment impuissant. J'avais beau lui assurer que ma fidélité envers elle était intacte, elle ne me croyait pas. Je ne pouvais rien y faire si ce n'était de tenter de redémarrer à zéro. J'insistai donc :

"Je sais que tu m'en veux et à juste titre, mais laisse moi essayer de réparer un tant soit peu mes erreurs. L'argent n'est qu'un problème temporaire, mes parents pourront nous prêter leur appartement secondaire le temps que nous vendions la maison. L'immobilier est moins cher en Bretagne qu'ici. Et puis ce serait l'occasion pour les enfants de voir plus souvent leurs grands-parents."

Laura avait le visage fermé. Je posai ma main sur son épaule et continuai :

"Laura, je sais que je t'ai fait du mal et que j'en ai fait aux enfants aussi. Je sais qu'ils ont leurs repères ici. Je sais qu'il te faudra trouver un nouveau poste là-bas et que j'aurais du mal à me faire accepter de nouveau à l'Éduction Nationale, mais nous allons y arriver. J'ai besoin de vous, des enfants et de toi. Sans vous je ne suis rien. S'il te plaît, laisse moi une chance de tout arranger."

Laura posa son index sur mes lèvres, pour m'interrompre. Elle déglutit avec difficulté et dit :

"C'est d'accord. Mais tu as intérêt à ce qu'il n'y ait aucun problème. Toute ma famille habite ici et je vais les laisser pour que notre vie s'améliore. Prends en compte l'effort que je fais pour toi, pour nous. Et tout cela parce que je t'aime..."

Laura fondit en sanglots. Je la pris dans mes bras et la berçai. Elle agrippa mon tee-shirt et le serra. Je sentais combien elle était en colère. Elle continua, la voix tremblante :

"Ne me laisse plus jamais pour une autre...je ferais tout pour toi, je t'aime plus que quiconque, ne me laisse plus jamais.
-C'est promis, je te demande pardon."

Je lui embrassai le sommet du crâne et nous montâmes nous coucher. Laura s'endormit rapidement, la tête posée sur mon torse. Elle ne semblait pas s'être reposée depuis une éternité.

Cinq jours passèrent. Tout était presque redevenu normal. La tension entre Laura et moi était toujours présente mais je tentais de l'apaiser le plus possible. Mes parents étaient d'accord pour nous prêter leur appartement et étaient ravis que nous nous installions près de chez eux.
Laura et moi avions convenu de partir d'ici quelques jours, le temps de tout préparer. Elle avait rédigé sa lettre de démission, le cœur serré, ainsi que l'exeat des enfants. Je passais mes journées à la maison et j'allais voir Ugo dès que j'en avais l'occasion. Nous allions bientôt nous quitter mais j'étais si heureux de ce nouveau départ que j'en oubliais d'être triste pour mon meilleur ami.

Par moments, je pensais à Cassandre. J'avais entendu dire que les policiers étaient sur ses traces et que des témoins l'avaient aperçue s'enfuir dans la forêt à la périphérie de la ville. J'essayais cependant de ne pas m'en préoccuper. Ma vie avait été bouleversée en partie parce qu'elle y était entrée. Pour tout recommencer j'avais décidé de l'en faire sortir définitivement même si son sort me préoccupait et que je ne parvenais toujours pas à comprendre. De toute façon, malheureusement, je ne pouvais plus rien pour elle. Elle irait en prison. Cela m'attristait qu'elle ait gâché sa vie comme cela mais je ne pouvais rien faire contre ça. De plus, Laura, Lyna et Maël étaient les personnes les plus importantes dans ma vie et je m'étais promis de ne plus jamais les décevoir ou leur faire du mal.
En clair, j'avais la sensation que tout se finissait bien. Notre famille avait traversé une période difficile mais s'en sortait indemne, marquée mais indemne. J'avais même commencé à me renseigner dans les agences immobilières sur le prix de notre maison.

Mais tous nos plans changèrent quand le téléphone sonna aux alentours de quatre heures du matin. Ce fut Laura qui descendit décrocher. Je me levai précipitamment lorsque je l'entendis pleurer dans le salon. Elle m'expliqua péniblement que son père venait de mourir brutalement d'une crise cardiaque. Je l'attirai à moi et la consolai comme je pus. Elle m'annonça que son enterrement aurait lieu à la fin de la semaine et que sa mère avait besoin d'elle.

"Pars avec les enfants, si tu veux. Si tu dois partir, vas-y. Pars et je te rejoindrais quelques jours plus tard..." Continua t'elle entre deux sanglots.

Sans hésitation, je lui répondis en caressant ses cheveux bruns :

"Certainement pas. Je serais là pour toi. Nous resterons le temps qu'il te faudra. Rien ne presse."

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