15. Sursis

"Samira !" S'écria le vieux policier, visiblement en colère.

"Désolée, mais il pouvait au moins savoir cela. De toute façon, les médias s'en empareront d'ici peu." Répondit Samira "Maintenant, suivez-nous s'il vous plaît Monsieur Legrand."

Je me remis en marche, sonné parce que je venais d'apprendre. Il m'avait prévenu. J'étais fini et il me l'avait promis. Je ne comprenais pas ce qu'il gagnait à mentir. La colère montait en moi tandis que je m'installais dans la voiture de police. À cause de lui, j'allais être traîné dans la boue. Je ne m'en sortirais peut-être jamais. Je savais que c'était immoral mais j'aurais préféré que Cassandre le tue vraiment. Je me revoyais saisir Maxence par le col, après qu'il m'ait menacé. Je n'aurais pas dû. Mais il était trop tard pour avoir des remords.

J'observai le paysage défiler. L'angoisse me gagnait. Qu'allait-il m'arriver ? J'aurais voulu pouvoir remonter le temps, faire marche arrière pour tout éviter. Je crois même qu'à cet instant précis, j'aurais voulu ne pas avoir connu Cassandre.

Le lieutenant Ben Khalifa me fit sortir de la voiture. J'étais de nouveau en face de ce bâtiment gris qu'était le commissariat. Mon cœur s'emballa. J'avais un mauvais pressentiment. J'aurais voulu courir, m'enfuir, rentrer chez moi et quitter cette ville comme je l'avais promis à Laura. Mais pourquoi avais-je si à peur si je n'avais rien fait ?

Nous entrâmes dans le commissariat. J'avais l'impression que tous les regards étaient braqués sur moi. Je me sentais pris au piège.
On me fit entrer dans une pièce. Je la reconnus immédiatement. C'était dans cette même pièce que j'avais témoigné après le meurtre de Julie. Me retrouver à nouveau dans cet endroit me donna des vertiges. Je m'appuyai sur la table pour conserver un semblant d'équilibre.

"Monsieur Legrand, vous vous sentez bien ?" Me demanda Samira.

"Oui, oui ça va merci, j'ai juste peu dormi.
-Bien, asseyez-vous s'il vous plaît, mon collègue va nous rejoindre d'ici peu."

Je me dirigeai lentement vers la chaise qui se trouvait en face de moi. Cette pièce était incroyablement terne et froide. Elle dépeignait parfaitement le sentiment que l'on ressentait en s'asseyant là : le vide.
L'attente me sembla interminable. Visiblement, les termes "peu de temps" avaient une signification plus où moins claire. Mais l'homme finit par arriver. Il tira une chaise qui se trouvait dans l'angle de la pièce et s'assit face à moi, à califourchon. Je ne savais pas bien à quoi il jouait, mais cette façon de se tenir pour m'intimider était grotesque. On se serait cru dans une de ces séries policières américaines. Samira se racla la gorge, certainement pour exprimer son malaise. Elle était visiblement gênée que son collègue se comporte de cette façon. Elle prit finalement la parole :

"Bien, alors M. Legrand, si vous êtes ici c'est parce que nous avons des raisons de penser que vous êtes plus lié à Cassandre Farnelle que ce que vous dites.
-Vous m'avez déjà posé ce genre de questions et je vous ai déjà dit qu'elle était l'une de mes élèves, alors je ne sais pas ce qu'on est allé vous raconter mais...
-Ferme-là !" S'écria l'homme assis en face de moi, me faisant sursauter brusquement. Il me pointa du doigt et poursuivit :

"Il y en a un paquet des mecs de ton genre dans l'Éducation Nationale qui ont l'air de ne pas y toucher mais qui par derrière profite de la première élève venue. Mais tu es l'un des rares à t'être tapé une psychopathe. Selon moi, tu étais au courant de tout ça, un trouble de cette envergure, ça ne survient pas du jour au lendemain. Tu l'as même peut-être aidée...qui sait, t'avais peut-être besoin de sortir de ton ennuyante vie de famille..."

Il m'accusait, encore et encore. Il ne semblait plus vouloir s'arrêter. Samira, restait en retrait et me fixait. Je tapai du poing sur la table.

"Ça suffit. Vous m'avez traîné jusqu'ici pour me poser des questions, pas pour me manquer de respect ou m'insulter. Alors si vous n'avez rien de fondé, vous ne verrez pas d'inconvénients à ce que je rentre chez moi."

Samira intervint.

"En l'occurrence, Maxence Bolian a témoigné contre vous et en tant que victime, sa parole a beaucoup de poids. Il assure que vous aviez une liaison avec Cassandre et que vous la souteniez. Il a dit que vous l'aviez menacé, que vous l'aviez frappé pour qu'il garde le silence. C'est très grave, M. Legrand, en plus du détournement de mineure s'ajoute la violence sur personne mineure et la complicité pour double homicide."

Je restai sans voix. Honnêtement, je ne pouvais même pas dire ce que je ressentais. Je crois que dans une situation pareille, personne ne le pourrait. Tout ce que je parvins à prononcer fut un pitoyable :

"Mais, c'est faux...c'est complètement faux."

Le policier qui se la jouait agent de la CIA ajouta :

"D'autant plus, qu'un autre témoin confirme les informations du premier.
Théo, un autre de vos élèves a donné la même version des faits que Maxence."

J'eus envie de pleurer. C'était une réaction enfantine, mais je me sentais vraiment piégé, impuissant. À cet instant, si Maxence et Théo avaient été là, je crois que je les aurais tués. Ils s'étaient vengés. Ils m'avaient fait payer le fait d'avoir menacé Maxence. J'aurais peut-être dû demander à Cassandre de les éliminer eux. Sans savoir pourquoi, je fus pris par un rire nerveux. Pourtant, cette pensée plus que morbide n'était absolument pas drôle et je ne faisais qu'aggraver mon cas en réagissant de cette façon. Mais je ne parvenais pas à m'arrêter. Chaque fois que je tentais, le fou rire l'emportait de nouveau.
Au bout de quelques minutes, Samira se leva et déclara :

"Bon, M. Legrand, nous allons vous laisser reprendre vos esprits quelques instants."

Elle se dirigea vers la sortie et fit un geste à son collègue. Ce dernier hésita mais finit par quitter la pièce à grandes enjambées. Étonnement, presque dès que les policiers furent sortis, je m'arrêtai de rire net. Au contraire, une vague d'émotions me submergea. J'étais épuisé nerveusement. Je mis ma tête dans mes bras. Je regrettais, je regrettais tout. Cassandre ne m'a causé que des ennuis. Bien sûr, être avec elle flattait mon ego. Mais si j'avais su que tout cela me mènerait ici, peut-être même devant le tribunal. Il était vrai que Cassandre était une fille géniale mais elle avait tout gâché par ses actes. Le pire était de penser que je puisse en être la cause. C'était une supposition, mais ce n'était pas impossible. De toute façon je ne le saurais jamais. Si elle était attrapée, telle que je la connaissais, Cassandre ne parlerait jamais. Mais je ne devais pas la connaître si bien que cela si je n'avais pas réussi à déceler sa...enfin sa psychose. Je pris ma tête dans mes mains. Mais au final, tout cela, je devais m'en foutre complètement. Laura était folle d'inquiétude, Ugo ne devait pas être très bien non plus. Sans parler de Lyna et Maël. Il faisait partie de ma vie réelle, eux. Ils étaient présents au quotidien. Ils avaient besoin de moi et j'avais besoin d'eux.

J'eus l'impression que des heures s'écoulaient tandis que je songeais à ce que j'avais peut-être perdu en jouant à ce jeu aussi absurde que dangereux.

Alors que je commençais à tomber de fatigue sur ma chaise, la porte s'ouvrit brutalement. Je sursautai. Le vieux policier apparut dans l'encadrement. Il semblait contrarié, son front était plissé. Il prononça finalement :

"Dehors."

Je le fixai, sans comprendre. J'avais la sensation de ne pas saisir ce qu'il voulait dire. Il répéta, excédé :

"Allez, dehors."

Je me levai alors lentement et me dirigeai vers la porte. Alors que je franchissais le seuil, l'homme posa son doigt contre mon torse et me glissa entre ses dents :

"Les pervers comme toi, je les connais. Ta peau vient d'être sauvée mais je t'assure que si on a encore la moindre accusation contre toi, tu vas au trou."

Je déglutis mais ne répondis pas. J'avais une chance de sortir, autant faire profil bas. J'avançai dans le couloir du commissariat. Comment se faisait-il que je puisse sortir soudainement ? Laura ou Ugo avait peut-être trouvé une solution, mais cela me paraissait peu probable, lorsque les policiers m'avaient quittés ils me pensaient coupable. J'arrivai dans le hall. Samira se tenait debout et parlait avec une femme qui me faisait dos. Elle était petite avec de longs cheveux bruns. Sa silhouette me rappelait quelqu'un.
Samira m'aperçut et m'apostropha :

"Ah M. Legrand, vous pouvez aller récupérer vos affaires au guichet, vous êtes libre. Nous vous recontacterons si nous en avons le besoin."

La brune se retourna. Je la reconnus alors. C'était Cécile, la professeure principale de la classe de Cassandre. Mais que faisait-elle là ? Je lui souris mais elle se retourna vers Samira. Cette dernière lui serra la main et la salua. Cécile vint ensuite vers moi, son visage était grave. Avant que je n'ai le temps de lui dire quoi que ce soit elle me glissa tout bas :

"J'espère que tu n'as rien fait de tout cela Erwan parce que je ne veux pas être accusée de quoi que ce soit. Je t'attends dehors, je vais te ramener chez toi."

Elle me planta là. Je me dirigeai donc vers le guichet et récupérai mes affaires rapidement. Je me dépêchai ensuite de sortir.
Cécile était appuyée contre le mur du commissariat et frottait ses mains pour les réchauffer. Elle me jeta un regard puis se dirigea vers sa voiture garée quelques mètres plus loin.
C'était donc elle qui m'avait fait sortir de là ? Mais comment ?

Je m'installai dans la voiture de ma collègue. Elle mit le contact puis me regarda.

"Écoute Erwan, je sais que tu n'as pas frappé Maxence, j'étais dans ma salle et la porte était ouverte quand vous avez eu votre altercation. Mais tu es allé trop loin quand même. En revanche pour Cassandre, je ne sais plus qui croire. J'ai démenti parce que nous sommes amis. Mais j'espère pour toi comme pour moi que tout cela est faux."

J'inspirai profondément. Elle m'avait sauvé la mise. Et au sens strict du terme je n'avais pas de liaison avec Cassandre.

"Cécile, je t'assure que tout cela n'est que pure invention. Tu me connais, je n'aurais jamais fait cela. Il y a Laura, il y a les enfants. Maxence a toujours été un élève à problèmes, menteur, arrogant, faiseur d'histoires. Et puis je ne suis pas ce genre de types."

Je me mordis la langue en le disant. Si, j'étais en quelque sorte ce genre de types. Cécile posai son regard sur la route et démarra.

"J'ai été convoquée au commissariat ce matin pour être interrogée. J'ai donné ma version des faits et assuré ton intégrité. Je veux vraiment te croire Erwan, c'est juste que tout cela...Cassandre, la discrète Cassandre...tu la connais comme moi..."

La voix de Cécile devint étranglée et tremblante, des larmes perlèrent au bord de ses yeux. Elle poursuivit :

"Nous les connaissions tous...Victoire, Maxence...j'avais eu Julie en classe quand elle était en seconde et je n'arrive pas à croire que tout cela est réel."

Je posai ma main sur son bras. Cela me fit du bien de savoir que quelqu'un ressentait la même chose que moi.
Nous arrivâmes enfin devant chez moi et Cécile s'arrêta. Je lui souris tristement et lui dis avant d'ouvrir la portière :

"Bon on se voit au lycée...quand la vie aura repris son cours et que tout le monde fera comme avant."

Cécile parut mal à l'aise mais essaya de sourire. Avant que je ne referme la portière elle s'empressa de me dire :

"Erwan ! Attends, il faut que je te dise quelque chose."

Je me stoppai net, attendant la suite.

"Et bien, le lycée ouvre de nouveau ses portes dans une semaine, le temps que tous les bâtiments soient passés au peigne fin et que tout le monde se remette des évènements..." Continua t'elle.

"Très bien...à dans une semaine alors."

Je claquai la portière. Cécile baissa rapidement la vitre et s'écria :

"Non, non Erwan, attends s'il te plaît. Il faut que je te dise...tu ne retourneras pas au lycée. L'académie t'a mis à pied."

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