12. Récidive

Je plissai les yeux. Que venait-il de dire ? C'était une insulte. Pour Cassandre, comme pour moi. Je regardai autour de moi. Il n'y avait qu'un petit groupe d'élèves dans le couloir, mais ils étaient trop loin pour nous distinguer nettement. Il n'y avait pas d'adulte non plus. Je saisis alors Maxence par le col et l'approchai de moi. Je savais que ce que je faisais était strictement interdit et que je pouvais le payer sévèrement, mais je n'en avais rien à faire. Je voulais remettre ce sale gosse en place. Il avait fait du mal à Cassandre et il tentait de m'atteindre à présent avec des rumeurs douteuses.
Ses pieds touchaient encore le sol puisqu'il faisait environ ma taille.
Mais j'aurais aimé le soulever au-dessus de moi.

"Je ne sais pas d'où tu tiens ça, mais c'est complètement faux. En revanche, si tu lui as fait du mal, tu le regretteras et je m'en assurerais personnellement."

Maxence ouvrit de grands yeux, surpris que j'ai osé le toucher. Puis, il fronça les sourcils et m'avertit, les mâchoires serrés :

"Vous profitez d'une idiote naïve, c'est écœurant. Mais attendez un peu que mes parents apprennent que vous m'avez menacé. Vous êtes fini."

Il se dégagea de mon emprise et quitta rapidement le couloir, suivit de près par Théo. Immédiatement, je regrettai mon geste. Maxence avait raison. Aujourd'hui, régler son compte à un élève, si arrogant soit-il, suffisait pour avoir de graves problèmes. Mais c'était trop tard. Je ne pouvais pas nier ce que j'avais fait puisque Théo avait été témoin. Tant pis, je devais assumer. En même temps, je n'allais pas me laisser insulter par un petit con.
Je sentais la colère monter. Pour qui se prenait-il ? Il n'allait tout de même pas oser détruire ma carrière. Du moins, je l'espérais.

Je remontai dans ma classe et claquai la porte. Si j'avais pu, j'aurais encastré Maxence dans le mur. Et dire que j'allais devoir supporter ces imbéciles en cours cet après-midi. Je ne savais pas si j'allais tenir.

La matinée passa plutôt rapidement. Mais mon esprit n'était pas aux cours que je faisais. Je pensais encore aux scarifications sur le bras de Cassandre. Peut-être étais-je la cause de ces marques. Je me donnais probablement plus d'importance que je n'en avais à ses yeux, mais je ne rejetais pas cette éventualité.
Je craignais aussi les représailles venant de Maxence, pour être honnête. Je le connaissais assez pour savoir qu'il ne servait que son petit intérêt. Cette vengeance personnelle pourrait me coûter très cher.

À midi, je me rendis au self et mangeai avec Cécile Garcia, une professeure d'espagnol avec qui je m'entendais très bien. Elle était également la professeure principale des premières S. C'était une des rares collègues que j'appréciais.
Au beau milieu du repas, elle me demanda :

"Au fait Erwan, tu as entendu ? Maxence et Cassandre se seraient battus. Ils ont chacun pris quatre jours d'exclusion. La CPE était très remontée contre eux."

Je fis mine de ne pas être au courant, je voulais qu'elle m'en dise plus et connaître les détails de leur altercation.

"Non, que s'est-il passé ?"

Elle avala sa bouchée et poursuivit :

"En entrant en classe de mathématiques, Maxence aurait insulté Cassandre où quelque chose comme cela, je n'ai pas eu vraiment de détails là-dessus. Enfin bref, Cassandre n'aurait pas apprécié et se serait jetée sur Maxence. Voilà ce qu'il s'est passé. Je ne sais pas ce qui a pris à Cassandre. Je ne pensais pas qu'elle était le genre d'élève à se battre."

Qu'avait pu dire Maxence pour mettre Cassandre dans un état pareil ? Je confiai à Cécile :

"Cassandre dormait dans le couloir, tout à l'heure. Je l'ai emmenée à l'infirmerie. Il y avait un gros bleu sur sa clavicule. Mais à mon avis, c'était plus grave qu'un bleu. Son os était peut-être cassé...enfin je ne sais pas."

Je me gardai de lui parler du bras mutilé de Cassandre. C'était son secret à elle. Je n'étais même pas sensé être au courant.
Cécile rajusta ses lunettes sur son nez et fronça les sourcils.

"À ce point ? C'est vraiment dommage qu'elle prenne une sanction comme ça. Son dossier était excellent...J'espère qu'elle ira mieux et qu'elle se ressaisira. J'aurais bien aimé lui parler ce soir, mais elle a déjà rendez-vous avec ses parents chez la CPE."

Je soupirai. Cassandre s'était attirée bien des ennuis. Malheureusement, je ne pouvais rien y faire. De toute façon, j'allais déjà devoir gérer les problèmes que j'aurais sous peu.

"Dis-moi Cécile, que privilèges-tu ? La parole d'un élève ou celle d'un adulte de l'établissement ?"

Cécile réfléchit un instant, une main sur la bouche, puis répondit :

"Et bien, je ne sais pas. Tout dépend de la confiance que j'ai en l'élève et en l'adulte."

Ce n'était pas vraiment la réponse que j'attendais, mais tant pis. Je ne pouvais pas insister plus que cela sans risquer qu'elle se doute de quelque chose.
Je baissai les yeux sur mon assiette et continuai à manger. Cécile me dévisagea un bref instant puis haussa les épaules et termina son repas.

Nous ne parlâmes plus de Cassandre et de Maxence.
Quand nous nous retrouvâmes dans la cour, Cécile me quitta pour aller saluer la documentaliste et se dirigea vers le CDI.

Je marchai en direction de l'infirmerie. L'infirmière devait prendre sa pause à l'heure qu'il était. Je pouvais aller voir Cassandre, ne serait-ce que cinq minutes. Soudain, je vis la porte de l'infirmerie s'ouvrir avec fracas et une silhouette en sortir à toute vitesse.
Il me sembla que c'était Cassandre. Oui, je reconnaissais son pull. Ses cheveux étaient détachés et masquaient son visage. Elle courait en se tenant l'épaule droite. Que lui arrivait-il ?
J'allongeai le pas pour tenter de la rattraper. Cassandre tourna et passa derrière le bâtiment des lettres.
Pourquoi allait-elle derrière le lycée ?
Elle avançait trop vite. Je ne parvenais pas à combler l'écart qu'il y avait entre nous. Je me décidai à courir et passai moi aussi derrière le bâtiment. J'arrivai juste à temps pour voir Cassandre se laisser tomber de l'autre côté du grillage et partir à toute allure sans se retourner.
Je voulus l'appeler, mais je m'y résignais. Il était certain qu'elle n'avait pas le droit de quitter le lycée de cette façon. Si elle le faisait, c'était qu'elle devait avoir une bonne raison. Elle affrontait tellement de difficultés. Je devais la laisser agir comme elle l'entendait et lui faire confiance.

Je revins sur mes pas et retournai vers la cour. Je croisai l'infirmière, qui avait terminé sa pause café et qui s'engouffra dans son bureau. Je continuai ma route et me dirigeai vers la salle des professeurs.

Soudain, un hurlement strident résonna dans le lycée. Tout le monde se tut et le silence régna durant un bref instant. Nous attendions tous une explication à ce cri. Mais rien ne vint. Étudiants et adultes étaient figés dans la cour. Après un certain temps, Thomas, un surveillant particulièrement apprécié des élèves, se dirigea vers l'infirmerie, d'où semblait provenir l'éclat de voix.
Thomas, ouvrit lentement la porte et pénétra au ralenti dans la pièce. Puis, assez rapidement, il en ressortit, le visage pâle et les yeux vides. Après quelques secondes de flottement où chacun retenait son souffle, le surveillant ordonna d'une voix forte :

"Appelez le SAMU et les flics, immédiatement !"

Puis il se cramponna à la porte, le regard perdu. Une élève de terminale se précipita à l'intérieur du lycée. Certainement pour exécuter les ordres de Thomas.
Nous avions tous compris. Cela s'était reproduit. Qui était-ce cette fois ?
Une sueur froide me parcourut le dos. Ce pouvait-il que Cassandre soit la victime ? Mais je me rappelais qu'elle avait quitté le lycée quelques instants plus tôt. Dieu soit loué, elle n'avait rien. Je poussai un bref soupir de soulagement. Pourtant, quelqu'un était tout de même mort. Mais qui ?

Je m'approchai de la porte de l'infirmerie. Thomas barrait le passage à quelques élèves trop curieux qui cherchaient à voir ce qui se cachait derrière cette porte.
Je ne pouvais cependant, pas leur jeter la pierre. Dans ma tête, une petite voix me criait d'aller découvrir l'horreur se trouvant dans l'infirmerie. J'étais à présent obsédé par cette curiosité malsaine qui me poussait à voir de mes propres yeux la nouvelle atrocité commise dans le lycée.

Je poussai les étudiants se trouvant devant la porte et me présentai devant Thomas. Il baissa les yeux sur moi. Il semblait vraiment troublé.

"Laisse-moi passer, s'il te plaît."Lui demandai-je en prenant le ton le plus autoritaire que je pus.

Thomas hésita, me dévisagea et s'écarta lentement. Les élèves bloqués derrière moi s'indignèrent d'une telle injustice. N'avaient-ils vraiment que cela à faire ?

J'avançai, pas après pas, vers la pièce où se trouvait l'infirmière. J'entendais son souffle saccadé. Personne ne l'avait fait sortir. Thomas avait dû être tellement choqué qu'il n'y avait pas pensé.
Je passai l'encadrement de la porte, ne voyant que le lit dans un premier temps. Puis, mes yeux se posèrent sur le lino vert délavé composant le sol.
En réalité, le lino était recouvert d'un liquide que je ne connaissais que trop bien.
Une flaque de sang entourait le corps de Maxence. Un trou béant était visible dans son cou et un objet ressortait de sa bouche.
Tout à coup, sa poitrine émit un soubresaut. L'infirmière et moi sursautâmes brutalement.
Se pouvait-il que Maxence soit toujours en vie ?
Je me contrains à repousser mon dégoût et mon effroi et m'approchai du corps inconscient. Je baissai la tête et collai mon oreille contre son torse. Je priai l'infirmière de se taire et me concentrai. Telle ne fut pas ma surprise quand j'entendis un battement.
Faible, mais bien réel.

À cet instant, la porte de l'infirmerie s'ouvrit violemment et des hommes y entrèrent au pas de charge. Les médecins du SAMU.
Ils m'écartèrent et s'affairèrent autour de Maxence. Puis, le verdict tomba et une voix s'exclama :

"Il est vivant ! Apportez un brancard, on le transporte en urgence !"

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