10. Tout effacer
"Mais trouvez-vous cela normal de prendre une élève dans vos bras ?"
Je me frottai les yeux. Combien de fois encore allais-je devoir lui expliquer ? Cela faisait maintenant deux heures que le policier se tenait devant moi et me questionnait. Mais depuis qu'il avait pris sa pause avec sa collègue, il avait cessé de prendre en note mon témoignage. Il semblait m'accuser. Son regard était méfiant. Je me sentais inférieur à lui. Pourtant, ce n'était pas le cas, je ne devais pas penser cela. Je me défendis comme je pus.
"Vous auriez préféré qu'elle soit en première ligne pour voir ce qu'il y avait dans ce sellier ?"
Le policier fit la moue. Je marquai un point. Cependant, il n'en démordait pas.
"Et la prendre dans votre voiture, c'était pour son bien aussi ?
-Oui elle avait froid, il pleuvait des cordes et elle était trempée. J'en aurais fait autant pour n'importe quel autre élève."
Oui, j'étais de mauvaise foi. Mais moi-même je ne savais pas ce qu'il y avait entre Cassandre et moi. Que voulait-il que je lui dise ? L'homme en uniforme croisa les bras.
"Elle vous couvre, la petite. Ma collègue, le lieutenant Ben Kahlifa, l'a interrogée. Elle est très choquée, vous savez. Je crois que le petit jeu auquel vous jouez ne l'aide pas à se sentir mieux non plus.
-Mais allez vous enfin me dire de quoi vous parler ? Avez-vous autre chose que des suppositions ou des rumeurs infondées ?
-Elle vous aime."
Je me stoppai net. Que venait-il de dire ? Je fixai le policier, sans un mot. Son visage était figé, il semblait en cire. Il ne pouvait me dire cela et se taire ensuite. Il devait guetter ma réaction, pour tenter d'affirmer ses théories.
Je pris un air dubitatif et lui demandai de m'en dire plus.
"Je ne comprends pas...pourquoi êtes vous si sûr de ce que vous affirmez ?
-Ma collègue en est persuadée. Elle a interrogé votre élève, Cassandre. Elle lui a demandé si vous aviez une relation et..."
S'en était trop, je m'emportai.
"Elle lui a demandé quoi ?! La paranoïa, c'est un critère de recrutement chez les flics ?"
Mon interlocuteur ne prêta pas attention à ma réflexion et poursuivit en haussant le ton pour que je l'entende.
"Et comme je disais, cette jeune fille a réagi de la même manière que vous. Ensuite, elle a assuré que c'était elle qui s'était collée à vous. Quand ma collègue à insister, elle s'est emportée et a changé de sujet." Finit-il.
Il haussa un sourcil et me fixa, attendant ma réponse. Je ne savais que lui dire. Il était hors de question d'admettre qu'il y avait quelque chose d'un peu particulier entre Cassandre et moi. De plus, je trouvais que les policiers allaient un peu vite en besogne. Ce n'était pas parce que Cassandre démentait qu'elle m'aimait. Quand bien même ? Ce n'était pas rare, une élève amoureuse de son professeur. Mais si elle m'aimait, qu'allais-je faire ? Comment me comporterais-je ?
Puis je me ressaisis. Cassandre et moi n'avions aucun rapport avec Julie. Ce n'était pas pour nous que je me trouvais dans ce commissariat. J'avais été témoin de la découverte d'un corps et on me soupçonnait de détournement de mineure. Je me sentais offensé que l'on me juge comme cela.
"Excusez-moi, mais vos hypothèses douteuses n'ont aucun rapport avec ma présence ici. Vous m'avez fait venir pour avoir mon témoignage. Je vous l'ai donné, vous m'avez fait raconter encore et encore des choses que j'aurais voulu n'avoir jamais vu. Comment pensez-vous que je me sente maintenant ?"
Un silence s'installa dans la pièce. Puis, le policier planta son regard dans le mien et prononça en me pointant du doigt :
"Bien, mais sachez seulement que vous pourriez tout perdre. Votre travail, votre réputation, votre famille. Vous seriez traîné en justice. Vous pourriez aller en prison. Pour quelque chose qui n'est pas de l'amour, à la limite de l'admiration de sa part. Sans parler de l'équilibre de votre élève. De ce qu'on dirait d'elle. Elle serait celle qui a couché avec un prof. Tout cette comédie la ferait souffrir énormément parce qu'elle croit vous aimer. Tout le monde serait perdant."
Il marqua une pause. J'étais abasourdi. C'était immonde à entendre mais en même temps tellement sensé et véridique. Il me fit un vague geste et marmonna :
"Merci d'avoir témoigné, vous pouvez partir."
Je me levai rapidement et sortis. J'étais excédé. Une fois dehors, je m'appuyai contre le capot de ma voiture. Il faisait froid, l'air était humide. Les paroles du policier résonnaient dans ma tête. J'avais l'impression d'être un criminel que l'on jugeait. Pourtant, j'étais innocent. Qu'avais-je fait pour en arriver là ? J'avais fait de mauvais choix. Comme toujours. Je n'avais pas changé. J'étais en train de tout foutre en l'air, encore une fois. Mais il n'était pas trop tard pour recoller les morceaux. J'en pris conscience à cet instant. Je pouvais encore faire marche arrière et sauver les meubles. Étais-je prêt à mettre de côté la nouvelle vie que je tentais de commencer ? Il le fallait. Pour le bien de tous.
Je soupirai et me frottai les mains pour les réchauffer. J'allumai une cigarette. Disons, que c'était pour me donner le courage de rattraper mes erreurs auprès de Laura. Elle me pardonnerait, j'en étais convaincu. De plus, je n'avais pas été infidèle, je n'avais pas menti non plus. Je n'avais aucune raison de me sentir coupable de quoi que ce soit, à propos de cette histoire en tout cas.
Je jetai le mégot dans le caniveau et montai en voiture.
Il était à peine midi quand j'arrivai chez moi. J'avais cette impression étrange que je rêvais. Je ne vivais pas la vie réelle. C'était impossible. Pourtant, tout ce qui arrivait faisait bien partie de la réalité. Je ne me sentais pas abattu comme pour Victoire. Je pensais que quand des événements atroces se produisaient à répétition, on s'y habituait. On ne saisissait plus complètement la dimension intolérable des choses.
Après être aller récupérer mes enfants, je commençai à préparer le repas. Je voulais sincèrement me racheter, du moins que tout redevienne normal. Lyna alluma la télévision.
De la cuisine, j'entendis mes enfants pousser des petits cris étouffés. Je me précipitai dans le salon, pour voir ce qui les mettait dans cet état.
Ils étaient tous deux assis sur le parquet, le regard rivé vers l'écran. Ils regardaient une chaîne d'informations en continu.
"Aujourd'hui, une nouvelle découverte tragique bouleverse le lycée Gauguin. Un autre corps a été trouvé dans le sellier de l'établissement. Julie Duplet, la jeune fille disparue depuis deux jours, a été retrouvée attachée à une chaise, les yeux manquants, égorg..."
Je me saisis de la télécommande et changeai de chaîne. Lyna et Maël se retournèrent simultanément et me dévisagèrent. Je voyais l'horreur dans les yeux de ma fille. Maël, semblait choqué mais ne devait pas avoir tout compris. Lyna balbutia :
"Papa...c'était ton lycée à la télé..."
Ses yeux étaient grands ouverts et sa mâchoire tremblait. Elle avait peur, c'était évident. Maël se mit à pleurer en répétant :
"Je veux pas que tu meurs, Papa..."
Je pris mes enfants dans mes bras en tentant de les rassurer.
"Mais bien sûr que non, mes chéris je ne vais pas mourir...pourquoi est-ce que mourrais ?
-Parce que peut-être que les méchants qui ont fait ça vont te tuer." Articula mon fils, entre deux sanglots.
"Ne vous en faites pas, il ne m'arrivera rien et puis la police va arrêter celui qui a fait ça."
Je ne pouvais rien leur dire de plus. J'étais aussi inquiet qu'eux. Je ne pouvais pas leur mentir en disant que ce n'était pas mon établissement ou encore que la journaliste racontait n'importe quoi.
Je les embrassai et leur mis les dessins animés.
Laura arriva à peine une heure plus tard. Lorsqu'elle entra dans la cuisine, nous nous regardâmes sans un mot. Puis, sans que je m'y attende, elle se jeta dans mes bras. Je me raidis, surpris par sa réaction puis la serrai. Je me rendis compte à quel point je l'aimais et combien elle m'avait manqué. Elle finit par se dégager et je remarquai qu'elle avait les larmes au bord des yeux. Je lui dis, suffisamment bas pour que les enfants n'entendent pas :
"Laura, je te demande pardon. Je sais que je suis faible, tu as raison. J'ai encore fait n'importe quoi et je comprends que tu sois en colère. Je m'en veux sincèrement. Je n'arrive pas à dépasser ce qui nous est arrivé il y a dix ans. Tu es bien plus forte que moi, j'en suis conscient. Mais je ne t'ai jamais trompé. Je le promets. Cassandre c'est juste une simple élève, dont je suis proche, je ne te mentirais pas. Mais c'est toi que j'aime. Il ne s'est jamais rien passé. Je te le jure. Je suis devenu distant parce que ce qui est arrivé m'a secoué. Je suis désolé. Je voudrais juste que tout redevienne comme avant..."
Laura m'étreint à nouveau, pris ma main et m'avoua, encore plus bas :
"J'ai eu si peur. Peur de te perdre, peur que tu me trahisses, peur que tu replonges dans l'alcool..."
Je baissai les yeux. Elle mit sa main sur ma joue.
"Mais tout cela n'a plus aucune importance. J'ai appris ce qu'il s'est encore passé à ton lycée et je me suis rendue compte de la chance que j'avais que tu sois à mes côtés. Tu es bien vivant, avec moi, avec les enfants et on s'aime. C'est tout ce qui compte."
Sur ces mots, elle m'embrassa. Trop heureux, d'avoir retrouvé la Laura que j'aimais, je la soulevai et l'assis sur le plan de travail. Elle encercla mon bassin de ses jambes. Elle m'avait incroyablement manqué, j'en prenais conscience à présent. Je passai mes mains sous son tee-shirt et l'embrassai à nouveau.
Soudain, une petite voix nous fit sursauter tous les deux.
"Euh...Papa, on mange quoi ce soir ?"
Je m'éloignai rapidement de Laura, qui rajusta son haut précipitamment. Je souris comme je pus à mon fils. J'étais tellement heureux de retrouver une vie normale.
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