Épilogue
ESTHER
20:15
— Bon, les filles... La vidéo est en ligne.
J'échange un regard en coin avec Lou, qui a les yeux brillants. Je ne sais pas si c'est l'émotion ou la peur – sûrement un peu des deux. Je pense qu'en ce moment, j'ai exactement le même regard.
— Maintenant, vous coupez vos téléphones, nous ordonne Léa, mon agente, avec un sourire compatissant. Julie et moi vérifions que tout ne part pas en sucette de notre côté mais vous, vous décrochez pour ce soir. Si un cataclysme se déclenche, on en parlera demain matin. OK ?
J'accepte et me hisse sur mes pieds avant de ranger ma chaise. Puis, Lou et moi disons au revoir à Léa et nous allons appeler l'ascenseur toutes les deux.
— Je ne vais jamais pouvoir me retenir d'aller sur Twitter avant ce soir, avoue Lou en se balançant d'un pied sur l'autre.
— Si... Tiens bon. Sinon, tu seras seule à te prendre cette vague en pleine figure.
Lou acquiesce en se mordant la lèvre d'un air terrifié puis pénètre en premier dans la cabine.
Je ne sais toujours pas si on est amies, elle et moi. Je n'ai jamais compris exactement à partir de quel stade on pouvait dire de quelqu'un qu'il était sincèrement notre ami – j'ai toujours eu trop peur qu'on me rembarre parce que je m'étais trop avancée sur le statut de notre relation. La limite entre une connaissance et une véritable amitié et difficile à saisir, toujours un peu floue. J'imagine qu'il y a un élément déclencheur propre à chacun qui fait basculer la relation d'un côté ou de l'autre à un moment donné.
Tout ce que je sais, c'est que j'ai confiance en Lou. J'imagine que c'est déjà bien.
— Ça te dirait de manger ensemble ? On pourrait commander Uber Eats et regarder un film chez-moi, ou je sais pas... propose Lou une fois que nous sommes dans le hall d'entrée de l'agence.
— Désolée, j'aurais bien aimé mais j'ai déjà quelque chose de prévu, réponds-je en grimaçant.
Lou me lance un petit sourire mi-amusé mi-contrit.
— Laisse-moi deviner : avec Cléo ?
J'acquiesce, mon visage s'illuminant malgré moi.
— Oui... Il m'emmène au restaurant. Il voulait être sûr que je ne touche vraiment pas à mon téléphone, ce soir.
Lou hoche la tête en sortant son paquet de cigarettes de sa poche.
— C'est mignon. Tu as de la chance.
Elle marque une pause, puis ajoute :
— Enfin, non : il a de la chance !
Je lui lance un sourire touché.
— Merci.
Ensuite, je regarde la brune allumer sa clope et la porter à ses lèvres avec un air triste. Elle a beau essayer de le cacher, je vois dans ses yeux qu'elle a encore mal à cause de Maël. J'ai mis du temps à arrêter de l'aimer, moi aussi. J'imagine qu'il va lui falloir encore quelques semaines pour guérir complètement de lui.
— Bon, on se voit demain matin alors ? dit-elle.
Je lui souris brièvement.
— Yes.
Nous nous faisons la bise puis je me détourne, remontant la rue. Comme Cléo me l'avait indiqué, il s'est garé juste en face de la pharmacie et lit calmement un livre dans la voiture en m'attendant, accoudé à la vitre.
Je prends une petite minute pour le regarder, laissant glisser mes yeux le long de son visage puis de sa silhouette. Il est particulièrement beau ce soir : il a enfilé un pull beige à col roulé, une veste molletonnée et a mis une casquette à l'envers – mon point faible ultime.
— Salut ! dis-je en me glissant à la place passager.
Tout sourire, Cléo glisse son livre dans sa portière et se penche pour m'embrasser, posant l'une de ses mains sur mon cou.
— Ça été ? demande-t-il alors en se reculant.
— C'est en ligne.
Un léger silence s'installe tandis qu'il écarquille les yeux, resserrant légèrement sa prise sur mon cou dans un geste encourageant.
— C'est génial. Le jour où ton ex aura eu ce qu'il mérite, on sabre le champagne.
Je m'esclaffe avant de boucler ma ceinture, puis demande :
— Alors, où est-ce qu'on va ?
— Ah mais j'ai trouvé un de ces restaurants, tu m'en diras des nouvelles !
Je ne peux m'empêcher de sourire à tout va tandis qu'il démarre, m'expliquant au passage qu'il a passé deux heures sur Trip Advisor pour trouver un endroit sympa.
Petit à petit et tandis que nous traversons les rues de la capitale dans la voiture de location, la discussion dévie et Cléo commente :
— Tu te souviens de Laura, mon ancienne collègue du café ? Je t'en ai déjà parlé plusieurs fois.
— Celle qui râlait tout le temps ?
Cléo esquisse un sourire.
— Oui, elle. Eh bah devine quoi ? Je suis allé la voir à l'association dans laquelle est bénévole, aujourd'hui. C'était trop drôle : elle était tellement surprise de me voir qu'elle a failli faire une crise cardiaque.
Je m'esclaffe en imaginant la situation.
— D'ailleurs, j'ai découvert que là-bas aussi c'était une terreur, poursuit-il. J'ai discuté avec l'une de ses collègues, Callisto, qui a passé quasiment une demi-heure à me dire à quel point Laura était insupportable. Je crois que c'est la première fois de ma vie que je me sens autant compris.
J'acquiesce tout en regardant le paysage. Tandis que nous nous arrêtons à un feu rouge, je sens soudain les doigts de Cléo s'enrouler autour de ma cuisse.
— Eh, dit-il doucement. Arrête d'y penser, OK ?
Je force un sourire dans sa direction. Je ne savais pas qu'il savait lire dans mes pensées mais bêtement, ça me touche qu'il fasse assez attention à moi pour voir quand je suis préoccupée.
— Imagine que mon monde entier soit en train de s'écrouler et que je sois la dernière au courant, commenté-je en lui adressant un regard semi-paniqué.
Cléo me répond un sourire doux, resserrant sa prise autour de ma cuisse.
— Et alors, au pire ? C'est bien d'être dans le déni, parfois.
Ensuite, il redémarre en sifflotant. Bon sang, la vie doit être bien facile quand on ne se prend absolument jamais la tête. C'est peut-être un truc de garçon, remarque.
Au moment où nous nous garons devant le restaurant Cléo coupe le contact, ce qui éteint la radio par le même coup. Il me lance alors un drôle de regard qui me pousse finalement à arquer un sourcil en disant :
— Quoi ?
Il secoue doucement la tête sans cesser de sourire.
— Je repensais à la deuxième fois qu'on s'est vus dans le couloir de l'immeuble. Tu avais failli te brûler à cause de ton café.
Je ne peux m'empêcher de rire doucement.
— Hé, je ne savais pas que tu avais vu ça !
— Je vois tout, moi.
Nous échangeons un sourire complice avant qu'il ne se penche vers moi sans me quitter des yeux. Nos visages sont alors proches l'un de l'autre et nous sourions comme deux idiots, apaisés.
— Je t'aime, dit-il alors doucement.
La première chose à laquelle je pense c'est : «??? ».
— Mais ça sort de nulle part ! m'écriai-je en éclatant de rire.
— Comment ça ? rétorque-t-il sans perdre son sourire.
Bientôt, je ris tellement que je me tiens le ventre.
— Tu ne peux pas me dire ça comme ça ! Tu pouvais attendre qu'on soit au restaurant ou j'en sais rien, trouver le moment opportun !
Alors, Cléo répond le plus simplement du monde :
— Et pourquoi pas ?
Il n'y a que Cléo pour me répondre un truc comme ça, et que lui qui soit capable de me dire qu'il m'aime sans se poser la moindre question.
C'est simple, c'est facile. C'est Cléo.
Doucement, mon rire finit par se tarir. Tout ce temps, le brun me couve d'un regard doux en caressant ma mâchoire du bout du pouce.
— T'es pas vexé ? demandé-je au bout d'un moment, les restes de mes éclats de rire encore dans la voix.
— Non, répond-t-il, tout sourire. Quand je t'entends rire je ne pense à rien d'autre.
Je laisse reposer ma joue contre la sienne, attendrie. Son odeur flotte dans la voiture, réconfortante. Je me sens bien, en sécurité.
Ni Cléo ni moi ne sommes parfaits. Il sait être égocentrique, têtu, catégorique, trop tranché. Il a une peur de l'abandon intense, une envie de bien faire qui peut être destructrice et il a besoin de reconnaissance pour avancer. Il est hyperactif, court toujours partout et ne conçoit pas que les autres puissent être fatigués ou en faire moins que lui. Il est droit, trop droit, et prend tout à cœur. Il sait être de mauvaise foi, râle si on touche à la moindre de ses affaires et préfère écrire que parler aux gens, griffonner sur papier que de dire en face ce qu'il a à sortir de lui.
Quant à moi, je peux être impulsive, bornée, susceptible, hypersensible et je manque de confiance en moi. Je suis un paradoxe à moi toute seule – j'ai besoin être seule mais je ne sais pas l'être alors je m'entoure des mauvaises personnes. Je suis renfermée, naïve, timide, je n'aime pas parler de mes sentiments et je ne suis pas toujours douée avec les gens. J'aime trop fort et trop vite mais je me détache trop lentement. J'ai des problèmes avec la nourriture, je ne sais pas gérer mon image, j'ai une addiction à mon portable et aux réseaux sociaux et l'avis des autres compte beaucoup trop pour moi.
En résumé, lui comme moi avons des histoires compliquées, un passé à gérer, des traumas à régler, des gens avec qui nous réconcilier et des tas de choses encore à apprendre l'un sur l'autre. Mais aussi difficiles que ça puisse être, je ne me pose même pas la question.
Bien sûr que j'ai envie de tout savoir de lui. Il n'y a même pas de doute.
Alors, doucement, je lève les yeux vers lui et embrasse chastement ses lèvres avant de lui dire tout bas :
— Je t'aime aussi.
Et voilà, c'était aussi simple que ça.
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