8 | overjoyed

ESTHER

21:45

— Estheeeeeeer, tu m'as manquée !

Moins d'une seconde après avoir entendu cette phrase – que dis-je, ce cri –, Lou me serre contre elle. Je suis tellement surprise que je reste pantoise, les bras ballants, tandis que les siens s'enroulent autour de mon dos.

— Euh, salut, répliqué-je, gênée.

— Désolée de ne pas avoir répondu à tes textos, j'ai été super occupée, dit-elle en grimaçant. Tu ne m'en veux pas j'espère ?

Je la fixe un instant. La moue à la fois triste et enfantine qu'elle arbore ne va pas du tout avec le reste de son visage, qui est bien trop élégant. Chaque parcelle de ses pommettes est rosée par le blush et ses yeux de chat sont étirées en un eye-liner parfait que je n'arriverai probablement pas à faire aussi bien même après dix essais. Et des litres de larmes versées. Et trois verres de vin blanc pour me consoler.

— Non. Excuse-moi, je vais me chercher à boire.

C'est en m'éloignant que je remarque que plusieurs autres créateurs de contenus moi les yeux rivés sur moi et Lou, qui se tient toujours derrière moi. Pas besoin d'être un génie pour comprendre qu'elle m'a saluée ainsi uniquement pour que les autres voient qu'on s'entend bien, aussi bien que dans sa vidéo.

Qui je suis vraiment, elle s'en fout royalement.

C'est en partie pour cela que je vais à très peu d'évènements. Le monde de l'influence est hypocrite, méchant et très douloureux. Les pires commentaires que j'ai reçu ne me sont pas venus des haters, mais bien de mes supposés collègues.

— Une limonade s'il vous plaît, demandé-je au barman avec un sourire.

Tandis que j'attends ma boisson, je sens soudain une main chaude se poser sur ma hanche. Très vite, le parfum de Maël me monte délicieusement au nez tandis qu'il me glisse, le nez près de mon oreille :

— Salut.

Je lui souris en guise de réponse, ne pouvant pas m'empêcher de jeter un regard derrière nous par acquis de conscience.

— Relaxe, personne ne nous regarde, réplique-t-il d'une voix douce.

Le barman choisit ce moment-là pour revenir avec ma boisson. Je le remercie et avale une gorgée bien fraîche avant de dire discrètement à mon copain :

— Lou a sauté dans mes bras en me voyant.

Celui-ci roule des yeux.

— Quelle hypocrite.

Je ne renchéris pas mais honnêtement, je n'en pense pas moins.

— En tout cas on est là pour passer une bonne soirée, me dit-il avec un grand sourire. Danse, amuse-toi, copine un peu avec ceux qui ont l'air fréquentables et dans deux heures on s'enfuit tous les deux sur mon scooter. Deal ?

Ses yeux pétillent, plantés dans les miens.

— Deal.

Après ça, Maël et moi ne nous parlons pas de la soirée. Cependant, je sens son regard sur moi en permanence, surtout lorsque je parle à d'autres garçons. Je rencontre plusieurs créateurs adorables et le personnel de la marque de décoration d'intérieure qui nous accueille est adorable et très serviable. Sincèrement, la soirée se passe relativement bien.

Tout au long de la soirée, des photos et des vidéos sont faites dans tous les coins de la salle. Parfois je me joins à quelques photos mais la plupart du temps je fais en sorte de ne pas être dans le champ. Par contre, je filme plusieurs stories et pose plusieurs fois pour alimenter mon propre compte.

Au bout de deux heures, je salue plusieurs personnes et m'éclipse. Je remonte la rue et patiente calmement en attendant Maël, qui me rejoint une dizaine de minutes plus tard.

— Pfiou, quelle soirée, dit-il en passant un bras autour de mes épaules.

— M'en parle pas. Il paraît que Jules et Léonie ne sont pas réellement en couple, d'ailleurs, dis-je d'un ton égal.

— C'est aussi ce que je me disais, ils ne se sont pas touchés de la soirée. En tout cas, ils jouent très bien le jeu sur leurs réseaux.

Je lui coule un regard discret, profitant de son inattention pour l'admirer un instant. Son profil est parfait, sans défaut. Tellement parfait d'ailleurs que je me demande soudain comment est-ce qu'il peut s'intéresser à une fille comme moi.

Une fille « grosse », « pas si extraordinaire que ça », « sans talent », « nulle en montage » et « inutile » à en croire les commentaires de ma dernière vidéo postée ce matin – qui était pourtant un simple room tour de ma nouvelle chambre. Peu importe ce que je dis ou fais, le seul fait d'exister et de le montrer sur internet est une raison suffisante pour les gens de me détester.

— Tu me ferais pas ça, hein ? questionné-je soudain.

Maël s'immobilise, les traits tendus.

— Quoi, sortir avec toi pour le buzz ?

J'acquiesce, papillonnant des cils. S'il veut me mentir, je sais qu'il le fera très bien – on ment tous relativement bien, quand on fait ce métier. On sourit sur les photos, on rigole sur les vidéos, on fait la moue devant les photographes et on prétend être au top alors que toute notre vie s'effondre. Pourquoi je lui pose la question, alors ?

Simplement parce que je veux lui laisser une chance d'être honnête. S'il n'a pas été honnête jusqu'à présent, à lui de décider de la saisir ou non.

— Écoute-moi bien Esther, rétorque-t-il en emprisonnant mon menton entre ses doigts. Si je voulais me servir de toi j'aurais insisté pour qu'on affiche notre couple dès le début, non ?

— Touché.

Nous échangeons un petit sourire, puis il reprend son air sérieux et ajoute :

— Tu m'intéresses vraiment, tu sais. Ton nombre d'abonnés, j'en ai strictement rien à foutre. Qu'ils soient un million ou cent-vingt mille, ça ne changera jamais rien pour moi.

Le fait qu'il connaisse exactement mon nombre d'abonnés sur Instagram me fait tiquer, mais un instant seulement. Ensuite, ses lèvres sont sur les miennes et j'oublie tout le reste.

— Allez viens, je te ramène chez-toi, murmure-t-il ensuite tout contre ma bouche.

Je ferme les paupières un instant, profitant de sa chaleur.

— On fait un tour de scooter, d'abord ?

Ma question le fait sourire.

— Bien sûr.

20:04

OK, je me confesse : j'ai stalké mon coloc' sur Insta.

Je sais, c'est pathétique – si je voulais apprendre à le connaître, j'aurais pu tout simplement aller lui parler.

À cause des réseaux sociaux, j'ai pris l'habitude de toujours connaître un peu les gens avant de les rencontrer réellement. En général, je sais à peu près à quoi m'attendre... mais pas avec lui. Vu qu'il était en privé, j'ai fixé sa photo de profil pendant de longues minutes sans oser le demander en ami. Puis, j'ai lâché mon téléphone et me suis massé les tempes, épuisée mais surtout frustrée.

Frustrée qu'il puisse encore avoir une vie privée, qu'il puisse encore s'appartenir exclusivement. Moi, ça fait des années que j'ai dû y renoncer.

De toute façon, ce mec m'intimide. Il bosse comme un chien, se lève aux aurores et rentre tard, le tout sans jamais se plaindre. Il fait aussi la cuisine, donne le bain à son neveu tandis qu'Adèle se douche et trouve encore le temps de passer un coup d'aspirateur avant d'aller se coucher. Sérieusement, je me demande s'il n'est pas sous cocaïne pour réussir à tenir un rythme pareil.

Dans tous les cas, j'ai décidé qu'il était temps de faire un pas vers lui. Aussi, j'ai pris initiative de préparer le repas pour toute notre petite colocation, aussi bizarre soit-elle.

Soudain, alors que je suis en train de laver la salade, la porte d'entrée s'ouvre. Le fameux Cléo apparaît alors dans l'entrée, les cheveux humides à cause de la bruine et les joues rosies par le froid de septembre.

— Hello, dit-il d'une voix surprise en pénétrant dans la pièce à vivre.

— Salut ! s'exclame sa sœur, qui était en train de jouer avec Louis sur le tapis en peluches près de la table basse. On t'attendait ; Esther a fait à dîner pour nous trois.

Un air stupéfait se peint sur ses traits et il se tourne vers moi avec un drôle de regard qui me cloue sur place.

— Sympa, répond-t-il finalement en retirant sa veste puis ses chaussures. Je vais me laver les mains et on passe à table, alors.

Je fixe son dos tandis qu'il disparaît dans le couloir puis me reconcentre sur ma salade en me mordillant la lèvre inférieure. Bordel, rien que le fait de savoir qu'il est dans l'appartement me trouble.

— Allez, à table, dit Adèle en déposant Louis dans sa chaise haute. Oh, merci, ajoute-t-elle dans ma direction lorsque je lui tends l'assiette de purée que je viens de réchauffer pour le petit. Tu as pensé à tout, dis donc.

J'esquisse un petit sourire.

— Attends, ce n'est pas parce que ce bébé est silencieux que je l'oublie.

Adèle sourit à son tour et commence à donner à manger à son fils. Au bout de quelques instants, elle finit par me demander, l'air de rien :

— C'est drôle, tu ne m'as jamais posé de questions sur Louis. C'est la première fois que je rencontre quelqu'un qui ne me demande rien à ce sujet.

J'hausse les épaules tout en ramenant la salade sur la table.

— Je ne vois pas pourquoi tu devrais te justifier.

Adèle arque un sourcil.

— Alors là, j'avoue que je suis à deux doigts de te demander en mariage.

Nous échangeons un sourire, mais le mien fond comme neige au soleil dès que Cléo entre dans la pièce. Celui-ci a troqué son jean cargo contre un jogging confortable et porte désormais des fines lunettes sur son nez, ce qui lui donne un air de premier de la classe loin d'être déplaisant.

— Je peux aider à faire quelque chose ? propose-t-il gentiment en me voyant faire des allers-retours entre le salon et la cuisine.

— Non, tout est prêt, réponds-je en revenant avec le dernier plat. J'ai fait des lasagnes, j'espère que c'est OK pour tout le monde.

Cléo ouvre la bouche pour me répondre mais Adèle le devance, enthousiaste :

— « Un problème avec les lasagnes », t'es malade ou quoi ? Oula, il est vraiment temps qu'on se connaisse mieux !

Contre toute attente, le repas se passe à merveille. Chacun pose des questions ici et là, le sujet de conversation principal étant Louis. J'apprends qu'il ressemble comme deux gouttes d'eau à sa mère étant petite, qu'il ne pleure jamais même quand Cléo abuse des chatouilles et que c'est un véritable bébé sourire qui mange de tout et ne fait pas de bruit. Sérieusement, je dois dire que je suis impressionnée – et chanceuse. Finalement, peut-être que vivre avec un bébé va être relativement supportable pour moi ?

J'apprends également qu'Adèle est en première et qu'elle s'apprête à passer son bac de français. Celle-ci me parle de sa prof de français qu'elle déteste, des livres affreux qu'elle doit lire et des milliers de textes à apprendre avant la fin de l'année. Elle a une facilité à s'exprimer qui me déconcerte et j'éclate de rire à plusieurs reprises.

À la fin du repas, Adèle annonce aller mettre Louis au lit et se préparer pour se coucher à son tour.

— C'était délicieux, me dit-elle d'un ton entendu en se dirigeant vers le couloir. Je vais t'embaucher pour préparer tous mes repas, OK ?

— Ça dépendra du salaire ! m'exclamai-je d'une voix forte pour qu'elle m'entende de la salle de bains.

Son rire résonne dans le couloir puis s'évanouit dès que la porte de la salle de bains claque. Après ça je me retrouve seule avec Cléo, qui commence à ramasser les assiettes.

— Laisse, je peux m'en occuper, proposé-je.

— Tu plaisantes ? Tu as cuisiné, je fais la vaisselle.

Je hoche la tête, agréablement surprise, et l'aide tout de même à débarrasser la table. Tandis qu'il fait couler l'eau du robinet pour la faire chauffer, il me demande soudain, mine de rien :

— D'ailleurs, tu fais quoi dans la vie ? Je ne t'ai même pas demandé.

Une minuscule vague de panique s'empare de moi, comme chaque fois que je dois dire ce que je fais de ma vie. Je dis presque toujours la vérité, sauf lorsque je sais que je ne vais jamais revoir la personne – comme à un chauffeur de taxi, par exemple. Dans ces cas-là je suis Esther, vingt-deux ans, étudiante en master en communication.

Mais là, impossible de me dérober. Aussi, j'essaie d'avoir l'air impassible et confiante lorsque je réponds :

— Je suis créatrice de contenus sur les réseaux sociaux.

Cléo ne cille pas, se contentant d'acquiescer d'un air entendu. Il ne sourit pas d'un air moqueur et ne semble pas sur le point de sortir une vacherie ou un commentaire du style « ah, tu as donc opté pour l'argent facile ». Je suis tellement habituée au contraire que sa réaction me touche.

— Cool, dit-il simplement. Ça doit être sympa comme boulot.

— Très. Et toi alors, qu'est-ce que tu fais de beau dans la vie ? répliqué-je avant de terminer mon verre de vin rouge, désireuse de changer de sujet.

— Je suis barista dans un café, répond-t-il tout en lavant une assiette. J'ai arrêté mes études en lettres modernes depuis que Louis est né, pour pouvoir m'occuper de lui et d'Adèle.

— Waouh, répliqué-je, impressionnée. C'est gentil de ta part.

Il hausse les épaules, un peu comme si ce n'était rien. Je ne sais pas s'il se rend compte que tout le monde ne ferait pas ce genre de sacrifices pour pouvoir aider sa famille.

— C'est normal, c'est ma sœur, répond-t-il naturellement. Ma mère ne pouvait pas payer tous les frais qui viennent avec la naissance d'un bébé donc c'était soit Adèle qui devait lâcher le lycée, soit moi qui abandonnait la fac. Autant te dire que le choix était vite fait.

Je le fixe, impressionnée par sa détermination. Il a dit tout ça sans sourciller ni hésiter, comme si les choses avaient toujours évidentes pour lui.

Je me dis alors que moi aussi, j'aimerais bien que quelqu'un soit prêt à tout plaquer pour moi. En tant que fille unique, je n'ai jamais connu l'amour fraternel – bien que je considère Miranda comme ma sœur.

— Et ça te plaît de travailler dans un café ? demandai-je pour alléger la conversation.

Un fin sourire éclaire alors le visage du brun.

— Disons que c'est drôle. Les clients sont plus clichés les uns que les autres : étudiants paniqués par les examens, travailleurs en pause dej' et retraités désireux de sociabiliser. Les journées se ressemblent toutes mais ça ne me dérange pas. Je crois que j'aime la routine, je ne suis pas trop fait pour l'aventure.

Je lui souris, attendrie. Sérieusement, c'est un Luke Danes par excellence – il ne manque plus que la casquette et la chemise à carreaux.

— Et toi alors, tu en avais marre de la montagne ? demande-t-il soudainement avec un sourire.

J'arque un sourcil. Je ne me rappelle pas lui avoir parlé une seule fois que je venais des Vosges. Se pourrait-il qu'il m'ait stalkée, lui aussi ?

Oh oui, pensé-je en voyant son petit air innocent. Il est peut-être bon barista mais définitivement, c'est un piètre acteur.

Pour autant, je fais comme si de rien était – j'ai moi aussi essayé de faire des recherches sur lui alors j'imagine que je n'ai rien à lui reprocher de ce côté-là.

En revanche, l'idée qu'il ait pu regarder mes photos et mes vidéos me perturbent. Je me demande ce qu'il a pensé de mon contenu, s'il m'a trouvée narcissique ou bête. Peut-être qu'il me prend pour une pétasse superficielle, maintenant.

C'est souvent ce que les gens pensent quand je parle de mon métier. Tout le monde croit que pour s'exposer, il faut une confiance en soi inébranlable et une adoration pour soi-même et son physique.

La vérité c'est que moi, à la base, je voulais juste m'amuser.

— Pas tant que ça, j'adore vivre en station. Mais tous mes rendez-vous professionnels sont ici et je commençais à en avoir marre de passer ma vie dans le train.

Le brun acquiesce puis souffle afin de dégager une mèche de cheveux bruns de son front.

— Alors là, je te comprends, rétorque-t-il. Le temps qu'on passe dans les trans...

La fin de sa phrase est étouffée par une sonnerie de téléphone – la mienne, en l'occurrence. Surprise qu'on m'appelle à cette heure-ci, je sors mon portable de ma poche et jette un œil à l'écran. C'est Miranda.

— Je dois répondre, désolée, m'excusai-je.

— Pas de souci.

Nous échangeons un regard entendu avant que je ne me dirige de l'autre côté de la pièce, près des fenêtres qui mènent au balcon.

— Tout va bien ? demandai-je aussitôt en décrochant.

— Moi oui, rétorque ma meilleure amie. Et toi ?

Je fronce les sourcils.

— Euh, oui. J'étais en train de dîner avec mes colocs', là.

— Oh. Pas sur ton téléphone, donc ?

Sa voix est à la fois pressée et pressante, et je connais assez ma meilleure amie pour savoir qu'il en faut beaucoup pour qu'elle soit inquiète.

— Non, qu'est-ce qu'il se passe ? rétorqué-je en croisant les bras sur ma poitrine.

— Panique pas, OK ?

Je marque un arrêt, stressée.

— Accouche, bon sang !

— OK, OK, grogne-t-elle. Une photo de toi en train d'embrasser Maël a été postée sur un compte de gossips. C'est sur tous les réseaux, tous tes comptes doivent être saturés de messages.

Mon cœur rate un battement. Aussitôt, je déroule mon panneau de notifications : Maël m'a envoyé des tonnes de textos tous écrits en majuscules, et je ne parle même pas du nombre de notifications liées aux réseaux sociaux. Celles-ci sont si nombreuses que ça me donne presque le tournis.

— Merde, lâché-je, blanche comme un linge. Merde, merde, merde.

— Esther, tu n'as rien fait de mal, reprend Miranda d'une voix ferme. Tu sors juste avec un type, c'est ton droit et c'est pas un crime d'avoir voulu garder ça pour toi.

— Je... Je...

Aucun mot ne sort tandis que je parcours des yeux les Tweets à mon noms sortis la dernière heure. Ceux-ci sont pour la plupart bienveillants mais certains sont durs, voire carrément méchants. On peut lire que je suis une cachottière, que je mens à mes abonnés ou que je me fous de leur gueule. Les pires osent carrément dire que je suis une traînée, que je ne me respecte pas, que je le connais à peine et que je suis une fille facile.

— Esther, je sais ce que tu fais et arrête ça tout de suite, lâche Miranda dans le combiné. Regarder ce que les gens disent de toi ne va strictement rien t'apporter.

— Ils ont raison. Je le connais à peine, pourquoi est-ce que je...

Je m'interromps, des larmes dans la voix, et pousse un profond soupir. C'est là que je sens soudain une main se poser sur mon épaule, rassurante.

— Tout va bien ?

Derrière moi, Cléo a les sourcils froncés et un air inquiet est peint sur son visage. Mon reflet est si pâle dans ses yeux noirs qu'un frisson me parcourt.

— C'est la voix de qui, ça ? Maël ? questionne Miranda dans le combiné.

— Non, c'est mon colocataire, réponds-je avec précipitation. Merci de m'avoir prévenue, je te rappelle OK ?

— T'as intérêt. Et je t'interdis d'aller sur Twitter avant qu'on se soit téléphoné !

Je le lui jure, bien que nous sachions pertinemment toutes les deux que je trahirai cette promesse dès notre appel terminé.

— Tout va bien ? répète Cléo une fois que j'ai raccroché.

— Oui... Oui, ça va, réponds-je en me forçant à sourire par-dessus mon visage blême.

— Sûre ?

Je marque une pause. Je pourrais lui dire que non, qu'en réalité ça ne va pas du tout. Que parce que j'ai décidé d'apprendre à connaître un garçon et que j'ai osé attendre trois semaines avant d'en parler sur mes réseaux sociaux on me traite de menteuse, de traîtresse et de pute. Qu'un compte débile partageant des potins idiots a réellement pensé que c'était normal de prendre à ma place la décision de partager mon couple, de m'enlever ce choix. Maintenant que tout le monde sait pour moi et Maël, il n'y a plus de retour en arrière : si nous nous séparons on dira que l'un de nous aura profité de l'autre, lui aura brisé le cœur ou sera le méchant. Et si toutefois nous restons ensemble, il y aura des critiques sur mon physique ou ma façon de trop ou pas assez partager notre couple. Désormais, ma relation avec Maël n'est plus exclusive – je suis forcée de la partager avec le reste du monde.

Oui, je pourrais expliquer tout ça à Cléo... mais il ne comprendrait pas.

Personne ne comprend jamais, de toute façon.

— Sûre.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top