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CLÉO

05:39

Je suis en plein cauchemar.

Le fait qu'Esther devienne officiellement notre colocataire était déjà difficile à avaler mais disons qu'en deux jours, j'ai fini par l'accepter. Par contre dormir avec Adèle, ça c'est vraiment au-dessus de mes forces.

— Bordel, sifflé-je entre mes dents en essayant de tirer la couette vers moi.

Ma sorcière de sœur se l'est accaparée toute la nuit, s'emmitouflant dedans avec une force surprenante qui m'a empêchée de la lui reprendre. Je me suis réveillé toutes les demi-heures, transi de froid, avec l'envie obsédante de lui tordre le cou.

Après avoir bataillé encore cinq longues minutes pour tenter de récupérer un peu de terrain, je finis par abandonner. À bout, je fais le moins de bruit possible en me levant, faisant attention à chaque détail pour ne pas la réveiller.

Lorsque je passe devant le berceau de Louis, je m'immobilise malgré moi. Il dort paisiblement, ses minuscules paupières bel et bien fermées. Ses petits poings sont serrés et il est tout simplement à croquer dans son body orange – un cadeau de notre mère. Un sourire s'imprime sur mon visage lorsque je passe doucement ma main sur son ventre.

Après cela, je quitte la pièce sur la pointe des pieds et referme la porte avec mille précautions. Puis, je traverse le couloir en me traînant à moitié jusqu'au salon, prêt à m'abrutir devant un dessin animé en attendant que tout le monde se réveille.

Seulement, lorsque j'arrive dans la pièce principale, je constate avec surprise qu'une lumière est allumée. Il s'agit de celle du frigo... devant lequel se trouve Esther.

— Salut, lâché-je dans un murmure.

La blonde sursaute et pousse un cri d'effroi en plaquant une main sur sa poitrine. Je m'empresse de lui faire signe de baisser d'un ton et elle s'excuse tout bas, la moitié de son visage éclairé par la lumière du réfrigérateur.

— Purée, tu m'as fait peur, grogne-t-elle en essayant de reprendre sa respiration, encore sous le choc.

— Pour ma défense, je ne pensais pas croiser quelqu'un, rétorqué-je. Qu'est-ce que tu fais debout à cette heure-ci ?

Esther semble soudain reprendre ses esprits. Même avec la lumière plus que médiocre, j'aperçois ses joues rougir à vue d'œil.

— Je... mange quelque chose. Je n'ai rien avalé hier soir avec... tout ce qu'il s'est passé.

Je sais très bien qu'elle fait référence à la signature du contrat de location. Les propriétaires sont venus jusque-ici, tous les deux, et se sont excusés en personne. Ils nous ont aussi félicité pour notre arrangement, soulagés de ne pas avoir à choisir qui expulser, et nous ont exemptés de charges pour le mois afin de se faire pardonner. Directement après la signature, Esther a annoncé aller se coucher et elle est partie s'enfermer dans sa chambre sans ressortir une seule fois de la soirée.

À vrai dire, nous ne voyons quasiment jamais. Cela ne fait que deux jours que nous cohabitons mais nos emplois du temps ne se chevauchent pas du tout. Je pars tôt au café le matin et lorsque je suis repassé manger ici à midi, elle était partie courir. Cette après-midi j'ai de nouveau travaillé et en rentrant vers vingt heures, elle était de sortie. Adèle m'a appris qu'elle avait disparu vers dix-sept heures, dès que ma sœur est rentrée avec le bébé.

Je ne suis pas débile : elle nous évite clairement. Mais honnêtement, je dois dire que ça m'arrange. Au moins, nous évitons de nous étriper ; car même si j'ai du respect pour elle – c'est le minimum –, je ne la connais pas. Et au vu de la situation, notre relation n'a pas commencé sur les meilleures bases qui soient.

— Tu peux te servir, finis-je par dire doucement en lui tendant une assiette recouverte d'aluminium. J'ai fait des crêpes hier soir.

Ses yeux couleur chocolat brillent un instant, comme touchés, puis elle secoue la tête.

— C'est gentil, mais ça ira. Je venais juste prendre un yaourt.

Sur ce, elle referme le réfrigérateur en s'efforçant de ne pas faire de bruit. Nous nous retrouvons alors dans le noir mais nos yeux s'étant habitués à la pénombre, j'aperçois toujours les contours de son visage et sa silhouette fuselée derrière le bar.

— Et toi alors, pourquoi est-ce que tu es réveillé ? demande-t-elle à voix basse au bout d'un moment.

J'hausse les épaules en répondant sur le même ton :

— Adèle est une terreur : non seulement elle prend toute la place, mais aussi toute la couette. Je me suis dit que j'allais comater un peu et essayer de finir ma nuit sur le canapé.

— Mhm-mhm. Dis plutôt qu'il te fallait une excuse pour regarder Scooby-Doo en paix.

Je ne peux pas m'empêcher de m'esclaffer tout bas.

— OK, je suis démasqué.

À cet instant, je jurerai apercevoir l'éclat d'un sourire dans l'obscurité du salon. Malheureusement, il disparaît aussi vite qu'il est arrivé, un peu comme une étoile filante dans la nuit noire. Puis, j'entends soudain Esther chuchoter de sa voix grave :

— Bon, je vais me recoucher.

J'entends alors ses pieds nus faire craquer le parquet et sa peau me frôler lorsqu'elle passe à côté de moi, rejoignant le couloir à tâtons dans la pénombre.

— À demain, dis-je alors.

Le parquet s'arrête soudain de craquer, signe qu'elle s'est sûrement immobilisée.

— Je ne pense pas qu'on se verra.

En d'autres termes, « je continuerai de t'éviter demain ». Résigné, je hoche la tête en silence avant de me rappeler comme un con qu'elle ne me voit pas.

— Ouais, sûrement pas, dis-je alors en me raclant la gorge.

Puis, j'écoute les craquements du parquet résonner jusqu'à sa chambre avant d'aller enfin m'installer sur le canapé.

ESTHER

12:10

— Eh, salut toi...

Je ne peux m'empêcher de sourire contre les lèvres de Maël, douces comme du coton. Ses bras m'enserrent dans une étreinte rapide mais protectrice et pendant une seconde, j'oublie tous les problèmes des derniers jours.

— Je meurs de faim, annoncé-je tandis qu'il retire son casque pour le laisser sur son scooter.

— Ah bon ? Tu n'as pas déjeuné dehors ce matin, pourtant ?

Honteuse, je sens mes joues commencer à me brûler. C'est vrai, j'ai pris des pancakes au Starbucks tel un cliché ambulant ; mais comment peut-il le savoir, au juste ?

— Hé, j'ai juste vu ta story sur Instagram, c'est tout, répond-t-il en voyant mon trouble. Ça avait l'air bon, ce que t'as pris.

Sur ce, il entoure mes épaules de son bras et m'embrasse sur la tempe en nous dirigeant vers le restaurant. Le fait qu'il change de sujet m'arrange tellement que je ne reparle pas une seule fois de mon petit-déjeuner et profite simplement de sa présence.

Une fois assis l'un en face de l'autre à table, nous commandons chacun notre tour – une salade césar pour moi et des pâtes carbonara pour lui – et parlons de tout et de rien.

— La vidéo de Lou fait le buzz, m'apprend-t-il soudain entre deux bouchées de pâtes.

— Celle où elle se fait tatouer ?

— Oui, celle où tu es dedans, répond-t-il avec un sourire, ayant bien compris le réel sens de ma question.

J'esquisse un sourire à mon tour, touchée de sa compréhension. Mine de rien, on dirait qu'on commence à se connaître de mieux en mieux tous les deux.

— En tout cas, j'ai vu qu'elle avait battu son record de likes. J'espère qu'elle t'a dit merci.

Je ne réponds pas, concentrée sur ma salade. Je ne lui dis pas mais la vérité c'est que depuis que la vidéo est sortie, c'est silence radio du côté de Lou. Je lui ai envoyé un message pour lui proposer de venir se balader avec moi un de ces jours, mais il est resté sans réponse. J'essaie de ne pas y penser, mais j'avoue que ça me fait mal malgré tout.

— D'ailleurs, reprend Maël en changeant du sujet, tu as vu que Nike commençait à conclure des partenariats avec de nouveaux créateurs de contenus français ? Sérieux, moi qui adore les sneakers, c'est mon rêve qu'il me contactent.

J'embraye volontiers sur cette nouvelle conversation, tout sourire. Le reste du repas se passe sans accroc et à la fin, il insiste même pour payer pour moi malgré mes protestations. Puis, après un beau tour de scooter dans le quartier, Maël me dépose en bas de chez-moi vers dix-huit heures.

— C'était génial aujourd'hui, lui dis-je une fois retournée sur la terre ferme.

Celui-ci me sourit, son nez tout proche du mien.

— Pour moi aussi. Tu sais... je suis vraiment content que Lou nous ai présentés ce soir-là. Je sais que ça ne fait pas longtemps qu'on se connaît, mais tu comptes beaucoup pour moi.

Dans ma poitrine, je sens mon idiot de cœur s'emballer.

Ça ne peut signifier qu'une seule chose : il va falloir que je commence à faire attention si je ne veux pas me mettre dans de beaux draps.

— C'est réciproque.

Maël me sourit et j'ai à peine le temps d'admirer ses fossettes que sa bouche est sur la mienne. Je profite de sa chaleur et me presse contre lui, approfondissant le baiser.

— Tu devrais t'arrêter là si tu ne veux pas que je m'invite chez-toi, murmure-t-il, son souffle s'échouant sur ma joue.

Je ne réponds rien, me contentant de sourire de plus belle. Je me sens bien, belle, rassurée et aimée – et dieu sait que cela faisait longtemps que je ne m'étais pas sentie ainsi. Après tout, pourquoi ne le ferais-je pas monter ?

Au moment où je m'apprête à le lui proposer, Maël se recule. Il fronce alors les sourcils, les yeux fixés sur un point derrière moi.

— Euh, c'est normal que quelqu'un nous fixe là-haut ?

Mon cœur tressaute et je manque de me dévisser le cou tant je me retourne vite. En un coup d'œil, je croise le regard d'Adèle, qui se tient à la fenêtre de sa chambre au troisième étage. Dès qu'elle remarque que je l'ai vue, elle referme son rideau d'un coup sec.

— C'est ma coloc', répliqué-je d'un ton sec. Je vais m'en occuper.

À la mention de ce détail, Maël s'adoucit légèrement et ramène une mèche de mes cheveux derrière mon oreille dans un geste tendre.

— Ah, OK. On se voit demain ?

J'acquiesce et après un dernier baiser, je m'engouffre dans l'immeuble. Une fois arrivée à l'appartement, je claque bruyamment la porte derrière moi pour être sûre que ma présence soit remarquée. D'ailleurs, mon stratagème fonctionne à merveille : le temps que je dépose ma veste, Adèle a déjà rejoint le salon et se tortille les mains dans un coin de la pièce, visiblement gênée.

— Salut, dit-elle d'une petite voix.

— Salut. Tu m'espionnais ?

Je sais, je vais droit au but ; mais pour ma défense, je suis toujours très inconfortable avec cette situation et je n'avais absolument pas prévu qu'une fille de seize ans vienne vivre ici avec moi – sans parler de son gosse. Du coup, me sentir épiée et jugée alors que je suis censée être chez-moi me donne sérieusement des envies de meurtre.

— Non, non, je... bégaie-t-elle. Je jetais un coup d'œil dehors par hasard et je t'ai vue avec lui, c'est tout.

Je fais le tour du bar pour aller me laver les mains, roulant des yeux.

— « Par hasard ». Mais bien sûr.

Adèle marque une petite pause, puis finit par lâcher dans mon dos :

— Oh, et puis mince : oui, OK, je t'espionnais. Je savais que je t'avais déjà vue quelque part et c'est quand j'ai vu l'un de tes TikTok passer dans mes « pour toi » ce matin que j'ai capté qui tu étais. Et ce type aussi, je l'avais déjà vu... Alors oui, quand je vous ai vus ensemble, j'ai eu envie de savoir ce qui se tramait. Désolée.

Je m'essuie les mains sur un torchon et le serre entre mes doigts plus que nécessaire, tendue. Toujours de dos, je ne peux m'empêcher de lui répondre froidement :

— Ma vie n'est pas une télé-réalité.

Ça a le don de lui couper le sifflet.

— Je sais, c'est juste... Ça fait drôle de vivre avec une influenceuse, et encore plus de savoir qu'elle sort avec un autre influenceur alors que personne ne le sait.

Je laisse échapper un sourire avant de me tourner vers elle. Chaque fois que j'ai croisé Adèle ces derniers jours, elle avait Louis, son fils de sept mois, dans les bras. Aussi, je n'ai pu m'empêcher de la voir comme une figure maternelle, mature et indépendante.

Mais à cet instant, je me rappelle soudain qu'elle n'a que seize ans... et que pour elle, je suis un genre de star.

Si elle savait, pensé-je.

— Tu peux garder ça pour toi, s'il te plaît ? lui demandai-je. On se fréquente depuis peu et je n'ai pas envie que ça se sache pour l'instant.

Adèle passe une mèche de cheveux derrière son oreille avant de hocher vigoureusement la tête, tout sourire. Visiblement, la mission que je lui ai confié a l'air de lui plaire.

Sur ce, je lui souris et la dépasse pour rejoindre ma chambre. J'ai la main sur la poignée lorsque je l'entends s'exclamer joyeusement :

— Alors je vis avec deux célébrités, maintenant. Sérieusement, avec la chance que j'ai, je devrais jouer au loto !

Et avant même que je n'ai le temps de lui demander de quoi elle parle, Adèle a disparu.

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