4 | overshocked

CLÉO

21:14

— Louis s'est endormi, enfin, m'annonce Adèle en débarquant dans le salon.

Elle se laisse aussitôt tomber sur le canapé, l'air épuisé. Si je ne l'étais pas au moins autant qu'elle, je crois que je la réconforterais.

Mais là tout de suite, je n'en ai malheureusement pas la force.

— Je rêve d'être à sa place, au chaud dans mon lit, avoué-je, la tête rejetée en arrière contre les coussins.

Il y a un léger silence, puis Adèle finit par dire d'une voix mi-effrayée, mi-dégoûtée :

— Il est seulement vingt-et-une heures et on est crevés... Tu sais ce que ça veut dire ? On devient des adultes.

Je ricane, les paupières closes.

— Rassure-toi : t'y es pas encore, toi. T'as pas des devoirs à faire, d'ailleurs ?

Adèle me lance un regard noir, visiblement agacée que je le lui rappelle. Puis, elle se lève péniblement du canapé avant d'annoncer d'une voix lasse :

— Bon, je vais me doucher. Et quand je ressors, je fais mes exercices de maths.

Je lui lance un sourire insolent.

Good girl.

Celle-ci me fusille du regard avant de disparaître dans le couloir, traînant des pieds jusqu'à la salle de bains.

Nous avons emménagé cette après-midi, d'où le fait que nous soyons épuisés. Une fois le dernier carton monté, j'ai eu la bonne surprise de voir qu'Adèle avait déjà commencé à éparpiller ses affaires dans sa chambre. Je me suis aussitôt senti rassuré : si elle était aussi pressée de décorer sa chambre, c'est qu'elle se sent bien ici – et il n'y a rien qui me fasse plus plaisir.

Épuisé, je garde les paupières closes en détendant mes muscles contre les coussins. Le bruit de l'eau qui coule dans la salle de bains quelques mètres plus loin est tellement relaxant que si je m'écoutais, je m'endormirais tout de suite sur ce foutu canapé.

Mais au moment où je commence sérieusement à envisager cette idée, j'entends un gros bruit retentir derrière la porte d'entrée. Surpris, j'ouvre les yeux et reste en alerte.

Très vite, de nouveaux bruits suivent et soudain, je vois la poignée s'abaisser plusieurs fois. Les sourcils froncés, je me lève d'un bond et fonce jusqu'à la porte d'entrée, que j'ouvre à la volée après avoir détaché la chaînette.

Quelle n'est pas ma surprise de tomber face à Esther, ma très charmante nouvelle voisine... qui me toise d'ailleurs avec de grands yeux, la bouche grande ouverte.

— Euh, salut, répliqué-je, surpris de la voir là. Il est un peu tard par contre, qu'est-ce que vous voul...

— Qu'est-ce que tu fous là ? me coupe-t-elle brutalement.

Ah bah d'accord.

Visiblement, elle a décidé d'envoyer à la fois le vouvoiement – et la politesse – au diable. Je peux comprendre qu'elle soit plus familière si elle est à l'aise avec ça mais en revanche, pourquoi est-elle si agressive ?

— Ben, je suis chez-moi, réponds-je, refroidi, en fronçant les sourcils.

La blonde me fixe un instant et soudain, sans que je n'y attende, éclate d'un rire bruyant. Celui-ci est cristallin et ricoche contre les murs, se répercutant dans le couloir.

— OK, je vois, rétorque-t-elle. C'est une caméra cachée, c'est ça ? Nickel, ma réaction a dû être hilarante à voir, bravo les gars, bon boulot.

Je la fixe sans comprendre, me demandant sérieusement quel genre de pet au casque elle a.

— Euh, est-ce que tout va bien ? questionnai-je, inquiet.

Celle-ci me dévisage à son tour. Le souci, c'est qu'elle semble se demander la même chose que moi.

— J'ai compris la blague, OK, on peut passer à autre chose. Je peux entrer, maintenant ? J'ai eu une longue journée.

Sur ce, elle me pousse légèrement contre la porte et me dépasse d'un coup d'épaule, pénétrant dans mon salon comme on entrerait dans un moulin.

— Attends mais c'est quoi, ce délire ? Qu'est-ce que tu fais, là ?! m'exclamai-je, profondément surpris.

Esther s'arrête devant la table basse. Elle attrape alors le Trendy Magazine qui traîne dessus et le brandit en l'air, parlant à je-ne-sais-qui en regardant aux quatre coins de la pièce :

— Par contre ramassez vos merdes, merci. Mon appart' était très bien rangé jusque-là, je ne veux pas foutre en l'air mes efforts de fée du logis.

— Tout foutre en... répété-je doucement. Mais c'est quoi ce bordel, merde ? Je peux savoir à quoi tu joues ?!

La blonde fait alors volte-face dans ma direction, les bras croisés sur sa poitrine par-dessus sa marinière en laine. Ses yeux couleur chocolat sont plissés et elle me fixe avec un tel dédain que dans une autre situation, j'aurais presque pu en rire.

— Toi, à quoi tu joues ? rétorque-t-elle. T'es quoi, au juste ? Acteur ? Journaliste ? YouTubeur ? Ou alors tu fais des pranks sur Twitch ?

Je la fixe sans même cligner des yeux, tout simplement interloqué. Sérieusement, la situation est complètement surréaliste.

— Je ne comprends rien du tout, finis-je par répondre en secouant la tête. En revanche, j'aimerais bien savoir ce que tu fais dans mon appartement.

— Dans mon appartement, me corrige-t-elle.

Je la fixe un instant, m'attendant à l'entendre éclater de rire comme tout à l'heure...

... mais non. Elle reste sérieuse et me regarde en tapant du pied, les traits tendus.

Quelle vaste blague.

— Euh, non, rétorqué-je. Dans mon appartement.

— Non, mon appartement.

— Mais enfin, non : mon appartement !

— Hein ?

Nous nous regardons en chien de faïence, semblant soudain aussi paumés l'un que l'autre.

— Je ne comprends pas, tu n'habites pas quelque part sur le palier ? questionnai-je.

— Mais j'habite ici, répond-t-elle en insistant sur le dernier mot. Il y a toutes mes affaires dans ma chambre ; enfin merde, quoi !

Sonné, je cligne des yeux plusieurs fois.

— Quoi ? Mais comment ça ?

Esther roule des yeux, l'air profondément agacée. Il n'y a plus aucune trace d'un quelconque rire sur son visage quand elle rétorque, décidée :

— T'as qu'à venir voir.

Sans un mot de plus, elle s'engage dans le couloir. Choqué, je mets quelques secondes à réagir en m'exclamant :

— Eh mais tu vas où comme ça ?!

Le temps que je la rejoigne, elle est déjà dans la chambre... et a allumé la lumière. Aussitôt, Louis se met à pleurer, me vrillant littéralement les tympans.

— Merde, putain, chut, chut, tout va bien... murmuré-je en faisant le tour du lit pour aller rejoindre le berceau.

Je récupère le petit, le berçant contre moi. Dans l'entrée de la chambre, Esther me regarde faire avec les yeux ronds comme des soucoupes.

— Mais... mais... qu'est-ce que... bégaie-t-elle. Pourquoi est-ce qu'il y a un bébé dans ma chambre ?

Je cale ma main derrière la tête de Louis en la fusillant du regard.

— Attends mais tu parles de cette pièce, là ? Sérieusement, t'es complètement timbrée. C'est la chambre de ma sœur ici, va te faire soigner.

La blonde semble complètement sous le choc. Elle me regarde essayer de calmer Louis en regardant chaque recoin de la pièce, les doigts serrés autour de la bretelle de son totebag comme si sa vie en dépendait.

— Mais ce sont mes affaires partout ! s'exclame-t-elle soudain, comme à bout de nerfs. La housse de couette, le tourne-disque, les affiches, je... tout est à moi ! Comment est-ce que ça pourrait être la chambre de ta sœur, à la fin ?!

Je regarde autour de moi, perplexe. Il est vrai que je n'avais pas fait attention à ces détails jusque-là tant j'étais épuisé par le déménagement, mais je ne me rappelle effectivement pas avoir vu ces affaires dans l'ancienne chambre d'Adèle.

Mais alors, comment est-ce possible que tout ce bordel se soit retrouvé ici ?

— Oh mon dieu, lâche-t-elle soudain. Je crois que... Je crois...

— Quoi ?! répliqué-je sèchement, à bout de patience. Tu crois que quoi ?

Alors, doucement, Esther laisse tomber ses bras le long de son corps avant de me répondre simplement :

— Je crois qu'on vit tous les deux ici.

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