30 | overcommitted
ESTHER
22:41
Inspire, expire.
Inspire, expire.
Inspire, expire, tout va bien aller.
J'essuie une larme, la dernière de la soirée pour moi – je me le suis promis il y a quelques minutes. Dans le rétroviseur intérieur, le chauffeur de taxi me lance un drôle de regard. J'imagine qu'à lui aussi, je lui fais pitié.
Les doigts tremblants, je sors mon poudrier de mon sac à main et rectifie mon teint à l'aide du petit miroir. Je suis habituée à me préparer en voiture pour les shootings mais cette fois, l'émotion m'empêche de me concentrer.
Je ne pensais pas que Cléo était du genre à me balancer mes quatre vérités au visage pendant une dispute. J'imaginais plutôt qu'il serait de ceux qui boudent en silence, qui restent dans leur coin et qu'on amadoue avec des bisous pour tenter de se réconcilier. C'est d'ailleurs pour ça que je suis rentrée plus tôt de la soirée ; je pensais le rejoindre au lit et profiter de passer un moment avec lui pour discuter de tout ça avant que les filles n'arrivent. J'ai prétendu avoir la nausée pour m'éclipser et ai laissé Miranda et Adèle près de la machine à barbe à papa avant de m'éloigner.
Seulement, je n'avais pas prévu qu'il me recevrait de cette façon. Quand il s'est énervé, je l'ai trouvé gamin et puéril de réagir ainsi. En revanche, maintenant que plusieurs dizaines de minutes se sont écoulées, je commence surtout à culpabiliser.
Cléo a raison... sur à peu près tout, en fait. J'aurais dû lui parler de ma rencontre avec Maël et même lui proposer de m'accompagner à cette fête. Je pensais que je ne le faisais pas car je ne voulais pas qu'il s'ennuie mais en réalité, ce n'était qu'un prétexte. La vérité, c'est que je ne voulais pas qu'il vienne pour que je puisse avoir le champ libre avec Maël.
Attention, je n'ai rien tenté avec lui et n'aurais jamais rien tenté avec lui ; mais je crois que j'avais besoin d'une soirée pour le regarder de loin. Je l'ai aimé et même si cet amour s'effrite de jour en jour, j'avais envie de voir par moi-même s'il était réellement en train de devenir cette nouvelle version qu'il m'a exposé l'autre jour.
Tandis que le chauffeur se gare de nouveau devant le lieu de la soirée, je le remercie et lui tends un billet. Quand il le récupère, il me lance, pince-sans-rire :
— Vous allez me rappeler d'ici trente minutes ou je peux m'en aller pour de bon, cette fois ?
Les joues brûlantes de honte, je secoue la tête.
— Non. Cette fois, je reste.
Sur ce, je quitte la voiture et claque la portière. Je ne savais pas quoi faire à part revenir ici et rejoindre Miranda et Adèle. Aller me coucher n'était même pas une option et j'avais des larmes à laisser couler bruyamment mais la salle de bains est trop proche de la chambre de Cléo. Au moins, là, j'ai pu tout évacuer.
En fait, j'ai même tellement évacué que mon ventre se tord de douleur à l'idée d'avoir peut-être perdu Cléo. Je n'aurais jamais cru m'attacher autant à notre relation, à notre routine, à notre complicité. Depuis des semaines, j'attendais tous les jours le moment où j'allais enfin le retrouver.
Le cœur retourné, je compose son numéro et porte le combiné à mon oreille tout en m'approchant de la porte d'entrée. Cela sonne dans le vide, jusqu'à ce que je tombe sur sa messagerie. Comme je m'y attendais, il ne m'a pas répondu.
Je n'aurais pas cru que ça me blesserait autant.
— Salut, euh, c'est Esther, balbutié-je dans le téléphone lorsque je peux enfin laisser un message. Je me doute que tu n'as pas du tout envie de me parler en ce moment et, euh, je...
Je marque une petite pause, les larmes pointant de nouveau au coin de mes yeux.
— ... Je suis désolée pour ce que j'ai dit et fait, reprends-je après une grande inspiration. J'ai été conne et méchante et je veux que tu saches que ça n'a jamais été mon intention de te faire de la peine ou de te mettre à l'écart. Je ne suis plus amoureuse de Maël et je sais que tu ne comprends pas que je puisse garder tout de même une certaine affection pour lui, mais je ne peux juste pas m'empêcher de m'inquiéter pour lui. En revanche, ça ne veut pas dire que je ne tiens pas à toi... Au contraire.
Je m'interromps, la gorge sèche. Mon cœur me hurle de lui dire ce que je ressens mais ma tête le supplie de ne pas le faire pour se protéger.
Fonce, me souffle alors une voix dans ma tête. Fonce pour ne rien regretter.
Alors, je prends une grande inspiration et rétorque finalement :
— On n'a jamais parlé de nous deux, de ce qu'on ressentait l'un pour l'autre ou quoi que ce soit d'autre à ce sujet mais, euh, je pense que tu dois savoir ce que je pense. Le truc, c'est que... Voilà : je t'apprécie réellement. J'aime des tas de choses chez-toi ; en faire la liste serait un peu long et très embarrassant pour moi et je veux éviter de rendre la situation encore plus gênante qu'elle ne l'est déjà alors je vais me taire, mais sache que l'intention est là. Et, euh... J'en sais rien... Je me sens bien avec toi. Je me sens un peu... À la maison.
Je reprends mon souffle, fixant les projections de lumières que ma robe à sequins projette sur le trottoir à cause des réverbères. Le mouvement me calme pendant quelques secondes, apaisant. Ça me fait le même effet qu'une vague qui se retire sur la plage.
— En tout cas, je m'excuse, dis-je finalement. Pardon si je t'ai fait de la peine, et pardon d'avoir dit des choses blessantes.
Je marque une pause, puis ne peut m'empêcher d'ajouter :
— J'espère que tu ne pensais pas non plus tout ce que tu m'as dit.
S'il y a bien une personne sur Terre que je n'aurais jamais voulu entendre me dire que je suis superficielle, c'est bien Cléo. Rien que l'idée qu'il puisse réellement avoir cette opinion de moi me brise le cœur.
— Voilà, bon, euh... Je te laisse. Bonne nuit.
Sur ce, je raccroche et range mon téléphone dans mon sac à main, les doigts tremblants. Bon sang, j'ai besoin d'un verre.
À peine revenue dans le lieu de la fête, je fonce vers le bar et commande un gin tonic dont je bois la moitié en deux gorgées. Puis, je cherche Adèle et Miranda des yeux. Je les retrouve en dix secondes top chrono – c'est l'avantage d'avoir une meilleure amie aux cheveux à moitié roses.
— Esther ! s'exclame Adèle avec de grands yeux en me voyant approcher. Tu es revenue !
J'acquiesce tandis qu'elle me presse rapidement l'épaule.
— Tu te sens mieux ? demande Miranda.
Je croise son regard. Avant même de répondre, je sais déjà qu'elle a deviné que quelque chose ne tourne pas rond pour moi.
— Oui, ça va.
— Dans ce cas, faut qu'on te raconte ce qu'on vient de vivre, enchaîne Adèle d'un ton excité. On était en train de parler à une fille – t'as vu, on fait des efforts pour sociabiliser ! – quand elle nous a appris un truc de fou sur le type là-bas.
Je suis son regard et aperçoit un brun habillé tout en blanc des pieds à la tête. Il me semble qu'il s'appelle Jules, on s'est déjà croisés plusieurs fois. Je crois même qu'il avait fait un faux-couple avec une autre de nos collègues pour relancer un peu sa carrière il y a quelques mois.
— Quoi ? demandé-je.
Miranda croise les bras sur sa poitrine d'un ton dégoûté.
— Apparemment, il a adopté un chiot. Il a fait des tas de photos avec, a filmé ses premiers jappements et sa première visite chez le vétérinaire... avant d'aller le rendre à la SPA. Tout ça pour les vues.
J'entrouvre la bouche sous le coup de la surprise, la nausée me montant à la gorge.
— C'est répugnant, rétorqué-je.
Adèle acquiesce tandis que Miranda coule un regard dégoûté à cette pourriture. Mon cœur se serre à l'idée que plus le temps passe, plus je découvre que le milieu que j'ai choisi est moisi jusqu'à l'os.
Les vues, les likes, les commentaires : tout ça, ça détraque les gens. Chacun de nous a commencé à exposer sa vie sur les réseaux sociaux pour une raison différente, que ce soit par passion, par envie de partager, pour se faire des amis et même parfois pour recevoir de l'attention. Ceux-là ne sont pas forcément méchants... Ils sont juste prêts à tout pour être aimés, prêts à tout pour qu'on les regarde. Ils ne supportent pas que la lumière soit braquée sur quelqu'un d'autre et aiment tant qu'on parle d'eux qu'ils se fichent que ce soit pour quelque chose de positif.
Et ensuite, il y a ceux qui sont réellement mauvais. C'est comme partout, certaines personnes ont sincèrement un mauvais fond... Le souci c'est que dans le milieu de l'influence, cela n'a pas d'impact que sur eux ou sur un cercle restreint de personnes. Le monde entier a accès à ce qu'ils postent et se crée une image d'eux complètement différente de la réalité. Pour moi, les pires sont ceux qui se créent un personnage et donnent l'impression d'être bien plus adorables en ligne qu'ils ne le sont en réalité.
Ces gens-là font semblant d'être intéressés par l'écologie, la cause animale ou encore le féminisme alors qu'en réalité, ils s'en foutent complètement. Ils se créent une sorte de coquille qui donne l'impression qu'ils ont une opinion et une vie saine... Alors que c'est tout le contraire.
Je sais que je suis assez mal placée pour parler. Depuis toujours, j'ai toujours fait en sorte de ne jamais être catégorisée d'influenceuse problématique, évitant les dramas à tout prix et me contentant de parler de mes passions et de mes intérêts sans aborder les vraies choses. Plus le temps passe, plus j'ai envie de parler de ce qui me tient réellement à cœur... Mais j'ai l'impression que je ne serais pas crédible. Les gens pensent tous, y compris une partie de ma communauté, que je suis cette fille blonde magnifique sans effort à la vie saine, au sourire constant et qui aime la mode, le sport, le luxe, la bonne nourriture et la skincare.
Je suis abonnée à ce genre de filles sur les réseaux sociaux, le même genre d'influenceuses que celles que je suis... Et ça ne m'aide pas. En réalité, ça me fait sentir encore plus mal et me motive peu à me prendre en main et à aller mieux. Parfois, j'ai envie que les gens sachent que moi aussi je mange gras, que j'ai souvent la flemme de faire du sport, que je n'ai pas tant d'amis qu'ils peuvent le croire et que je suis aussi démotivée, triste, inconfortable, mal à l'aise, déprimée, blessée et seule. Certains jours, je n'ai tellement pas confiance en moi que me regarder dans le miroir me donne envie de pleurer. Alors je fais comme tout le monde et je mange de la glace, je dors trop, je regarde la télé toute la journée, je bois des doses de limonade complètement indécentes et je pleure beaucoup.
Mais tout ce qu'ils voient, ce sont les jours où je me maquille pour cacher ce que je n'aime pas, que j'enfile des vêtements stylés pour prétendre que je suis confiante et me force à aller en soirée pour avoir l'air d'aller bien.
Mais si je montrais la vérité, je donnerais à tout le monde des armes pour me faire du mal et clairement, je ne suis pas assez forte pour en supporter les retombées.
— Allez venez, on va danser, propose finalement Miranda pour changer de sujet, me sortant de mes pensées par le même coup.
Entourée de mes deux acolytes un peu pompettes mais drôles à s'en fêler les côtes, j'oublie un peu tout le négatif qui flotte autour de nous. Pendant près d'une heure, nous dansons et crions les paroles des chansons commerciales qui passent et ne faisons des pauses que pour aller nous rechercher à boire.
— Esther ?
Je sursaute en entendant mon prénom, et d'autant plus lorsque je sens une main posée sur les creux de mes reins. C'est Maël, qui profite visiblement de la semi-obscurité de la pièce pour se croire tout permis.
— Quoi ?! lâché-je d'un ton semi-agressif en me reculant.
Sa main retombe le long de son corps et son sourire se trouble un instant. Puis, comme toujours, il finit par reprendre contenance et hoche la tête.
Il a l'air un peu plus détendu qu'en début de soirée ; quand nous sommes arrivées, ils nous a saluées en une minute chrono avec les filles avant de se remettre à courir partout. Maintenant, il est légèrement décoiffé et a ouvert un bouton de plus à sa chemise. Mon cœur se serre quand je crois reconnaître celle qu'il portait à New York le soir où il m'a surpris dans ma chambre d'hôtel.
Ce moment me paraît à la fois si proche... Et à la fois, j'ai l'impression que ça fait une éternité.
— Je voudrais te montrer quelque chose, demande-t-il alors. Tu viens ?
J'ouvre la bouche pour répondre quand Miranda intervient sans prévenir :
— Si tu veux l'emmener avec toi pour fumer je-sais-pas-quoi, c'est non.
Son ton est calme, bien qu'il soit sans appel. Miranda est la seule personne que je connaisse qui arrive faire passer toute son agressivité uniquement via ses yeux noirs sans même hausser la voix. Elle sera une mère terrifiante.
— Non, rétorque Maël en plissant les yeux, sur la défensive. J'ai une surprise pour elle.
Miranda arque un sourcil, ne regardant que moi. Clairement, elle me demande si je souhaite qu'elle m'empêche d'y aller ou non.
— Vas-y, on t'attend ici, intervient alors Adèle à son tour.
J'en profite pour acquiescer et suis Maël hors de la piste. Quand je me retourne un quart de seconde pour voir où sont les filles je croise le regard de Miranda, toujours fixé sur moi. Bizarrement, savoir qu'elle nous surveille – même de loin – me rassure un peu.
Après avoir ouvert l'une des portes fermées à l'aide d'un badge à son nom, Maël et moi nous retrouvons dans une sorte de placard destiné au stockage. Visiblement, la marque y a laissé toutes les paires blanches en rab' prêtes à être personnalisées pour les convives.
— Qu'est-ce qu'on fait là ? demandai-je alors.
En face de moi, Maël se penche et fouille dans ses poches. Dès qu'il a trouvé ce qu'il cherche, il répond doucement :
— Je voulais te faire un cadeau.... En privé. Tiens, c'est pour toi.
Sur ce, il me tend un petit sachet en velours noir. Celui-ci est tellement petit qu'aussitôt, je me fais des idées et ouvre de grands yeux.
Non, il n'a quand même pas osé... ?!
— Ce n'est pas une bague, rétorque-t-il aussitôt pour que j'arrête de me faire des scénarios d'horreur.
— Qu'est-ce que c'est, alors ?
— Ouvre-le, tu verras bien.
Nos regards se croisent pendant une seconde, froissant mon cœur. Il a les yeux pleins de douceur, comme les premières fois où il m'a regardée. Ça me fait drôle de revoir ces yeux-là.
Alors, délicatement, j'ouvre le sachet et laisse tomber dans ma paume ce qu'il contient. Quand je comprends ce que c'est, j'ouvre grand la bouche et m'exclame :
— Non, tu n'as pas...
— Ce sont les clés d'un scooter, pas d'une voiture, répond-t-il alors. Je sais qu'on ne pourra plus faire de balades ensemble alors j'ai pensé que tu aimerais peut-être continuer ça toute seule. Je sais que tu adorais la sensation.
Sonnée, je fixe le trousseau de clé laissé dans le creux de ma main. Il n'y a que la clé du prétendu scooter mais aucun porte-clé ou élément de personnalisation. Elles sont vides.
Un peu comme moi.
— Mais... T'es malade, je... Non, je ne peux pas, rétorqué-je alors en lui tendant les clés.
Maël se recule en secouant les mains, refusant de les récupérer.
— S'il te plaît, Esther. Je t'ai vraiment aimée, et j'ai envie que tu te souviennes de moi.
Je baisse les yeux, émue. Je n'aurais jamais cru le ré-entendre un jour aussi vulnérable.
— Pour ça, pas besoin de scooter...
J'ai assez de traumas comme ça, ai-je envie d'ajouter. Cependant, je me retiens de terminer cette phrase. Même s'il m'a fait énormément de mal, je vois qu'il essaie sincèrement de faire des efforts et je ne pense pas que lui lancer des piques améliorerait la situation.
— Il est rose et garé juste derrière la salle. Si tu appuies sur la clé les phares s'allumeront et tu le verras tout de suite.
Je secoue la tête, n'en revenant toujours pas.
— Non, non, Maël... J'ai eu le permis il y a des années et je n'ai jamais conduit de scooter, et même, je ne sais même plus comment...
— Justement, c'est l'occasion de te remettre en selle, me coupe-t-il. Accepte, s'il te plaît.
Je fixe les clés, hésitante. Il a l'air de faire ça en toute bonne foi mais bizarrement, j'ai un mauvais pressentiment. J'ai l'impression que cela cache un mauvais coup.
Dès que j'ai cette pensée, je m'en veux aussitôt. Ça ne me ressemble pas de me méfier comme ça, même si c'est Maël. J'ai envie de croire qu'il reste encore des parts d'honnêteté chez-lui et qu'il m'offre véritablement ce cadeau pour me faire plaisir – et qu'il n'attend rien en retour.
Doucement, Maël attrape alors ma main libre et me regarde droit dans les yeux avant de me dire doucement :
— Je sais que tu ne veux pas entendre ça, mais je vais mourir si je ne te le dis pas. Tu es la femme de ma vie, Esther.
Bouche-bée, j'entrouvre les lèvres pour lui répondre mais aucun son ne sort de ma bouche. Je suis complètement et littéralement soufflée.
Combien de fois ai-je ai espéré qu'il me dise ça ? Combien de fois ai-je espéré qu'il me montre à quel point il tient à moi, à quel point il est désolé d'être blessant parfois, à quel point il veut réellement changer ?
Des milliers de fois. Peut-être même des millions.
Mais aujourd'hui... tout est différent.
Ça ne compte plus.
C'est ce que je m'apprête à lui répondre quand la porte derrière nous s'ouvre à la volée. Surprise par la lumière, je fais volte-face et mon cœur rate un battement quand j'aperçois la silhouette qui se tient dans l'encadrement de la porte.
— Toi ! hurle une voix féminine, toujours légèrement cassée, en pointant Maël d'un index accusateur.
Surprise, je me fige en reconnaissant Lou. Je ne l'avais pas vue depuis des semaines, peut-être même des mois. Elle est encore plus fine que lorsque nous nous sommes rencontrées mais comme d'habitude, elle est resplendissante. Elle a plaqué ses longs cheveux bruns en un chignon impeccable et enfilé une robe de créateur noire avec un immense nœud rose qui masque sa poitrine nue. C'est une vraie poupée – ou à la limite, une mannequin tout droit sortie d'un magazine. Dans les deux cas, elle est divine.
— Tu m'as dit que tout était fini entre vous ! crie-t-elle à pleins poumons.
Ses yeux sont emplis de larmes. C'est la première fois que je la vois exprimer une telle émotion ; d'habitude, c'est une actrice hors pair qui ne laisse jamais rien transparaître derrière son sourire de séductrice.
Complètement paumée, je me tourne vers Maël. Celui-ci la regarde avec de grands yeux épouvantés comme si son pire cauchemar était en train d'arriver.
— Et dire que je t'ai fait confiance ! Je t'ai parlé de moi, de mes exs et même de mon père ! crie Lou entre deux sanglots qu'elle retient désespérément au fond de sa gorge.
— Lou, ce n'est pas ce que tu crois, j'étais juste... balbutie Maël.
Alors, avec cette phrase à la fois clichée et idiote, je comprends. Je comprends que Maël et Lou sont plus ou moins ensemble – ou du moins, qu'ils entretiennent une relation plus qu'amicale – et que cette ordure joue non seulement avec elle mais aussi avec moi.
— Alors vous êtes ensemble ? lâché-je, encore sonnée par le choc.
Maël me lance cette fois-ci un regard plein de détresse. Fini l'affection ; là, il a l'air plus décontenancé que jamais.
— Oui ! rétorque Lou, le cœur visiblement blessé. Hier soir encore il m'a dit qu'il m'aimait et avant que la fête commence, il a carrément osé me dire que j'étais la « femme de sa vie » !
Oh.
Ça devrait me faire mal, mais ce n'est pas le cas. En réalité, je suis trop en colère pour souffrir pour l'instant. La rage m'anesthésie et j'ai l'impression que si je m'écoutais, je pourrais foutre le feu à tout le bâtiment.
Il n'a pas changé. C'est toujours le roi des connards et je me déteste d'avoir cru ne serait-ce qu'une seule seconde qu'il y avait encore quelque chose à sauver en lui.
— Il vient de me dire ça à l'instant aussi, lâché-je alors dans un murmure.
— Attendez, les filles, c'est pas... commence Maël, ne sachant visiblement plus où se foutre.
— Tais-toi ! hurle Lou. Malgré tout ce que je sais sur toi je t'ai quand même laissé une chance et voilà comment tu me remercies ?! Tu mériterais que j'éteigne ta carrière espèce de fils de pute !
Son agressivité est saisissante, tellement que Maël recule d'un pas – à croire qu'il a peur que le conflit devienne physique. Personnellement, ça ne me déplairait pas – je rêve de lui en coller une.
Mais la pire, c'est Lou : enragée, elle semble désormais incontrôlable. Les larmes dégoulinent maintenant sur ses joues lorsqu'elle se tourne vers moi en s'écriant :
— C'est lui qui a balancé au compte de gossips que vous étiez ensemble ! Il m'a demandé de vous prendre en photo dans la rue et ensuite, il a créé un faux compte pour les envoyer !
Je manque de trébucher sous la surprise. Alors ça, je ne l'avais pas vu venir.
— C'est vrai ? lâché-je en direction de Maël.
Celui-ci a les yeux brillants de larmes. Il ne devrait même pas avoir le droit d'être triste ; tout ça, c'est de sa faute.
Il me dégoûte.
— Notre relation se serait sue de toute façon, finit-il par dire en baissant les yeux.
Sonnée, j'enfonce mes ongles dans l'étagère la plus proche pour éviter de m'effondrer. Je me mords la lèvre si violemment que le goût métallique du sang apparaît soudain sur ma langue, manquant de me faire pousser un cri de douleur.
Maël est un menteur et un traître, et il m'a utilisée. Pas besoin d'être un génie pour comprendre qu'il a envoyé ces photos à ce compte idiot pour booster sa carrière. Bêtement, je repense alors à une discussion que nous avions eu en rentrant d'une soirée après avoir entendu parler d'une histoire de faux-couple dans nos collègues relativement proches.
« — Écoute-moi bien Esther, rétorque-t-il en emprisonnant mon menton entre ses doigts. Si je voulais me servir de toi j'aurais insisté pour qu'on affiche notre couple dès le début, non ?
— Touché.
Nous échangeons un petit sourire, puis il reprend son air sérieux et ajoute :
— Tu m'intéresses vraiment, tu sais. Ton nombre d'abonnés, j'en ai strictement rien à foutre. Qu'ils soient un million ou cent-vingt mille, ça ne changera jamais rien pour moi. »
Bon sang, comment ai-je pu être aussi bête...
— Tu me dégoûtes, lâché-je alors froidement en direction de Maël. Va au diable.
Sans un mot de plus, je tourne les talons et quitte le cagibi. J'ai le cerveau complètement embrouillé quand je traverse la salle jusqu'au balcon, où j'emprunte les escaliers de secours pour monter jusqu'au toit. Étourdie par mon sprint, je n'entends pas tout de suite des pas résonner derrière moi sur les marches de métal.
Quand j'arrive enfin près de la rambarde, j'entends la voix de Lou demander dans mon dos :
— Tu l'aimes toujours ?
Je lui jette un regard en coin. Elle a le visage baigné de larmes et a l'air complètement détruite. On dirait moi il y a plusieurs semaines, quand Maël et moi nous sommes séparés.
— Je croyais encore avoir un reste d'affection pour lui mais après ce soir, il est clair que tout est fini, réponds-je froidement. Ce mec est un monstre.
Lou se met à renifler, me rejoignant près de la rambarde.
— Tu mérites mieux, lui dis-je alors, les yeux fixés sur le paysage parisien.
À côté de moi, la brune tente tant bien que mal de contrôler son flot de larmes en s'essuyant les joues du dos de la main.
— Pourquoi est-ce que tu es si gentille avec moi ? dit-elle alors entre deux crises de larmes. Je suis sortie avec ton ex à peine quelques semaines après votre séparation, tu devrais me détester.
Je fixe la vue en silence, le cœur froissé.
La vérité, c'est que je n'en veux pas à Lou. Plus le temps passe et plus j'ai de clairvoyance sur la situation et surtout, sur Maël.
Ça me paraît évident maintenant, mais ce type est un putain de pervers narcissique.
Il trompe, manipule, insulte, blesse et se fiche des répercussions que ça peut avoir sur les autres tant que lui en sort gagnant. Il a un ego démesuré, se place constamment en victime et réclame une attention complètement hallucinante impossible à lui donner. Il agit mal puis offre des cadeaux pour se faire pardonner et les autres ne l'intéressent que lorsqu'ils ne le veulent pas. Comme avec moi ; il a senti que je lui échappais, alors il m'a acheté ce foutu scooter.
En fait, je crois que le plus gros problème de Maël n'est pas qu'il n'aime pas... Seulement qu'il ne sait pas aimer.
— C'est lui, le problème. Pas toi.
Si je pensais que ma phrase allait un peu réconforter mon interlocutrice, c'est tout le contraire. Celle-ci se met à pleurer de plus belle avant de bégayer :
— Esther, j-je suis d-désolée... Je le sais depuis le début mais je ne te l'ai pas dit, c-c'était vraiment méchant de ma part, j-je ne sais pas pourquoi je...
Elle ne termine pas sa phrase, se laissant tomber au sol. Désemparée, je ne sais pas quoi faire d'autre à part me laisser glisser près d'elle.
— Quoi, qu'est-ce que tu sais depuis le début ? Que c'est lui qui avait balancé pour notre couple ?
Lou secoue la tête de gauche à droite. Oh, alors ça, c'est mauvais signe.
— N-Non, autre chose, dit-elle en reniflant. J-je suis vraiment désolée.
Mon cœur accélère, ce qui me surprend. Je n'arrive pas à croire qu'il arrive encore à battre correctement après tout ce qu'il s'est passé ce soir.
— Il y a quelques m-mois, j'avais mis en story Instagram un sticker de q-questions destiné à ma communauté où je leur demandais de me r-raconter des anecdotes. J'ai répondu à p-plusieurs messages, puis un a attiré mon attention. C'était une fille qui se vantait d'avoir c-couché avec un influenceur connu alors qu'elle n'avait que quinze ans – et lui vingt-et-un.
Non.
Non, non, non. Pas ça. Tout mais pas ça.
— Et ? lâché-je, le cœur au bord des lèvres.
— Et... c'était Maël, répond Lou en se reprenant, cessant de balbutier. Il l'a draguée sur les réseaux sociaux et comme elle était fan de lui, elle a répondu. Finalement, ils se sont vus à Paris et ils ont couché ensemble. Il savait son âge, mais il s'en fichait. Et apparemment, il a déjà reproduit ce schéma avec plusieurs abonnées.
Waouh.
Le choc est tellement grand que j'ai l'impression de mourir sur place. Tout mon corps grésille.
Le Maël que j'ai aimé n'aurait jamais fait ça. Celui qui est venu me surprendre à New York, qui m'a parlé de sa mère et de ses traumas en pleurant, celui là n'aurait jamais fait ça.
Mais finalement, celui que je pensais connaître a-t-il vraiment existé ?
— Alors en plus d'être un menteur et un enfoiré de première assoiffé de buzz, il manipule des abonnées pour qu'elles couchent avec lui. Des abonnées mineures, qui plus est, ajouté-je, complètement écœurée.
— Oui... C'est à peu près ça.
Après ça, ni Lou ni moi ne parlons. Assises côte à côte dos à la barrière, nous fixons toutes les deux le toit complètement vide. J'ai l'impression que le temps s'étire à l'infini mais qu'en même temps, il s'écoule en un instant.
Au bout d'un moment, je me lève d'un bond. Le temps que Lou s'exclame « qu'est-ce que tu fais ?! », je suis déjà en train de vomir.
Cela dure de longues minutes. Ce que je rejette est douloureux et acide, exactement comme tout ce que je viens d'apprendre. Exactement comme tout ce que m'a laissé Maël, finalement.
Lorsque j'arrive enfin à me calmer, Lou me lance un regard inquiet. Je secoue la tête pour lui dire silencieusement que ça va et me rassieds près d'elle, ramenant mes genoux contre ma poitrine et soulevant ma robe par la même occasion. Je crois qu'on voit ma culotte mais actuellement, c'est le cadet de mes soucis.
— Est-ce que ça va ? demande alors Lou.
— Pas vraiment. Toi ?
La brune secoue la tête. Elle a les joues noircies de mascara et en a même plein les doigts, un peu comme si elle avait voulu prendre ses empreintes digitales.
— Non. J'ai l'impression de mourir.
Je laisse reposer mon front sur mes bras, toujours entourés autour de mes genoux. Puis, doucement, je lui réponds :
— Ça passera. Dans une semaine tu arrêteras de pleurer, dans un mois tu te remettras à sourire sincèrement et dans un an tu ne te souviendras même pas de lui.
Lou me lance un regard triste à en mourir.
— J'espère. Pour nous deux.
Je ne réponds pas, me contentant de prendre de grandes inspirations. Nous sommes au tout début de l'année et le froid est glacial mais bizarrement, ça me fait du bien d'être en robe. Le vent me fouette les bras et la douleur physique atténue un peu ce qu'il se passe dans ma tête.
— Qui le sait ? finis-je par demander.
Lou met quelques secondes à répondre.
— Tout le monde.
— « Tout le monde » qui ?
— ... Tout le monde. Presque tous les influenceurs plus ou moins proches de nous.
Je relève la tête.
— Alors une grosse partie de nos collègues savent que ce mec est un prédateur et personne ne fait rien ?! m'indignai-je.
— Tout le monde a peur pour sa carrière... Et d'autres sont trop égoïstes et méchantes pour en parler, comme moi.
Je détourne le regard, refusant de la regarder. Là-dessus, je ne compte certainement pas la contredire.
— Je vais détruire sa vie, murmuré-je alors.
Lou hausse les épaules.
— Il ne mérite même pas tant d'efforts.
— Je sais, mais j'ai envie de le faire. Pour moi, pour toi, et pour toutes ces pauvres filles qui ont cru que c'était normal de lui donner ce qu'il voulait sous prétexte que c'était une « star ».
Cette fois, Lou acquiesce. Doucement, je vois alors sa petite main se frayer un chemin vers moi. La brune la garde tendue en disant :
— On fait ça ensemble ?
Je fixe ses doigts, surprise. Après un léger silence, je relève les yeux sur elle et rétorque :
— Pourquoi ? On n'est même pas amies, toutes les deux. Tout ce que tu veux de moi, c'est du buzz. Et cette fois, je refuse que tu tires profit de cette situation. Ce n'est plus juste entre toi et moi, là. Il y a d'autres personnes impliquées qui ont besoin d'aide.
Lou secoue la tête, ne retirant pas sa main pour autant. Elle a de nouveau les yeux humides, signe qu'une nouvelle salve de larmes ne va pas tarder à céder.
— On est pas amies parce que je suis trop jalouse de toi pour que ça puisse fonctionner, avoue-t-elle alors.
— Toi ? Jalouse de moi ? lâché-je, sur le cul.
— Esther, je t'en prie... Tu es blonde aux yeux bleus, tu es pulpeuse comme il faut et en plus d'être belle, tu es aussi drôle, gentille et très intelligente. Les gens adorent ton contenu parce que tu leur parle comme une meilleure amie, comme une grande sœur.
— Je... Mais...
Je sais, c'est la pire réponse possible mais je suis trop surprise pour réussir à parler. Avec tout ce qu'il s'est passé ce soir, j'ai l'impression que c'est la goutte de trop.
— Je vais rentrer chez-moi, annoncé-je alors en me mettant debout tant bien que mal.
— Attends, on doit faire équipe, intervient-elle. Moi aussi je veux que Maël récolte ce qu'il a semé.
Je dépoussière légèrement ma robe et mes jambes, vidée.
— On en reparlera. Là, je veux juste tomber dans un coma profond. Ou mourir. Au choix.
Sur ce, je m'éloigne jusqu'aux escaliers. Tandis que je commence à descendre, j'entends Lou me souhaiter bonne soirée mais je ne réponds pas. Dire merci serait trop ironique, vu la situation.
Lorsque j'arrive enfin à l'étage de la fête, je tombe nez-à-nez avec Miranda au bout d'à peine deux pas. Celle-ci semble choquée de me voir et ouvre de grands yeux avant de m'écraser contre elle.
— Où tu étais ?! s'exclame-t-elle dans mon oreille. Adèle est rentrée et ça fait une demi-heure que je te cherche partout ! J'ai cru que ce connard de Maël t'avait emmenée dans une chambre, j'ai commencé à paniquer.
Sans prévenir, à la mention du nom de Maël quelque chose cède en moi. Soudain, je fonds en larmes dans les bras de Miranda qui, complètement démunie, me maintient contre elle comme elle peut.
— Eh, Esther, ça va ? murmure-t-elle en me caressant les cheveux. Qu'est-ce qu'il t'arrive ?
Je ne réponds pas, le nez enfoui dans son cou, trop éprouvée pour réussir à répondre.
— OK, on rentre à la maison, dit-elle alors. Je vais appeler un taxi, d'accord ?
Je secoue la tête de gauche à droite, me reculant légèrement.
— Quoi ? lâche Miranda. Tu as une meilleure idée ?
Alors, doucement, je prends une grande inspiration. Miranda cherche sur mon visage ce qu'il se passe et essuie mes larmes de ses pouces. Je m'en veux d'avoir rompu la promesse que je m'étais faite et d'avoir encore pleuré ce soir. Avec le recul, je n'aurais jamais dû revenir ici ; en ce moment, je devrais être dans les bras de Cléo à la maison.
Le cœur brisé, je fouille dans ma poche avant de déposer les clés encore vierges dans la main de Miranda. Celle-ci me fixe d'un air médusé, ne comprenant visiblement pas de quoi je parle.
Puis, doucement, je rétorque d'un ton calme anormalement calme :
— On rentre en scooter.
Je marque une pause, puis ajoute avec un geste nonchalant de la main :
— Ah oui, au fait : j'ai un scooter.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top