28 | overhonest
CLÉO
17:05
Mon livre est sorti.
Non, rectification : mon livre est sorti et c'est un carton.
Personne n'avait vu venir ce succès, moi y compris. J'avais tellement peur que ce deuxième tome soit un flop que je m'étais préparé mentalement à ce que toute la maison d'édition me tombe dessus et me reproche d'avoir tout fait capoter. Mais finalement, c'est tout l'inverse.
Le communiqué publié par la maison d'édition dans lequel on m'attribue enfin mes publications a complètement retourné le monde du livre. Mon nom a été en tendance sur Twitter pendant près d'une semaine et j'ai reçu des centaines de mails pour des demandes d'interviews et de participation à des articles rédigés à mon sujet. J'en ai accepté certaines, uniquement dans les groupes médias qui n'avaient jamais publié un torchon avec les mots de Tony. Ceux-là, je refuse de leur donner du crédit.
En parlant de Tony, je pense que tout le monde a compris en même temps que sa carrière est bel et bien terminée. Il me semble qu'il s'est lancé sur YouTube pour essayer de rebondir et forcément, histoire de surfer un minimum sur la tendance, il a publié plusieurs vidéos pour donner sa version de l'histoire intitulées sobrement « COMMENT MA MAISON D'ÉDITION A GÂCHÉ MA VIE » et « TONY MIRALES, L'ANGE DÉCHU » – plus kitsch et cliché, tu meurs. Ses vidéos n'ont pas dépassé les mille vues et personne n'y a prêté attention. C'est définitif : la légende Tony Mirales, le bad boy qui écrit des romans torturés, est morte est enterrée. Et sincèrement, je ne pourrais pas être plus content.
J'ai d'abord pensé que l'ignorer complètement serait le meilleur des mépris, puis j'ai repensé à ce qu'il m'avait dit il y a quelques semaines lorsque nous préparions son interview télévisée.
« M'enfin, c'est le drôle d'une doublure ; faire le sale boulot... Et se taire. ».
Alors, j'ai décidé de m'asseoir sur mes grands principes et pour une fois, de rendre la monnaie de la pièce à ceux qui le méritent. Aussi, je lui ai dédicacé un exemplaire du tome deux du Complexe de l'obscurité et l'ait fait envoyer chez-lui après avoir supplié Sylvie de me communiquer son adresse. Je paierais cher pour voir la tête qu'il fera quand il verra ce que je lui ai écrit, à savoir :
Pour Tony,
Celui qui m'a inspiré l'un des meilleurs personnages du roman (Arès, celui qui meurt à la page 4).
J'espère que tout va bien de ton côté et que tu t'habitues bien à être dans l'ombre.
Après tout, ce n'est pas compliqué ; il suffit juste de faire le sale boulot... et se taire.
Amicalement,
-C.
Oh bon sang, j'espère presque qu'il va me répondre en vidéo.
En tout cas, ce nouveau roman a été aussi l'occasion de faire un joli renouvellement dans ma vie. Grâce à cette publication, j'ai reçu des tas de coups de fils d'anciens amis, collègues et professeurs ainsi que de ma mère, qui m'a appelé pour me féliciter. Ça m'a fait drôle de l'entendre parler de mon roman, surtout en sachant qu'il était en grande partie autobiographique et basé sur son histoire avec mon père. Elle avait l'air émue et m'a fait promettre de vite revenir dans le Sud pour qu'on puisse en parler plus longuement. Elle m'a aussi remercié pour les deux exemplaires que je lui ai envoyé.
Parce que oui, j'en ai tout de même envoyé un pour mon père.
J'aurais tellement aimé qu'il comprenne tout ce qu'il se passe actuellement autour de moi. Mon cœur est brisé à l'idée qu'il ne puisse pas se rendre compte de ce que je deviens et du chemin que j'ai parcouru. Parfois, j'écris des mails à son attention où je lui raconte ce que je fais, ce qui se passe dans ma vie, comment Adèle réussit à l'école, les premiers mots de Louis – et parfois même un peu d'Esther quand je me laisse emporter.
Pour autant, je laisse toujours ces e-mails dans mes brouillons. Peut-être qu'un jour il progressera et qu'à ce moment-là, je pourrais les lui envoyer.
Peut-être.
— Cléo, tu peux venir une seconde ?!
Je sursaute en entendant la voix d'Esther retentir de la cuisine. Aussitôt, je quitte la chambre et la rejoint, la trouvant en train de fixer le plan de travail avec de grands yeux.
— Je rêve ou tu as fait... Des centaines de cookies ? lâche-t-elle alors, choquée.
J'hausse les épaules.
— Des centaines, des centaines, tu abuses tout le temps... dis-je d'un ton léger en la prenant par les hanches.
Je suis en train d'embrasser son épaule tandis qu'elle rétorque le plus sérieusement du monde :
— Il y en a cent-deux. Je les ai comptés.
Je pars d'un grand rire, amusé. Sérieusement, elle a un grain.
— Relaxe, tout n'est pas pour nous, rétorqué-je. Adam, mon ami d'enfance, vient passer la soirée ici ce soir et je compte en amener au bureau lundi. Et aussi au café, pour que je puisse consoler tous mes collègues de ma démission.
Esther fait volte-face, entourant mon cou de ses bras. Puis, elle me lance un regard sceptique en questionnant :
— Tu penses sérieusement que tu vas leur manquer ?
Je repense alors à l'air impassible de Laura, ma collègue préférée, quand je lui ai annoncé la nouvelle. Comme elle n'a rien répondu, j'ai fini par lui demander si elle m'avait bien entendu et elle a conclu simplement : « Ouais ouais, j'ai entendu. Bon débarras. »
Ça m'a fait rire, principalement parce que je sais que je vais atrocement lui manquer. Je me demande si elle va trouver un nouveau collègue à qui pourrir la vie maintenant que je serais parti. Peut-être qu'elle va se rabattre sur quelqu'un de l'association dans laquelle elle est bénévole à côté du café – qui sait ?
En tout cas, les choses commencent à aller mieux pour moi. Le ciel est bleu – enfin, la plupart du temps –, ma relation avec ma sœur s'améliore de jour en jour et tout s'est éclairé dans ma carrière. Je suis fier d'avoir pris les choses en main et d'avoir refusé de rester malheureux plus longtemps. J'ai enfin l'impression que pour la première fois, je cours partout pour une bonne raison.
Et ça, c'est ma plus belle victoire.
∞
ESTHER
12:15
— ... fin de ce haul d'hiver. On se retrouve la semaine prochaine à midi sur ma chaîne pour une nouvelle vidéo ; j'ai déjà hâte ! En attendant, prenez soin de vous.
Je m'interromps, tout sourire. Léa, ma nouvelle agente, frappe dans ses mains d'un air joyeux en s'exclamant :
— C'est dans la boîte. Waouh, sérieux, tu fais vraiment un contenu de dingue en ce moment !
Son compliment me va droit au cœur et je lui envoie un baiser dans les airs pour la remercier.
En seulement quelques semaines, j'ai l'impression que nous sommes réellement devenues proches, presque amies. À force de nous voir quasiment tous les jours pour travailler ensemble, des liens se sont créés entre nous et nous nous tirons mutuellement vers le haut. Ça me fait réellement et sincèrement du bien car j'ai enfin l'impression d'avoir une vraie collègue.
Je n'en parle jamais, mais la solitude est l'une des choses les plus difficiles à supporter dans mon métier. Tandis que tous les jeunes de mon âge suivent des études, rencontrent de nouvelles personnes, sortent en boîte de nuit et se créent des souvenirs mémorables à vie, j'ai toujours été seule. Les gens croient que ma vie est parfaite parce que je ne leur montre que ce qui m'arrange mais en vérité, ça fait des années que je me sens immensément et tristement seule.
C'est difficile d'avoir l'impression de passer à côté d'une partie de sa jeunesse. Les premiers stages, les amis de cours, les travaux de groupe, les amphis' : tout ça, je ne connaîtrais jamais. Une partie de moi est évidemment follement reconnaissante pour toutes les opportunités que j'ai, que ce soit au niveau des shooting photos qu'on prend de moi, des cadeaux qu'on me fait ou des voyages qu'on m'organise gratuitement mais au fond, je n'arrive pas à m'enlever de la tête que je loupe certaines choses.
Léa apaise un peu ce sentiment. Ça me fait drôle d'avoir cette impression d'avoir trouvé une personne qui soit à la fois ma patronne, ma collègue, ma camarade de classe et mon amie. En quelques sortes, c'est comme un pansement collé sur une plaie qui saigne encore de temps en temps. Ça ne règle pas tout, mais ça évite de tâcher mes vêtements.
— Tu peux m'envoyer les rushs dans l'après-midi ? Je vais commencer le montage ce soir, lui dis-je en me relevant du tabouret sur lequel j'étais installée.
Grâce à Léa, j'ai aussi découvert qu'il y avait un studio pour filmer dans l'agence, ce que je ne savais pas auparavant. C'est sympa de tourner une partie de mon contenu ici ; ça change un peu du décor de ma chambre.
— Pas de souci, répond Léa. On se voit demain ? J'ai des rendez-vous avec Petra Clothing pour parler de leur prochaine campagne cette aprem'. Je vais essayer de négocier pour que tu sois de la partie ; et en plus, c'est à Londres !
Étant donné que c'est sa ville d'origine, cela semble énormément exciter Léa, qui affiche un air enfantin qui me fait sourire.
Après une courte discussion à propos de son rendez-vous puis avoir un peu rangé le studio, je décide de partir de mon côté et m'engouffre dans l'ascenseur tout en répondant à un texto d'Adèle qui me demande si j'ai bien racheté du jus d'orange – ma réponse : « non parce que tu ne me l'as pas demandé, tête creuse ».
— Oh, salut.
Je sursaute en entendant une voix tout près de moi. Lorsque je relève les yeux et que mon regard se pose sur la personne qui se tient de l'autre côté de la cabine, mon cœur remonte jusque dans ma gorge et j'avale difficilement ma salive.
Maël.
Ça fait de longues semaines qu'on ne s'était pas vus, je dirait même quasiment deux mois. Étant donné qu'il travaille avec Emma nous ne sommes plus au même étage à l'agence et d'habitude, j'ai entendu qu'il venait plus l'après-midi. Comme je je suis plutôt matinale, ça m'arrangeait bien jusque-là parce que nous ne nous croisions plus.
Seulement, je me doutais bien que cette rencontre allait arriver un jour. C'était inévitable, malheureusement.
— Salut.
Ma voix a tellement peiné à sortir que j'ai parlé comme un canard. Gênée, je fais mine d'être concentrée sur les boutons de l'ascenseur.
— On descend au même, je ne sais pas ce que tu regardes de si intéressant, rétorque alors Maël.
Son ton est taquin, pas méchant. Ça me fait bizarre de l'entendre me parler ainsi, et encore plus quand on pense que la dernière fois que nous nous sommes retrouvés dans cette situation il m'a traitée de « pute égocentrique qui ne vit que pour attirer l'attention ».
— Alors, euh, comment tu vas ? demande-t-il finalement après s'être raclé la gorge.
Je ne le regarde pas, fixant les portes devant moi. Pour autant, je sens que lui me regarde et je me balance d'un pied sur l'autre, mal à l'aise.
— Très bien. Toi ?
— Nickel.
Après ça, silence. Mon cœur se serre à l'idée qu'avant, les silences entre lui et moi n'étaient pas gênants ; au contraire. J'étais apaisée, simplement contente d'être avec lui. Aujourd'hui, je donnerais un rein pour qu'il disparaisse.
Heureusement, Maël reprend les devants et tandis que l'ascenseur s'arrête au rez-de-chaussée, il me demande :
— Euh, je ne sais pas si tu as vu mais j'ai commencé une collaboration avec une marque de sneakers.
Je ne réponds pas, les lèvres serrées.
Évidemment, j'en ai entendu parler. J'ai beau l'avoir bloqué sur les réseaux sociaux, des tas de personnes continuent de me parler de Maël en messages privés, que ce soit pour bien faire ou non. Aussi, même sans le vouloir, je suis toujours un peu au courant de ce qu'il fait.
— Non, je n'ai pas vu.
C'est plus facile de mentir. Avouer que je suis au courant pourrait lui faire croire que je suis son contenu et je ne veux surtout pas qu'il pense que c'est le cas.
— OK... En tout cas, c'est une grosse collab'. Je vais lancer mon propre modèle de baskets et on fait une fête de lancement ce week-end. Tu pourrais passer, si tu veux.
Je ne peux m'empêcher de lui couler un regard profondément surpris.
— Sérieux ?
Maël hausse une épaule. Son regard est doux et glisse sur mon visage comme s'il avait encore de l'affection pour moi, ce que je déteste.
Mais dans le fond, ce que je déteste le plus c'est l'effet que ça a sur mon cœur.
— Oui, sérieux, répond-t-il alors doucement. Ça me ferait plaisir que tu viennes. C'est en partie grâce à la vidéo qu'on a fait ensemble que j'ai été choisi.
J'acquiesce, ne répondant pas. Même si ça me tue de l'admettre parce que ça n'a jamais été mon but, me mettre en couple avec Maël a créé de l'engouement autour de mon compte et a attiré des marques que je n'aurais pas eu la prétention de viser auparavant. Alors forcément, ça ne m'étonne pas que ce soit aussi le cas pour Maël.
— Je... Je ne sais pas, finis-je par répondre.
— T'as déjà un truc de prévu ?
Il me fait signe de sortir en premier de l'ascenseur, ce qui me touche. On peut dire ce qu'on veut de lui mais depuis le début, Maël a toujours été galant.
— Non.
— Alors viens, insiste-t-il. Amène Miranda, si tu veux. Ça me ferait plaisir de la revoir.
Je plisse les yeux, sceptique.
— Là tu mens un peu trop pour que ça passe, rétorqué-je.
Maël éclate de rire. Bêtement, j'ai un flash de lui la première fois qu'on s'est rencontrés à ce café, quand il m'a ramenée chez-moi en scooter. Je faisais des commentaires idiots dans son casque et il n'arrêtait pas de rigoler, ses éclats de rire se perdant dans le vent.
— Bon, très bien. Mais tu peux l'inviter quand même, rétorque-t-il.
Il marque une petite pause, puis ajoute :
— Tu peux même proposer à Adèle et Cléo, si tu veux.
J'entrouvre les lèvres pour lui répondre, sonnée. Alors là, j'avoue que je me serais jamais attendue à ça.
— J'ai changé, dit-il alors en haussant les épaules. J'ai envie de faire des efforts et de devenir une meilleure personne.
— C'est bien.
J'ai mal. Je sais que je ne devrais pas, mais j'ai mal qu'il prenne cette décision maintenant que ne ne sommes plus ensemble. J'aurais tellement voulu qu'il grandisse, qu'il prenne en maturité et apprenne à gérer ses émotions quand on était encore en couple... Tout aurait pu être différent.
— Bref, euh... Je vais t'envoyer les infos par message. Si tu as envie de passer rapidement, seule ou accompagnée, n'hésite pas. Il y aura même un stand de custom où la marque offrira des baskets, ça peut être cool.
Je le regarde dans les yeux, la gorge serrée.
— Ça plaira beaucoup à Adèle.
Ses yeux sont fixés dans les miens, à la fois tristes et résignés. Quelque chose s'est brisé entre nous, c'est clair, et je crois qu'on réalise tous les deux que nous ne pourrons plus jamais faire partie de la vie l'un de l'autre comme avant.
Peut-être qu'un jour, dans très longtemps sûrement, on sera amis. J'aimerais bien.
— Je suis content de savoir que tu vas bien, dit-il alors doucement en enfonçant ses mains dans ses poches.
J'ai la gorge serrée quand je réponds :
— Oui, disons que je m'en sors pas mal pour une pute égocentrique.
Dieu merci, il reconnaît aussitôt ses mots. Maël détourne le regard, les joues brûlantes, et fixe le sol. Bêtement, ça m'apaise un peu de savoir qu'il a honte.
— Je suis désolé d'avoir dit ça, vraiment, dit-il. Je venais d'arrêter de fumer et je sais que c'est pas une excuse mais j'étais hyper agressif et... Bref.
Je hoche doucement la tête, la poitrine serrée.
— J'aimerais bien ne pas avoir à m'excuser chaque fois qu'on se revoit, dit-il alors avec une sorte de sourire triste.
Je ne peux pas m'empêcher de chercher dans ses yeux s'il le pense vraiment. De ce que j'y vois, c'est le cas. Comme toujours.
Seulement, ça ne l'empêche jamais de redevenir blessant à chaque fois.
— J'aimerais bien aussi.
Sur ce, Maël comprend que c'est la fin de la discussion et hoche la tête avant de me tenir la porte d'entrée. Je quitte le hall en premier et l'attend une seconde sur le trottoir pour lui dire :
— Bon, ben... Au revoir.
Le brun acquiesce.
— Ouais, au revoir. À samedi, j'espère.
J'hausse les épaules, comme si je n'avais pas encore pris ma décision. Puis, je lui lance un sourire contrit et je fais volte-face, partant de mon côté de la rue en sachant qu'il va aller à l'opposé.
Plus je marche, plus mon cœur s'alourdit. La vérité, c'est que j'ai déjà choisi.
Je vais aller à cette fête, et je me déteste déjà pour ça.
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