25 | overemotional

ESTHER

22:19

— J'ai mangé des sushis trois fois cette semaine. Eh mais attends, je pense à un truc : est-ce que tu crois que c'est scientifiquement possible que mon estomac s'habitue au goût et que je finisse par ne plus ressentir de plaisir quand j'en mange ?

Je roule des yeux puis attrape mon oreiller, que je plaque sur mon visage avant de hurler dedans. Quand je le retire, Miranda a arqué un sourcil et me dévisage comme si j'étais folle. Décidément, même à travers face time, elle arrive à me faire comprendre sans parler que j'ai un pet au casque.

— Quoi ? rétorque-t-elle nonchalamment. Tu voulais qu'on arrête de parler de Cléo alors j'essaie de te changer les idées !

Je porte ma main à ma bouche pour me ronger les ongles en rétorquant, paniquée :

— Non, non, je retire : je veux qu'on en parle. Il faut qu'on en parle.

Miranda lève les yeux au ciel, assortissant son geste d'un soupir.

Super, je me sens vachement soutenue.

— Très bien, parlons-en, dit-elle ensuite. Encore...

— On en a parlé à peine deux minutes ! me défends-je.

— Oui, parce que chaque fois que j'ai essayé de te faire parler de ce que tu ressens tu m'as demandé de changer de sujet !

Je grimace pour toute réponse. Bon, OK, il se pourrait qu'elle ait un peu raison.

Mais pour ma défense, je ne suis pas du tout douée pour parler de mes sentiments. Même si j'aime Miranda plus que ma propre vie, j'ai grandi en étant fille unique. Quand j'étais petite, à l'âge où les autres parlent de leurs amoureux à leurs frères et sœurs, moi je n'avais personne. Mes parents ont beau être géniaux et tous les deux relativement expansifs et ouverts, je ne me voyais pas leur parler de mes sentiments. Et puis, avec le divorce et leurs vies respectives, ils n'avaient de toute façon pas le temps de m'écouter.

Avec le temps, j'ai fini par intégrer ça comme une habitude. Et puis l'avantage quand on ne parle pas de ce que l'on ressent, c'est que les autres ne peuvent pas l'utiliser contre vous ensuite.

— OK, donc on reprend du début : Cléo t'a embrassée, c'était génial, tu l'as embrassé à ton tour, bref vous vous êtes bouffés la bouche pendant un quart d'heure et puis tu t'es enfuie.

— Hein ? Non ! répliqué-je. Son éditrice est venue le chercher et a toqué à la porte. Ils devaient se parler seul à seul alors je les ai laissés discuter et je suis rentrée à l'appartement.

Sur l'écran de mon ordinateur, Miranda plisse les yeux un instant. Puis, elle hoche la tête d'un air entendu et commente d'une voix plate :

— Ouais, donc tu t'es enfuie.

Je me prends le visage entre les mains, agacée qu'elle ait toujours raison.

— OK, très bien, je me suis enfuie ! m'exclamai-je. Mais je pouvais faire quoi d'autre, hein ? Je ne me voyais pas l'attendre pour en discuter avec lui en face à face. Non, sérieux, plutôt mourir.

— Et vous ne vous êtes pas recroisés depuis ?

Je secoue la tête de gauche à droite.

— Non. Je l'ai entendu rentrer il y a environ deux heures mais il n'est pas venu jusqu'à ma chambre.

— Il est où, alors ? Dans la sienne ?

J'hausse les épaules.

— Non, sûrement dans le salon. Lui et Adèle ne se parlent plus.

Tout en se calant son coude sous sa tête pour être installée plus confortablement, Miranda lâche un petit rire ironique.

— Oh, look at you : un appartement plein de joli monde où personne ne communique !

Je plisse les yeux.

— Ah-ah, hilarant.

— Moi je trouve ça vraiment drôle, reprend Miranda, un sourire moqueur aux lèvres. Ce n'est pas Adèle qui t'as dit que tu faisais presque partie de la famille ? Ben maintenant que t'as embrassé son frère, on peut dire que tu es quasiment sa belle-sœ...

— Chut ! la coupé-je. Stop, stop, pitié stop !

Ma meilleure amie part d'un grand rire tandis que je me passe les mains sur le visage. Bon sang, cette situation est absolument abominable.

Au bout de quelques instants, Miranda retrouve son calme et un silence paisible s'installe entre nous. Celle-ci me regarde sans rien dire, ce qui me pousse à arquer un sourcil. Face à mon air interrogateur, elle finit par dire :

— Tu me manques. J'ai hâte que tu rentres.

J'esquisse un sourire, touchée. Tout comme moi, Miranda n'est pas du genre expansive et elle exprime rarement ses sentiments à mon égard – ou envers qui que ce soit d'autre d'ailleurs. Aussi, lorsqu'elle s'ouvre un peu c'est toujours un moment spécial pour moi.

— Toi aussi, tête creuse. Je vais essayer de passer bientôt dans les Vosges, OK ? Mon père m'a appelé avant-hier pour me dire qu'il m'avait acheté un calendrier de l'avent, le même que quand j'étais petite. Je le soupçonne d'essayer de me faire culpabiliser.

— Et ça marche ?

— Carrément.

Miranda rit tout bas avant de me dire :

— Alors viens. Ce serait un crime de laisser le chocolat se périmer.

Je lui souris, amusée.

— Pas faux. Je vais être obligée de rentrer, je crois.

Après ça, nous parlons de nos plans respectifs pour demain et décidons de raccrocher car nous avons toutes les deux de grosses journées qui nous attendent. Une fois seule pour de bon dans ma chambre, je repense alors à ce qu'il s'est passé aujourd'hui, le cœur battant.

Cléo et moi nous sommes embrassés et le pire, c'est que j'ai adoré ça.

Je n'aurais jamais cru que j'aurais cette pensée un jour mais juste avant, lorsqu'il m'a remerciée d'être venue, j'avais l'impression que je mourrais s'il ne me touchait pas. Tout mon corps est devenu lourd et tendu, presque inutilisable, n'attendant que son contact pour se dénouer.

Le fait est que mes sentiments à son égard n'ont jamais arrêté d'évoluer. Si je l'ai tout d'abord trouvé distant, trop sévère et obsédé par sa carrière, j'ai ensuite découvert qu'il était sensible, drôle et attentionné. Plus j'ai passé de temps avec lui, plus mon cœur en a redemandé.

Le problème, c'est que je sais que je ne devrais pas. Rien que l'idée que Maël ait eu un tant soit peu raison sur nous deux me donne envie de vomir, et j'ai l'impression de le trahir. Malgré tout ce qu'il m'a fait, cela fait à peine quelques semaines que nous ne sommes plus ensembles et même si son comportement écœurant m'a aidée à passer à autre chose plus rapidement, je suis toujours bien trop accrochée à lui.

Oh bon sang, pourquoi est-ce que ma vie doit toujours être aussi compliquée...

Épuisée, je décide de plonger ma chambre dans l'obscurité et me réfugie sur mon portable. Seul le petit halo de lumière bleue de mon téléphone projeté sur mon visage illumine un peu la pièce et je scrolle sur TikTok sans penser à rien, toujours tendue.

Au bout d'un moment, alors que je souris devant une vidéo d'un chiot avec un chapeau d'anniversaire, une notification arrive en haut de mon écran. Sans même voir ce que c'est, je clique dessus et atterris directement sur l'application SMS.

Cléo : Tu dors ?

Et merde.

Maintenant que j'ai lu son message il le saura et évidemment, plus question de faire semblant de dormir – ce serait irrespectueux. Bon sang, on dirait que je vais devoir prendre les choses à bras le corps.

Esther : Non, pourquoi ?

J'attends quelques secondes dans la conversation, les doigts suspendus au-dessus du clavier. Ma chambre est si silencieuse que j'entends mon cœur battre en rythme, un peu comme un tam-tam.

Au bout de quelques instants, j'aperçois trois petits points apparaître du côté de Cléo. Je retiens ma respiration, attendant sa réponse comme le Messie.

Cléo : Viens dans le salon.

« Je ne peux pas » est la première chose à laquelle je pense. Sincèrement, je n'ai pas les épaules pour discuter avec lui. Je ne suis qu'une pauvre cruche de vingt-deux ans qui panique quand elle doit déposer une lettre à la poste ou redemander du ketchup au Burger King, comment est-ce qu'il peut croire que je sui s capable de gérer une situation pareille sans péter un câble ?

Esther : Non.

J'appuie sur « envoyer » sans plus réfléchir puis me mords la lèvre supérieure jusqu'au sang, les doigts serrés autour de mon écran. Je regrette amèrement d'avoir cliqué sur cette notification ; si j'avais ouvert son message demain, je n'aurais eu qu'à le laisser en « vu ». Étant donné qu'on se serait croisés au petit-déjeuner, j'aurais fait comme si de rien était et la situation aurait été réglée.

Mais non, il a fallu que je clique sur son message comme une forcenée !

Trop occupée à m'insulter mentalement, je prends quelques secondes à remarquer qu'un nouveau message est arrivé.

Cléo : Très bien, alors c'est moi qui viens.

Mon sang ne fait qu'un tour. Je me redresse dans mon lit, le cœur battant la chamade, et entends alors des pas dans le couloir. Paniquée, je me lève du matelas d'un seul bond et fonce jusqu'à ma porte, qui s'ouvre malheureusement devant moi au moment précis où je me plante de l'autre côté.

— Je rêve où tu allais la fermer à clef ? rétorque Cléo à voix basse.

Son corps est tout près du mien, trop près. Il a enfilé son pyjama – un pantalon lâche à carreaux et un sweat noir – et a les cheveux décoiffés, signe qu'il a déjà dû prendre sa douche. Même si on vit ensemble, je le vois rarement aussi décontracté.

Il a l'air plus jeune. Plus vivant, aussi.

Bon sang, pourquoi est-il aussi encore plus beau ?

— Non, lâché-je péniblement, la mâchoire serrée.

Un petit sourire éclot sur ses lèvres.

— Menteuse.

Bêtement, je sens les miennes s'étirer aussi, parfait miroir du sien. Sérieusement, ce type me jette des sorts.

— Bon, alors je peux entrer ? demande-t-il au bout d'un moment.

Toujours respectueux, même dans les situations gênantes. Décidément, ce garçon a été envoyé par les anges.

— Oui, c'est bon.

Je le vois réprimer un sourire tandis qu'il entre en premier, me laissant refermer la porte derrière nous. Lorsque je me retourne, il s'est assis sur mon lit par-dessus la couette et a allumé ma lampe de chevet. Doucement, il me fait signe de venir le rejoindre et je m'exécute comme un automate, le cerveau débranché.

— Bon... commencé-je une fois que je me suis assise à sa gauche, confortablement adossée à ma tête de lit.

— Bon... dit-t-il à son tour.

Nous échangeons un petit sourire, puis je détourne le regard. J'ai l'impression d'être face à Médusa : si je le regarde dans les yeux trop longtemps, j'ai peur de me changer en statue – ou plutôt de me liquéfier, en l'occurrence.

— J'ai dit à Sylvie que je voulais que mon nom soit ajouté sur la couverture du Complexe de l'obscurité, dit-il alors tout bas. Je me suis renseigné sur internet et légalement, un prête-plume garde toujours la possibilité de révéler son rôle et de récupérer les droits qui lui sont reconnus au titre de la propriété littéraire et artistique.

J'écarquille les yeux, surprise.

— Waouh. Et qu'est-ce qu'elle a dit ?

Même dans la semi-obscurité, j'arrive à discerner son sourire. De toute façon, il s'entend tellement dans sa voix qu'on ne peut pas passer à côté.

— Que j'étais un enfoiré de m'être aussi bien renseigné parce que maintenant, elle ne pouvait plus me dire non. Elle m'a aussi dit que j'allais la mettre dans la merde et je m'en voulais tellement que j'ai décidé de partir pour lui laisser un peu d'air. Elle a crié mon nom dans mon dos et quand je me suis retourné, elle m'a dit qu'elle était fière de moi.

Je ne peux m'empêcher de sourire à mon tour.

— C'est génial, Cléo.

Je le pense vraiment. Il a écrit un roman formidable et je pense qu'il est grand temps qu'il récupère la gloire à laquelle il a le droit. Bien qu'elle ne se soit finalement pas si mal déroulée, je pense que cette interview télévisée de Tony a été la goutte de trop pour Cléo et sincèrement, je pense qu'il a bien fait de prendre les choses en main. Il mérite de la reconnaissance pour son travail.

— Ce n'est pas seulement pour ça que j'ai adoré cette journée, dit-il ensuite innocemment.

Je ramène mes genoux contre ma poitrine, les joues brûlantes. Sérieusement, je pense que je rougis tellement en sa présence qu'on pourrait me reconvertir en barbecue.

— Ah oui ?

Je sais ; une fois de plus, je fais celle qui ne comprend rien... Mais je n'arrive pas à faire autrement. Assumer avoir compris son sous-entendu, c'est prendre le risque de me tromper en répondant ou de devoir lui répondre frontalement. Et ça, c'est trop à gérer pour mon petit cœur – et mon anxiété.

— Oui, répond-t-il doucement. Je ne sais pas si tu es au courant mais j'ai embrassé une très jolie fille, aujourd'hui.

J'ai envie de sourire, mais je me retiens tant bien que mal.

Mais pourquoi est-ce si difficile ?

— Très jolie comment ? plaisanté-je.

— Très, très jolie, répond-t-il alors, un petit sourire aux lèvres. La plus belle fille que je connaisse, probablement.

Si j'en doutais encore, j'en ai la confirmation : Cléo est très doué. Je ne sais pas comment il fait pour oser prendre son courage à deux mains comme ça ; moi, j'en serais tout bonnement incapable. À sa place, j'aurais sûrement bégayé puis pris mes jambes à mon cou.

— J'espère qu'elle a aussi d'autres qualités. Genre, qu'elle est sympa, ajouté-je, bien décidée à faire durer un peu la blague pour ne pas aller au fond du problème.

Cléo hausse une épaule, nonchalant.

— Ah, ça c'est pas sûr.

— Hé ! rétorqué-je en lui balançant un coup de coude.

Le brun se met à rire et intercepte mon bras, enroulant doucement ses doigts glacés autour de mon avant-bras. Son contact fait crépiter ma peau, me laissant pantoise.

— Je pensais que tu m'attendrais avant de rentrer, tout à l'heure, dit-il alors d'un ton sérieux.

Je soutiens son regard pendant quelques secondes, comme paralysée. Si on se fie au rythme de mon cœur dans ma poitrine, on pourrait croire que je suis en plein marathon.

— Je... Je ne savais pas combien de temps ta discussion avec Sylvie allait durer, réponds-je finalement.

— Tu es sûre que ce n'est pas plutôt notre discussion que tu voulais fuir ?

Je détourne le regard, les joues rouges.

— Je suis démasquée...

Cléo rit doucement et à cet instant, je décide que c'est désormais l'un de mes sons préférés au monde.

— Je ne veux pas te mettre de pression, dit-il alors calmement. Je pense que pour l'instant, on devrait juste... Voir comment les choses se passent. Sans étiquette.

J'arque un sourcil. Je savais que Cléo était du genre tranquille, mais je n'imaginais pas qu'il le serait au niveau de ses relations amoureuses. Pour lui, c'était l'archétype du garçon qui veut se poser et construire quelque chose de stable.

Je suis plutôt de ce type-là aussi, d'habitude. Mais étant donné la situation, le fait que nous vivons ensemble, que sa sœur soit toujours dans les parages et que ma rupture avec Maël est encore fraîche, je crois que j'ai envie d'adopter la même stratégie que lui. Je pense que pour une fois, j'ai le droit de m'autoriser d'arrêter de réfléchir.

— Se laisser aller sans étiquette, répété-je alors. Ça me va.

Cléo esquisse un sourire, se rapprochant imperceptiblement de moi. Il ne me quitte pas des yeux et me regarde avec une douceur que je n'avais encore jamais vue nulle part ailleurs.

— Il est tard... Je devrais peut-être retourner dans ma chambre, maintenant.

Mon pouls s'accélère sous ses doigts, qui sont toujours délicatement enroulés autour de mon bras.

Prise d'une impulsion soudaine, je rétorque :

— Non, tu vas réveiller Adèle et Louis.

Cléo arque un sourcil, un drôle d'éclat dans les yeux.

— Alors quoi ? Je dors sur le canapé ?

Je fuis son regard tandis qu'il s'esclaffe. Il sait très bien où je veux en venir mais évidemment, c'est plus drôle de me l'entendre dire. À cet instant, je ne sais plus si je l'adore ou si au contraire, je lui voue une haine profonde.

— Éteins la lumière, finis-je par lui dire doucement.

Cléo hésite une seconde et je sens ses yeux posés sur moi tandis que je me glisse sous la couette. Puis, lorsqu'il me voit confortablement installée, il secoue la tête et éteins enfin cette fichue lampe de chevet.

Désormais dans le noir, je ne le vois plus assez pour savoir précisément ce qu'il fait. Cependant, je sens la couette bouger tout près de moi et très vite, les draps se réchauffent à son contact. Le silence de la chambre est seulement troublé par nos respirations calmes et je n'ose pas le briser, apaisée.

Au bout de ce qui me paraît être à la fois une micro-seconde et une éternité, Cléo murmure :

— Tes draps sentent bon.

— Ah oui ? dis-je sur le même ton.

— Oui... Ça sent la pomme, l'amande et la vanille. Ça sent toi, en fait.

Tout doucement, sa main frôle alors la mienne sous la couette. Aucun de nous n'ose réellement prendre celle de l'autre et nos doigts ne font que s'effleurer pendant de longues secondes. Puis, Cléo craque le premier et attrape ma main avant de m'attirer doucement à lui.

Je suis alors tout près de lui, tellement près que je sens son souffle s'échouer sur mon nez. Il a entouré ses bras autour de moi et alors, je réalise que je me sens bien.

Réellement, je me sens apaisée. Cléo a ce don incroyable de simplifier les choses et d'effacer les problèmes avec un sourire ou une attention. J'aime la façon qu'il a de me regarder, et encore plus quand il croit que je ne le vois pas. En plus, je ne me rappelle pas m'être sentie aussi paisible et en sécurité avec quelqu'un de toute mon existence.

Alors, doucement, j'approche mes lèvres des siennes. Ses doigts s'enfoncent légèrement dans mon dos quand je les frôle sans les toucher, un peu comme si je le torturais. Puis, ne tenant plus non plus, je romps les derniers centimètres qui nous séparent et l'embrasse.

Et instantanément, je n'ai plus aucun problème.

9:00

Je suis pile à l'heure.

Malgré tout, je vérifie une nouvelle fois sur mon téléphone que je suis dans les temps et remarque qu'il est toujours neuf heures, exactement comme il y a cinq secondes.

Du calme, Esther. Cette journée a bien commencé, alors il n'y a pas de raison que ça se gâte.

Quand je me suis réveillée ce matin et que j'ai compris que j'étais dans les bras de Cléo, j'ai eu plusieurs secondes de panique. Tout m'a semblé bizarre et flippant et pendant un instant, j'ai senti mon cœur se serrer douloureusement dans ma poitrine. Puis, presque comme s'il m'avait entendue, Cléo a ouvert les yeux. Il a cligné des paupières plusieurs fois avant de les ouvrir pour de bon et de me regarder avec douceur, comme si c'était la chose la plus naturelle du monde que je me trouve dans ses bras.

Ensuite, il a passé une main dans mes cheveux et m'a souri avant de dire :

— Salut. Bien dormi ?

Et voilà, je n'avais plus aucun souci.

Du coup, j'ai décidé que cette journée allait être une réussite. J'ai enfilé une robe salopette noire en velours côtelé par-dessus un col roulé blanc, puis me suis bouclé les cheveux. Pendant ce temps, Cléo dormait encore et quand il s'est réveillé de nouveau j'étais en train d'enfiler un collant, assise près de lui sur le bord du lit.

— Tu as un rendez-vous ? m'a-t-il demandé.

Il a alors posé sa main entre mes omoplates, geste tendre qui m'a valu une drôle de sensation dans l'estomac.

— Oui, je rencontre ma nouvelle agente aujourd'hui. Rufus, le patron de l'agence, a accepté de remplacer Emma.

— Ah, ouf. J'ai cru que tu avais un rendez-vous galant.

Je me suis légèrement tournée vers lui, un sourire amusé sur les lèvres.

— Et ?

— Et, c'est bien comme ça.

Après ça, je n'ai rien répondu et me suis contentée d'aller dans la cuisine préparer le petit-déjeuner pour tout le monde. J'ai aussi jeté un plaid sur le canapé et froissé les coussins pour qu'Adèle pense que son frère a dormi ici et ai laissé un post-it « bon appétit ! » sur le bar avant de sortir.

Non, sérieusement : c'était une matinée parfaite de A à Z.

Soudain, je me reconnecte à la réalité en entendant des bruits de pas s'approcher de moi dans mon dos. Le temps que je fasse volte-face, une petite rousse s'approche en s'exclamant :

— Esther, c'est bien ça ?

Lorsque j'acquiesce, le visage de celle-ci s'éclaire et elle m'attire contre elle pour me serrer brièvement dans ses bras. Le contact me surprend – on s'entend qu'avec Emma, j'étais chanceuse si elle me disait tout simplement « bonjour ».

— Enchantée ! Je m'appelle Léa, je suis ta nouvelle agente. Ça va être trop cool de travailler ensemble !

Ensuite, elle m'entraîne dans un couloir en me proposant de discuter ensemble dans son bureau. Tout le long du trajet, elle bavarde avec un enthousiasme affolant et m'explique qu'elle est nouvelle à l'agence et que je suis son premier talent.

— Mais n'aies pas peur : je te promets que je suis compétente, dit-elle pour me rassurer.

— Je n'ai pas peur, répliqué-je, souriante.

Léa me rend mon sourire puis pousse la porte la plus proche, sûrement celle de son bureau.

Pendant l'heure qui suit, Léa et moi papotons comme deux copines le feraient. Je lui explique pourquoi et comment j'ai commencé les réseaux sociaux, le rôle important que Miranda a joué dans ma carrière, comment je considère ma communauté et quel type de contenu j'aime produire. De mon côté, j'apprends qu'elle est à moitié british et qu'elle a grandi à Londres, qu'elle a tout juste fini ses études de communication, qu'elle rêve d'avoir un golden retriever, qu'elle est fan de Taylor Swift et qu'elle pleure toujours devant les films même quand elle les as déjà vus.

En une discussion seulement, je me sens beaucoup plus à l'aise qu'en près d'un an avec Emma. Léa est un véritable vent de fraîcheur et surtout, je sens qu'elle comprend qui je suis. Quand je lui parle de mon contenu et des vidéos que j'ai planifié, elle s'interrompt plusieurs fois dans sa prise de notes pour me sourire.

Au bout d'un moment, elle finit par dire :

— Bon, je pense que j'ai bien compris ton esprit. Je pense que ce qu'il faut, c'est qu'on trouve des marques qui s'adaptent à ton contenu et non l'inverse.

Une vague de reconnaissance s'abat sur mon cœur.

Léa, je te connais peu mais crois-moi, je t'aime déjà.

— Je voudrais que tu me fasses une liste des marques avec lesquelles tu rêves de travailler, demande-t-elle ensuite. Je vais faire tout mon possible pour que cela fonctionne.

— Waouh, merci, c'est...

— ... mon travail, complète-t-elle, tout sourire. Et je pense qu'on devrait aussi définir ensemble des objectifs mensuels pour être sûres qu'on avance dans la bonne direction. Ça te va ?

Je hoche la tête, enthousiaste. Sérieusement, si je m'écoutais, je crois que je la demanderais en mariage là tout de suite.

— Parfait ! s'exclame-t-elle ensuite en tapant son bureau du plat de la main. Je pense qu'on peut s'y mettre pour de bon.

J'ouvre la bouche pour lui répondre quand elle lève le petit doigt, m'interrompant avec un grand sourire.

— Mais d'abord : café !

Nous échangeons un regard complice.

Oh oui, décidément, je l'aime déjà.

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