17 | overkind
ESTHER
22:14
— Your glass is empty. Do you want more wine?
J'acquiesce, remerciant le serveur. Celui-ci remplit de nouveau mon verre de vin blanc avec un air poli avant de s'éclipser, laissant l'espace à Nicolas, le directeur de la marque qui nous invite, de prendre la parole.
— Bon, je ne suis pas doué pour les discours et je ne veux pas rendre tout ça trop officiel donc promis, je vais faire court ! plaisante-t-il, faisant rire joyeusement la table au passage. Je tenais simplement à remercier toutes les personnes autour de cette table pour leur engagement et leur travail pour Petra Clothing. Ce voyage à New York va nous permettre de réaliser de magnifiques photos pour le lancement de la prochaine collection et j'en suis sincèrement ravi. Sur ce, je ne vous retiens pas plus longtemps : vous pouvez rentrer tranquillement à vos chambres et on se retrouve demain matin à huit heures pour la première séance photo de la semaine !
Suite à son discours, les chaises crissent alors que chacun se lève et rassemble ses affaires. Je suis en train d'enfiler ma veste quand Zoé, qui était assise à ma droite, me demande joyeusement :
— On pensait aller en boîte avec les filles ce soir, tu viens avec nous ?
— Non merci, rétorqué-je avec un sourire contrit. Je pense que je vais passer la soirée avec Maël, vu qu'il a fait le transport et tout...
Zoé me coupe d'un hochement de tête entendu, pas vexée du tout. Au contraire, elle me presse l'épaule avec un grand sourire en me glissant :
— T'as bien raison. Chanceuse, va.
Je lui rends son sourire.
Avant de sortir du restaurant, nous prenons plusieurs photos dans le hall d'entrée avec les filles, qui est tout simplement magnifique. C'est Nicolas qui joue les photographes et contre toute attente, il s'en sort super bien.
Sur le chemin du retour, je décide de rentrer à pied plutôt que de prendre un taxi. Je marche tranquillement dans les rues de New York, la tête constamment levée comme si je cherchais à regarder les étoiles. Tout autour de moi est tellement vivant et énergique que je sens la même adrénaline se propager en moi, ce qui me fait un bien fou. Je me sens légère, heureuse. En paix.
Lorsque je rentre à l'hôtel, il est environ vingt-trois heures trente. Je pousse doucement la porte au cas où Maël dormirait et retire mes talons dans le couloir pour faire le moins de bruit possible. La chambre est plongée dans le noir, et seules les lumières de la ville illuminent la chambre.
Je pousse un soupir de soulagement en voyant qu'un rai de lumière s'échappe sous la porte de la salle de bains. Je souris, dépose mes chaussures et toque deux fois à la porte avant de l'ouvrir, tout sourire.
— Toc toc, dis-je en entrant.
Maël s'est fait couler un bain moussant dans l'immense baignoire et est en train de se reposer, la tête rejetée en arrière et les paupières closes. Dès qu'il entend ma voix, il se réveille aussitôt et un doux sourire éclot sur ses lèvres avant qu'il ne me réponde :
— Eh, salut toi. Ça été ta soirée ?
Je retire ma veste et la laisse dans un coin avant de le rejoindre près de la baignoire, me penchant pour atteindre ses lèvres :
— Génial.
C'est lui qui rompt les derniers centimètres qui nous séparent, souriant contre ma bouche.
Bon sang, qu'est-ce que j'aime quand il fait ça.
— L'eau est encore chaude ? lui dis-je ensuite, joueuse.
Il arque un sourcil, un sourire coquin apparaissant sur ses lèvres.
— Brûlante, même.
Nous échangeons un regard emplis de sous-entendus évidents et je retire alors ma robe, qui rejoint ma veste dans le coin de la salle de bains. Mon collant ainsi que mes sous-vêtements les rejoignent très rapidement et en moins de deux, je me glisse dans l'eau chaude en face de lui en poussant un soupir d'aise.
Aussitôt, le brun m'attire contre lui et m'embrasse de nouveau. Ses mains humides glissent sur mes joues, mes épaules, mon dos. Ça fait longtemps que je ne m'étais pas sentie aussi proche de lui.
— Je vais dire un truc très cliché, t'es prête ? murmure-t-il entre deux baisers.
— Quoi ?
— J'ai très, très envie de te faire l'amour ici et maintenant.
Alors, un peu parce que c'est cliché, un peu parce que c'est New York aussi mais surtout parce que c'est lui et que j'en meurs d'envie, j'acquiesce et l'embrasse de plus belle.
— Alors fais.
∞
J'ai passé un certain nombre de nuits avec Maël.
Pas assez pour dire « beaucoup », trop pour dire « peu » ; en fait, juste assez pour que je puisse avoir de quoi comparer. Et sans aucune compétition, celle-là gagne haut la main.
Il est environ quatre heures du matin et nous sommes sous la couette, l'un en face de l'autre. Ses doigts caressent ma tempe et se perdent parfois dans mes cheveux et il me regarde avec douceur, avec amour.
Mais malgré tout, lorsque je le vois agir ainsi, je suis d'autant plus confuse. Comment peut-il se transformer parfois en ce type aigri, énervé et agressif ? Comment peut-il être blessant avec les autres et même pire : avoir l'air d'aimer ça ?
— Tu penses à quoi ? murmure-t-il soudain.
Il passe son pouce sur mes sourcils et les lisse sur les côtés. C'est là que je comprends que je les fronçais et donc, que je devais avoir l'air contrariée. Bon, note à moi-même : je ferais une piètre actrice.
— Je... Je ne veux pas gâcher ce moment, réponds-je alors.
Maël secoue la tête puis rétorque d'une voix douce :
— Arrête, tu ne vas rien gâcher du tout. Allez, dis-moi.
Mon regard glisse le long de ses yeux, son nez, sa bouche, sa mâchoire. Tout semble être parfaitement à la bonne place, exactement là où ça devrait être. On dirait qu'un ange a façonné son putain de visage, c'est dingue.
Alors, apaisée par la vue que j'ai, je finis par oser demander :
— Est-ce que tu es en colère contre moi ?
Ma question semble le prendre de court et il entrouvre les lèvres, surpris. Ses doigts s'immobilisent sur ma tempe et il semble se crisper légèrement pendant quelques instants avant qu'il ne réponde calmement :
— Non. Non, Esther, je ne suis pas en colère contre toi. Au contraire.
Je sonde ses yeux à la recherche d'un signe, d'une réaction, d'un petit quelque chose qui me dirait de m'arrêter de faire ma curieuse avant de le regretter. Mais comme tout ce que je vois est une infinie souffrance, je demande alors :
— Contre qui es-tu en colère, alors ?
Maël pousse un petit soupir et roule sur le dos, les yeux désormais rivés sur le plafond. Je me redresse sur un coude, ne souhaitant pas le laisser me repousser aussi facilement.
— J'en sais rien... Un peu tout le monde, avoue-t-il.
Il marque un silence, puis finis par répondre :
— Les gens en général, je crois. Les filles, particulièrement.
Oh.
— Pourquoi ?
Ses yeux regardent toujours un point fixe en l'air, comme si ne pas me regarder était nécessaire pour qu'il puisse me répondre. On dirait qu'il a honte.
— Quand j'étais au collège... Bah, j'étais pas comme ça. Je veux dire, j'étais physiquement pas comme ça.
Il secoue la tête, puis poursuit :
— J'étais gros. Pas obèse, pas au point que ce soit dangereux, mais assez pour que les autres me harcèlent pour ça. C'est fou ce que les gosses sont méchants avec ceux en surpoids, c'est... Ça me dégoûte.
Je ne réponds pas, la gorge nouée. C'est incomparable mais moi aussi, on m'a un peu malmenée à l'école à cause de mes vidéos. J'étais celle qui se prenait pour une star, qui croit qu'elle va devenir célèbre et qui parle toute seule à sa caméra. Heureusement que j'avais Miranda qui adorait jouer les chiens de garde ; au moins, personne n'osait s'en prendre à moi directement. Cependant, j'entendais tout de même des chuchotements dans le couloir ou des discussions rapides sur moi quand les gens ne m'avaient pas vue arriver. C'était réellement et sincèrement douloureux.
— Je suis désolée, finis-je par dire doucement.
— T'as pas à l'être, t'étais pas là, soupire-t-il en se massant le front. Mais ouais, bref, les gens étaient vraiment pas cool avec moi... Surtout les filles. Elles faisaient des plans avec leurs copines en me faisant croire qu'elles voulaient sortir avec moi avant de m'humilier devant tout le monde. Parfois, elles créaient de faux-profils sur les réseaux sociaux pour me faire tomber amoureux et se foutre de ma gueule.
— C'est cruel, lâché-je, sonnée.
— Ouais. Je me prenais claque sur claque, c'était horrible... Jusqu'au lycée. L'été entre la troisième et la seconde, ma, euh... Ma mère est morte. Cancer du sein.
La façon dont sa voix s'est brisée sur les derniers mots manquent de me tuer sur le coup. Il a soudainement une telle douleur dans les yeux, sur le visage, partout... Ça m'empêche presque de respirer.
— Oh mon dieu...
C'est la seule réaction que j'arrive à avoir, trop bouleversée pour trouver les bons mots. Cependant, ça a l'air de lui suffire sur le moment car il poursuit rapidement :
— C'était le déclic qu'il me fallait. J'ai complètement changé mon mode de vie. J'ai fait de la musculation pendant deux mois, un rééquilibrage alimentaire complet et j'ai laissé pousser mes cheveux. Quand je suis revenu à la rentrée, de tous les gens de mon ancien collège, aucun ne m'a reconnu.
Un petit sourire fier se fraie un chemin sur son visage, comme s'il se rappelait de cette période avec satisfaction.
— Comme par hasard, j'ai commencé à plaire aux filles... Y compris à celles qui m'avaient complètement brisé au collège. Cette fois, c'est moi qui avais les cartes entre les mains et qui jouais avec elles. Sans te mentir, ça m'a fait énormément de bien de me venger.
Waouh.
Ce sont des mots forts, tout de même. Je comprends qu'il a dû énormément souffrir et je ne remets même pas en cause le tort qu'on lui a fait, mais de là à parler de vengeance... Je trouve ça dur.
— Te venger, carrément ? commenté-je, surprise.
Maël roule sur le côté, me faisant de nouveau face. Il attrape mes mains et les serre dans les siennes entre nos deux corps, les yeux brillants dans le noir.
— Je sais, ça a l'air méchant, mais crois-moi : si tu savais tout ce que ces filles m'ont fait, tu comprendrais.
J'acquiesce, ne sachant pas trop quoi faire d'autre. Une boule est en train de grossir dans ma gorge, en raclant douloureusement les parois et essayant de se frayer un chemin jusque dans mon ventre.
— Je pensais que prendre ma revanche comme ça suffirait mais j'avoue qu'avec le temps j'ai réalisé que ma colère, elle, euh... Ne partait pas. Au contraire.
Sa voix s'est adoucie lorsqu'il a dit ces derniers mots, comme s'il avait un peu peur de ce qu'il venait de dire. Il a soudainement l'air plus jeune, plus innocent. Plus vulnérable aussi.
— Tu as essayé de te faire aider ? demandé-je.
Il secoue la tête de gauche à droite.
— On ne va pas chez le psy juste parce qu'on perd sa mère. C'est la vie, c'est tout. Faut faire avec.
Je ne réponds pas, blessée malgré moi. Je sais que c'est sa façon de rester fort, mais je suis en total désaccord avec ce qu'il vient de dire. J'ai suivi plusieurs fois des thérapies, surtout vers mes seize ans lorsque j'ai commencé à être sur les réseaux sociaux de façon plus professionnelle et que les premiers réels haters commençaient à émerger. Je n'ai jamais pensé que je n'étais pas légitime d'aller demander de l'aide parce que d'autres arrivaient à gérer ce type de problèmes seuls, et j'en suis fière. Grâce à ça, j'ai appris à mieux gérer la situation et quand j'y pense, ça me fait de la peine que Maël ne pense pas de la même façon que moi.
Peut-être qu'il irait mieux, maintenant.
— Je suis juste... commence-t-il de nouveau, la voix vibrante de frustration. Je suis en colère parce qu'on m'a fait du mal et que j'étais qu'un gosse. Je méritais pas ça, je te jure.
— Je sais, murmuré-je. Je sais.
— Je n'ai absolument rien fait pour que tout me tombe dessus, ajoute-t-il, des sanglots dans la voix. Je voulais juste... Être comme les autres.
Alors, doucement, je comprends mieux. Je comprends mieux pourquoi est-ce qu'il a toujours l'air si confiant, limite narcissique. Pourquoi est-ce qu'il a constamment été dans des relations amoureuses depuis des années, pourquoi est-ce que sa réputation passe avant tout. Je saisis mieux aussi pourquoi est-ce qu'il se sent parfois obligé de rabaisser les autres pour se valoriser – parce que c'est la seule façon qu'il connaît.
Lui dire que les personnes qui l'ont harcelé avaient tort ne sert à rien, il le sait déjà très bien. En revanche, je pense que je peux lui montrer.
Doucement, je me déplace dans le lit pour me blottir contre lui. Ma poitrine s'écrase contre son torse nu et il entoure ses bras autour de moi, son menton posé sur ma tête. Il tremble et petit à petit, je sens ses larmes glisser jusque dans son cou et effleurer mon nez. J'ai tellement mal pour lui que je le serre toujours plus fort contre moi, essayant d'aspirer un peu de son mal-être pour que ce soit plus léger pour lui.
Petit à petit, ses larmes se tarissent et son corps s'apaise. Il respire toujours fort mais il a l'air plus calme, comme si la douleur était un peu passée. Je décide alors que c'est le bon moment pour lui proposer doucement :
— Tu veux me parler un peu de ta mère ?
Maël ne répond pas, se contentant d'enfoncer un peu plus son menton sur mon crâne.
— Tu peux me dire tout ce que tu veux ou rien du tout, ajouté-je. On peut dormir, si tu veux. Ou faire d'autres choses...
Tout ce que je veux, c'est que tu ailles bien, ai-je envie d'ajouter.
Alors, doucement, Maël finit par me répondre :
— Je veux bien parler d'elle.
C'est là qu'il commence à me raconter comment elle était, à quoi elle ressemblait. Pendant les heures qui suivent, il me confie qu'elle était immense, plus grande que toutes les autres mamans, mais qu'elle adorait quand même porter des talons. Qu'elle était très bon public et qu'elle riait très fort en fronçant le nez et que ça gênait toujours Maël. Il me dit qu'elle cuisinait très bien mais qu'elle n'avait jamais le temps, qu'elle aimait voyager et bronzer sur la plage ou faire des mots croisés. Elle l'appelait mon loulou, elle sentait le parfum à la rose, elle lui donnait toujours des chewing-gums dans la voiture et elle portait toujours du noir – « parce que ça fait classe ».
Puis, petit à petit, il me parle de comment elle était vers la fin. Comment elle riait moins fort, comment elle avait troqué ses talons pour des baskets, comment elle ne supportait plus l'odeur de son propre parfum. Comment elle l'appelait mon loulou avec des larmes de douleur dans les yeux qu'elle ne laissait jamais couler, comment elle lui demandait de lui parler de l'école. Il me raconte aussi comment, alors, il s'asseyait sur le bord de son lit d'hôpital et lui mentait en pleine figure, s'inventant des copains, des profs adorables qui le soutenaient et même des filles qui voulaient sortir avec lui. C'était sa maman alors, bien sûr, elle savait qu'il mentait... Mais elle faisait semblant. Elle savait qu'il faisait ça pour elle.
Lorsqu'il s'arrête enfin, un soupir immense s'échappe de ses lèvres. Mes larmes ont séché sur le drap et je caresse ses omoplates du bout des doigts, le cœur douloureux. Même sans ouvrir les paupières, je sais qu'il fait déjà presque jour.
Puis, lentement, il dépose un baiser immensément tendre sur mon front avant de murmurer, faisant s'envoler tous mes soucis, mes doutes, mes peines et mes regrets instantanément :
— Merci.
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