16 | oversensitive
ESTHER
11:20
Je ne boirais plus jamais d'alcool.
Je sais, c'est que tout le monde se dit le lendemain d'une grosse cuite... Mais là, je suis sérieuse. J'ai rarement eu aussi mal au crâne de ma vie – sans parler de la nausée du futur que je me tape. Je me suis relevée plusieurs fois cette nuit pour vomir, réveillant Miranda à chaque fois.
Pourtant, elle ne m'a jamais engueulée. Elle s'est contentée de se lever et de m'accompagner dans la salle de bain, les traits tirés par la fatigue, et de me frotter le dos pendant que je régurgitais dans les toilettes chaque goutte d'alcool avalée un peu plus tôt.
Elle ne m'a pas non plus fait le coup du « je te l'avais dit ». Pourtant, elle m'a plusieurs fois intimé pendant la soirée de manger quelque chose, mais j'ai toujours refusé. Je me suis contentée de remplir mon estomac de champagne... ce qui était visiblement la pire idée de l'année.
Cependant, même si j'étais complètement bourrée, je me rappelle très précisément de tout – dont la partie avec Maël. Il était incontrôlable et je sais que si je n'avais pas été aussi alcoolisée, j'aurais été terrifiée et inquiète de le voir ainsi. Une partie de moi est presque soulagée d'avoir été trop inconsciente pour réaliser ce qu'il se passait.
En revanche, je suis morte de honte. Pour lui, pour son comportement, pour les mots qu'il a eu. C'était la première fois qu'il rencontrait Miranda et il a été très clairement odieux.
Mais le pire, c'est que j'ai honte de moi. J'ai honte d'avoir dressé un portrait aussi positif de lui à ma meilleure amie pendant des semaines pour qu'au final, elle finisse par se prendre la réalité en pleine gueule de cette façon.
— Ça va ? demande soudain Miranda, revenue de la salle de bains.
Elle a une petite serviette de toilette entre les mains et ses cheveux dégoulinent sur son énorme sweat noir. J'aime bien quand elle a les cheveux mouillés : ses mèches roses se voient moins, et on croirait presque qu'elle est encore totalement brune. Ça me rappelle quand on était petites.
— Ça va... Je m'en veux juste d'avoir dû annuler le brunch de ce matin.
Miranda secoue la tête en s'esclaffant.
— Hein ? J'en ai rien à foutre, tu le sais bien.
J'esquisse un sourire en ramenant mes genoux contre ma poitrine, touchée par sa réaction. Je n'en attendais pas moins d'elle, mais quand même. Ça me touche toujours autant de voir qu'elle réagit toujours de la meilleure façon qui soit avec moi.
— Par contre, hum, j'ai bien réfléchi... Je pense qu'on devrait discuter un peu toutes les deux, dit-elle d'une voix douce tout en pliant ses vêtements de la veille.
Une alarme s'allume dans ma tête et mon cœur s'accélère, stressé. Ce genre de phrases, c'est rarement bon signe.
— OK, réponds-je alors en relevant la tête.
Miranda fait une pile de ses fringues et la dépose sur le dessus de sa valise, puis elle s'assoit à côté de moi sur le lit. Elle a les traits tendus, ce qui ne fait qu'accélérer mon cœur encore plus vite.
— Je sais que tu n'as pas envie d'entendre ça, mais c'est mon rôle de te le dire. Ton copain, là, Maël... Pardon d'être directe, mais ce n'est vraiment pas quelqu'un pour toi.
Oh.
Je m'y attendais, mais ça fait quand même mal. Tellement, en fait, que je crois que les larmes me montent carrément aux yeux.
— Esther, arrête, dit-elle alors doucement en voyant que je suis sur le point de pleurer. Je comprends pourquoi est-ce que tu l'apprécies autant, je te jure. C'est juste que son comportement avec toi, c'est tellement... Ça ne se fait pas, c'est tout.
J'ai la gorge serrée quand je rétorque, muée par une féroce envie de le défendre :
— Mais il était défoncé hier soir, ça ne veut rien dire !
Miranda secoue la tête.
— Je ne te parle pas d'hier. Emma m'a dit pour votre dispute lors de ton shooting photo.
Je baisse les yeux sur mes chaussettes. Je n'ai jamais réellement aimé Emma mais là, c'est clair, je la déteste du plus profond de mon être.
— Il était juste jaloux, c'est rien, réponds-je alors en haussant les épaules.
— Mais pourquoi est-ce que tu le défends autant ?
Sa question n'est pas posée avec agressivité et n'a clairement pas pour but de m'attaquer mais pourtant, c'est ainsi que je le ressens.
— Parce que tu ne le connais pas vraiment, rétorqué-je. Cette image de gars intouchable, je sais que ce n'est pas vraiment lui. Quand on est tous les deux, il est tellement gentil, et doux, et amoureux... Et je sais qu'il a des tas de problèmes. Je pensais que tu serais capable de voir ça.
Miranda pousse un soupir résigné puis commence à se masser les tempes, l'air épuisée.
— D'accord, il a peut-être des problèmes. Mais on a tous des soucis Esther, et est-ce qu'on se comporte comme des merdes ? Pas que je sache.
Je la fixe sans rien dire, les yeux pleins d'eau. Elle a raison, je le sais... et ça me tue. Ça me tue parce que je sais que l'issue à tout ça fait trop mal et que je ne suis pas prête à la supporter.
— Tu n'es pas son infirmière, finit-elle par me dire. S'il a des soucis je suis désolée pour lui, mais il n'a qu'à aller en thérapie. Tu as déjà tellement de choses à gérer, Esther... Sortir avec quelqu'un n'est pas censé être un fardeau.
J'ai envie de lui dire qu'elle a tort, que ce n'est pas un poids pour moi, au contraire. J'ai envie de lui expliquer la sensation que me procure les messages qu'il m'envoie, la façon dont mon corps réagit quand il me touche et comment mon cœur manque d'exploser chaque fois qu'il sourit contre mes lèvres. Il me fait sentir belle et unique et c'est mon unique pilier dans cette ville. Sans lui, je suis perdue.
Alors oui, c'est vrai, il a des défauts : il est jaloux, possessif, impulsif et parfois égocentrique. Mais qui n'en a pas ? Qui peut se vanter d'être parfait ?
Pas moi. Je suis loin de l'être, et il l'accepte.
À moi d'en faire autant pour lui.
∞
9:01
— Hello tout le monde, bienvenue sur ma chaîne Esther Online ; aujourd'hui, on se retrouve dans un nouveau vlog ! m'exclamai-je joyeusement.
Je tiens ma caméra à bout de bras, chargée comme une mule – et ce n'est pas le retour vidéo qui me dira le contraire. Avec mon énorme valise, mon sac à dos, mon sac à main sur l'épaule et mon coussin pour dormir confortablement dans l'avion, on croirait que je pars pour trois mois.
Bon, en vérité, je pars seulement pour une semaine... Mais pour ma défense, une grosse partie de mon métier repose aussi sur les looks que je porte.
— Cette semaine je vous embarque avec moi à l'endroit le plus iconique des États-Unis, dans la Grosse Pomme, dans la ville qui ne dort jamais, j'ai nommé : New York !
Mon sourire prend toute la place sur mon visage, contagieux. Je suis tellement heureuse que j'ai l'impression d'être dans un rêve.
— Ce voyage m'est offert par Petra Clothing donc cette semaine pas besoin de me demander les références de mes vêtements parce que tout viendra de là-bas, expliqué-je joyeusement. Pour ce qui est du programme, je crois que la marque a prévu plein de trucs sympas pour moi et les trois autres créatrices de contenus qui m'accompagnent. D'ailleurs, je vais vous les présenter tout de suite !
Je coupe la caméra en voyant que j'arrive finalement tout près de l'appareil. Juste devant moi, Zoé, l'une des filles qui m'accompagne et qui a visiblement entendu ce que je racontais, me lance avec un immense sourire :
— Est-ce que tu diras dans mon portrait que je suis fan de Desperate Housewives ?
Je lève le pouce en l'air, amusée.
— Cette vidéo, c'est le vlog de la vérité. Tout y sera dit, y compris ta passion pour cette série.
Zoé pousse un petit cri d'excitation et je ris tout en la suivant dans l'appareil, juste après avoir salué le personnel de bord sur notre chemin. Puis, une fois installées dans l'avion – et en classe business mesdames et messieurs, c'est la classe ultime – j'attends le décollage et prends quelques plans du ciel bleu au-dessus des nuages, de Zoé et de mes deux autres collègues qui dorment puis de moi en train de goûter la nourriture de l'avion.
Ensuite, je décide de couper ma caméra et de m'enfoncer confortablement dans mon siège avec ma musique. C'est en lançant ma playlist que je réalise qu'il y a le wifi dans l'avion... et que j'ai reçu plusieurs SMS.
Adèle : Cléo est reparti dans sa folie des cookies... (et Adam ne vient pas ce week-end, je ne comprends pas)
Adèle : Reviens vite stp.
Adèle : ET RAMÈNE MOI UN SOUVENIR DE NEW YORK SI TU PEUX !
Maël : Coucou princesse, je suis en train de monter la vidéo qu'on a filmé tous les deux chez-moi l'autre fois, celle où je te faisais commenter toutes mes sneakers... T'es magnifique dessus. On la regarde ensemble à mon retour ? Je t'aime.
Mon sourire, qui s'était étiré en lisant les textos d'Adèle, s'efface légèrement lorsque je termine de jeter un œil à celui de Maël. Chacun de nous marche sur des œufs depuis cette fameuse soirée et nous ne nous sommes pas revus depuis. J'ai voulu profiter de Miranda au maximum puis prendre un peu de recul, et ensuite j'ai dû préparer mon départ au dernier moment et cela m'a pris tout mon temps.
J'espère de tout cœur que les choses vont finir par se replacer entre nous... Mais je n'ai pas envie de faire d'effort. J'attends que lui le fasse – en partie parce que ça me ferait vraiment du bien, mais aussi pour donner tort à Miranda et lui prouver qu'il tient réellement à moi.
À notre sortie de l'avion, les représentants de la marque sont déjà là pour nous accueillir. Ceux-ci nous expliquent les prochaines étapes : nous allons rentrer à notre hôtel en taxi, nous changer avec les tenues prévues pour nous puis aller dîner dans un restaurant tout près de Times Square. En résumé : c'est une soirée idyllique qui s'annonce.
Le trajet jusqu'à l'hôtel est complètement irréel – tellement que j'en oublie parfois de filmer ce que je vois tant je suis émerveillée. Je me sens minuscule en bas des immenses immeubles, à la fois écrasée et époustouflée par la taille des bâtiments et la foule de gens qui se presse sur les trottoirs. Tout est plus grand, plus impressionnant et plus vivant que ce que j'ai pu voir jusqu'à maintenant. J'avais déjà eu un choc en passant des Vosges à Paris mais là, je dois dire que c'est encore un niveau au-dessus.
— On se rejoint à vingt heures en bas ? propose Zoé lorsque nous sommes dans le couloir de l'hôtel.
Les deux autres filles qui nous accompagnent sont d'accord – tout comme moi – et nous nous saluons rapidement avant que je ne pénètre dans ma chambre.
— Oh mon dieu... murmuré-je entre mes dents en mettant les pieds à l'intérieur.
Le lit est immense – tellement qu'on pourrait y caser quatre ou cinq Esther sans problème – et surtout, la chambre est entièrement vitrée. La vue sur New York est époustouflante : comme la nuit est tombée, tout est illuminé et les lumières semblent danser dans mes yeux. C'est complètement surréaliste de se dire que chaque petit point lumineux allumé correspond à la fenêtre de quelqu'un.
Soudain, alors que j'ai les yeux rivés sur la vitre comme une enfant émerveillée devant un sapin de Noël, une voix grave retentit derrière moi :
— Salut.
Sous le choc, je fais volte-face si vite que je manque de trébucher, me retenant à la fenêtre au dernier moment. Face à moi, je croise alors une paire de yeux clairs que je connais par cœur.
Maël.
— Surprise...
J'écarquille les yeux, comme paralysée.
— Mais... commencé-je, sous le choc.
Aucune de mes pensées n'est cohérente. Tout dans ma tête se bouscule, se mêle, s'entrechoque. Je n'arrive pas à savoir si je suis la plus heureuse du monde de le voir ici ou au contraire, si je suis énervée qu'il vienne s'immiscer dans mon voyage.
Avant que je ne puisse prendre une décision, mon petit-ami reprend d'une voix à la fois douce et légèrement timide :
— Je voulais à tout prix qu'on se parle en face à face... Donc j'ai pensé que je pouvais en profiter pour faire d'une pierre deux coups : discuter avec toi et venir à New York.
Mes mains tremblent et je le fixe toujours sans rien dire, la bouche ouverte. J'ai l'impression d'être entièrement faite de coton.
— Je m'excuse, murmure-t-il alors en s'approchant doucement de moi, un pas après l'autre. J'ai eu une attitude ridicule et honteuse au rooftop l'autre soir, et je me doute que ta meilleure amie n'a pas eu la meilleure impression de moi.
J'acquiesce doucement, presque sans bouger, tandis qu'il s'approche de plus en plus. Bientôt, il est planté juste en face de moi, ses yeux comme fondus dans les miens. Je remarque alors bêtement qu'il a mis une chemise – alors qu'il n'en met jamais d'habitude – et qu'il sent merveilleusement bon. Son aura est douce et réconfortante et presque instantanément, mon corps me hurle de le toucher.
— Je suis désolé, s'excuse-t-il de nouveau en baissant la tête. J'ai honte, mais le pire c'est de savoir que tu dois aussi avoir honte de moi. C'est la dernière fois que j'agis comme un gros connard, je te le promets.
Je serre les lèvres, les joues brûlantes. J'étais complètement bourrée l'autre soir mais malgré tout, j'ai quelques bribes de souvenirs qui se sont accrochées à mon cerveau et refusent de partir. La première chose que j'ai remarqué étaient ses yeux rouges et injectés de sang, qui se posaient sur moi d'une façon que j'ai détesté. On aurait dit qu'il allait me sauter dessus à tout instant pour me dévorer, comme s'il était le chasseur et que j'étais la proie.
Ensuite, c'était son odeur... Âcre, et clairement dégueulasse. Une bonne odeur de joints comme on les aime (non).
Et enfin, j'ai entendu ce qu'il a osé crier à Cléo avant que le taxi ne démarre.
« C'est ma copine, elle reste avec moi ! ».
Comme si je lui appartenais, que son nom était gravé sous ma chaussure et que je n'existais plus par moi-même. Que j'étais sa propriété, sa chose, sa marionnette. J'étais trop alcoolisée à ce moment-là pour réaliser tout ce que cette phrase impliquait mais avec le recul, je la déteste de tout mon cœur. En fait, je crois que je déteste aussi Maël de tout mon cœur.
Alors pourquoi est-ce que je l'aime autant en même temps ?
— Pardonne-moi, chuchote-t-il ensuite en s'approchant encore plus, frôlant ma joue avec son nez. Je t'aime, Esther. Tu es la seule personne que j'aime au monde. La seule.
Alors, doucement, mon corps se rallume. C'est comme si on avait activé le bouton on et machinalement, je lève les bras pour les entourer autour de lui. Je verrouille mes mains sur ses omoplates et doucement, l'attire contre ma poitrine. Maël laisse échapper un soupir de soulagement et me rend mon étreinte, qui dure de longues minutes. Mon cœur bat si fort qu'il résonne dans ma tête, comme une batterie dans le fond d'une chanson.
— Je t'aime, répète-t-il alors, sa bouche tout près de mon oreille.
Je cale mon menton sur son épaule, humant son parfum. Il n'y a plus aucune trace de cette odeur âcre que j'ai tant détesté.
C'est fini.
— Je t'aime aussi.
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