Chapitre 24 (Deuxième partie)

Moi : Qu'est-ce qu'on attend ? Ça fait des heures qu'on poireaute, là... M'impatientai-je en époussetant ma manche qui avait perdu de sa blancheur à force de traîner dans la poussière.

Black : Tu vas trop vite, Humaine ! Rétorqua le tortionnaire, levant un doigt moralisateur. Observer avant d'attaquer est le moyen le plus sûr d'arriver à nos fins !

Je calai mon menton dans le creux de mes bras, libérant un souffle morne. Le squelette rouge baignait en plein fantasme d'espionnage, ventre à terre sur le rebord d'un des toits qui surplombaient la Capitale, zieutant sur chaque bonhomme qui vaquait. Il avait eu mille et une fois le temps d'identifier par le biais des grandes vitres le rez-de-chaussée et son immense salle de réception, avec tables de restauration, estrade et piste de danse, les allers et venues des serveurs avec leurs chariots aux divers mets, ainsi que les étages supérieurs qui occupaient de nombreuses chambres. Tant et si bien qu'à la surface, le soleil embrassait l'horizon, étalant sur l'Underground, qui bénéficiait de quelques cavités tamisant la lumière, une lueur de velours rouge-orangée.

Il posa ses jumelles, saisit un stylo et un calepin avant de compléter ses notes.

Black : Récapitulation : notre cible est protégée par trois gardes du corps, en train de manger au buffet avec les autres bourges. D'après Brain, on pense qu'elle ira parler de son projet à Mr. Dreemurr après le discours de celui-ci, ce qui nous gratifie d'une ou deux heures. Aussi, c'est probable qu'Undyne fasse partie de son escorte pour cette fois. Elle cache ses plans dans un lieu secret, son atelier... Ou on ne sait où. Mais il n'est pas impossible qu'elle conserve certaines preuves dans sa chambre. Tu suis ?

Moi : Mmmmmouiii......? Hasardai-je, déjà occupée à me rappeler que Brain était le nom du reptile qui nous avait guidés.

Blackberry me tourna le dos, acharnant son bic sur le frêle papier à moitié chiffonné. En noirciçant le blanc il grognassait par moments, jetant quelques boulettes ratées par dessus son épaule. Lorsqu'il eût achevé son ouvrage il me fit de nouveau face, défilant à mesure qu'il parlait de petits dessins cocasses qui, semblait-il, étaient destinés à m'éclaircir au sujet des multiples étapes.

Black : Bon, je te la fais courte : Brain va me filer un costume ainsi qu'une fausse carte d'identité, ainsi je vais pouvoir passer par l'entrée, puis je me dirigerai dans les sanitaires et attendrai qu'un serveur arrive. Je l'assommerai, prendrai sa place et me maquillerai un peu pour changer de visage, vu que mes horrifiques cicatrices et mes pupilles rouges sont trop reconnaissables, puis je me dirigerai vers la salle technique en feignant de servir le repas à ceux qui s'occupent des caméras de surveillance. Je détraquerai discrètement le système grâce à une onde à électrochoc donnée par Science pour neutraliser les caméras de surveillance, ensuite je reprendrai mon costume de civil, je monterai les escalier, j'irai dans la chambre d'Alphys et je l'attendrai à l'intérieur. Au moment où elle entrera, je neutraliserai les gardes, puis je la kidnapperai. Je la fais parler, je supprime les preuves, je remplis la mission, Gaster me récompense, Nightmare me félicite, j'obtiens une horde de fans et je deviens bras droit à la place de Killer. Des questions ?

Je n'avais suivi qu'un mot sur deux. Black énonçait avec une articulation extraordinaire mais sa vélocité le pénalisait grandement niveau verve.

Moi : Mais euh... Et... Et moi, je fais quoi...?

Black : Hein ? Fit le tortionnaire d'un air hébété. Ah ! Euh...

Il gribouilla rapidement un autre croquis.

Black : Toi, tu restes ici et tu surveilles avec les jumelles qu'il n'y ait pas d'imprévu, bien qu'il est évident que je n'en aurai pas besoin.

Dans une autre situation, n'avoir rien à faire m'aurait énormément arrangée, hélas sbire oisif était sbire incompétent, ce qui amenait à une mission non-validée. Chaque jour qui succédait m'éloignait un peu plus d'Error, et à mon grand désarroi, il fallait que je me rende utile d'une manière ou d'une autre. Je portai deux doigts à mon front, désespérée.

Moi : Écoute Black, ton plan est inutilement compliqué et...

Black : Inutilement compliqué ? S'indigna-t-il. Je l'ai peaufiné pendant des heures !

Moi : Pourquoi on ne se téléporte pas directement dans le bâtiment ? On a repéré la chambre d'Alphys par la fenêtre, alors on y va !

Black : Tu es folle ?? Il y a beaucoup de squelettes dans cet Underground, mais en théorie un SEUL peut se téléporter. Si on nous surprend en pleine translation on va m'identifier au Sans d'ici ! Et puis tu oublies les caméras !

Moi : C'est pas grave les caméras, elles sont de mauvaise qualité et de toute manière personne ne nous connaît.

Black : Ce n'est pas une raison ! Si on nous voit déambuler dans les couloirs on aura le temps de nous arrêter !

Il avait raison sur ce point, on ne pouvait pas foncer ainsi tête baissée... Je me creusai les méninges, puis claquai des doigts, une idée m'étant apparue.

Moi : Oh ! Et si on passait par les conduits d'aération ?

Black : Peuh ! Cracha le squelette rouge. Tu racontes vraiment n'importe quoi, les conduits d'aération ne sont pas sécurisés et ça provoquerait un tintamarre dans tout le bâtiment.

Moi : Pas si on fait att...

Black : Non Lisa, mon plan est parfait et tu devrais lui faire confiance. Maintenant on ne perd pas une seconde de plus et on y va.

Moi : Bon, mais ça n'explique pas à quoi je sers. Lui rappelai-je.

Black : Rooh, et bien... Ronchonna-t-il. Tu t'infiltres parmi la foule et tu me préviens quand Alphys montera se préparer ?

Moi : M'infiltrer comment ?!! M'énervai-je en désignant mon corps humain par de grands mouvements de mains. Cosplayée en serveuse black & white des années 50 avec le nœud papillon, le tablier et tutti quanti ???

★★★

«Note à moi-même, apprendre à Black la définition du second degré....» Fulminai-je en tirant pour la énième fois ma jupe vers le bas, harassée par le tissu qui remontait au fur et à mesure de mes pas.

La salle de réception devait accueillir au moins une centaine d'invités. Pullulant çà et là, se sustentant de plats onéreux, piochant dans les buffets ou dansant par couples au son du swing enjaillé qui dominait l'assemblée, tous se pavanaient dans leur tenue trop chique et pervenche, dînant au milieu de nappes trop blanches. On comptait parmi eux une vingtaine d'agents bien reconnaissables dans leurs uniformes froissés et leurs chapeaux amollis, postés aux quatres coins de la pièce ou intégrés à la foule. Bien que je suscitais beaucoup d'intérêt de la part de quelques curieux, je ne provoquais aucune suspicion : plus de l'étonnement, de la gaité voire de l'admiration, comme si je faisais office d'une putain de bête de foire.

Officiellement, j'étais une humaine éperdue qui avait réussi à s'engager en tant que serveuse pour gagner sa croûte dans un monde inconnu et nouveau. Question camouflage ça passait, par contre niveau discrétion c'était râpé. Si Black suivait son plan à la lettre, et c'était sans aucun doute le cas, il devait en être à l'étape maquillage. Je rouspétais en slalomant entre les monstres dans l'espoir de repérer notre cible. Ce rôle était complètement ridicule, j'étais persuadée qu'il m'avait accoutrée de la sorte dans le seul but de me tenir à l'écart et d'accomplir cette mission en solo. À la première occasion, je courais le rejoindre !

Mais alors que je proposais à droite à gauche des canapés au saumon, une forme jaune m'apparut du coin de l'œil. Alphys ! Elle était là, assise à une table proche de l'estrade, dans sa magnifique robe noire étoilée, discrète, rétractée, piquant mécaniquement dans son assiette en compagnie de trois officiers taillés comme des armoires, engagés par le chef de la police certainement. Elle devait être affreusement nerveuse, et c'était affreusement légitime.

Je voulus m'approcher d'elle quand une seconde personne familière me dépassa pour rejoindre la jeune scientifique. Grande, mince, mais dont les larges épaules participaient à sa carrure de guerrière, la commissaire Undyne aborda la lézarde qui y laissa transparaître quelque rougeur. À cette distance leur conversation était inaudible, mais de ce que j'avais pu comprendre, la femme-poisson contribuait à détendre son amie. Elle lui offrait un grand sourire, dévoilant toutes ses dents, tendant sa main. Alphys, empourprée, déposa timidement sa menotte dans celle de la commissaire, qui l'entraîna allègrement sur la piste au rythme entraînant des cuivres et du piano.

Peu importe l'univers, ces deux-là étaient faites l'une pour l'autre. À Outertale, avaient-elles fini par se marier ? À les voir ainsi, une profonde nostalgie me surprit, suivi de l'effet d'un couteau en plein cœur à l'idée qu'on allait leur porter préjudice. Je tournais les talons, histoire de ne pas trahir ma couverture en les épiant trop longtemps, quand je me heurtai brusquement à quelqu'un, éjectant la moitié des toasts au sol.

??? : Hey, regarde devant toi la p'tite dame.

Moi : Excusez-moi, je ne vous avais pas...!!

Je m'interrompis après avoir décollé ma joue, toute l'attention centrée sur un revolver, maintenu au ceinturon de l'homme, qui m'arracha un soubresaut. Un flic.

Moi : ...Vu.

Je levai lentement le menton. C'était un chien, type bouledogue à la mine patibulaire, trapu malgré qu'il me dépassait d'une tête au moins. Ses petits yeux sévères, à moitié cachés sous les plis de peau de ses sourcils froncés, m'analysèrent de haut en bas, puis s'affinèrent.

Bouledogue : Nah, pas de problème... Grogna-t-il avec un sourire madré. Z'êtes nouvelle ici, nan ?

Il coinçait ses pouces dans son pantalon, avançant un peu le bassin d'une allure décontractée. Deux monstres plus grands que lui, bien que moins robustes, l'accompagnaient. Bordel, je savais que j'allais finir par être interrogée, quelle idée de merde aussi ! Il remarqua mon malaise et plaça ses paumes devant lui, mimant un gloussement.

Bouledogue : Ouah, un flic qui pose des questions ! Hey, ne vous affolez pas, c'est juste que c'est pas souvent qu'on rencontre des humains, alors ça pique la curiosité, vous voyez ? Ça donne envie d'apprendre à les connaître un peu plus.

Le doute s'installa. Pourquoi ce ton plein de sous-entendu ? C'était bizarre comme type d'interrogatoire, non ? La police possédait certes des stratégies visant principalement à déstabiliser mais...

Mes arcades s'affaiblirent au fil des pensées qui se succédaient dans mon esprit, arrivant au bout de quelques cycles à la même conclusion. Ils n'étaient pas là pour ça. Ils m'adressaient la parole non en tant qu'agent mais en tant qu'homme. Son sourire se transforma, plus menaçant, plus racoleur. Ils se divisèrent bientôt, me confinant dans un cercle. Et ma méfiance se transforma en panique. Bon sang, ils ne voyaient pas que je ressemblais à une gamine ?? Ou alors c'était la tenue qui portait à confusion ?

Moi : L...Laissez-moi !

??? : Que se passe-t-il ici ? Se manifesta une voix qui fit glapir les trois monstres à l'unisson.

Ces derniers bondirent presque en arrière tandis que je me retournai. Le Maire, Asgore Dreemurr, avança jusqu'à nous puis considéra ses agents, bras croisés sur son poitrail, sévère.

Asgore : Dois-je comprendre que vous importunez cette demoiselle ?

Bouledogue : Hein ? Bien sûr que non Monsieur, on lui parlait juste, rien de bien méchant...! Bégaya le flic, la bouche tordue d'embarras.

Asgore : Retournez à vos postes et que je ne vous y reprenne plus.

Le ton du bouc était sec, tranchant. Ils avalèrent leur salive et déguerpirent fissa. Le souffle coupé, je ne parvenais pas à remuer ne serait-ce que les lèvres pour le remercier. Je me contentais de le fixer avec ahurissement.

Asgore : Je suis vraiment navré de l'attitude de mes hommes... Ce sont des imbéciles qui ont besoin d'être corrigés. Vous allez bien ? S'enquit doucement Asgore.

Moi : O...Oui, merci beaucoup Mr Dreemurr... Réussis-je à sortir, fébrilement.

Asgore : Vous avez été engagée par Brain si je ne m'abuse ? Je vous souhaite la bienvenue dans l'Underground, ça ne doit pas être facile de démarrer une nouvelle vie...

Il se pencha légèrement sur moi, mais ce n'était que pour s'abaisser à ma hauteur. Ses yeux reflétaient une bienveillance que je n'avais vu d'aucun autre roi. Je retenais mes larmes, ravalant avec convulsion tout ce que j'avais envie de lui avouer, les dangers, Alphys, la vérité, toute la vérité !

«Mr Asgore, allez voir Alphys, elle a un projet extrêmement important à vous transmettre, des gars de la famille Gaster sont ici, je peux vous les dénoncer, Brain est un type corrompu, il n'est pas digne de confiance, je suis désolée, je suis désolée je suis désolée !!!»

Un jeune homme l'accompagnait. Un humain. Svelte, les cheveux blonds couvrant jusqu'à sa nuque, il me considéra avec une méfiance qui me glaça jusqu'aux os.

Michael : Dites, si vous avez été engagée, avez-vous vos papiers ?

Asgore : Allons, Michael, ça ne se demande pas. Tempéra son patron avec un sourire gêné. Excusez-le, il soupçonne tous ceux qui ne font pas partie de la police...

Moi : Oh, non, je comprends, pas de soucis... Murmurai-je, clignant des paupières, déconcertée.

Asgore : À présent si vous me le permettez, j'ai à faire... Enchanté de vous avoir rencontré.

Moi : Moi de même, maj... Monsieur le maire...

Il fit un léger mouvement de main, puis tira sa révérence, secondé par ce Michael qui me lança une dernière œillade glacée avant de s'empresser de le rejoindre. Le bouc emportait avec lui la vague de confort tant appréciée, ce qui révéla la triste froideur ayant galopé le long de mon échine lorsque ces trois hommes m'avaient acculée. J'enroulai mon bras libre autour de ma taille, prise de nausée. Les yeux qui m'observaient s'étaient métamorphosés. Je ne voyais qu'eux, proéminents, comme si le monde autour s'était obscurci. Et ces yeux, au départ amusés, curieux, innocents, s'étaient emparés des attraits de loup. Sournois, baladeurs, dangereux, ciblés sur les cuisses quand je tirai à nouveau sur le tissu, sur le buste lorsque je m'abaissai pour ramasser les apéritifs tombés.

Ma respiration devenait coupée, accablante. C'était la première fois que j'étais confrontée à ce phénomène. Celle aux traits d'enfant, celle qui n'intéressait jamais personne, elle s'en serait bien passée toute ma vie. Pourtant, ce corps juvénile, après avoir rencontré Error, je n'en voulais plus. Je désirais le voir disparaître totalement, j'attendais ma chrysalide avec accablement. Mais maintenant ? Maintenant que j'étais seule et désemparée, piégée dans un environnement hostile, entourée de salauds quotidiens, il demeurait ma seule armure. Avec sa silhouette immature, ses courbes à peine dessinées, il me protégeait, personne ne pouvait deviner, ne pensait à le toucher. Pourquoi ne le remarquaient-ils pas ? Pourquoi n'étaient-ils pas dégoûtés de cette apparence ? À moins que...

Je contemplai mes paumes. C'est vrai que je me sentais différente depuis quelques semaines... Le monde me paraissait moins grand, j'avais de drôles de douleurs derrière les genoux, porter une brassière était dorénavant indispensable... Parfois ma détermination dégringolait mystérieusement, prise d'un affaissement où même penser à Error ne parvenait plus à me relever. Une fatigue non mentale mais physique.

Et, surtout je me sentais fragile. Si fragile qu'une brise pourrait avoir raison de moi, et alors je me fermais, m'accoutrant d'un masque de pierre, filtrais mes émotions les plus sincères afin de n'exprimer que de la lassitude ou de la frustration. On aime la joie, la tristesse, la peur, l'énervement, mais personne ne veut d'un minois blasé, n'est-ce pas ? Tout ça dans le but d'échapper à ce sentiment de vulnérabilité répugnant, effrayant, qui me poussait à m'envelopper dans un drap blanc immaculable et à m'y nicher pour l'éternité.

... En fait, en y songeant, j'avais déjà été confrontée à cette sensation. À Storyshift, quand Horror avait vraiment failli me dévorer pour de bon. Je croyais que c'était l'odeur de la viande et de la faim qui l'animait, mais à bien y réfléchir... Ne serait-ce pas le fruit d'un autre désir ? Mais alors... Serais-je en train de...

J'écarquillai les globes. Alphys n'était plus là. Je balayai l'assemblée, puis heureusement la retrouvai, qui gravissait à petits pas les escaliers. J'extrayai le cristal d'Echo de ma poche.

Moi : Alphys est en train de monter, elle est accompagnée de trois hommes plus Undyne.

Black : Undyne ? Répéta Black à travers l'interphone. D'accord, c'était prévu...

Moi : Parfait, alors je te rejoins et...

Black : Non !! Je peux gérer tout seul, toi tu restes ici.

Moi : Enfin c'est grotesque, je ne servirais à ri...!

La voix du tortionnaire tonna, aussi forte et autoritaire que celle d'un général de guerre :

Black : J'ai déjà donné un plan !! Si on ne s'y tient pas, il va se passer des choses imprévisibles alors NE. BOUGE. PAS. DE. TON. POSTE !

Sur ce, il raccrocha. Pour moi, la coupe était pleine. Je filai dans les cuisines pour y poser mon plateau avant de me rendre aux cabines. Une fois avoir retrouvé ma peau, je visualisais dans mon esprit la chambre d'Alphys repérée plus tôt et m'y téléportai. À mon apparition instantanée, le squelette rouge eut un bond en arrière.

Black : Bordel mais tu es malade de débarquer ainsi...??? Me réprimanda-t-il en murmure, tapotant spasmodiquement son temporal de l'index. On va remarquer que tu auras disparue !

Il avait placé des lentilles blanches sur ses pupilles, enfilé un costard et couvert son visage de blanc, ayant fait disparaître parfaitement ses balafres. L'unique élément qui le dissociait du Sans original, désormais, étaient sa dentition pointue et acérée.

Moi : Et ça t'aurais bien arrangé, hein ? J'ai de bien meilleures raisons que ta crise d'égo débile de remplir cette mission, alors tu ne te débarrasseras pas de moi comme ça ! Je veux bien obéir à tes ordres, mais cette fois tu me donnes quelque chose d'UTILE à faire !!

Black : Je fais de mon mieux pour que notre mission réussisse, et toi tu viens tout ficher en l'air !! Tu devrais éviter de n'en faire qu'à ta tête, parce que si on échoue, c'est forcément parce que tu auras conspiré contre nous !

Il affichait un mauvais rictus en disant cela : c'était une provocation bien petite. Je lui renvoyai un regard foudroyant, et, décidée, restai plantée là, croisant les bras avec insolence.

Moi : Je ne bougerai pas d'ici.

Il allait continuer dans son persiflage quand il sembla enfin enregistrer ma réponse. Il tira alors une tronche désabusée :

Black : Attends mais euh... Tu ne veux pas prendre le temps de considérer la question avant...? Demanda-t-il, dérouté.

Moi : Non. Dis-je calmement.

Il n'y avait rien à débattre, surtout devant un tel chantage. Il souffla par les naseaux et fit une moue boudeuse avant de taper du soulier dans une particule de poussière.

Black : Bon, puisque t'es là tu peux toujours m'aider à kidnapper Alphys... Mais je me charge d'Undyne !

Moi : À tes aises, ça me convient parfaitement ! Acceptai-je aussitôt, avant de fléchir les jambes pour rebondir sur le matelas rembourré.

Plus qu'à attendre notre cible.

★★★

PDV Extérieur :

Depuis que la main de la commissaire s'était posée dans la sienne, Alphys ne l'avait plus lâchée. Si la danse l'avait détendue sur le coup, la réalité était revenue la frapper de plein fouet à l'instant même où la musique s'était stoppée. Désormais, elle se cramponnait à la manche de sa veste dans le but vain de ralentir sa respiration.

Undyne : Hey, Al, tu n'as pas de soucis à te faire, j'ai dit que je veillerai sur toi. Gloussa la femme poisson d'une voix tendre.

Alphys : O...Oui, mais...

Undyne s'accroupit, plongeant son regard dans celui de la lézarde. Elle offrait à celle-ci une vue splendide sur le seul attrait féminin visible de son héroïne : son œil doré, à demi voilé par sa paupière supérieure embellie d'un far aussi rouge que sa longue chevelure formés en queue de cheval. C'était, affirmait-elle, le signe qui disait au monde qu'elle était bien une femme, et oui, qu'elle était aussi la flic la plus importante de l'Underground. Les humains leur avaient apporté pas mal de saloperies en provenance de la surface... Les flingues, le sang, les meurtres, et oui, le sexisme. C'était justement ce petit détail, cette touche féminine, que la scientifique indépendante trouvait le plus attirant chez elle. La femme poisson posa sa paume sur la joue d'Alphys. Douce et rêche à la fois, elle résumait bien ce qu'elle était.

Undyne : Tant que je serais là... Rien ne pourra t'arriver. Rien, d'accord...?

Alphys ne répondit pas. Tout son corps chevrotait, incapable de réfléchir posément à la situation, si ce qui se passait n'était que l'un des multiples fantasmes qu'elle s'était imagés, ou bien si ce qu'elle vivait était réel. Elle ne parvenait pas à contrôler ses rougeurs, paniquait et profitait à la fois du contact chaleureux de ce qu'on appellerait plus tard sa waifu. Il avait vraiment fallu qu'elle se retrouve en danger de mort pour en arriver là ? Et quand toute cette histoire serait terminée... Si Undyne ne la voyait plus comme maintenant ?

Non. De toute manière, même si elle ne parvenait pas à masquer son attirance pour la commissaire, jamais elle ne s'autoriserait à avoir une quelconque relation avec celle-ci. Pas après tout le mal qu'elle avait infligé. Un être immonde comme elle ne méritait pas une personne formidable comme Undyne. Si elle savait... Si elle savait avec qui elle avait travaillé avant de devenir scientifique indépendante...

Elle avait tant hésité à dénoncer Wingding Gaster pour les expériences ignobles qu'il avait fait subir à ces enfants humains... Mais elle était trop lâche pour cela. Si elle parlait... Elle était certaine qu'on ne retrouverait même pas son corps.

Trop lâche pour vivre heureuse et trop lâche pour mourir... La voilà bien pitoyable. La robotique demeurait jour après jour son seul amour, un amour caché, inavouable, un amour de scientifique nerd comme elle. Vivement qu'elle informe Monsieur le maire de son projet et qu'elle se repaisse dans la continuité d'une vie presque insouciante.

Undyne voyait bien que ses preuves de confiance ne suffisaient pas à accoiser la lézarde. Ça la tracassait à force, de la voir ainsi démunie, sans qu'elle eût les outils nécessaires pour l'aider. Elle blablatait, elle rassurait, elle devinait un peu aussi... Mais surtout, elle espérait que son amie trouve le temps et l'occasion de s'ouvrir sur son passé. Elle était borgne, pas aveugle. Dans ce réseau de trafiquants, les secrets étaient jalousement protégés, plus prisés encore que l'or. L'argent sale, les mystères volés par intimidation... Que ce soit mafieux ou flic, rien n'était honnête ici-bas. Mais elle s'était jurée de ne pas voler les secrets d'Al.

Asgore Dreemurr commençait son discours sur la grande scène. Il était temps d'aller se préparer. Undyne se releva, accompagnant la scientifique jusqu'au grand escalier. Mais à peine eurent-elles franchi une marche qu'une voix les interpella. Elles se retournèrent. Un homme au sourire vicelard les abordait. Un reptile à la langue fourchue et au costume élégamment repassé.

Brain : Brain Weastwild, pour vous servir, commissaire. Annonça-t-il d'un mouvement de chapeau. Je suis venu vous informer d'un grand danger.

★★★

PDV Lisa :

Pendant que Blackberry farfouillait les tiroirs à la recherche de preuves, je déroulai dans un long soupir ma colonne vertébrale sur le grand lit d'hôtel. Les minutes s'écoulaient aussi rapidement qu'une glace sous les rayons hivernaux de Stardin, et la longueur passée à la désoccupation profitait aux voix malveillantes qui tourbillonnaient au-dessus de ma carcasse avachi. Les murmures, les ricanements s'inséraient dans mon crâne un peu plus, tels des vautours, qui, tournoyant autour d'un animal blessé, piquaient soudain en ligne droite pour planter leur bec entre les muscles engourdis de la bête, lacérer sa chair, lui crever les globes oculaires. Une pause dans mes actions, un moment où je m'égarais en méditations, et toute réflexion devenait rumination.

Ils commençaient d'ailleurs à me donner le tournis avec leurs mouvements circulaires, ces vautours...

Une pression sur mon épaule m'arracha un sursaut. Black me fixait avec sévérité, une phalange sur ses dents, avant de m'indiquer de tendre l'oreille. Des pas dans le couloir. Équivoques, presque muets. J'opinai avant d'aller me positionner à côté de l'entrée, là où la porte me cacherait. Le tap-tap des souliers s'intensifia. On en comptait quatre ou cinq paires, se pressant à des allures différentes. Bientôt elles furent devant la porte, se stoppèrent net. Un long silence se prolongea. Je positionnai mes appuis, dégainai discrètement mon épée. Le tortionnaire se mit également en place, déployant ses doigts, paré à attaquer.

Une goutte de sueur perla ma tempe. Un détail me turlupinait... Tous les pas semblaient homogènes entre eux, se rapportant au même type de chaussures... Or, Alphys, tout à l'heure, portait des talons. Soudain je compris. Je voulus prévenir Black, mais c'était trop tard.

La poignée couina légèrement, puis brusquement la porte se rabattit sur moi, expulsée par un revers de main. J'avais à peine pu calculer l'événement que des tirs fusillèrent la chambre, visant le squelette rouge exposé aux balles. Une avait pourfendu l'air, sifflé à deux centimètres de sa pommette. Deux centimètres et l'aventure aurait été finie.

Moi : BLACK !! Criai-je par réflexe avant d'asséner un violent coup de pied dans la porte pour la refermer, puis me plaquant à celle-ci.

Pendant que je luttais contre les tambourinages, remis de sa torpeur, Black envoya des os faire office de cale, puis courut m'assister. Tout s'était déroulé à une vitesse folle, cependant, par l'interstice de l'embrasure, j'avais pu capturer une veste bleu marine, pâle et délabrée. Les flics de tout à l'heure.

Black : Qu'est-ce que t'as fait ?? Ils n'étaient pas censés savoir qu'on était là ! Me reprocha le tortionnaire en s'évertuant à maintenir sa position, d'une voix juste assez forte pour que je sois la seule à l'entendre sous les bourrades tonitruantes et les engueulades des agents de l'autre côté.

Moi : Mais j'en sais rien ! J'ai rien fait ! Je croyais que t'avais désactivé les caméras !

Black : Elles SONT désactivées !

Moi : Bon, peu importe, il faut les tabasser !

Black : PAS sans un plan !

Moi : On n'a PAS le temps !! Il faut que tu prennes une décision Black ! Vite !!!

Une balle traversa la planche, défonçant le bois pile entre nos deux nez. Il balbutiait, hagard. Comme tout à l'heure dans le bureau il parut démuni, à la merci d'une bête situation qu'il ne maîtrisait pas.

Black : Une... Euh... Bah... C'est trop risqué d'attaquer frontalement !

Moi : Alors enfuyons-nous par là !

Je pointai du doigt le passage étroit à la bouche rectangulaire, cloisonnée par une fine grille de fer qu'il serait possible d'arracher en un rien de temps. Black s'énerva.

Black : Mais c'est quoi ton délire avec les conduits d'aération à la fin ??

Moi : C'est le rêve de toute une vie !!!

Black : Bon, je propose de les tabasser !

Moi : Faudrait savoir !!

Black : À trois on lâche, on se téléporte et on les attaque par derrière !

Moi : Ça me va !

Black : Un !

Il prépara son fouet.

Moi : Deux...!

Je fis fureur sur mes cuisses pour maintenir notre barricade en place en invoquant mon sabre.

Nous nous consultâmes, hochâmes la tête, décidés, puis reculâmes subitement, prêts à effectuer la translation.

Black/Moi : TR...!!! Ois...?

Nous nous figeâmes net. Des bruits de lutte explosaient dans le couloirs, cris étranglés surplombés d'une volée de coups de feu produits par des silencieux. Le poids d'un corps fit trémuler la porte, puis plus rien. Nous ouvrîmes tout, tout doucement. Un groupe de monstres se tenait au milieu des cadavres des flics qui jonchaient le parquet. Les corps se transformaient progressivement en poussière, leurs vêtements expirant sous la dégradation. Le chef de la troupe fit tournoyer son revolver avant de le ficher dans son veston, sa langue fourchue sifflant à travers son sourire narquois.

Moi : Brain ?? Fis-je, interloquée.

Black : Que faites-vous là ? Nous aurions pu nous débrouiller tous seuls !

Brain : Mr. Gaster s'est trompé dans la distribution des missions. Expliqua le reptile en avançant le bassin, pouces dans les poches. Chourer les documents de la scientifique, c'était notre job. Vous, vous auriez dû affronter le gang de Needleteeth à l'heure qu'il est.

J'avais du mal à appréhender. Alors on avait fait tout ça pour rien ? Avant que Black et moi nous indignâmes, il tâcha de préciser :

Brain : Mais hey, ça s'arrête pas là pour autant, on va vous envoyer un autre dossier, vous avez l'étoffe d'une mission bien plus dangereuse que celle-ci. Venez, on a déjà réglé le problème ici de toute manière avec les copains, j'vais vous guider jusqu'au patron pour qu'il vous reprenne en main. N'empêche que vous nous avez grandement facilité le boulot en désactivant les caméras.

À cette dernière précision, le tortionnaire se rengorgea.

Black : Il aurait pu être plus scrupuleux quand même, cela nous aurait évité de perdre du temps. Mais enfin, il reconnaît au moins notre vraie valeur.

Mes ongles s'enfoncèrent convulsivement dans mes bras tandis que je contemplais le triste massacre. La mort, aussi méritée était-elle, ne m'avait jamais suscité quelconque jouissance. S'ils avaient rempli leur mission... Je n'osais même pas imaginer le sort qu'Alphys avait subi. Nous quittâmes l'étage pendant que les autres besognaient à effacer toute trace de leur passage, provoquant un goût amer qui se propagea sur ma langue.

D'un côté, savoir que Gaster ne nous abandonnait pas sans contrat à cocher me soulageait. Même si c'était chiant, au moins, on ne rentrerait pas bredouille. D'un autre, mon instinct me criait d'être méfiante... Quelque chose clochait. Nous marchions encadrés par Brain et un de ses gorilles, ce dernier en queue de file et lui en tête. Je tapotai l'épaule de Black en soufflant :

Moi : Y'a un truc bizarre...

Black : Quoi donc ? Monsieur Gaster s'est trompé, c'est honteux venant d'un parrain de mafia mais il n'est pas le M...

Moi : Je parle pas de ça...! Grognai-je. "L'étoffe d'une mission dangereuse", "le coup des caméras"... Tu ne trouves pas ça étrange que Brain t'ait dit exactement ce que tu voulais entendre...?

Black : Ridicule, c'est un homme de Gaster, il n'aurait aucune raison de nous mentir.

Moi : Mais...

Black : Arrête de penser à des choses inutiles et concentre-toi plutôt sur notre prochaine mission. Me coupa-t-il aigrement.

Je serrais les dents mais ne rétorquai rien. Je me faisais peut-être des idées. Dans ce monde après tout, le mensonge était la plus cruelle des vérités, l'outil quotidien des honnêtes gens. On tuait de sang froid, on manipulait, chaque agissement se motivait par un désir égoïste et vénal... Cet AU était décidément bien négatif. Vivement que cette histoire se termine.

Nous avions descendu les marches et nous dirigions désormais vers la sortie, praticable par l'emprunt d'un petit couloir qui longeait la grande salle. On passait donc à côté d'une entrée qui offrait une vue sur la fête, vivifiée par les danseurs et les musiciens, les invités et les serveurs. J'y accordais à peine un regard, abattue et morose, quand tout à coup mon œil capta une scène révélatrice.

La lézarde. Et Undyne. En train de parler à Asgore. Le bouc écoutait la scientifique attentivement, hochant la tête, vraisemblablement intéressé. À peine eus-je fait le rapprochement que le fracas d'une matraque éclata dans l'air. Alarmée, je me retournai vivement vers mon compagnon.

Moi : Black !

Le squelette rouge gisait déjà au sol, aux pieds de son agresseur qui me pointait désormais avec un Desert Eagle, pendant que son complice appuyait le sien dans mon cou. Cela suffit à me paralyser totalement. Je sentais la menace de la balle qui attendait au bout du canon, et le doigt nerveux inséré dans la gâchette.

Moi : Espèce de salaud...!! Grinçai-je à Brain, ulcérée mais pas surprise. Vous croyez vous en sortir aussi facilement en trahissant Gaster ??

Brain : Trahir Gaster ? Reprit le reptile, amusé. Je crois qu'on ne s'est pas bien compris, ma p'tite. C'est lui qui m'a ordonné de vous capturer.

Je tombai des nues. Gaster ? Nous capturer ? Mais pourquoi ! Et pourquoi laisser Alphys confier ses plans à Asgore ? Ça n'avait aucun sens, il pouvait nous demander tout ce qu'il voulait !

Oui, tout... Sauf la vie.

L'adrénaline animée par la froideur du métal contre ma gorge faisait palpiter ma carotide. Je revis, pantelante, les iris du parrain rivés sur moi, flamboyants et cupides.

Brain : Au départ il avait prévu de vous envoyer en mission suicide, comme d'habitude... Mais il a vite revisité ses plans en te voyant, il pouvait pas prendre le risque de te tuer. Après tout, que vaut un peu d'anti-mag... Contre la septième âme humaine ?

Le revolver décolla de ma peau. Une seconde plus tard, je m'effondrai à mon tour, frappée à la tempe par un coup de crosse.

★★★

Le monde réapparaissait au gré d'une infernale lenteur. Mes doigts ratissaient la racine de mes cheveux, devinaient une bosse proéminente sur mon crâne. Puis la douleur s'éveilla. Je gémis, redressant à moitié mon buste afin de décrire l'état du lieu dans lequel je me trouvais. Une petite pièce sombre, comme un débarras, remplie d'une multitude de cartons en désordre, éventrés, bourrés de piles de papiers. Une table trônait au milieu, accueillait une petite lampe à huile qui repoussait la pénombre. Je me mis assise, maudissant la migraine occasionnée, avant d'apercevoir mon compagnon recroquevillé dans un coin. Il avait récupéré son armure de combat mais son maquillage tenait encore.

Moi : Black...? Où... est-ce qu'on est ? M'enquis-je, encore groggy.

Black : Dans les sous-sols de l'industrie Gaster. Marmonna-t-il. Wingding Gaster nous a fait capturer. Il finançait illégalement de nombreuses expériences sur les âmes humaines, avant de découvrir qu'il était possible d'absorber leur détermination, Brain me l'a dit pendant que tu dormais. Avec le pouvoir cumulé de sept âmes, il compte dominer l'Underground par la force, et même au-delà. Ils en possèdent déjà six, et... t'es la dernière.

Je devins marron en me remémorant les vagues paroles de ce satané serpent. Merde, j'aurais dû le voir venir ! Mais avec toutes mes préoccupations vis à vis de la mission, ça m'était complètement passé par dessus...

Moi : Attends, mais... Il ne craint pas les représailles de Nightmare s'il s'en prend à ses sb... ses employés ?

Black : Nan, il a prévu de le tuer, ou du moins de le soumettre à sa volonté grâce à la puissance acquise.

Moi : Ça ne marchera pas ! Contestai-je, horrifiée, en songeant à la boucherie qui en découlerait.

Tuer. Nightmare. Essayer de tuer Nightmare. Cette idée m'étourdissait tant elle me paraissait drôle et irréelle. Quant au fait de le soumettre, c'était tout bonnement grotesque.

Black : C'est ce que j'ai dit à Brain, il n'en avait rien à cirer. J'ai même prévenu que tu étais spéciale et que Nightmare se mettrait dans une colère noire si tu venais à mourir. Mais Gaster pense dur comme fer être capable de le battre.

Automatiquement, cette dernière info m'emplit de hargne, appuyait sur une profonde plaie qui pour un peu m'approchait de la haine. La corruption dans mon cœur se contracta violemment.

Moi : Pourquoi t'as dit ça ?? L'agressai-je.

Black : Pour te sauver, du conne !! Se défendit-il. Histoire de remplir ne serait-ce qu'une de mes obligations !

Il amena ses rotules à sa mâchoire en bougonnant. Je libérai un soupir. Bon, on s'en foutait, pour l'heure, l'objectif était de ficher le camp d'ici. Je tâtai ma poitrine, dans l'espoir de retrouver la présence rassurante de mon médaillon. Hélas la pulpe ne parcourut qu'une surface plane.

Black : Un des gardes te l'a pris quand t'étais dans les vapes en croyant que c'était un bijou. Rapporta le squelette rouge. Et Brain nous a confisqué les cristaux d'Echo. Pour ça, ils étaient au courant.

Je fis la moue. Évidemment. Bordel, Ink, pourquoi tu me l'as fait aussi attrayant ?? Je me relevai et allai jusqu'à la porte, tentant d'actionner la poignée. Verrouillée. J'appliquai mon oreille sur la surface polie, essayant de capter quelconque présence. Rien, aucun bruit. Je hurlai :

Moi : LAISSEZ-NOUS SORTIR !!!

Un "Ta gueule !" me fut rendu, crié mais lointain, suivi d'éclats de rire.

Black : Parce que tu croyais que ça allait marcher ? Se moqua Black, blasé.

Je levai l'index pour lui ordonner de la fermer, concentrée sur l'extérieur. Les gardes devaient être postés en haut de ce qui était peut-être un escalier, ils ne nous entendraient donc pas si on parlait assez bas. Impossible de décortiquer des phrases concrètes, en revanche je notais trois voix. Quatre à tout casser.

Black : On peut savoir ce que tu fais ? S'énerva le tortionnaire.

Moi : J'essaie de nous tirer le cul des ronces, tiens !

Black : Te fatigue pas, ça ne sert plus à rien, ils arriveront pour toi dans quelques minutes. Le bâtiment est truffé de gardes et je n'ai aucune idée de notre position dans l'espace alors je ne peux même pas nous téléporter à l'extérieur.

Moi : Bon sang ce que t'es défaitiste ! On peut toujours...

Quand je me tournai vers lui, ma phrase fondit. Sa maxillaire inférieure semblait retenir avec désespoir une véhémence déchaînée dans le creux de ses os. La faible lueur de la lampe s'étalait en partie sur sa figure, rendant un clair-obscur sombrement déséquilibré. Il explosa, s'éjectant du sol.

Black : NON, ON NE PEUT PAS !!! Au diable mes efforts, les plans que je perfectionne, les détails que je supervise, il ne se passe jamais rien comme prévu !! Dès le début on n'avait aucune chance de réussir parce que Gaster n'a jamais eu l'intention de nous récompenser À CAUSE DE TOI !!! À quoi ça sert que je m'acharne sur un travail si c'est pour que les événements foutent tout en l'air ??

Mugissant comme un lion en cage, il multiplia les allers-retours dans la pièce, frustré, humilié. Je me préparais presque à sortir mon arme, mais bien vite ma garde se calma lorsque dans un ultime râle sa voix déraya, se brisa, puis faiblit.

Black : Peu importe comment j'essaie de maîtriser la situation, ça finit toujours par foirer ! Je n'ai même pas pu tuer mon frère ou vaincre la Reine à la loyale ! Je n'aurais jamais la reconnaissance qui m'est dûe, ni l'appréhension de Nightmare, et... Mon nombre de fans restera le même....

Il aplatit ses vertèbres contre le mur, et se laissa tomber sur le coccyx. Deux grosses gouttes émergèrent de ses orbites, qu'il se dépêcha de chasser honteusement d'un revers de poignet. La pâte qui jusqu'alors masquait son visage déposa du blanc sur son gant rouge, délivrant ainsi ses cicatrices. Il en profita pour enlever également ses lentilles et retrouver le carmin flamboyant de ses pupilles.

La douleur qui le rongeait s'était traduite par de la colère, mais de nouveau cela attestait la conduite d'une formalité, une dernière couche de protection avant de mettre à nu la velouté de son âme. À cet instant il n'avait plus rien de menaçant, labile mais inoffensif. J'attrapai ma lèvre avec les incisives. Les versions alternatives de Sans... Elles étaient si diverses, si nuancées... J'en avais totalement négligé ses faiblesses, communes à Blue, et par extension à Papyrus. Fort, persévérant, fier, bien trop fier... Et le meilleur ami du complexe de supériorité. Je compris à présent pourquoi l'attachement de Dust nonobstant son comportement déplorable.

Black : Comment il fait, lui....? Chignait-il. Comment il fait pour réussir tout ce qu'il entreprend...?

Je m'apprêtais à prendre la parole, m'abstins, embarrassée. Que dire face à cela ? Te décourage pas ? Tu vas y arriver ? Il avait beau me faire de la peine, hors de question de l'encourager à commettre plus d'atrocités. Mais je ne pouvais pas non plus laisser mon acolyte ainsi démuni... J'optai donc pour le discours qui m'écorcherait le moins la langue, secouant le menton, exprimant un doux sourire.

Moi : Tu crois que Nightmare réussit toujours tout ce qu'il fait ? Si c'était le cas, il aurait déjà dominé le monde ! À lui aussi ça arrive de faire des erreurs.

Black : Vraiment....? Renifla-t-il, sceptique, les orbites taillées dans une agressivité farouche.

Moi : Hey, ça fait deux ans que je le combats, j'en ai déjà vu de belles ! Affirmai-je en allant m'installer à côté de lui. Une fois il a voulu anéantir une ville, j'étais la seule disponible pour l'en empêcher, et il m'a battu... Juste avant de se faire griller les fesses par la Toriel et l'Undyne de cet univers.

Black : Sérieusement ?? S'estomaqua le squelette rouge, déployant de grands yeux bonifaces à la manière d'un enfant qui découvrait un secret interdit.

Moi : Oui ! Et un jour il a même envoyé Horror à Magitale. Il a dû rassembler ses morceaux éparpillés aux quatre coins de l'Underground.

Black : Je te crois pas.

Moi : Je te jure que si ! Ris-je, agréée de me remémorer ces souvenirs. Et aux dernières nouvelles, lui non plus il n'a pas réussi à tuer son frère.

Black : C'est vrai... Réalisa Black. Alors... Il n'est pas aussi fort qu'il le prétend ?

«C'est la question que je me pose depuis deux ans...» Songeai-je à regret.

Moi : L'échec, ça arrive à tout le monde, même aux meilleurs. Et si je peux confirmer une chose, c'est que c'est absolument impossible de tout superviser. Même pour le cerveau le plus mécanique, l'esprit le plus logique, on aura toujours à se confronter à l'imprévu de la vie. Elle est pavée de hasards, n'obéit à aucune loi, elle est sauvage et fugitive.

Black : Ben tu vois, ça c'est carrément nul.

Déjà il paraissait plus apaisé. Passif, il tapotait distraitement le bout de sa botte contre sa jumelle, semblant jouer une musique muette qui ne plaisait qu'à lui. Je me faisais douleur pour ne pas m'égarer dans mes propres cauchemars. En ce moment, je le comprenais mieux que quiconque. Aurais-je pu prévoir qu'Error disparaîtrait dans le Void ? Aurais-je pu prévoir que Nightmare proposerait mes services en échange de sa "libération" ? Aurais-je pu prévoir que je combattrais aux côtés de mes pires ennemis ? Pourrais-je prévoir ce que je ferais lorsque je retrouverais enfin mon squelette d'ébène ? Non, non et mille fois non. Je prononçai délicatement :

Moi : En fait, si tu veux garder une constante maîtrise sur les évènements... C'est parce que tu as peur de te laisser emporter ?

Black : Peur ? Moi ?? Tu me connais mal ! Se scandalisa-t-il, en levant la cavité nasale d'un air hautain, les arcades en accent circonflexe renversé.

Il enlaça ses genoux avec une moue boudeuse.

Black : C'est... C'est juste que là d'où je viens, si tu ne prévois pas tout, tu es bon pour te faire empaler à chaque coin de rue...

C'était fou, avec cette perspective donnée sur son faciès, soumi à cet angle particulier, il en serait presque attendrissant. Je n'avais pas confiance en lui, mais j'avais toute confiance en Papyrus, alors j'étais convaincue que lui aussi avait un bon fond, et qu'il était capable de le prouver s'il le voulait vraiment.

Moi : C'est important de visualiser un terrain accidenté pour tenir une piste, ou de t'équiper en cas d'incident, mais le destin te jouera toujours un sale tour au moment où tu t'y attendras le moins, c'est comme ça. Mais il ne faut pas s'en décourager pour autant ! Clamai-je en me réhaussant sur mes jambes, poing levé. Quand ça arrive, ce qu'il faut savoir faire, c'est improviser ! Apprendre à nager à travers les courants est bien moins compliqué que de tenter de conquérir la mer !

Black : Improviser ? Rouspéta-t-il. Peuh, c'est un truc de héros, ça !

Moi : Et alors ? Nightmare aussi improvise. Et puis, ça a bien marché tout à l'heure dans son bureau. Tu es toujours mon ennemi, Black. Je ne t'apprécie pas pour tes actes, mais quoi que tu fasses tu es sérieux, déterminé, tu y crois et tu te donnes à fond, et ça c'est quelque chose que je qualifierai des plus respectables. Et inspirantes.

Sa bouche s'entrouvrit comme si on ne lui avait jamais fait de compliment de sa vie. Il dirigea vers moi des pupilles luisantes, regorgeantes d'espoir.

Black : Alors... Tu veux bien être ma première fan ??

Moi : Euuuuh... Grimaçai-je. Si tu arrêtais de tuer des gens je pourrais y réfléchir.

Black : Oh ! C'est de la tentative de corruption, ça ! S'agaça-t-il en se levant, époussetant ses épaules avec mépris. Je suis quelqu'un de loyal ! D'ailleurs tout ce que tu as pu me dire ne m'a fait aucun effet, je ne me laisse pas berner par les propos verveux d'une ennemie, moi !

Fin de cette parenthèse de pureté. L'innocence dans ses gestes avait refait place à la surface froide et lisse de sa conventionnalité. Plus rien ne reflétait dans ses pupilles, mais au moins il avait repris du poil de la bête.

Moi : C'est tout à ton honneur. Bon, on y va ?

Black : Tu réussirais à nous faire sortir ? S'interrogea-t-il.

Moi : Qu'est-ce que tu crois ? Me vantai-je en me pointant du pouce. Sache, Monsieur le Vilain, qu'en tant qu'héroïne, je suis une EXPERTE diplômée dans l'art de l'improvisation ET de l'évasion !

Black : Ah ouais et comment tu comptes t'y prendre ? Railla-t-il tandis que je posais la lampe à terre avant de démembrer la table d'une de ses jambes.

Moi : Allons, Black, tu te dis fan de Nightmare et tu ne connais même pas sa stratégie numéro un ? M'étonnai-je.

Black : Sa stratégie numéro un ?

J'étirai un sourire roublard.

Moi : Être divinement insupportable.

★★★

PDV Extérieur :

Gervé se retrouvait seul contre deux. Mais il s'en foutait, il avait l'avantage. Il luttait avec acharnement depuis une bonne demi-douzaine de minutes, et à présent il détenait toutes les cartes en main. Ou plutôt il les avait toujours eues, mais là, c'était l'occasion parfaite de s'en servir. Ils avaient tiré l'atout numéro un, il s'en accaparerait avec le vingt-et-un, et alors, à l'aide du ménestrel, il n'aurait que trente-six points à gagner en tout. C'était un beau coup, ça, un coup de maître !

Il s'apprêtait à aplatir sa pièce maîtresse sur la pile de cartes quand un rugissement inopiné le bouscula, lui et ses adversaires. Les mains des joueurs tombèrent sur le béton gris, sale et poussiéreux du couloir. Guttural, poussé depuis le fond de l'estomac, il émanait des profondeurs de la cave, se changeant progressivement en vociférations inintelligibles.

??? : FAITES NOUS SORTIR TOUT DE SUITE OU J'APPELLE MON AVOCAT !!! VOUS ÊTES DANS L'ILLÉGALITÉ LA PLUS TOTALE, VOUS N'AVEZ PAS LE DROIT DE NOUS ENFERMER, JE VAIS VOUS COLLER UN PROCÈS AU CUL VOUS ALLEZ BIEN VOIR CE QUI VA SE PASSER !!! D'AILLEURS VOTRE CHAMBRE ELLE EST POURRIE, À UN SERVICE D'HÔTEL JE VOUS METS MÊME PAS UNE DEMI ÉTOILE !!! JE CRÈVE LA DALLE, JE VEUX UN PLATEAU DE FRITES POTATOES AVEC UNE BOUTEILLE KETCHUP DELUXE ÉDITION LIMITÉE, UN CHEESEBURGER ET DES NUGGETS AU POULET !!!

Gervé : RRRAAAAH, putain mais ELLE VA SE TAIRE OUI ?? Beugla l'ours polaire en envoyant valser les cartes de son bras énorme, expédiant au passage quelques gouttes de bave produites par l'écumage de son imposante gueule.

Il devait bien faire deux mètres de haut pour cent-trente kilos de muscles. Quand Gégé préparait sa fureur, tout le monde courait se planquer, sous les tables, sous les tapis, sous les bouches d'égouts des ghettos les plus mal famés. Il pouvait vous briser la nuque avec le petit doigt, vous casser en deux comme on casserait par mégarde une allumette en essayant de la craquer. Mais le timbre épais de sa voix ne découragea pas la fille qui continua de plus belle, frappant avec son pied de table la porte dans un rythme obstiné.

??? : AVEZ-VOUS LA MOINDRE IDÉE DE QUI JE SUIS, BANDE DE MAFIEUX PISSEURS NÉVROSÉS DU DIMANCHE ??? JE SUIS L'HÉRITIÈRE DU TRÔNE DE POUDLARD ET DE SES QUATRE MAISONS ET J'EXIGE UNE PLAYSTATION DIX, UN COFFRET DE LA TRILOGIE STAR WARS, LE SUPER MARIO KART HUIT, TOUS LES CD DE METTATON NEO ET UNE DÉDICACE DE CHAQUE RÉALISATEUR DE MES FILMS PRÉFÉRÉS !!!

Ramier : Je comprends rien à ce qu'elle raconte... Commenta le pigeon anthropomorphe en fronçant du bec. C'est quoi une plaie-machin ?

Mason : Je rêve ou elle nous a traité de bout de lard ?

Gervé : Je m'en fous, je m'occupe d'elle et je reviens.

Ramier : Whouaaaaaaaaah, la pauvre... Déplora Ramier.

Mason : Vas-y Gégé, et évite le trauma crânien surtout ! Ricana le husky.

L'ours polaire s'enfonça dans la cage d'escaliers, tordant la rambarde de fer aussi aisément que du caramel. Il inséra la clef dans la serrure, ouvrit la porte et découvrit la jeune femme au fond de la pièce, son comparse derrière elle, faisant sans doute barrage avec son corps pour ne pas qu'il eût l'idée de le descendre pour l'exemple. Il eut un peu de mal à entrer en vue de son volume colossal et alla se planter devant les deux prisonniers.

Black : Lisa, t'es sûre que c'était une bonne idée....? Chuchota le squelette rouge, minuscule, blême devant la montagne qui se grandissait devant eux.

Gégé brandit une griffe sous le nez de la brunette qui ne broncha pas d'un cheveu.

Gervé : Ça me ferait franchement chier d'abîmer la marchandise de Mr Gaster alors je vais faire preuve d'indulgence : un bon conseil, tu fermes ta jolie p'tite bouche ou...

Lisa : TON INDULGENCE TU PEUX TE LA FOUTRE AU CUL JUSQU'À LA LETTRE E, J'AI RIEN À DIRE À UNE ESPÈCE EN VOIE D'EXTINCTION !!!!

Gervé : Oh tu vas regretter d'avoir dit ça, pouffiasse !!! Tonna l'ours en montrant ses crocs.

Mais au moment où il allait l'attaquer, elle expectora un hurlement strident, aigu, cacophonique, perçant les oreilles des deux monstres. Tout en prolongeant son hourvari telle une harpie, elle se glissa derrière son adversaire, puisant de l'agilité et la souplesse d'un furet, mêla ses jambes autour du cou pansu de la bête et invoqua une batte d'or pour lui tabasser le crâne. Lui grognait, reculait, tentant de décrocher l'humaine en encaissant les coups.

En haut, depuis le couloir, les deux gardes s'échangeaient des œillades ahuries aux cris de détresse de l'humaine, aux grondements féroces de Gégé, et au son des tables qui percutaient, des coups qui tonitruaient.

Ramier : Putain mais qu'est-ce qu'elle a à crier comme ça, la fille, ça me stresse !

Mason : J'en sais rien. Répondit Mason en se curant la narine droite. Gégé doit sans doute lui faire subir un truc horrible.

Ramier : La pauvre... J'l'a plains quand même, il peut être terrible, Gégé.

Mason : Estime-toi heureux que ce soit elle plutôt que nous. Bon, on fera exprès de perdre, comme tout à l'heure ?

Ramier : Pour le tarot ? Ouais, évidemment.

Mason : Tant mieux, je tiens à mes dents.

Ramier : Moi aussi.

Mason : T'as pas de dents.

Ramier : Et c'est pour ça que j'ai jamais de caries.

Mason : Veinard.

Ramier : Je sais.

Mason : Tiens, les cris se sont arrêtés.

Ramier : Ah oui, Gégé doit avoir fini.

Mason : Préparons-nous.

Ramier : Ouais, préparons-nous. Au fait, il est pas mal ton collier ! Remarqua Ramier en désignant le médaillon qu'avait extrait son collègue de la doublure de sa veste, qui scintillait aussi joliment qu'une étoile à la lumière des néons ambrés.

Mason : T'as vu ? Ricassa Mason, satisfait. Je l'ai trouvé en fouillant l'humaine, je l'offrirais à ma femme après le boulot. Ça plaît à la gente féminine ces choses-là, non ?

Dans leur dos, hâtives comme des marionnettes entrant en scène, deux matraques se dressèrent au dessus des deux comparses, une en os, une en magie jaune.

Ramier : Mais t'as pas de femme. Souligna l'un.

Mason : Bon, d'accord, c'est pas ENCORE ma femme. Avoua l'autre, avec le sourire coquebin d'un jeune amoureux. Disons plutôt que pour l'instant c'est mon amante.

Ramier : Mais t'as pas d'amante.

Mason : Ça t'en sais r-!

Les matraques s'abattirent violemment sur les deux têtes, provoquant une vibration des couvres-chefs jusqu'au bout des souliers. Leurs fronts s'entrechoquèrent, puis ils s'effondrèrent dans un même bruit sourd.

Lisa : C'est à moi, ça ! Triompha Lisa, récupérant son médaillon des griffes du husky.

Black : Whouaw... Souffla Black, impressionné du résultat sans appel. Comment tu savais que ça marcherait ?

Lisa : Je savais pas. Répondit-elle en enfilant son artéfact adoré. On y va ?

Elle fit un grand geste entraînant de la main avant de s'élancer dans les boyaux de l'industrie.

Black : Mais... Où ça ?? Cria Black alors qu'elle s'éloignait.

Lisa : Retrouver Gaster, tiens ! On a toujours un objectif à remplir !

Le tortionnaire lui coupa promptement la route en se téléportant devant elle. Sa mine était changée, plus mature.

Black : Attends Humaine, c'est spécial, ce qui se passe. Gaster n'a pas respecté le contrat, le plus sage serait de rentrer et de prévenir le Maître pour qu'il s'occupe de l'affaire.

Lisa : Mais... Et...Et la mission...? Demanda la brunette.

Il serra les dents. Cette initiative l'emmerdait autant qu'elle, mais il connaissait son travail et il savait différencier un fiasco d'une situation singulière.

Black : Il va falloir l'annuler, j'en ai bien peur.

Lisa battit plusieurs fois des cils, frappée par la désillusion. Le déni la fit basculer ailleurs, profondément, très profondément à travers les embûches de son âme tortuée, si bien qu'elle parut absente pendant une trentaine de secondes, ce qui lui valut un regard interrogateur de la part de Black. Tout à coup elle refit surface, comprima les poings, fuyant la rationalité de son compagnon en se détournant.

Lisa : ...Pas forcément. Notre mission au sens strict du terme est de renouveler le contrat avec Gaster. Si nous parvenons à le convaincre de nous accorder une validation, elle sera remplie.

Black : Essayer de négocier avec les mafieux, moi qui commençais à croire que t'avais un cerveau !! Gronda le squelette rouge. Ce n'est plus de notre ressort, je sais que les héros sont têtus mais là il va falloir s'abstenir !

Science tenait le même discours. Ce qu'il exigeait, c'était raisonnable. Oui, très raisonnable même, mais c'était impossible. Elle insista, pommettes relevées, les plis de ses yeux presque suppliants.

Lisa : Non, j'ai besoin de cette mission, j'ai besoin d'en finir au plus vite !!

Black : Je comprends à quel point c'est important pour toi mais morte tu n'accompliras rien ! Tu pourras toujours en refaire une demain, non ? Maintenant ouvre un portail, on va chercher Nightmare !

Lisa : Non tu ne comprends pas ! S'il te plaît, laisse-moi au moins essayer ! Implora-t-elle, effectuant un pas en avant, forçant le passage.

Black : Pour que tu te fasses trouer la peau ? Résista-t-il. Pour que tu te fasses voler ton âme ? Et je lui dis quoi, moi, après ?!

Lisa : Mens, fais quelque chose, il ne faut pas qu'il intervienne !!

Le tortionnaire ne reconnaissait plus l'héroïne qui l'avait rassuré il y a quelques minutes. Ce tac au tac la détruisait : tout en elle s'était fragilisé, sa posture cambrée, ses os de cristal, ses mains moites, sa peau blafarde et ses yeux délavés, accompagnaient de légères trémulations, comme si un fantôme la suivait.

Black : Mais pourquoi tu t'obstines ? Nightmare ne nous en voudra pas, il pourra assurer ta protection !

Lisa : JE NE VEUX PAS DE SA PROTECTION, D'ACCORD ???

Un long silence plomba les sous-sols. Sa poitrine montait, descendait, frénétiquement. Ses doigts étaient crispés au niveau de ses cheveux comme si elle voulait se les arracher, ses iris miroitaient d'une teinte dorée. Elle sanglotait.

Lisa : Je... je ne veux pas, s'il te plaît je ne le supporterais pas...

Comment exhiber cette angoisse constante, découlant de la délicate oppression de pétrole qui l'asphyxiait sans même la violenter ? Comment, sans citer le responsable de cette gangrène qui par la seule mention de son nom lui provoquait quelque pulsion meurtrière ?Comment trouver les mots qui feraient comprendre à quel point elle voulait s'échapper, et que désobéir était insuffler ne serait-ce qu'une bulle d'oxygène, l'illusion d'un choix, d'une maîtrise imaginaire sur ses actions ? Comment expliquer ça à Black ? C'était tout bonnement indicible. Elle devait réussir, au diable les risques.

Black : Lisa... Balbutia son binôme, une main voulant prendre son épaule.

Elle la gifla furieusement avant de le contourner et de piquer un sprint. Elle disparut dans l'angle du couloir, puis soudain, la détonation d'une téléportation claqua. Il s'alarma :

Black : Hé, reviens !! Lança-t-il en la filant dans l'allée principale.

Il ralentit net quand il repéra deux agents marchant dangereusement vers lui. Il se colla vivement au mur, perpendiculaire à eux, statufié. Les monstres, plongés dans leur conversation, tracèrent nonchalamment leur chemin sans même l'avoir calculé. Il passa alors précautionneusement derrière eux avant de franchir le prochain couloir. Une fois le danger écarté, il se donna le luxe de trottiner, appelant plusieurs de nom de l'humaine, quand soudain des sortes de ramdams métalliques répercutèrent dans un mur. Il guida sa focalisation à gauche, puis vers le bas. Une plaque de fer grillagée gisait au sol, et en face, un trou sombre faisait office de passage, conduit veineux se prolongeant dans le corps de tout le bâtiment.

Black : Et merde...

★★★

PDV Lisa :

Gaster, bien à l'aise dans son fauteuil rembourré, roide, majestueux, tapotait ses longs doigts crochus sur ses cuisses entrecroisées. Son bureau était dressé avec un assemblage géométrique impeccable, son regard centré sur la porte. J'attaquai du pied la grille du biais par lequel je l'espionnais. Il ne remua pas une phalange, seules les deux billes blanches abritées dans ses orbites se synchronisèrent sur mes mouvements. Je tapai une seconde fois, il s'affubla de son abominable sourire. Je tapai une troisième fois, enfonçant la grille qui s'écrasa sur la moquette, avant de m'éjecter de la bouche de fer et de me réceptionner au sol.

Gaster : Tu as contourné les gardes en passant par les conduits d'aération. Commenta le parrain, calme et gaussé. Initiative... Cocasse, ma foi.

Moi : Vous êtes bien présomptueux de penser pouvoir nous porter préjudice sans encaisser la moindre charge. Clamai-je en sautant les formalités.

Je plaquai mes paumes le bureau, le toisant avec âpreté. Insouciant, il se concentrait à entamer son panatella en allumant un briquet tiré de sa poche.

Moi : Le contrat stipulait que vous pouviez nous demander n'importe quel service, pas nous prendre notre vie. Vous avez enfreint les règles ! Vous nous accorderez la validation de cette mission, sinon...

Gaster : Sinon quoi ? Me coupa-t-il sans effort, sans même élever le ton. Tu vas me tuer ?

Il avait posé un accent de provocation, avant de me souffler doucement sa fumée au visage. Je me courbai en arrière en réprimant une grimace, m'évertuant à ne pas respirer le parfum âcre du tabac.

Gaster : Crois-tu qu'en trente ans de métier je ne sois pas capable de discerner les êtres virginaux des cœurs de fer ? Allons, tu n'as même pas ne serait-ce qu'un soupçon de désir meurtrier en toi. Tu es une enfant éperdue dans un monde cruel et avili, tout en toi prouve en sentiment d'exposition et de vulnérabilité. Je ne sais quelle force t'as contrainte, vénale, physique ou sentimentale, mais tu es étrangère à notre monde et au leur.

Sa fumée m'avait aveuglée une seconde. Lorsqu'elle se dissipa, je manquai de peu de sursauter, biglant sur le pistolet qu'il avait rechargé dans sa main gantée.

Moi : Je croyais que vous aviez besoin de mon âme... Raillai-je, coincée dans une position sèche. Êtes-vous seulement au courant que si cette balle atteint mon front elle se brisera en morceaux et vous échappera définitivement ?

Gaster : Bien évidemment, j'avais tout d'abord prévu de l'extraire proprement. J'ai tout mon temps, tu t'en doutes. Susurra-t-il, agitant l'un de nos cristaux d'Echo pendant du bout de sa ficelle. Mais moi qui pensais que tu ne pouvais pas avoir plus de valeur, qu'ouïs-je, qu'entends-je de la part de Brain ? Mon fournisseur préféré tiendrait particulièrement à la vie de notre jeune humaine ?

Je comprimai un hoquet, ébranlée de tremblements. Il se leva tranquillement, passant autour de son bureau pour me faire face sans barrières. Son sourire était devenu glaçant, carnassier.

Gaster : Le tableau est assez facile à analyser... Toi, manipulée, enchaînée, chancelante. Lui, sadique, joueur, monomane. C'est hilarant, ton visage confirme absolument tout ce que je dis ! J'ai déjà été témoin de son obsession pour plusieurs personnes par le passé, manifestement l'histoire se répète : il ne laisserait jamais quelqu'un d'autre que lui te tuer. C'est plutôt étrange, tu sais... Pour nous les patrons, les sentiments sont une gêne, c'est pourquoi nous les entassons dans les méandres de notre âme jusqu'à ce qu'elles dépérissent, engendrent un trou noir, un néant gourmand que seul le bien matériel peut combler. Mais lui les garde et les séquestre, les affaiblit au maximum et pourtant continue de les alimenter. Par nostalgie ou par espoir, que sais-je, il n'a pas le courage de s'en débarrasser définitivement et c'est là sa faiblesse. Ha ! après tout ce temps à être traité de haut par ce nabot condescendant, comment refuser cette croustillante opportunité qui se livre à moi ?

Les mouvements circulaires du revolver faisaient rouler ses reflets cuivrés sous la lumière des néons, nerveux comme un molosse qu'on retenait. Je secouai le menton. Il n'y avait pas une once de nostalgie ou d'espoir dans le cœur de Nightmare. Tout ce qu'il proférait, ce n'était que suppositions, son seul but était de me déstabiliser. Et ça marchait, ça marchait... Les vautours avaient piqué droit.

Moi : V...Vous me surestimez, ma vie n'a pas assez d'importance pour vous apporter quoi que ce soit.

Pas ça... Tout mais pas ça !

Gaster : Permets-moi d'en douter, je suis certain que si tu appelles à l'aide il viendra.

Moi : Non...!!

Je plantai mes ongles dans mes tempes.

Gaster : C'est à se demander s'il voudra te laisser partir.

Moi : Taisez-vous !

Il se pencha sur mon âme, constateur, comme pour en disséquer ses attraits.

Gaster : Même cette parcelle de haine nichée en ton âme ne sied guère à ta droiture. Si discordante, si profane... Un pacte antique, peut-être ? De quelle nature ? Oh, mes excuses, ça ne me regarde pas~

Moi : ASSEZ !!! M'emportai-je en abattant le poing sur la table.

Gaster : Tu es mon otage, il n'est plus nécessaire que j'extorque ton âme. Toi contre des informations et des armes provenant de l'extérieur, plus une âme humaine. Ça n'est pas cher payé, si ? Proposait-il, folâtre, avant de s'assombrir soudainement, approchant son arme. Maintenant prends cette espèce de téléphone et dis-lui de venir, le reste ne te concernera plus.

Il était à cent lieues de mesurer la dangerosité du maître des cauchemars. Je ne m'en faisais absolument pas pour ce dernier, dans tous les cas Gaster ne prendrait jamais l'avantage sur lui. Quant à moi ? Si j'acceptais, non seulement l'image d'Error s'éloignerait encore davantage, s'enfuient entre le souffle des brumes solitaires, mais en plus... Que cela voudrait-il dire ? Que j'avais encore une fois besoin du bras de Nightmare ? Que j'assumais totalement ma dépendance ? Que je ne me libérerais jamais de la sensation exécrable de ces griffes douçâtres se refermant sur mes épaules ?

Moi : ...Plutôt mourir.

Je le foudroyai du regard, bombant le torse, pour bien lui faire comprendre que je n'avais pas peur de lui. Il ne pouvait pas me descendre dans l'immédiat, ce n'était que du bluff. Il me jaugea avec blasement.

Gaster : Justice, hein ? Je pourrais y voir une policière mais le terme n'est ni assez pur ni assez honnête. Choisissons plutôt héroïne. Une bonne pomme d'héroïne. Cette grande âme va-t-elle sacrifier son petit camarade à sa place ?

Il n'avait pas plus tôt dit ça que la porte du cabinet s'ouvrit brutalement, et une dizaine d'hommes au moins affluèrent la pièce, deux venant me menacer de leur colt tandis que le parrain rangeait le sien dans son veston. D'autres pointaient sur une cible squelettique, retenue précautionneusement en étau par quatre monstres si bien qu'on n'y voyait que la tête et les membres qui ressortaient ; Black m'accordait une mine toute penaude. Je me retournai vers Gaster, affolée.

Moi : Vous êtes fou, vous n'avez pas la moindre idée de ce à quoi vous vous attaquez !!

Gaster : C'est ce qu'ils disent tous. Maugréa-t-il. Appelle-le à présent. Allez, «Au secours !», «À l'aide !», «Venez me chercher !», appelle !

Il rapprochait le cristal de mes yeux comme on repoussait une bête sauvage avec du feu, m'arrachant un recul. Je cherchai un réconfort auprès du squelette rouge. Il n'était pas moins démuni, mais une lueur d'inquiétude éclairait de surcroît ses orbites. Il devinait l'hésitation, redoutait le pire. Au point où on en était, Gaster pourrait très bien prendre la décision de revenir au plan de base... Et puis sinon, que faire à cet instant précis ? Sauter dans un portail en disparaissant comme une voleuse ? Et lui, alors ? Aussi déplorable était-il, aujourd'hui c'était mon partenaire. Je ne pouvais pas l'abandonner.

On aurait dit un cadavre vidé de ses entrailles. Spectatrice de mon propre corps, ce n'était pas moi qui levais la main vers le cristal, qui y refermais les doigts, l'ôtais des griffes du parrain. Les larmes congloméraient aux coins de mes cils. Tout était vain... J'avais beau résister de toutes mes forces, les lianes continuaient de s'agglutiner autour de moi. Je les tranchais, encore et encore, elles me désarmaient, m'empoignaient, tiraient sans cesse en arrière. C'était une fatalité, comme une tragédie au destin gravé à l'avance dans le marbre. Et pourtant je n'y croyais pas, au destin. Je n'y avais jamais cru.

Le socle pivota, on entendit le crépitement du répondeur, puis le squelette de pétrole décrocha.

Nightmare : Allô, Black ?

J'approchais mes lèvres tremblantes du cristaphone. Une inspiration sifflante. Deux. Allez, la troisième, c'est la bonne. Je me préparai à pousser sur mes cordes vocales, quand, soudainement, un cri :

Black : LISA, BAISSE-TOI !!!

L'ordre me fit l'effet inverse, je redressai le menton. La bande temporelle prit alors l'élasticité d'un caoutchouc. Étiré tout d'abord ; une dizaine d'os rouges, fins comme des bâtonnets, habilement invoqués directement dans les canons des revolvers ; et, progressivement, soutenu. Les mafieux écarquillant les globes. Impulsifs. Concluant une attaque. Immédiatement, je compris. La bande se rétracta violemment pour revenir à sa forme initiale : je fléchis les genoux, me couvrant la nuque avec les avant-bras. Leurs doigts enclenchèrent la gâchette, les détonations retentirent dans toute la pièce, faisant imploser les pistolets qui éclatèrent dans les pattes des tireurs, les tuant sur le coup. Le tortionnaire se libéra de ses étaux, effectua une translation vers moi, me souleva comme un sac à patate, donna un coup de pied dans le bureau de Gaster qui se renversa et cabriola par dessus pour atterrir lourdement de l'autre côté, juste avant que les tirs des survivants ne reprennent, inondant la pièce. J'avais lâché le cristal d'Echo pendant l'action, il gisait quelque part entre nous et nos assaillants.

Moi : Black ?? Mais... Qu'est-ce que t'as fait ?! M'exclamai-je, abasourdie par ce pari diablement risqué.

Black : Je... Je sais pas ! Avoua-t-il, pénétré d'angoisse. J'ai eu une idée, j'ai pas réfléchi et là je panique !!!

Une valse de balles traça brutalement une ligne horizontale sur notre maigre barricade, la remuant de quelques centimètres. Je me cambrai en position fœtale, priant le Multivers pour ne pas me faire plomber. Ces tarés avaient ramené une sulfateuse !!

Je consultais mon acolyte happant l'air, carpes osseux pressant son crâne par les temporaux, reprenant difficilement son souffle. Il venait de faire preuve d'un sens de l'improvisation ahurissant, mais là, il n'était plus en état de décider quoi que ce soit. Le remerciant mille fois intérieurement, je pris la relève et tâchai d'analyser la situation. Une seconde plus tard, j'insufflai mes poumons d'oxygène, me préparant à puiser une énorme quantité de magie.

Moi : Ok, j'ai un plan ! Annonçai-je, paupières closes, l'électricité magique soulevant quelques mèches de mes cheveux.

Black : Déjà ??

Cela me paraissait si long depuis la dernière fois où la justice m'avait enveloppée... Cette fois-ci, au moins, je savais contre qui je me battais, pour quoi je me battais. Contre ce monde perverti. Pour corriger Gaster, sauver Error un peu plus et me sauver également, arracher l'un des douze câbles qui me séparaient de lui. Mon pouvoir se propagea dans mes artères et dans mes veines, dans mon cœur frappant ma poitrine à la chamade, dans mes iris qui renvoyaient une flamboyante dorure de détermination.

★ Tu es emplie de Justice.

J'attendis le sursis, quand la mitraillette rechargea, puis à l'instant propice je bondis, lançant mes instructions au squelette rouge :

Moi : Je te couvre, tu les tabasses !

Black : Quoi ??! S'alarma-t-il alors que je passais par-dessus le bureau. Attends, mais c'est pas un plan, ça !!

Les semelles de mes bottes s'enfoncèrent dans le tapis de sol, en posture de combat. Je déployai mes doigts, paumes au dehors. Au même moment, les munitions jaillirent. D'un mouvement compulsif, j'engendrai un champ électromagique englobant la moitié de la pièce, parsemé de petites décharges se promenant entre les projectiles qui décélérèrent, et juste à temps se stoppèrent, maintenus en l'air. Black surgit alors derrière moi et balança ses os carmin sur les monstres. Quand ces derniers essayèrent de le descendre, leurs balles se retrouvèrent à nouveau piégées dans le tissage de cette toile invisible. Ils s'agitaient, perdaient leurs moyens, certains abandonnant leurs armes pour se soustraire à leur traditionnelle magie. Heureusement le tortionnaire, sur ce point, leur était horriblement supérieur.

La sueur cavalait ma tempe. Je tenais du mieux que je pouvais, mais il en arrivait d'autres, encore et encore, et bientôt ce fut le retour de la sulfateuse. Je glapis, souffrante, en surchauffe comme une putain de pile. Les phalanges se arquaient douloureusement, les os moulaient ma peau, mon tibia fragilisé vacillait, sur le point de céder. Je ne savais même plus si j'aurais dû écouter Science, pour qui j'avais agi, où j'avais eu raison, où j'avais eu tort. J'étais épuisée. Une expiration. Une simple expiration et hop, plus de Lisa.

Mais au moment où la Mort apparaissait à mes côtés pour sonner le glas, pareil à un second souffle, la parcelle de haine insinuée au point culminant de mon être remua, piquant ma détermination. La réprimant tout d'abord, le souci de survie me força à l'accepter. Je me laissai envahir par cette puissance endogène, qui me légua toute l'énergie nécessaire. Mon aversion pour ces gens, pour Mafiatale, pour Nightmare, pour le monde quintupla. Les vitres se brisèrent, les papiers tourbillonnèrent, les hommes trébuchèrent. Tout se troublait dans mon champ de vision, tel un brouillard cramoisi perturbant les lignes et les tracés, déformant les silhouettes. Exceptée une.

Prostré dans un coin, éclaboussé de poussière de monstres, Wingding Gaster reculait, autant qu'il en était capable. Son visage, transformé par l'épouvante, accompagnait ses bras en retrait, son couvre-chef en équilibre sur sa tête nue, sa ceinture chiffonnée qui laissait s'évader son veston épar. Je fis un pas vers lui, il tressauta, fouillant dans sa doublure, entreprit de se défendre de son revolver. Je levai simplement mon index, un éclair jaillit, éjecta l'arme à plusieurs mètres.

??? : C'est bon, j'ai fini... Me parvenait une voix, lointaine, volatile.

Il était tous les problèmes du monde. Il était tous les problèmes du monde, et il était à mes pieds. Si je le tuais, tout serait réglé.

??? Hey...

Tout. Tout. Si je le tuais, tout se porterait mieux.

Black : Hey !!!

Une main me secoua l'épaule. J'eus un soubresaut. Les balles interceptées retombèrent en cliquetis amortis sur la moquette. Ma chair, cotonneuse, me parut celle d'une anémiée. Je flanchai soudain. Black me rattrapa juste avant que je ne m'écroule.

Black : Lisa... Ça va...? S'inquiéta-t-il.

Je balayai le cabinet de travail d'un œil endormi. Tout. Tout n'était que poussière. Étourdie, mes pensées se dilataient dans le liquide somnifère qui s'étalait au sein de ma boîte crânienne, louvoyant d'un côté d'un autre. Ces meurtres auraient pu être évités si je n'avais pas foncé tête baissée comme d'habitude. Vieux réflexe de héros, avait dit Science. Et il avait bougrement raison, Science. Comme Epic. Ils étaient chiants, ces scientifiques, à avoir raison comme ça. Je remuai ma cheville. Par miracle, elle ne se portait pas plus mal.

Moi : O...Oui, je crois... Murmurai-je en m'aidant de mon compagnon pour me remettre droite.

Black : Ouf, tant mieux... Souffla-t-il. Alors maintenant...

Je ne fus pas redressée complètement qu'il cueillit ma joue de sa paume. La claque résonna dans tout le bureau, au point que mes cervicales tournèrent à 90° sur le côté.

Moi : AÏiiiiE !!! Couinai-je en me frottant la pommette, parfaitement réveillée. Mais ça fait mal, pourquoi t'as...??

Black : C'est tout ce que tu mérites espèce d'inconsciente demeurée !!! Tu as risqué ta vie et par extension celle de ton petit ami tout ça parce que tu ne voulais pas admettre que tu avais besoin d'aide dans un milieu que tu ne maîtrises pas et c'est MOI qui fait une crise d'égo stupide ??!

Je voulus en placer une mais il me l'interdit d'un claquement de langue.

Black : Ok, t'es pas à ta place ici, t'es une héroïne... Mais t'as un objectif, sauver Error. Alors fais-le, donne-toi à fond, quitte à devoir t'adapter. Apprendre à nager à travers les courants est bien moins compliqué que de tenter de conquérir la mer.

Ses orbites se détournèrent en énonçant cela, laissant émerger de légères rougeurs de gêne. Bafouillant, il replia les bras sur sa cage thoracique.

Black : Cela dit... Tu n'as pas hésité à renoncer à ta fierté juste pour me sauver alors... Merci.

Il fit la moue, confinant son embarras à l'intérieur de la bulle d'air créée. Je me contentai d'acquiescer le sourire aux lèvres, mais un petit seulement, pour ne pas le vexer. Il ramassa le cristal d'Echo abandonné, ou plutôt ce qu'il en restait. Les ondes l'avaient brisé en mille morceaux.

Moi : Ooops.... Grinçai-je, malaisée. Désolée...

Il en haussa les épaules.

Black : Pas grave, tu me passeras le tien. Étant donné que notre hôte l'a gardé bien au chaud au fond de sa poche, n'est-ce pas ?

Nous dirigeâmes notre attention vers le seul survivant de cette bagarre, qui, plus blanc qu'un linge, restait feutré tel un rat dans son trou, dégringolé de son statut de patron.

Moi : Alors... Qu'est-ce qu'on fait de lui ? M'enquis-je, profitant au mieux de ma satisfaction passagère.

Ça fanfaronne, ça fanfaronne, mais finalement ça se contorsionne. Esseulé, il ne valait plus rien. Black porta un index à ses dents, songeur, puis m'adressa un rictus malin.

Black : Tu veux toujours qu'on remplisse cette mission, pas vrai ?

Moi : Qu'est-ce que tu vas faire ?

Il tapa son poing contre sa paume, gonflé à bloc.

Black : Ce que je fais de mieux !

Il s'avança lourdement vers Gaster, se pencha sur lui, mains sur les hanches, parut l'assassiner des orbites. Posément, il ôta le chapeau du parrain, s'en coiffa la tête, content, puis tout à coup, s'écria aussi fort qu'un général en pleine guerre :

Black : VOUS RENDEZ-VOUS SEULEMENT COMPTE que vous avez enfreint au moins une dizaine de lignes dans la constitution de votre contrat ?!! Vous vous croyez supérieur, inatteignable, peut-être ?! Grossière erreur, on fait preuve de pitié et de tolérance à votre égard, mais votre AU de pacotille, là, si on veut on le réduit en cendre !! Mon Boss, vos balles humaines ça lui fait que dalle, vos os il s'en sert comme cure-dents entre deux petits fours !! Et c'est pas votre fric de MERDE et votre nom de famille qui va vous sauver le cul, vos lois débiles on se torche avec ! On arrive, on vous blasterise, on repart, voilà comment ça se passe !!! Y'a des centaines et des centaines d'univers alternatifs, on peut vous remplacer en deux-seize et VOUS FOUTRE DANS LE FRIGO SI ÇA NOUS CHANTE !! Vous avez déjà assez fait pour mériter de vous faire pendre du haut de notre donjon par les intestins ! VIVANT !!! Alors si vous tenez vraiment à votre gueule de mafioso on va stipuler un nouveau contrat et voilà ce que vous allez écrire...!!!

★★★

Nightmare : ...«Je, soussigné Wingding Gaster, m'engage à importer autant d'hommes que nécessaire à Killertale sous la demande directe de Nightmare, répondant strictement aux critères dictés par celui-ci, sans condition, sans frais, et sans attendre quelconque service en retour» ??

Le squelette de pétrole posa le document sur sa table, nous considérant simultanément. Savourant ce silence de consternation, je fixais le plafond, tandis que Blackberry reluquait ses phalanges avec un soupçon de fierté. Finalement, il fronça un museau méfiant :

Nightmare : ...Comment vous avez fait ?

Moi : Mmh... Disons que notre patron de la journée s'est montré plutôt... Avenant. Éludai-je avant de sourire au squelette rouge. Black ?

Ce dernier démarra donc l'explication, du début de la mission jusqu'à sa chute. Nightmare ne dévoila pas une once de surprise sur la durée du récit. Quelques fois, sa mine se renfrognait, son arcade se haussait avec intérêt. Puis je pris la relève, évitant bien sûr soigneusement ma crise de nerfs dans les sous-sols, ainsi que celle du tortionnaire. Enfin, ce dernier minauda bien à narrer le dénouement final, appuyant ses exploits de manière... Presque pas exagérée, il fallait le reconnaître.

Nightmare : Il y a tout de même un détail, futile mais quelque peu embêtant qui me titille... Objecta le maître des cauchemars à l'apogée de ce topo. Lorsque vous vous êtes évadés, pourquoi ne m'avez-vous pas prévenu ?

Moi : Gaster nous a réquisitionnés les cristaux d'Echo. Répondis-je précipitamment, alors que Black allait ouvrir la bouche.

Nightmare : Tu avais toujours ton collier.

Moi : Il me l'a pris aussi.

Nightmare : Il... Te l'a pris ? Répéta-t-il, sceptique.

Moi : Oui.

Nightmare : Le collier ?

Moi : Oui, le collier.

Nightmare : Il savait que c'était une arme ?

Moi : Il savait pas.

Nightmare : Il ne savait pas ?

Moi : Il savait pas.

Nightmare : Pourquoi te l'a-t-il pris dans ce cas ?

Moi : Il voulait l'offrir à sa femme.

Nightmare : Il n'a pas de femme.

Moi : Alors c'était peut-être son amante.

Nightmare : Il n'a pas d'amante.

Moi : Ça t'en sais rien.

Si le parrain de Mafiatale détrompait mes entourloupes par de longues tirades sinueuses et précises, il suffisait d'un regard à Nightmare pour déceler, révéler et arracher le voile de ma culpabilité. Il faisait le blasé, me répétait mille fois dans son mutisme l'inutilité de mentir, qu'il ne croyait pas un mot de mon histoire. Mais j'avais compris comment leur monde fonctionnait. S'il voulait m'infliger une punition, il n'avait nul besoin de torts concrets, ni d'aveux. Et rien n'était jamais officiel tant que le silence était gardé. Alors je persistais dans mon visage stoïque.

Le squelette rouge n'eut hélas pas cette rigidité, car, soumis à la franchise du langage corporel, à la gradation du stress, poussé à bout, il craqua soudain :

Black : Je suis désolé, Maître, j'ai essayé de l'en empêcher !!! Je lui ai demandé de rentrer mais elle ne voulait surtout pas vous demander de l'aide alors elle est allée toute seule affronter Gaster, j'ai tenté de la rejoindre mais je me suis fait prendre et...!!

Je me retins juste à temps de lui filer une baffe, effarée. L'ignoble traître !!

La face de Nightmare se fendit en deux de satisfaction. Il m'adressa un rictus narquois :

Nightmare : Dois-je donc en conclure que tu as mis la vie de ton camarade en péril par souci de fierté, Justice ?

Saisie d'une demi-torpeur, je vagabondais entre les excuses et les justifications, tentai de faire preuve d'un tant soit peu d'imagination, de répartie, mais rien, je stagnais.

C'était fini, il m'avait eue.

Tout était dit, aucun argument ne me permettait de plaidoyer en ma propre faveur. Piteuse, j'abaissais la tête, confessant difficilement :

Moi : ...et...et bien...

Black : Euh... Si je puis me permettre... Ajouta timidement Blackberry en levant une main, déviant l'attention de son patron. C'est grâce à l'ingéniosité de Lisa qu'on a pu s'échapper, et... Si elle ne s'était pas obstinée, on n'aurait sans doute pas récupéré ce contrat avec Wingding Gaster... En fait, si elle n'avait pas été là... Tout se serait passé bien différemment, et je ne pense pas que je m'en serais sorti sans elle. Ou... Ouais, elle a fait du bon boulot ! Je pense qu'elle a largement mérité une validation.

Je me tournai vivement vers mon compagnon, ébahie. Je ne m'attendais pas à ce qu'il se manifeste ainsi, surtout pour prendre ma défense. Mais la conventionnalité, cela avait pour qualité la droiture, le code d'honneur : rigueur, travail... Et honnêteté. Le maître des cauchemars riposta sans vergogne.

Nightmare : Ne parlons-nous pas là de ta seule incompétence ? Ce n'est pas sa faute si tu ne sais jamais accomplir tes missions qu'à moitié.

Black encaissa le coup. Il sembla lutter contre l'envie de se plier en deux, décrivait par des tics et des grimaces les détails de son combat interne, avant de secouer rageusement le menton et de faire, les cents pas dans la pièce.

Black : Écoutez... Je ne sais pas quand j'aurai enfin une place dans votre estime, ni quand je deviendrais enfin l'agent efficace que voulez que je sois, mais je fais tous les jours de mon mieux pour ça ! Déclamait-il avec effervescence. Alors le moins que vous puissiez faire c'est de reconnaître mes efforts. Cette mission m'a permis d'évoluer, de mieux connaître mes acquis et mes défauts. Tout... Tout le monde a des défauts, même vous ! Par ailleurs... En ce qui concerne mon incompétence, je pense que nous nous entendrions mieux en passant un accord, si vous le voulez bien.

Et dans un élan de folie il se pencha sur le bureau, énonçant sans hésitation, sans ambages, remué d'un accent d'accusation :

Black : Je tuerai mon frère lorsque vous réussirez à tuer le vôtre.

Je me pris la bouche, choquée. Même moi je n'aurais pas osé la faire, celle-là.
Nightmare... Gela. C'était le moins qu'on puisse dire. Pétrifié dans une expression d'indignation, même le remous de sa haine liquide n'opérait plus, solidifié. Un bonbon pour les yeux, moi qui ne l'avait que rarement vu aussi bouleversé dans son égo, et jamais par une simple phrase, provenant qui plus est de son propre sbire. Son mécanisme reprit enfin son cours, il montra un léger sourire, œil mis-clos, trahissant une suggérée pulsion meurtrière refoulée.

Nightmare : Mh. Conclu.

Nous battîmes des cils en parfaite coordination, abrutis par ce décret fortuit.

Black : C...Conclu ? Fit Black. Conclu conclu ?

Nightmare : Conclu, oui.

Moi : Et pour la mission ? Risquai-je.

Nightmare : Conclue aussi. Soupira-t-il bruyamment avant d'ouvrir un tiroir pour en extraire un papier et de saisir son stylo. Débarrassez le plancher, maintenant.

Une vague d'euphorie me submergea. Je sautillai de joie, poings levés, semant des «Yes, yes, yes !» dans toute la salle.
Le cap du quart avait été franchi ! On n'avait pas fait tout ça pour rien !!

Ce fut presque dansante que je guidais mes pas vers la sortie, bientôt suivie par ceux mécaniques de Black. À peine nous retrouvâmes-nous à l'extérieur que la porte se referma brutalement, nous faisant tressauter. Une seconde passa, puis le squelette rouge éclata de panique :

Black : Aaaah !! AAAAH !! Mais qu'est-ce que je viens de dire ?? J'ai été si insolent !! Le Maître va me couper la tête !!!

Il se donnait des coups dans le crâne, maudissant mille fois sa "stupidité". Je lui tapotai amicalement l'épaule, me voulant rassurante.

Moi : Mais non, voyons ! Je pense que t'as frappé pile là où ça fait mal, et puis Nightmare a déjà assez peu de subalternes, il ne va se débarrasser d'un pour une raison aussi futile, tu ne risques rien.

Black : Si tu le dis... Marmonna-t-il, à moitié convaincu.

Moi : Par contre, excuse-moi de passer de Bruh à Dude, mais tu vas vraiment garder ce chapeau ? M'enquis-je en remarquant qu'il n'avait pas rendu le couvre-chef volé à Gaster.

Black : Meh, pourquoi pas, il est classe, non ? Répondit-il en donnant une pichenette au bord, prenant une pose dédaigneuse. Ça fait un peu cow-boy des enfers, parfait pour l'horrificiant Blackberry !

Moi : Siii... tu le dis.

Black : Hé, ce n'est pas pour rien que ce sont toujours les méchants qui ont le plus de fans, Mwahahahaha ! Crâna-t-il avec un ricanement qui, sur le coup, me fit vraiment penser à Blue.

Cette phrase sonna comme un déclic. Je m'agrippai la racine des cheveux, désabusée.

Moi : Attends -ttends -ttends... T'as rejoins le gang de Nightmare juste pour avoir des fans ??

Black : Les méchants sont les plus charismatiques !

Moi : Il y a aussi des charismatiques chez les gentils, tu pourrais essayer...

Black : Pas de tentative de corruption, j'ai dit ! S'énerva-t-il en balayant l'air du bras. Je suis absolument IN-FLE-XIBLE !

Sans trop savoir comment, j'oubliai un court instant que j'avais un ennemi en face de moi. Tous les souvenirs heureux passés avec son homologue bleu m'avaient tendrement enveloppées, passant du baume sur mes plaies infectées. Un petit rire fuita de mes lèvres.

Moi : À chacun ses handicaps ? Supposai-je alors.

Le Sans de Swapfell émit un léger grognement, roulant les pupilles, avant de concéder un petit haussement de zygomatique.

Black : ...À chacun ses handicaps.

★★★

PDV Extérieur :

Error : Tū ãs dįx-nęūf åns ?

Moi : Oui. Après mon arrivée sur l'Outerground, j'ai arrêté de grandir. Et je ne sais pas pourquoi.

Error : C'ęst pãs dē bøł, çã.

Moi : Je sais. Et toi ?

Lui ? Error ne s'était jamais importuné avec ce genre de questions. Accumulait-il six ans d'existence, quinze, quarante, cent, mille, quelle gratification avions-nous à compter quand nous étions immortels ? Lorsque nous, outer-codes, électrons libres passant d'un monde à l'autre sans jamais y bâtir logis, ne configurions plus au milieu des 0 et des 1 qui façonnaient le Multivers, ne pouvant même plus dissocier antant et présent ? Sa mémoire s'effaçait au fur et à mesure de toute manière, qu'avait-il retenu de son passé ? Il était sûr d'avoir eu Toriel, mais pour combien de temps encore ? Il devait également avoir eu Papyrus. Le reste... N'était plus.

Error : Jē såįs płūs. Répondit-il finalement.

Moi : C'est pas de bol, ça.

Error : Jē såįs pãs. Pęūt-êtrę.

Anti-social, écarté des mœurs et de l'anthropologie durant trop longtemps, il ne connaissait même plus les notions de base, ce qu'était un adulte ce qu'était un enfant. Enfin si, les enfants, il s'en rappelait. Des mini-monstres ou mini-humains, qui courent dans tous les sens et qui crient et qui pleurent sans discontinuer. Par ailleurs, il avait découvert par ces critères que beaucoup d'adultes redevenaient des enfants aux portes de la mort. De toute manière, ce n'était pas le cas de Lisa. Lisa, elle se traduisait par une énergie modérée, le nerf d'une vitalité qui avait le talent de s'adapter, de se poser, de discuter. Le timbre de la voix tremblant d'excitation, ses longues respirations attestaient le contrôle sur ses émotions. C'était cela que l'on appelait la camaraderie, non ? Malgré ses traits juvéniles et sa taille de mouche, l'expérience avait fiché un soupçon de maturité sur son visage. Elle était présente, et pourtant ne monopolisait pas l'espace en se déchaînant joyeusement ou en le noyant sous une avalanche de questions. Elle avait compris, en admirant l'infinité du cosmos, que l'espace, c'était bien assez grand pour tout le monde. En parfaite symbiose avec cet endroit, dès qu'elle collait son dos au tronc, c'était comme si deux pièces sœurs se complétaient. La couleur de ses cheveux et le grain de sa peau se mariaient avec les feuilles et la broussaille, son aura tiède et palpitante épousait celle de l'arbre. Inopinée, unique jusqu'à preuve du contraire, elle semblait appartenir à ce jardin. C'était son univers.

Le destructeur trouva que ce soir, les étoiles scintillaient encore plus joliment qu'avant, plus jolies que des pierres précieuses dans le ciel pour la pie kleptomane qu'il était. La brunette l'examinait avec une curiosité brûlante, contrastant violemment avec la peur, la haine et la crainte qu'il recevait d'autrui. Elle était tombée amoureuse de lui ou quoi ? Déjà ? Il n'ignorait pas qu'il était le squelette le plus charismatique du Multivers mais tout de même...

Cette idée le rengorgea. Hey, ne te vexe pas, mais pour l'instant tu restes toujours une atroce et dégoûtante anomalie, ce n'est pas avec tes yeux de biche que tu vas m'attendrir !
Pourtant, il sentit une chaleur caresser son âme avec volupté. Il se disait qu'il pourrait admirer ce regard toute son existence.

Ils avaient discuté. Posément, assidûment. Pourtant tout s'était passé si vite... Dès qu'elle avait appris pour les AU's, elle était devenue pétillante, s'était exclamée, puis retenue par politesse en plaquant ses paumes sur sa bouche, ce qui l'avait amusé. Mais rapidement il s'était laissé distraire et elle avait pu enchaîner les questions ingénument. Par ce fait, elle avait deviné qu'il était destructeur. LE destructeur. Elle s'était éteinte. Alors il avait eu peur, très peur. Mais, bien qu'un peu triste, elle s'était reprise et l'avait accepté. Ce qui était le plus marrant, c'était qu'à ce moment-là, il s'était demandé pourquoi il détruisait. Enfin était venu le temps des séparations, là où elle allait poursuivre son chemin, et lui le sien. De manière impulsive, il lui avait suggéré de se revoir. Comme ça, sans réfléchir. Il avait profité du réconfort de la colline, de la douce brise estivale, de la compagnie de cette étrange jeune fille, son regard envoûté, presque langoureux derrière ses lunettes crasseuses ; subséquemment son esprit avait bifurqué à son chez-lui, l'Anti-void, blanc, vaste, ni chaud ni froid, son canapé, vide, ses affaires, ses objets volés, étalés à cinq mètres à la ronde, son assemblage d'âmes qui depuis longtemps avaient cessé de battre. Et cette phrase lui avait échappé.

De retour au bercail, Error se vautra dans son sofa. Éructant quelques ronrons, il se tordit dans tous les sens, froissant ses vêtements grossièrement fabriqués afin se mettre sur le dos, bras croisés derrière l'occiput, fixant le blanc opaque de la dimension. Seuls les ignorants et les sots avaient l'excuse de croire que l'Anti-void était un néant. En réalité, c'était l'exact contraire. Obéissant aux lois de la synthèse additive, il était l'antagoniste de la vacuité, le lieu où l'entièreté des univers alternatifs et des Timelines se regroupaient, s'aggloméraient sous forme de cryptage. Le noyau de toute la galaxie. Ce n'était pas pour rien qu'on était capable de créer des brèches sur tout univers alternatif confondu grâce à ce biais. N'importe qui pouvait y échapper et s'y rendre pour peu qu'il en connaissait le chemin.

l'Anti-void était le Tout. Et, allongé au milieu du Tout, Error ouvrit d'un battement de main une dizaine de portails sur différents univers, au hasard ou suivant son gré, tel un réseau de caméras de surveillance. Undernovela, Underswap, Underfell... Chaque fenêtre hébergeait une histoire. Un combat sanguinolent, un show de Mettaton, des monstres et des humains riant aux larmes, s'esclaffant, jouant tous ensemble ou partageant un délicieux repas familial... Les bugs fourmillant sur les os du squelette glitché trahirent son exécration. Lisa lui avait proposé d'épargner les univers positifs, et il lui avait dit oui par réflexe, pour lui faire plaisir. Mais ces routes et ces mondes étaient ceux qui lui filaient le plus la gerbe. Quitte à être des bouses d'anomalies, autant qu'elles souffrent, encore, encore et encore, qu'elles lui offrent un spectacle un tant soit peu satisfaisant.

Une silhouette rose-violet se dessina subitement dans l'écran branché sur Outertale. Elle était là, assise à l'une des hautes chaises du comptoir, elle conversait avec Grillby. Le squelette glitché se redressa brusquement, refermant les autres portails afin de zoomer sur celui-ci. Ses joues étaient rouges, ses cheveux épars, ses épaules montant et descendant, encore essoufflées par sa fuite entre les entrailles du champ de pierre. Mais surtout... Elle parlait de lui. Elle parlait de lui à l'homme de feu, avec un intérêt et une candeur qui le convainquit de penser à elle un peu plus longtemps, de ne pas l'oublier tout de suite.

Il ne s'était pas encore décidé sur elle. Anomalie respectable ou hackeuse de chez hackeuse ? Plus il réfléchissait, plus le fait qu'elle n'existe qu'en un exemplaire lui paraissait absurde. Une ? Une seule parmi plusieurs centaines, alors qu'elle n'était même pas une outer-code ? Une, et pourquoi pas deux, trois ou même quatre ? Une, et pourtant, la manière dont elle s'assemblait à cet arbre mystérieux portait à y croire dur comme fer.

Il referma rageusement la brèche. Aucune conclusion hâtive tant qu'il n'aurait pas vérifié ! Si elle se révélait bien unique comme si le pressentait, il lui accorderait humblement l'honneur de le revoir. En revanche, si elle n'était rien d'autre qu'une énième anomalie qui aurait dévié de sa trajectoire... Il lui ferait payer cette immonde trahison.

Après une bonne sieste bien méritée, le destructeur s'en alla trouver le pot de peinture. Ce dernier fut fort déconcerté de découvrir son ennemi juré sur le pas de la porte du QG des Stars, toquant de surcroît comme une personne normale.

Ink : Tu veux des infos sur Outertale ?? Fit le protecteur, chargé de matériels de dessin en cours d'utilisation.

Il devait être en plein "élan de création quotidien". Le squelette glitché soupçonna qu'il n'aurait pas droit à un laps de concentration infini de la part de son opposé, alors il la fit courte. Bras repliés formellement au niveau du thorax, parce qu'il ne voulait surtout pas que ça ait l'air d'un entretien amicale, il précisa :

Error : Jũstę ūnę pērsønnę ēn pårtįcūłięr. Dåns łå Tįmēłinę Trūę Pãcįfīste, ūnę fįlłe hūmåįne qūį s'ãppęlłeråit Łįså, çã tę dīt qūełquę chøsē ?

Ink : Oh, c'est une vieille Timeline, je ne m'en rappelle plus... Chercha Ink, pupilles au ciel, chatouillant sa maxillaire inférieure de la garniture de son pinceau comme on se masserait le menton, semblant négliger qu'elle était imbibée de peinture verte fluo.

Error : Jē vęūx såvøįr sī ęlłē ęxīste dãns l'ūnįvērs ørįgīnał. Insista Error, fronçant la cavité nasale de malaise devant l'étourderie du peintre. Øū n'įmpørtē øù åįlłeūrs, øū dãns ūnę åūtrę Tįmēłinę. Jē vęūx såvøįr sī ęlłē å ūnę cøpįē åłtērnãtįve.

Ink : Tu veux dire une "version" alternative ?

Error : T'åppęłlē çå cømmę tū vęūx.

Ink : À quoi elle ressemble ?

Error : Pętitē, yęūx vērts, châtåįn, bįnøcłēs...

Ink : Des filles comme ça qui s'appellent Lisa y'en a des centaines par univers-

Error : Męrdē, Įnk ! Tū vøis bįēn cę qūę jē vęūx dįre !! S'agaça-t-il.

Ink : C'est bon, c'est bon ! Rigola le squelette coloré, avant de pointer le pinceau vers lui, ce qui lui fit courber le dos en arrière. Tout ça, ce n'est pas dans le but de détruire Outertale, n'est-ce pas ?

Error : Sį jē vøūłåįs détrūįrē Øūtęrtålē chęrchēråis jåmãįs l'åįdē d'ūn déchęt cømmę tøī. Affirma le destructeur sans hésiter, et de la plus honnête des réponses.

Ink : Ok, c'est un argument imparable. Reconnut le protecteur. Laisse-moi juste deux minutes !

Et il lui claqua la porte au nez. Error attendit patiemment, avec tout de même un peu d'inquiétude vis à vis du trouble de la mémoire immédiate du pot de peinture. S'était-il adressé à la bonne personne ? Mais bientôt Ink revint, les étoiles dans les yeux, agitant des feuilles documentées qui devaient provenir de la Doodlesphère.

Ink : T'avais raison Glitchy ! Elle ne vit nulle part ailleurs que dans cette Timeline, et pourtant son code appartient de naissance à Outertale ! Il n'est ni étranger ni immiscé, et il en va de même pour une sorte de colline ! Tu le savais, ça ??

Error : ...Øūį.

Ink : C'est incroyable, comment ça se fait ?? Oh lalala, il faut que je prenne des notes, c'est hyper intéressant !!!

Les bugs du destructeur envahirent sa boîte crânienne, et ce n'était qu'à moitié dû au défoulement de son contraire. Même confirmée, il avait du mal à enregistrer l'information, brouillée d'erreurs, de virus.
Son instinct ne s'était pas trompé. Non seulement ce n'est pas une hackeuse mais en plus elle se révélait être bien unique en son genre, inestimable !
Et bien ? Qu'est-ce que cela changeait ? Cela changeait que si par malheur elle venait à mourir... Elle disparaîtrait. Pour toujours. Et rien que de l'envisager, il avait un pincement au cœur.

Ce serait vraiment très dommage, surtout qu'elle avait eu l'air de bien l'aimer. C'était bizarre... Si fantasmagorique... Grillby lui demandait de lui ramener une foutue feuille, et il tombait nez à nez avec la seule personne qui semblait valoir le coup parmi toutes ces pourritures. Il cracherait sur le Hasard si celui-ci venait lui proposer une raison, car c'était forcément l'œuvre du destin, ils étaient voués à se rencontrer. Il l'imagina, installée en haut de cette colline où l'herbe poussait, genoux collés contre la poitrine, heureuse de le voir arriver, miraculeuse, angélique. C'était peut-être une étoile tombée du ciel, un cadeau divin réservé rien qu'à lui, pour qu'il ait enfin un ami ?

Un ami... Cela sonnait drôlement bien, mieux que "camaraderie". Il aimait ce plan. Détruire le matin, batifoler le soir. Un quotidien parfait qui lui siérait à merveille. En revanche, il ne fallait surtout pas qu'elle rencontre le pot de peinture, passionnée et fouilleuse qu'elle était. Il avait le réflexe de se faire discret pour espionner ses protégés mais des fois que... Ha, s'il avait eu le bon sens de lui cacher la vérité sur les AU's, il aurait pu la garder pour lui tout seul. Maintenant il était sûr qu'elle allait s'aventurer au-delà des étoiles, elle allait se séparer de lui, trouver mieux ! D'ailleurs si elle s'était montrée sympa avec lui c'était seulement parce qu'il était le grand méchant destructeur, et qu'elle avait craignait de se faire atomiser ! Mais en réalité elle se lasserait de lui bien rapidement, quelle hypocrite ! Mais non, s'il la désirait à ses côtés elle le resterait, quitte à l'enfermer sans l'Anti-void, įł n'ęn åvãįt cūrę dę so⃠n åv⃠ⁱ-į-īⓈ︎-

Error planta. Un flash lui revint en mémoire, un morceau de sa vie antérieure qu'il avait délaissé. C'était la deuxième fois en deux jours. Sans. Le Sans d'Underswap, de la route sans merci. Non, pas la myrtille des Stars qu'il combattait occasionnellement ! Swap!Sans, celui qu'il avait capturé après son génocide, celui à qui il avait présenté Undernovela, celui à qui il avait prêté ses lunettes, à qui il avait parlé des voix de la dimension blanche et de ses poupées. Il avait... Éprouvé de l'amitié, oui. Mais cela ne s'était pas bien terminé. Pourquoi donc ? Pourquoi cela n'avait-il pas continué pour l'éternité ? Il avait fini par le haïr, mais pourquoi ?

...
Parce qu'il détruisait. Parce qu'il blessait, tuait, exterminait, faisait du mal aux gens. Swap avait eu peur de lui. M'enfin, un ami était censé nous soutenir quoi qu'on fasse, et si lui ou Lisa n'étaient pas d'accord, il n'allait pas se fatiguer à essayer de leur plaire, il les virerait du catalogue et attendrait simplement de trouver un véritable ami !
Mais combien de temps encore...?

...

S'il ne détruisait plus... Pendant un court moment, juste une micro, micro, micro petite période... Ne s'enfuirait-elle pas moins vite ? Pourrait-il encore admirer ce regard enchanté dirigé vers lui et lui seul ? Après il ne la connaissait pas, peut-être que c'était une chieuse, une coincée, ou pire une rabat-joie ! Cela en valait vraiment la peine ?
Bah, il pouvait quand même tenter, que risquait-il après tout ?

Lorsqu'Error émergea enfin de ses songes, le protecteur le fixait avec incrédulité, les pupilles en point d'interrogation. Il exprima un râle, remua les dents, incertain.

Error : Dįs, łē pøt dę pēįntūre... Çå tę dįrãīt qū'øn... Fåssę ūnę pãūsę, tøį ēt møī ?

Il essaierait une semaine. Une semaine sans détruire, histoire de voir. Il avait des siècles devant lui de toute manière, il pouvait bien suspendre ses activités un petit temps.

Allez, et si ça se passait bien, il ne détruirait pas pendant deux semaines. Ça n'irait sans doute pas au-delà.

Un mois, grand maximum.

____________________________________

Hein ?

...

Ha, combien de mots à fait cette partie ?


Euh... Ok, bon.

Vous prenez 10 000...

Vous prenez encore 10 000 et vous ne gardez que la moitié...

Vous l'ajoutez au premier 10 000...

Vous ajoutez encore 1 000...

Puis encore 600...

Et vous l'avez •^•

....

RAAAAAAAAAAAAAAAAHHHHHHHHHHHHHHHHH !!!!!!! (*Se prend la racine des cheveux)

Je pense pouvoir vous promettre sans trop de risques que le prochain chapitre sera moins long T^T
Maiiiis, il y avait pleins de péripéties qui se seraient passées très vite en dessin animé, mais en écriture c'est... Un peu... Compliqué.
J'espère que ça vous aura plu quand même ^^"


À la revoyure (⁠づ⁠。⁠◕⁠‿⁠‿⁠◕⁠。⁠)⁠づ !

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